INT J TUBERC LUNG DIS 3 (7): 549-550 © 1999 IUATLD EDITORIAL La détermination systématique de la sensibilité aux médicaments est-elle une composante nécessaire de la stratégie « DOTS Plus »? DANS CE NUMERO, le lecteur trouvera une revue approfondie sur la détermination de la sensibilité de Mycobacterium tuberculosis aux médicaments par les Drs Heifets et Cangelosi,1 ainsi qu'un article des Drs Portaels, Rigouts et Bastian sur la prévalence de la tuberculose à germes multirésistants (TB-MR) dans certains lieux particuliers de l'ancienne Union Soviétique.2 Ces deux travaux ont été présentés à la 29ème Conférence Mondiale de l'UICTMR à Bangkok en novembre 1998, et concernent le problème brûlant de l'utilisation et du développement optimaux des moyens de laboratoire pour faire face à la TB-MR. Dans la première partie de leur revue générale, Heifets et Cangelosi développent des arguments rationnels en faveur de la généralisation de la détermination de la sensibilité aux médicaments pour chaque nouvel isolat de M. tuberculosis au sein des programmes nationaux de tuberculose (PNT) dans le monde entier. La seconde partie fait très bien le point sur les méthodes disponibles pour déterminer la sensibilité aux médicaments de M. tuberculosis, information bien à jour pour les lecteurs du journal. L'article de Portaels et al. illustre l'impact négatif de la détérioration des structures de santé sur la lutte antituberculeuse ainsi que les taux élevés de TB-MR parmi les prisonniers. L'impact négatif trouve une autre illustration dans l'absence de réponse des patients atteints de TB-MR à une polychimiothérapie standard même si elle est conduite sous observation directe comme le recommande la stratégie DOTS. Par voie de conséquence, Portaels et al. se joignent à Heifets et Cangelosi pour insister sur la nécessité d'une stratégie 'DOTS Plus' pour les patients atteints de TB-MR. Ils posent logiquement les questions non seulement de la disponibilité des médicaments de seconde ligne pour traiter les patients atteints de TB-MR mais aussi celle de l'importance du laboratoire dans le choix entre des régimes de retraitement standardisés ou individualisés. Très prudemment Portaels et al. concluent qu'il reste à déterminer quelles sont les interventions de laboratoire et de clinique les plus efficientes pour la prise en charge de patients atteints de TB-MR dans les PNT. Moins prudemment, mais avec le courage de leur conviction, Heifets et Cangelosi exposent le syllogisme suivant : 1) le risque d'épidémies de TB-MR incurables est réel et pour les prévenir, les patients atteints de TB-MR devraient bénéficier d'un traitement alternatif ; 2) la seule façon de déterminer dans quelle mesure un patient récemment détecté héberge une souche MDR et de prescrire un traitement alternatif efficace est de déterminer la sensibilité aux médicaments ; 3) dès lors les tests systématiques de sensibilité aux médicaments devraient être pratiqués sur l'isolat initial de chaque patient. Les deux propositions et leur conclusion méritent d'être sérieusement examinées. De nombreuses épidémies nosocomiales de TBMR parmi les patients séropositifs pour le VIH ont été décrites dans le passé, et nous savons que certaines existent encore dans un certain nombre de pays. En plus, il y a actuellement un nombre croissant et alarmant de cas de TB-MR parmi les patients séronégatifs pour le VIH, particulièrement dans les groupes à haut risque comme les prisonniers et dans les pays qui connaissent des difficultés momentanées ou chroniques en matière de santé publique. Bien que ces publications doivent être sérieusement prises en considération, le taux médian de prévalence de la TB-MR primaire dans le monde se situe de manière rassurante à 1,4%, comme il ressort de l'enquête OMS/ UICTMR sur la résistance aux médicaments. Un taux aussi limité de prévalence indique principalement que dans la plupart des pays et des situations, la majorité des patients nouvellement détectés sont porteurs d'organismes sensibles aux médicaments et peuvent bénéficier d'un traitement standard directement observé (TDO). Ceci ne veut pas dire que les patients atteints de TB-MR ne doivent pas bénéficier autant que possible de régimes médicamenteux alternatifs, comme le recommandent autant Heifets que Portaels, en accord total avec l'OMS. Personne ne voudrait mettre en cause cette recommandation, sauf si elle devait être prise aux dépens du traitement des patients à germes sensibles, une éventualité improbable. Le problème est de détecter la TB-MR et de décider quelle combinaison de médicaments est susceptible d'une efficacité maximale. Dans leur seconde proposition, Heifets et al. considèrent que [Traduction de l’éditorial : "Systematic drug susceptibility testing: a necessary component of the ‘DOTS plus’ strategy?" Int J Tuberc Lung Dis 1999; 3 (7): 549-550.] 2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease les tests de sensibilité aux médicaments sont la seule solution à ce problème. Même si certains patients peuvent être cliniquement considérés comme multirésistants, en raison de leur anamnèse prolongée de traitements antérieurs inefficaces et même si certains patients sont traités avec succès au moyen d'un retraitement standard, tous les spécialistes de la résistance médicamenteuse devraient faire tous les efforts possibles pour adapter les retraitements individuels aux tests de sensibilité des médicaments de première et de seconde ligne. Devrions-nous dès lors conclure comme Heifets et al. que les tests de sensibilité systématiques devraient être pratiqués sur tous les isolats initiaux de M. tuberculosis ? Bien entendu, la réponse est oui si les deux contraintes suivantes sont surmontées : la rareté des spécialistes de résistance médicamenteuse et les coûts courants élevés qui résulteraient pour le laboratoire exécutant des tests de sensibilité fiables à l'égard des médicaments de première et de seconde ligne en un temps de rotation suffisamment court pour être cliniquement applicable. Manifestement, Heifets et Cangelosi sont convaincus que ces contraintes peuvent et devraient être surmontées dans un avenir pas trop éloigné. Quelles que soient nos convictions, l'on ne doit pas oublier que la priorité reste d'arrêter l'apparition de TB-MR en assurant de meilleurs taux d'achèvement du traitement et en réduisant la contagiosité de la tuberculose dans les lieux institutionnels, comme ce fut fait par Frieden et al. à New York City.3 PR J. GROSSET Laboratoire de Bactériologie Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière Paris, FRANCE Références 1 2 3 Heifets L B, Cangelosi G A. Drug susceptibility testing of Mycobacterium tuberculosis : a neglected problem at the turn of the century [State of the Art]. Int J Tuberc Lung Dis 1999 ; 3 : 564-581. Portaels F, Rigouts L, Bastian I. Addressing multidrugresistant tuberculosis in penitentiary hospitals and in the general population of the former Soviet Union. Int J Tuberc Lung Dis 1999 ; 3 : 582-588. Frieden T, Fujiwara P I, Washko R M, Hamburg M A. Tuberculosis in New York City — turning the tide. N Engl J Med 1995 ; 333 : 229-233.