Problématiques éthique EVC 2012

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Problématiques éthiques dans
la prise en charge des patients
en EV ou EPR chronique
C. Kiefer, B. Albinet-Fournot, A. Robin
Hôpital Nord 92
Villeneuve la Garenne
Définitions



Déontologie : ensemble des règles et des
devoirs qui régissent une profession
Morale : ensemble des règles et des valeurs qui
fonctionnent comme norme dans une société
Ethique : du grec ethikos = morale. Partie de la
philosophie qui étudie les fondements de la morale
(Larousse)

Discussion éthique : confrontation, dialogue,
rencontre de subjectivités pr parvenir à un
équilibre qui libère la décision (P. Bataille, CEC Cochin)
PROBLEMATIQUE GENERALE
HISTORIQUE
Historique en France,
Avant la loi Léonetti

CCN Ethique 1986 : Les patients en EV
sont des personnes à part entière, qui ont
droit à la vie, au respect, à la dignité
« d’autant plus qu’ils sont en état de
grande fragilité ». Le maintien des
thérapeutiques est consensuel (refus clair
de l’arrêt de l’alimentation et de
l’hydratation)
Historique en France,
Avant la loi Léonetti


Euthanasie ou le suicide assisté =
homicide volontaire +/- préméditation
ou un empoisonnement (juridiction pénale)
 30 ans de réclusion > perpétuité
 Ni le mode opératoire (actif ou passif), ni le
mobile, ni le consentement de la personne
ne sont reconnus
L’abstention thérapeutique pure : non
assistance à personne en danger (délit)
Historique en France,
Avant la loi Léonetti



Cependant : Code de déontologie, art. 37 : pas
d’obstination déraisonnable, traitement de la douleur
(notion de double effet)
CCNE, 2000 : avis en faveur d’une « exception
d’euthanasie » sous conditions précises
Loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des malades,
dite Kouchner) : respect de la volonté de la
personne… sauf si elle met sa vie est en danger
(témoin de Jéhovah, personne consciente réclamant à
mourir) = refus des parlementaires de légaliser
l’euthanasi. Personne de confiance.
Historique en France,
Avant la loi Léonetti


Il était possible de ne pas commencer un ttt, de
le limiter ou de l’arrêter, même au risque de la
mort, si le patient refusait son consentement ou si
ce traitement pouvait être considéré comme une
obstination.
MAIS
 Il était impossible « d’aider à mourir » une
personne consciente réclamant la mort (crime)
 Quid des personnes non conscientes ?
Historique en France,
Avant la loi Léonetti



2003 : l’affaire Humbert : suicide assisté par sa
mère, transfert en réa, arrêt du respirateur
+injection de KCl par le Dr Chaussoy, poursuite
pour empoisonnement, non-lieu général en 2006
2004 : Mission d’information parlementaire
(Léonetti) : 81 auditions, déplacements en
Belgique et Pays-Bas
22 avril 2005 : loi relative aux droits des
malades et à la fin de vie (dite Léonetti)
Loi du 22 avril 2005
dite Léonetti, révisée 2009




Objectif : clarifier la situation, protéger les
médecins (!)
Interdiction de l’obstination déraisonnable : « pas
d’acte inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre
effet que la prolongation artificielle de la vie »
Autorisation des traitements antalgiques même s’ils
peuvent entrainer la mort
Importance des Soins Palliatifs : maintien de la
dignité du mourant et de sa QV jusqu’au décès
Loi du 22 avril 2005
dite Léonetti, révisée 2009

Les nouveautés :




Procédure collégiale de décision, transparente dans le
dossier médical
Consultation de la personne de confiance et recherche
de directives anticipées : avis ++
Refus de l’euthanasie active et de l’aide au suicide,
Cependant le « laisser mourir » est autorisé :


À la faveur d’une complication (cf pas d’obstination…)
Par arrêt de l’alimentation et de l’hydratation (AAH) qd
elle est apportée par une gastrostomie = traitement qui
peut donc être suspendu
Loi du 22 avril 2005 :
des ambiguités




Qu’est ce que des « soins inutiles » ou
« disproportionnés » ?
Quelle procédure pr les patients mineurs ? Quelle
place à l’avis des parents ?
Le terme de « mourant » est employé ds presque
tous les articles : or un patient EVC n’est pas un
mourant. Espérance de vie : 7 à 10 ans.
Le seuil juridique fixé : « laisser mourir, oui ; faire
mourir, non ». Mais est-ce si différent ? « Pourquoi
tant d’honneur pr l’un et d’indignité pr l’autre ? »
A l’étranger


Pratiques diverses selon les pays, toutes
fondées sur des principes éthiques
USA et GB : premiers cas publiés (1980…)
de patients EVC décédés par AAH, après
décision de justice

Décès en 10-14 j
Pas de thérapie palliative sédative
Poursuite des soins de nursing +/- TTT de fond

Terri Schiavo : ACR, EVC (EPR?) pdt 15 ans, décès en 13 j (fev2005)


A l’étranger

Australie : généralisation des cas de décès
provoqués par AAH depuis les publications
US et GB




Protocole identique
Décision de justice non indispensable
Légalisation de l’euthanasie aux Pays-Bas
(2001), Belgique (2002), Luxembourg
(2009)
Suicide assisté autorisé en Suisse
A l’étranger

Pays-Bas en 2004 : Euthanasie active



10% des décès soit 14 000 décès/an
Association : Sédation + Hydratation + Arrêt
de l’alimentation
Quand ?
-En phase terminale diverses pathologies
-Patients EVC lors d’une complication ou « à
froid »
A l’étranger

En Italie : pas de légalisation de
l’euthanasie (ni active ni passive)



Mais le cas d’Eluana Englaro (février 2009)
pourrait faire jurisprudence : « laisser mourir »
par AAH autorisé par la justice (saisie par le
père)
Avant que le Parlement ait eu le temps de
légiférer pour l’empêcher !
EVC (?) pdt 17 ans, décédée en 3 jours
Les arguments éthiques
POUR l’AAH
EVC : « Etat pire que la mort » Jennett
 La vie en EVC ne doit pas être maintenue,
« elle ne vaut pas la peine d’être vécue »
 Arrêter la vie = Arrêter la souffrance du patient
et de sa famille
 Droit « à la mort dans la dignité »
 Droit inaliénable à la vie, valeur intrinsèque à
toute vie quelle qu’elle soit. Sinon, où mettre les
limites : conscience, autonomie, qualité de vie ?

Les arguments éthiques
POUR l’AAH

EVC : « Etat pire que la mort » Jennett
Il ne faut pas laisser évoluer des patients
vers l’EVC
 L’AAH peut être envisager en phase initiale chez
les patients EV si les facteurs pronostics sont
mauvais
 Progrès récents / PHRC national en cours (IRM
couplé à la spectroscopie) : certitude
d’évolution vers EVC à 90- 95 % ?
 Quid des 5 à 10 autres % ?
Les arguments éthiques
POUR l’AAH


L’AAH n’est pas de l’euthanasie
 Suspension d’une aide technique
  Administration d’un traitement lytique
 = Non-acharnement thérapeutique
 « Permettre au patient de mourir, ce n’est
pas le tuer ! »
 Loi Léonetti : AAH = euthanasie passive
Euthanasie « active » ou « passive » : même
résultat : décès ! >> Hypocrisie ??
Les arguments éthiques
POUR l’AAH


Respect de la volonté exprimée par
le patient avant la survenue des lésions
cérébrales (écrit ou oral à un proche)
Droit à décider de sa mort


Ultime liberté (Cf ADMD)
Liberté = Droit qui prime sur le droit à la vie
Les arguments éthiques
POUR l’AAH

La « juste » répartition des moyens de santé
publique :
 EVC : Coûts importants pour la société et les
familles (USA, Australie…).
 Comme les ressources sont limitées, les patients
qui ont le meilleur rapport Bénéfice/Coûts
doivent être privilégiés
 Peu de places en réanimation >> perte de
chances pr d’autres patients qui auraient besoin
d’être PEC
Notion de
PROPORTIONALITE des soins
Différents niveaux de traitements :
1.
« de base » : l’alimentation entérale en faitelle partie ?
2.
« ordinaires » : médicaments per os …ou
parentéraux ? Place de la chirurgie ?
3.
« extraordinaires » = de haute technicité ?
de coût élevé ? : ventilation assistée,
chimiothérapie, …
1 et 2 sont obligatoires, 3 sont facultatifs
Notion de PROPORTIONALITE
des soins, en fonction de






L’état clinique du patient (critères ?)
La notion de souffrance physique ou morale
ressentie par lui, du fait de sa pathologie et du
fait du traitement
L’efficacité attendue du traitement
Le bénéfice attendu : survie ou qualité de vie ?
« reasonable hope for benefit »
Le terme considéré : à court ou long terme
L’état des connaissances scientifiques
Notion de
PROPORTIONALITE des soins

La référence : uniquement le patient ?
Ou la référence peut-elle être extérieure au
patient ?



la famille ?
la société ?
Proportionnalité des soins par rapport
-Aux moyens financiers et structurels du pays
(développés, en voie de développement…)
-Aux capacités de prise en charge de la famille
 Ethique ou réaliste ?
CONCLUSION




Pas de consensus international sur le
traitement des patients EVC, les thérapies de
maintien de la vie, leurs indications et leurs
limites
Pas de « guideline » de bonne pratique
Beaucoup de questions
La réflexion éthique doit se développer entre
professionnels +++
Problématiques éthiques
en pratique quotidienne
dans une unité EVC-EPR
Les questions des soignants
sur les patients

Questions sur son état de conscience :







Est-ce qu’il a mal ?
…qu’il est bien ?
…qu’il m’entend ?
…qu’il comprend ?
…qu’il ressent des émotions ?
…qu’il peut se souvenir ?
….
Eléments de réponses
/ Patients

Scientifiques (conscience, douleur) :



Echelles cliniques : CRS-R, WHIM…, San
Salvadour, Hendaye, CPS…
Examens paracliniques : IRMf, PEA …
L’expérience clinique :



Individuelle et collective
Evolution de certains patients
Interprétation de l’activité des patients
confirmée par eux-même (feed-back)
Les questions des soignants
/ à leurs pratiques

Est-ce que je réponds aux besoins de
mes patients ? Cf Virginia Henderson : les 14
besoins fondamentaux





Besoins physiques (dont esthétiques)
Besoins relationnels et sociaux
Besoins spirituels
Pb qd dissension familiale
Guideline : ce que le patient était / aimait
avant l’accident
Les questions des soignants
/ à leurs pratiques

Comment est-ce que je réponds aux
besoins de mes patients ?




« correctement »
« bien » ou « suffisamment bien »
« insuffisamment »
Quels sont mes critères de jugement sur
moi-même ?


Professionnels ?
Personnels (éducation, religion, morale…) ?
Les questions des soignants
/ à leurs pratiques

Soins ou traitements ?




Soins de base : cf hygiène, posture…
Alimentation et hydratation (gastrostomie)
Aspiration bronchique (trachéotomie)
Loi Léonetti : si aide technique avec
intervention d’un tiers = traitement… qui
peut donc être suspendu.
Les questions des soignants
/ à leurs pratiques

Traitement raisonnable (proportionné) ou
déraisonnable (acharnement) ?
 Traitement de confort ou préventif :
antalgiques, antiépileptiques, antispastiques…
 Traitement médicaux préventif : HBPM ?
 Traitement médicaux curatif : Antibiotiques per
os, parentéraux, cardiotropes…
 Traitements chirurgicaux : neuro-orthopédie,
digestif, urologie, cancérologie ?
 Réanimation ?
Les questions des soignants
/ eux-mêmes

« Si j’étais en EVC ou EPR, comment
voudrais-je qu’on s’occupe de moi ? »



Cf éthique judéo-chrétienne : « fais à autrui ce
que tu voudrais qu’il te fasse »
On ne choisit pas ce genre de service par
hasard et on n’y reste pas par obligation
Traits de personnalité et mode de
fonctionnement communs aux différents
professionnels
Les questions des soignants
/ eux-mêmes


« Ne préfèrerais-je pas être mort qu’en EVC
ou EPR ? »
 Poids « énorme » pour les proches
 Qualité de vie « nulle » pour soi-même
Perte du sens de la vie
Mais évaluation alors que nous sommes biensportants…
 Cf QV LIS ≈ QV lombalgiques !!
 Mon appréciation a-t-elle du sens aujdhui ?
Les questions des soignants
/ eux-mêmes

Dans ce cas, voudrais-je être euthanasié ?
 Si oui, rédaction de directives anticipées ?
 Si oui, à quel moment (phase initiale ou
secondaire) ?
 Si oui, comment (de façon active ou passive) ?
 Mes réponses sont-elles sources de tensions
internes ?
 Conflit potentiel entre convictions personnelles
et religieuses et observation de la réalité d’un
patient EVC ou EPR
Les questions des soignants
/ eux-mêmes



Vaut-il mieux être en EVC ou en EPR ?
 Pour les patients dont je m’occupe ?
 Pour moi-même ?
 Si divergence de réponses > tensions internes ?
La vie a-t-elle encore un sens en EVC ou EPR ?
Une valeur ? Si oui, laquelle ?
La mort aurait-elle plus de sens que la vie ? Ai-je
le droit de me poser la question ?
Réflexions sur les EVC


« La mort pose la question du sens de l’existence,
mais ici, c’est l’existence qui pose la question du
sens de la mort » M. Gaille-Nikodimov, philosophe
Les conditions du « mourir » ont évolué…il y a un
temps qui sépare de + en + souvent la perte de
conscience, l’agonie et le décès… De quel temps
s’agit-il ? Qui en est le maitre ? Quel sens lui
donne-t-on ? Quel usage social et culturel est-il
permis de faire d’un EVC ? P. Bataille, sociologue
Réflexions sur EVC
et fin de vie (P. Bataille)


« L’idée de la qualité de vie s’introduit dans les
critères de fin de vie acceptable pour soi et pour les
autres qui ont a en supporté les conditions…Se
préoccuper de la QV des autres en réclamant sa mortpropre doit être abordé comme un signe d’altruisme ».
« L’appréciation clinique du cas (d’un patient) implique
de considérer la subjectivité des accompagnants,
càd le proche et le soignant… principaux acteurs de
l’espace relationnel qui donne son apparence de vie
à un être qui s’en éloigne. »
Réflexions sur l’éthique
(P. Bataille)



« Répondre éthiquement à une demande qui
dérange la morale d’un des acteurs en présence ne
trouve de solution que dans le travail sur lui-même de
cet acteur… plus que dans la recherche d’un compromis.
Le produit éthique… se situe dans un cadre d’actions
et d’interactions, bien plus qu’il ne résulte d’une entente
négociée. C’est en cela que l’éthique est action…
Le résultat n’est pas un compromis mais une intercompréhension, … fruit de dialogues, de rencontres et
de rapports intersubjectifs…, afin de parvenir à
l’équilibre qui libère la décision.»
Quelle réflexion éthique
en unité EVC-EPR ?



Quand ?
 Discussion au cas par cas
 Réunions à intervalles réguliers
Qui ?
 Equipe pluridisciplinaire
 Professionnels extérieurs (psychologue, éthicien…)
 Famille
Où ?

Sur site ou espace éthique…
Conclusion Ethique et EVC



Se poser les « bonnes » questions est plus
important que chercher les « bonnes » réponses
Partager nos questions… et nos réponses en
nous rappelant qu’elles sont dépendantes d’un
cadre spatio-temporel et moral singulier
Garder une place pour le doute
Cf M.Orzalesi, 2004 « We are all faillible and
therefore should doubt »
Merci de votre attention
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