(31252 octets) 30.52 Ko

publicité
UNE HISTOIRE PARMI TANT D’AUTRES
Monsieur L est devenu moins flexible, il avait des idées très arrêtées qui ne toléraient pas de discussion, même si
son avis divergeait de celui des autres, au risque d’entraîner des accès de colère et des disputes pour des sujets
apparemment insignifiants. Il s’intéressait moins au ressenti de son entourage ou semblait en être peu affecté,
même lorsque sa fille lui annonça son divorce. N’ayant plus vraiment de plaisir à partager du temps avec ses amis,
sa vie sociale s’est petit à petit réduite et il sortait de moins en moins de chez lui. Plusieurs de ses amis eux-mêmes
ont cessé de l’inviter suite à des propos déplacés ou désagréables, pour lesquels Monsieur L ne s’est jamais excusé,
ne voyant pas en quoi son attitude avait été blessante.
A la maison, ses journées sont devenues très stéréotypées : il se montrait très à cheval sur les horaires de réveil, de
repas, de sortie, qui devaient être similaires chaque jour, sans quoi il devenait très anxieux et irritable. La diversité
de ses repas s’est également réduite et il exigeait de sa femme qu’elle cuisine les mêmes aliments quotidiennement
en évitant tout type de graisse. Son comportement est progressivement devenu très difficile à gérer : très exigeant,
inflexible, anxieux, irritable voire agressif, désinhibé avec des propos à caractère sexuel à tout moment et
particulièrement en présence d’autres personnes, ainsi que des moqueries et des rires déplacés. En contrepartie, il
pouvait également se montrer très passif, ne prenant aucune initiative, entièrement dépendant de son épouse pour
l’organisation de ses journées et de ses activités de base, telles que la toilette, l’habillement, l’alimentation, etc.
Souffrant énormément de ce changement d’attitude de la part de son mari, l’épouse de Monsieur L l’emmena chez
son médecin traitant, qui le trouva par ailleurs en bonne santé et semblait pouvoir entretenir des discussions
sensées et raisonner de manière logique. Il sentit néanmoins un changement imperceptible dans le comportement
de son patient, qui niait par ailleurs les reproches de sa femme. Il l’adressa à un confrère neurologue, qui demanda
des examens complémentaires avec IRM cérébrale et examen neuropsychologique.
L’imagerie cérébrale révéla une atrophie prédominant dans les régions antérieures du cerveau au niveau des lobes
fronto-temporaux. L’examen neuropsychologique s’avéra également pathologique, avec une atteinte cognitive
néanmoins peu marquée en regard des troubles du comportement. On relevait toutefois un déficit d’incitation et
d’inhibition, alors que la mémoire et le raisonnement étaient préservés.
Progressivement, le comportement de Monsieur L s’est encore aggravé, au point qu’il ne parvenait plus à contenir
son agressivité et ses obsessions, devenant ainsi « prisonnier » de lui-même et totalement dépendant de sa femme,
qui elle-même ne savait plus comment réagir face à cet « enfant dans un corps d’adulte ». Finalement, le risque
d’auto-agressivité et d’hétéro-agressivité motiva l’introduction d’un traitement neuroleptique et le placement en
institution. Monsieur L n’a jamais pu adhérer aux raisons de ce qu’il considérait comme un emprisonnement et
reste très en colère, tant contre son entourage qu’envers les équipes soignantes. Les médicaments ont néanmoins
permis de diminuer l’état d’anxiété et d’agressivité, mais le comportement demeure très stéréotypé, voire
obsessionnel.
QUE SE PASSE-T-IL DANS LE CERVEAU D’UNE PERSONNE ATTEINTE D’UNE DEGENERESCENCE
FRONTO-TEMPORALE ?
La dégénérescence fronto-temporale est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire qui entraîne un déclin
irréversible des fonctions cognitives en s’attaquant au cerveau. Les lobes frontaux et temporaux antérieurs sont les
structures touchées en premier. Leur atrophie entraîne une altération des fonctions exécutives (incitation,
inhibition, programmation, flexibilité mentale, attention) et du comportement (manque d’initiative, perte de l’autocontrôle, manque de flexibilité, idées fixes et obsessionnelles, difficultés d’organisation, perte d’intérêt, labilité
émotionnelle, impassibilité, manque de conscience des troubles). Les troubles du langage peuvent également être
présents en phase précoce, sous la forme d’une réduction progressive de la production et des difficultés
d’élocution et pouvant aller jusqu’au mutisme. La diffusion des lésions à l’ensemble du cortex aboutit finalement à
une atteinte diffuse des fonctions cognitives, touchant alors aussi les fonctions mnésiques. La démence frontotemporale débute plus tôt et évolue en général plus rapidement que la démence d’Alzheimer.
QUE PEUT-ON FAIRE ?
L’examen neuropsychologique est avant tout une aide au diagnostic précoce, puis à l’évaluation de la progression
de la maladie. Il teste les différentes sortes de mémoire (mémoire antérograde, rétrograde, immédiate, de travail,
sémantique), les fonctions instrumentales (langage, praxies, gnosies), les capacités de raisonnement, ainsi que les
fonctions exécutives et attentionnelles. En outre, l’anamnèse auprès de la personne concernée et de ses proches
est essentielle afin de relever les modifications du comportement et de la personnalité. Après un examen complet,
il est en général possible de confirmer ou d’exclure le diagnostic de démence fronto-temporale probable. Un
deuxième examen environ 9 mois plus tard permettra d’objectiver l’évolution des troubles afin de pouvoir établir
le diagnostic avec plus de certitude.
www.neuropsyclinique.ch
Certains médecins font un mini-examen cognitif au moyen d’un MMS (Mini Mental State). Les résultats qu’ils
obtiennent les aident à décider s’il faut compléter les investigations par un examen neuropsychologique ou s’il n’y a
pas lieu de s’inquiéter ; toutefois, le type de difficultés présentes au début de l’évolution de la maladie peut passer
inaperçu lors de ce bref screening et ce sont souvent les plaintes de l’entourage qui motivent l’examen
neuropsychologique approfondi. Par ailleurs, un bilan neurologique accompagné d’un bilan métabolique et d’une
IRM cérébrale est indiqué.
Lorsque la maladie est plus ou moins certaine (seule un examen histologique post-mortem peut le confirmer à
100%), le médecin traitant ou le neurologue peut proposer un traitement antidépresseur, anxiolytique ou
neuroleptique pour améliorer la symptomatologie comportementale. Ces traitements ont pour but de freiner le
déclin et de retarder l’institutionnalisation mais ne permettent malheureusement pas de guérir la maladie et les
troubles.
En outre, la dégénérescence lobaire fronto-temporale débutant parfois tôt, chez des patients encore en activité
professionnelle, un diagnostic précoce permet de prendre ses dispositions à temps, de déterminer une incapacité
de travail et de protéger le patient en cas de fautes professionnelles.
Le neuropsychologue peut fournir de précieux conseils aux proches, en particulier concernant l’attitude à adopter
avec la personne malade et l’aménagement du quotidien.
www.neuropsyclinique.ch
Téléchargement