L’Encéphale (2013) 39, 212—223 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE Caractéristiques et modalités de prise en charge des patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA Current status and management of patients with bipolar disorder in France: The MONTRA survey P.-M. Llorca a,∗, V. Camus b, P. Courtet c, D. Gourion d, M. Lukasiewicz e, S. Coulomb e a Service de psychiatrie B, CHU de Clermont-Ferrand, 58, rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand, France Inserm U930, clinique psychiatrique universitaire, université François-Rabelais de Tours, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 01, France c Service de psychiatrie, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier cedex 5, France d 17, rue des Marronniers, 75016 Paris, France e Laboratoire AstraZeneca, 1, place Louis-Renault, 92844 Rueil-Malmaison cedex, France b Reçu le 27 février 2013 ; accepté le 29 avril 2013 Disponible sur Internet le 30 mai 2013 MOTS CLÉS Trouble bipolaire ; Pratique clinique ; Antipsychotique atypique ; Antidépresseur ; Thymorégulateur ∗ Résumé MONTRA est une enquête réalisée sur le territoire métropolitain entre 2010 et 2011 auprès de 439 psychiatres dont l’objectif a été de décrire les conditions de prise en charge de patients souffrant d’un trouble bipolaire (TB) en situation habituelle de pratique clinique. Ont été analysés 2529 dossiers de patients vus au cours de quatre journées de consultation (âge moyen, 47 ans ; femmes, 58 % ; TB type I, 56 % ; TB type II, 40 %). Les patients ambulatoires (87 %, n = 2210) étaient pour la plupart en phase euthymique (39 et 50 % des patients suivis respectivement en consultation publique ou libérale) ou en phase intercurrente avec des symptômes résiduels le plus souvent dépressifs (respectivement, 24 et 30 % des patients). Les patients hospitalisés (13 %, n = 319) étaient tous symptomatiques et présentaient un épisode thymique aigu maniaque (25 %) ou dépressif (27 %), ou bien étaient en phase intercurrente avec des symptômes résiduels le plus souvent dépressifs (25 %). Tous les patients (100 %) recevaient un traitement médicamenteux du TB, prescrit le plus souvent en association (73 %) et comportant selon le statut clinique, un thymorégulateur, un antipsychotique atypique et/ou un antidépresseur. Une Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P.-M. Llorca). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.04.010 Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA 213 prise en charge non médicamenteuse était proposée chez 90 % des patients (principalement psychothérapie de soutien, 73 %). En conclusion dans cette enquête, la présentation clinique des patients symptomatiques était dominée par une polarité dépressive des symptômes et les psychiatres ont déclaré recourir plus fréquemment à une association médicamenteuse pour traiter les différentes phases du TB. © L’Encéphale, Paris, 2013. KEYWORDS Bipolar disorder; Clinical practice; Antipsychotic; Antidepressant; Mood stabilizer Summary Objectives. — The objectives were to assess the characteristics of patients with bipolar disorder (BD) and to evaluate the prescribing practices. Methods. — MONTRA is a quantitative survey conducted between December 2010 and February 2011. Data were extracted by the psychiatrists from the medical files of BD patients seen on four consecutive days of consulting. Results. — Four hundred and thirty-nine psychiatrists included 2529 patients (inpatients, n = 319; outpatients from mental clinics, n = 1090; outpatients consulting in private practice, n = 1020). In the total patient population (mean age: 47 years; women, 58%), BD was distributed as follows: BD type I, 56%; BD type II, 40%; other types of BD, 4%; rapid cyclers, 10%. The prevalence of psychiatric comorbidities was high (anxiety disorders, 48%; abuse and dependence on toxic substances, 17 and 10% respectively), 36% of the patients had a history of suicide attempt and the risk of suicide, when assessed, was 6%. In about half the patients (48%), the polarity of the initial bipolar episode was of the depressive type (versus 39% for the manic/hypomanic type). Outpatients were globally independent and did not require assistance in the management of their disease or its treatment whereas the social and professional lives of inpatients were negatively affected by their condition. Based on the psychiatrist’s declarations, 39 to 50% of the outpatients were symptom-free, 36 to 40% were in the intercurrent phase with residual symptoms, 11 to 17% presented either a manic or depressive acute BP episode, and 3 to 4% were in a mixed state; among inpatients, 52% presented an acute episode either manic or depressive, 38% were in the intercurrent phase and 9% were in a mixed state. In the symptomatic patients from the total population (61%), the most prevalent symptoms were depressive and corresponded to acute symptoms (patients with a depressive episode, 14%) or residual symptoms (patients in the intercurrent phase, 27%). The predominant depressive polarity was observed in both hospitalized and outpatients. The pharmacological treatment of BD included polytherapy in 73% of the patients. In the manic episodes (n = 126), the patients were treated with a Mood Stabilizer (MS, 56%) or an atypical antipsychotic (AAP, 52%) in association. In the depressive episodes (n = 342), the patients received an antidepressant drug associated with a MS or an AAP (70%). In symptom-free or symptomatic intercurrent periods (n = 1943), the patients were treated with a MS (49—58%) or an AAP (37—49%), in association. Conclusion. — BD patients evaluated in our survey were in majority diagnosed with BD type I, associated with considerable comorbidity. In the symptomatic patients, the most prevalent symptoms, either acute or residual, were of the depressive type. In the majority of the patients, whatever the clinical status, polytherapy was prescribed for the BD. © L’Encéphale, Paris, 2013. Introduction La prévalence du trouble bipolaire (TB) est estimée autour de 1 % dans les études en population générale (0,4 à 1,6 % pour le TB de type I et 0,5 % pour le TB de type II, selon les critères du DSM-IVTR [1,2]). Dans la pratique médicale, cette affection est rencontrée fréquemment, et les résultats d’une enquête menée en France auprès de plus de 9000 patients consultant en cabinet de médecine générale suggèrent que la prévalence du TB, défini par un questionnaire spécifique (Mood Disorder Questionnaire [MDQ]), est au moins de 3,7 % [3]. L’expression clinique variée du TB et son évolution, marquée par des épisodes aigus et des périodes intercritiques souvent symptomatiques, rendent le diagnostic particulièrement difficile [4]. Les conditions de prise en charge des patients ont considérablement évolué au cours de ces dernières années notamment en ce qui concerne le traitement médicamenteux. Les médicaments antiépileptiques, habituellement prescrits pour prévenir les rechutes, ont démontré une efficacité dans le traitement des phases aiguës [5,6], et une nouvelle classe pharmacologique, les antipsychotiques atypiques, a également montré une efficacité dans le traitement des épisodes thymiques aigus, en monothérapie ou en association aux thymorégulateurs [7,8]. Dans le traitement de la dépression bipolaire, l’intérêt d’associer un médicament antidépresseur à un régulateur de l’humeur n’a pas été confirmé (étude STEP-BD du National Institute of Mental Health [9]), alors que l’usage de cette classe pharmacologique reste important en pratique clinique. Ces évolutions ont conduit les agences de santé et diverses 214 sociétés savantes de psychiatrie à mettre à jour les recommandations professionnelles sur la prise en charge du TB [10—16]. On dispose de peu d’informations sur les conditions actuelles de prise en charge des patients souffrant d’un TB en France. La cohorte EPIMAN/EPIDEP est composée de patients souffrant d’un TB suivis depuis la fin des années 1990, mais les explorations portent surtout sur les particularités cliniques des patients [17—19]. L’étude observationnelle EMBLEM a évalué les modalités de prise en charge de patients bipolaires dans la pratique clinique, mais les patients inclus souffraient exclusivement d’un épisode maniaque ou mixte [20]. Enfin WAVE-bd est une étude observationnelle, dont l’objectif est de suivre l’évolution clinique de patients souffrant d’un TB de type I ou II pendant une durée de deux ans. Plus de 2500 patients ont été inclus dans cette étude internationale, dont près de 500 patients français [21]. Dans ce contexte, il nous a paru pertinent de mener en France une enquête auprès d’un large échantillon de psychiatres, avec pour objectifs de décrire les caractéristiques cliniques des patients bipolaires (de type I ou de type II), et de connaître plus précisément les conditions actuelles de leur prise en charge en situation habituelle de pratique clinique. Cette enquête transversale et multicentrique a été conduite entre décembre 2010 et février 2011 sur l’ensemble du territoire métropolitain. Méthodes Sélection des psychiatres, inclusion des patients Les psychiatres participants, hospitaliers et/ou libéraux, ont été recrutés selon un tirage aléatoire à partir d’un fichier national de plus de 12 000 psychiatres (fichier CEGEDIM), afin d’assurer la représentativité de la population en termes de densité médicale nationale et en termes d’exercice : exercice hospitalier, consultation publique (centre médicopsychologique [CMP], hôpital de jour) ou consultation libérale. Ils ont complété un questionnaire portant sur les caractéristiques et la prise en charge des patients bipolaires vus lors de quatre journées consécutives d’activité. S’agissant d’une enquête en vie réelle, le diagnostic clinique a été posé en condition naturelle, sans évaluation de critère précis. Recueil et analyse des données Les données enregistrées portaient sur les caractéristiques sociodémographiques et sociales du patient (âge, sexe, IMC, niveau d’études, statut socioprofessionnel) et sur les caractéristiques du TB (diagnostic, délai, polarité du premier épisode, hospitalisations, comorbidités). L’évaluation du risque suicidaire, ainsi que l’observance du traitement, le degré d’autonomie du patient, et l’implication de l’entourage, ont également été renseignés. Enfin, le médecin devait mentionner sur une liste préétablie, les mesures non médicamenteuses (psychothérapeutiques et sociales) P.-M. Llorca et al. proposées et indiquer la totalité des spécialités médicamenteuses prescrites. L’enquête a été déclarée à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). S’agissant d’une enquête de pratique, les données des patients sont restées anonymes. Elles ont été recueillies et transmises électroniquement (e-CRF) par le médecin et l’analyse a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS. Les résultats ont été décrits d’abord dans la population totale, puis présentés selon le statut du patient (hospitalisé ou ambulatoire) et selon son état clinique au moment de la consultation (épisode aigu maniaque ou dépressif ; phase intercurrente avec symptômes résiduels maniaques ou dépressifs ; état mixte ; intervalle libre sans symptôme). Le mode de prise en charge des patients a également été analysé selon le lieu d’exercice des psychiatres (région Île-de-France, Sud-Est, Sud-Ouest, Ouest, Nord et Est), mais aucune différence notable n’a été retrouvée, témoignant d’une homogénéité des pratiques sur l’ensemble du territoire. Les résultats sont donc présentés toutes régions confondues. Résultats Quatre cent trente-neuf psychiatres participants, 2529 dossiers patients analysés Au total, 439 psychiatres ont répondu au questionnaire de pratique professionnelle et documenté les données de 2529 patients bipolaires vus au cours de quatre journées de consultation (6 dossiers patient remplis en moyenne par chaque médecin) chacun. La répartition des médecins selon leur mode d’exercice était équilibrée : 32 % (n = 141) exerçaient à l’hôpital, 30 % (n = 132) en CMP/hôpital de jour et 38 % (n = 166) en secteur libéral. La population de l’enquête était composée en majorité de patients ambulatoires (87 %, n = 2210) suivis en consultation publique (n = 47 %, n = 1190) ou bien en consultation libérale (40 %, n = 1020), et de 13 % (n = 319) de patients hospitalisés. Caractéristiques des patients Dans leur ensemble, 56 % des patients présentaient un TB de type I, 40 % d’un TB de type II, 4 % d’un TB d’un autre type (type mixte, type III, type IV, trouble schizoaffectif) et 10 % des patients présentaient des cycles rapides (Tableau 1). Les patients souffrant d’un TB II étaient proportionnellement plus nombreux parmi les patients ambulatoires que parmi les patients hospitalisés (41 % vs 30 %). Les patients étaient âgés de 47 ans en moyenne (min—max : 16—92 ans), et 21 % des patients hospitalisés avaient moins de 30 ans. Les femmes étaient plus nombreuses (58 % vs 42 % d’hommes), surtout dans la population suivie en consultation libérale (61 % vs 39 % d’hommes). Le diagnostic de TB était récent, de moins de dix ans pour la majorité des patients (58 %). La plupart des patients (75 %) avaient déjà été hospitalisés pour leur TB et la polarité du premier épisode bipolaire avait été plus souvent dépressive (48 %) que maniaque (29 %) ou hypomaniaque (9 %). Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA Tableau 1 215 Caractéristiques des patients bipolaires (total, 2529 dossiers patient). Total patients (n = 2529) Hospitalisés (n = 319) Ambulatoires CS publique (n = 1190) Ambulatoires CS libérale (n = 1020) 56 (1415) 40 (1001) 4 (113) 10 (245) 62 (197) 30 (97) 8 (25) 9 (28) 57 (679) 39 (464) 4 (47) 10 (115) 53 (539) 43 (440) 4 (41) 10 (102) 47,3 45,1 47,1 48,3 12 71 17 58 (294) (1797) (430) (1460) 21 61 18 52 (68) (194) (57) (165) 11 72 17 57 (135) (854) (198) (674) 9 (91) 74 (749) 17 (175) 61 (621) Délai depuis le diagnostic de TB %, (n) < 1 an 1—9 ans 10—15 ans > 15 ans 15 43 21 21 (381) (1079) (540) (519) 25 41 15 18 (81) (131) (48) (59) 12 44 23 20 (148) (522) (277) (243) 15 43 21 21 Hospitalisationsb Hospitalisations antérieures %, (n) Nombre moyen d’hospitalisations 75 (1889) 4,8 82 (263) 6,2 82 (975) 5,2 64 (651) 3,6 Polarité du 1er épisode %, (n) Maniaque Hypomaniaque Dépressive Mixte Inconnue 29 (735) 9 (236) 48 (1217) 8 (199) 6 (142) 37 (117) 11 (36) 40 (128) 8 (26) 4 (12) 34 (405) 10 (116) 42 (498) 9 (103) 6 (68) 21 (213) 8 (84) 58 (591) 7 (70) 6 (62) Trouble bipolaire %, (n) Type I Type II Autre typea Cycles rapides Caractéristiques démographiques Âge moyen (ans) Âge %, (n) < 30 ans 30—60 ans > 60 ans Femmes %, (n) (152) (436) (215) (217) CS : consultation. a Autre type (n = 113), dont type mixte (n = 29), type III (n = 19), cyclothymie (n = 12), troubles schizoaffectifs (n = 8), type IV (n = 7). b Hospitalisations pour le trouble bipolaire. Caractéristiques sociales, professionnelles et autonomie des patients Les patients suivis en consultation libérale vivaient la plupart en couple ou en famille (62 %), leur niveau de scolarité était élevé (41 % avaient atteint un niveau d’études supérieures) mais 40 % n’avaient pas d’activité professionnelle (Tableau 2). Les patients hospitalisés vivaient seuls dans 40 % des cas, 46 % d’entre eux étaient autonomes dans la gestion de leur maladie et leur entourage participait régulièrement à leur prise en charge (47 %). Enfin selon les déclarations des psychiatres, l’adhésion du patient à son traitement a été évaluée à chaque consultation dans 48 % des cas. Comorbidités somatiques, psychiatriques et risque suicidaire Un tiers des patients (33 %) présentait une surcharge pondérale avec un indice de masse corporelle IMC compris entre 25 et 30, et 15 % présentaient une obésité avec un IMC supérieur à 30 (en comparaison, 32 % des Français étaient estimés en surpoids et 14,5 % estimés obèses en 2009 dans l’étude en population générale ObEpi [22]) (Tableau 3). Dans cette enquête, 7 % des patients étaient déclarés diabétiques (la prévalence est donc supérieure à celle de la population générale en France, estimée autour de 4,4 % [23]). Les dyslipidémies et les comorbidités cardiovasculaires étaient déclarées respectivement chez 19 et 10 % des patients (en comparaison, la prévalence des dyslipidémies est estimée en France, à 48 % chez les individus âgés de 35 à 64 ans [24] et celle de l’hypertension artérielle seule, autour de 31 % dans la population adulte âgée de 18 à 74 ans [25]). Les comorbidités psychiatriques étaient fréquentes : près d’un patient sur deux (48 %) présentait une comorbidité anxieuse et près d’un patient sur trois (32 %) présentait des troubles de la personnalité. L’abus et la dépendance aux toxiques étaient rapportés chez respectivement 17 et 10 % des patients, et concernaient plus souvent les patients hospitalisés que les patients ambulatoires. Les antécédents de tentative de suicide étaient notés chez 36 % des patients. Les psychiatres participants déclaraient ne pas évaluer systématiquement le risque suicidaire du patient : seulement deux tiers des patients (66 %) ont été interrogés sur la présence 216 P.-M. Llorca et al. Tableau 2 Contexte social et professionnel, évaluation de l’autonomie et de l’adhésion du patient au traitement (total, 2529 dossiers patient). Total patients (n = 2529) Hospitalisés (n = 319) Ambulatoires CS publique (n = 1190) Ambulatoires CS libérale (n = 1020) 37 (941) 57 (1448) 3 (67) 40 (129) 48 (153) 7 (22) 38 (452) 55 (664) 3 (34) 35 (360) 62 (631) 1 (11) Niveau scolaire %, (n) Primaire, collège Lycée Formation professionnelle Supérieur 23 21 22 33 28 23 22 28 25 23 22 28 20 17 22 41 Activité professionnelle %, (n) En milieu ordinaire En milieu protégé En cours d’études Inactif, invalide AAH 44 (1104) 3 (69) 3 (78) 44 (1111) 7 (167) 34 (107) 4 (12) 6 (19) 46 (148) 10 (33) 39 (465) 3 (37) 3 (33) 46 (553) 9 (102) 52 (532) 2 (20) 3 (26) 40 (410) 3 (32) 71 (1802) 86 (2174) 46 (147) 68 (216) 71 (841) 84 (1005) 80 (814) 93 (953) 31 (794) 4,2 47 (150) 4,4 34 (401) 4,1 24 (243) 4,3 48 (1223) 32 (813) 20 (493) 46 (146) 35 (111) 19 (62) 49 (585) 32 (386) 19 (219) 48 (492) 31 (316) 21 (212) Situation familiale %, (n) Vivant seul(e) Avec conjoint(e), parent(s) En institution, appartement thérapeutique Autonomie du patient %, (n) Gestion de la maladie Prise du traitement Entourage du patient Impliqués dans les soins %, (n) Visites annuelles (n moyen) Évaluation de l’adhésion du patient au traitementa %, (n) À chaque consultation Évaluation régulière Évaluation ponctuelle ou jamais (594) (526) (565) (844) (89) (72) (70) (88) (307) (279) (266) (338) (198) (175) (229) (418) AAH : allocation adulte handicapé ; CS : consultation. a Pourcentage calculé sur la proportion de patients évalués. d’idées suicidaires lors de la consultation ; un risque suicidaire a été identifié chez 6 % des patients évalués. présentaient soit un épisode bipolaire aigu (maniaque ou dépressif, 52 %), soit se situaient en phase intercurrente avec des symptômes résiduels (38 %). Les patients ambulatoires sont pour la plupart dans un intervalle libre ou bien en phase intercurrente avec des symptômes résiduels Chez les patients symptomatiques, la polarité des symptômes est majoritairement de type dépressif Les patients ambulatoires consultaient le plus souvent à l’occasion d’un suivi prévu, sans nouvel élément clinique (81 %) (Fig. 1a). Les patients hospitalisés ont été vus lors d’une consultation initiale motivée par une aggravation/rechute (44 % des patients) ou bien lors d’une consultation prévue, en cours d’hospitalisation (38 %). Le statut clinique des patients était variable. Au moment de la consultation, les patients ambulatoires étaient pour la plupart en période euthymique (39 % des patients en consultation libérale, 50 % en consultation publique) ou bien en phase symptomatique (phase intercurrente avec symptômes résiduels : 40 % en consultation libérale ; 35 % en consultation publique) (Fig. 1b). Inversement, les patients hospitalisés étaient tous en phase symptomatique (100 %) et Lorsque qu’ils étaient en phase symptomatique, les patients présentaient le plus souvent des symptômes à polarité dépressive (Fig. 1b). Les patients en phase aiguë présentaient plus souvent un épisode dépressif qu’un épisode maniaque (respectivement 14 % des patients vs 5 %, dans la population totale). Chez les patients en phase intercurrente, les symptômes résiduels étaient majoritairement de type dépressif (27 % des patients en population totale : 25 % en population hospitalisée ; 24 à 30 % en population ambulatoire) alors que les symptômes résiduels maniaques ou mixtes étaient moins fréquents (en population totale, respectivement 11 et 4 % des patients). La polarité dépressive prédominante des symptômes s’observait aussi bien chez les patients hospitalisés que ceux suivis en ambulatoire et aussi Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA Tableau 3 217 Données cliniques des patients bipolaires (total, 2529 dossiers patient). Total patients (n = 2529) Hospitalisés (n = 319) Ambulatoires CS publique (n = 1190) Ambulatoires CS libérale (n = 1020) Indice de masse corporelle (IMC) IMC moyen (kg/m2 ) IMC < 25 %, (n) IMC 25—30 IMC > 30 25,5 52 (1302) 33 (832) 15 (366) 25,1 58 (183) 29 (90) 13 (42) 25,8 49 (585) 35 (417) 15 (181) 25,3 53 (534) 32 (325) 14 (143) Comorbidités somatiques %, (n) Cardiovasculaire Dyslipidémie Diabète 10 (246) 19 (475) 7 (184) 13 (41) 18 (56) 8 (26) 10 (123) 21 (252) 8 (92) 8 (82) 16 (167) 6 (66) Comorbidités psychiatriques %, (n) Troubles anxieux Troubles de la personnalité 48 (1216) 32 (819) 43 (136) 36 (114) 44 (523) 30 (358) 55 (557) 34 (347) Substances toxiques %, (n) Abus Dépendance 17 (429) 10 (257) 22 (71) 14 (46) 18 (216) 10 (120) 14 (142) 9 (91) Atcd de tentative de suicide %, (n) 36 (907) 40 (127) 38 (456) 32 (324) Risque suicidaire %, (n) Évalué Présence d’idées suicidairesa 66 (1657) 6 (151) 71 (228) 10 (32) 64 (761) 5 (56) 65 (668) 6 (63) Atcd : antécédent. a Pourcentage calculé sur la proportion de patients évalués. bien dans les épisodes aigus que dans les phases intercurrentes. Le traitement médicamenteux repose sur une polythérapie Tous les patients (100 %) étaient traités, quel que soit leur statut clinique, et 73 % d’entre eux recevaient une polythérapie associant un thymorégulateur TR (sel de lithium ou antiépileptique), un antipsychotique atypique APA et/ou un antidépresseur AD (Fig. 2, Tableau 4). Les patients en phase maniaque (n = 126) étaient traités, en proportion égale, par un APA (67 %) et/ou par un TR (62 %), les deux traitements étant le plus souvent associés. On note que quelques patients ne recevaient ni APA ni TR (6 %), et quelques patients (6 %) continuaient de recevoir un AD en association, malgré la symptomatologie maniaque. Les patients en phase aiguë dépressive (n = 342) étaient traités par un AD (76 % des patients), le plus souvent prescrit en association (70 %) à un TR ou à un APA. On note aussi que 6 % des patients bipolaires en phase dépressive recevaient un antidépresseur seul, non couvert par un régulateur de l’humeur. Dans les états mixtes (n = 110), le traitement reposait sur un APA en association, un TR en association, (respectivement 48 et 58 % des patients) ou sur un antidépresseur associé (38 % des patients). Chez les patients en phase intercurrente avec des symptômes résiduels maniaques ou dépressifs (n = 957), le traitement reposait sur un TR (68—73 %) et/ou un APA (50—60 %), prescrits en association. Lorsque les symptômes résiduels avaient une polarité dépressive (n = 678), un AD était également prescrit en association chez 61 % des patients. Enfin parmi les patients en intervalle libre, sans symptôme résiduel (n = 986), 22 % recevaient un TR en monothérapie et 49 % étaient traités par un TR en association à un APA ou plus rarement, à un AD. Les neuroleptiques classiques étaient prescrits chez 15 % des patients au total, et surtout utilisés chez les patients en phase maniaque (47 %). La coprescription d’anxiolytiques et d’hypnotiques concernait respectivement 29 et 20 % des patients, et s’adressait surtout aux patients avec une symptomatologie dépressive. Enfin, les traitements correcteurs des symptômes extrapyramidaux, les traitements substitutifs opiacés et les traitements du sevrage alcoolique n’étaient déclarés que chez 1 % des patients ou moins. La prise en charge combine un traitement médicamenteux, une approche psychothérapeutique, et des mesures psychosociales Dans la population totale, 90 % des patients bénéficiaient d’une psychothérapie ou d’interventions psychosociales (Fig. 3). Les psychothérapies de soutien étaient les plus fréquemment déclarées (population totale, 72 % des patients), alors que les psychothérapies plus spécifiques, d’inspiration analytique ou cognitivo-comportementales, n’étaient proposées qu’à respectivement 9 et 8 % des patients (population totale). Enfin, les thérapies familiales et groupes de support pour les familles restaient encore peu développés (respectivement 4 et 3 % des patients dans la population totale). 218 P.-M. Llorca et al. a 6% (64) 2% (24) 4% (41) 3% (27) 12% (141) 12% (122) 81% (961) 81% (830) 14% (47) 4% (12) 44% (139) 38% (121) Hospitalisé (n=319) b Ambulatoire - CS hôpital (n=1190) Ambulatoire - CS libérale (n=1020) Suivi prévu Aggravaon clinique Problème lié au traitement médicamenteux Première consultaon/ consultaon de référence 9% (30) 4% (39) 3% (41) 24% (288) 30% (311) 25% (79) 9% (104) 27% (86) 15% (152) 11% (136) 2% (29) 10% (100) 2% (16) 13% (43) 50% (591) 39% (395) 25% (81) Hospitalisé (N=319) Ambulatoire - CS publique (N=1190) Intervalle libre, pas de symptôme Episode maniaque Phase intercurrente, SR maniaques Episode dépressif Phase intercurrente SR dépressifs Etat mixte Ambulatoire - CS libérale (N=1020) Figure 1 a : motif de la consultation (total, 2529 dossiers patients) ; b : statut clinique du patient lors de la consultation (total, 2529 dossiers patients). CS : consultation ; SR : symptôme résiduel. Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA 18% (61) 219 7% (47) 5% (5) 6% (8) 6% (7) 4% (11) 13% (37) 76% (259) 62% (78) 6% (59) 61% (416) 39% (43) 73% (204) 35% (343) 68% (459) 69% (76) 71% (699) 50% (339) 52% (57) 47% (461) 56% (193) 67% (84) 60% (168) 42% (143) Episode maniaque (N=126) Phase Phase Episode dépressif intercurrente, intercurrente, (N=342) SR maniaques SR dépressifs (N=279) (N=678) Anpsychoque atypique, APA Andépresseur, AD Etat mixte (N=110) Intervalle libre, pas de symptôme (N=986) Thymorégulateur, TR Ni APA, ni TR Figure 2 Traitement médicamenteux du trouble bipolaire (total, 2529 dossiers patients). AD : antidépresseur ; APA : antipsychotique atypique (amisulpride, risperidone, olanzapine, aripiprazole) ; TR : thymorégulateur = sels de lithium ou antiépileptique (divalproate de sodium, valpromide, carbamazépine, lamotrigine) ; SR : symptôme résidu. Tableau 4 Modalités de prescription des traitements médicamenteux (total, 2529 dossiers patient). Épisode maniaque (n = 126) Épisode dépressif (n = 342) Phase intercurrente SR maniaques (n = 279) Phase intercurrente SR dépressifs (n = 678) État mixte (n = 110) Intervalle libre pas de SR (n = 986) Modalités de prescription APA monothérapie APA associé TR monothérapie TR associé AD monothérapie AD associé 14 (18) 52 (66) 6 (8) 56 (70) — 6 (7) 5 (17) 37 (126) 5 (19) 51 (174) 6 (20) 70 (239) 11 (31) 49 (137) 15 (42) 58 (162) — 13 (36) 6 (41) 44 (298) 10 (68) 58 (391) 2 (13) 60 (403) 4 (4) 48 (53) 11 (12) 58 (64) 1 (1) 38 (42) 10 (98) 37 (363) 22 (217) 49 (482) 3 (30) 32 (313) Autres psychotropes Neuroleptique Anxiolytique Hypnotique 47 29 25 12 44 25 24 32 22 12 34 22 18 35 25 10 18 14 % (n) AD : antidépresseur ; APA : antipsychotique atypique (amisulpride, risperidone, olanzapine, aripiprazole) ; TR : thymorégulateur = sels de lithium ou antiépileptique (divalproate de sodium, valpromide, carbamazépine, lamotrigine) ; SR : symptôme résiduel. 220 P.-M. Llorca et al. 7% (21) 5% (15) 7% (23) 7% (22) 4% (44) 5% (56) 6% (76) 8% (93) 44% (139) 10% (104) 36% (425) 73% (233) Hospitalisé (N=319) 2% (19) 9% (92) 32% (323) 73% (867) 72% (732) Ambulatoire - CS publique (N=1190) Ambulatoire - CS libérale (N=1020) Psychothérapie de souen Thérapie psychoéducave Psychothérapie d'inspiraon analyque Psychothérapie cognivo-comportementale Thérapie familiale Groupe de support pour les familles Figure 3 Prise en charge des patients bipolaires — traitements non médicamenteux (total, 2529 dossiers patients). Discussion L’enquête MONTRA a permis de connaître les caractéristiques et les conditions de prise en charge en France, de 2529 patients bipolaires suivis par 439 psychiatres pendant la période 2010/2011. Intérêts et limites Cette enquête donne un aperçu du profil et des conditions de prise en charge en France, de patients bipolaires suivis par des psychiatres exclusivement. Avec un recrutement plus large incluant les médecins généralistes, il est probable que la proportion de patients en phase euthymique, nécessitant une surveillance simple des changements d’humeur, aurait été plus importante. Les médecins participants, sélectionnés à partir d’un fichier national de 12 000 médecins, et répartis de façon équilibrée selon leur mode d’exercice, étaient représentatifs des psychiatres français. Les patients ont été inclus consécutivement, au cours de quatre jours de consultation, ce qui a permis en principe de limiter un biais de sélection de patients spécifiques. Les données enregistrées reposaient exclusivement sur les déclarations des psychiatres participants, sans contrôle de l’adéquation avec le dossier médical du patient, si bien qu’on ne peut pas exclure un biais de déclaration dans la présentation des résultats. Enfin, aucune comparaison statistique n’a été réalisée entre les groupes de patients dans cette enquête. Certains domaines n’ont été abordés que globalement, l’usage de toxiques par exemple, car l’enquête était conçue pour limiter la contrainte imposée au médecin participant, sans interférer avec le déroulement de la consultation. Population de l’enquête La population de l’enquête était jeune, composée en majorité de femmes (âge moyen de 47 ans, 58 % de femmes) et les patients souffraient plus souvent d’un TB de type I (56 %). Sans surprise, les patients hospitalisés étaient plus pénalisés sur le plan social et professionnel, moins souvent autonomes dans la gestion de leur maladie. Inversement, les patients ambulatoires étaient mieux insérés socialement mais 40 % d’entre eux étaient professionnellement inactifs, confirmant d’une manière générale que la proportion de personnes sans emploi parmi les patients bipolaires est Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA très supérieure à celle de la population générale, pour des niveaux d’âge et d’étude égaux [26]. Les comorbidités psychiatriques ont été rapportées avec une fréquence élevée (comorbidité anxieuse, 48 % ; troubles de la personnalité, 32 %), rejoignant les données de la littérature [27,28]. Plus d’un tiers des patients (36 %) avait des antécédents de tentative de suicide. Des chiffres tout aussi importants ont été retrouvés dans d’autres études françaises (dans l’étude TEMPPO : 37 % des patients avec une durée médiane de la maladie de 16 ans [29] ; dans la cohorte EMBLEM : 36 % des patients avec une durée de la maladie superposable [20]). Le risque suicidaire n’a pas été évalué systématiquement, et seulement deux patients sur trois (66 %) ont été interrogés sur leurs idées suicidaires lors de la consultation. Le risque suicidaire est majeur chez les patients bipolaires, avec une mortalité par suicide estimée de l’ordre de 15 % [1]. Plusieurs facteurs nécessitant un suivi renforcé ont été identifiés chez les patients à haut risque suicidaire, comme la présence d’une comorbidité anxieuse ou d’une addiction, une instabilité thymique importante avec des cycles rapides, ou encore des épisodes dépressifs nombreux [30]. La moitié des médecins seulement (48 %) a déclaré évaluer à chaque consultation, l’adhésion du patient au traitement. Or l’alliance thérapeutique et l’observance du traitement médicamenteux sont fondamentales chez le patient bipolaire et de nombreux travaux montrent que l’arrêt ou l’observance seulement partielle des traitements stabilisants de l’humeur ont un impact direct sur le risque de rechute, d’hospitalisation, et sur le risque suicidaire chez les patients bipolaires [31]. La surveillance de l’observance est d’autant plus nécessaire que les traitements médicamenteux sont maintenus sur de longues périodes, au moins deux ans après un épisode aigu, et jusqu’à cinq ans si le patient présente des risques de rechute élevés [13]. Parmi les comorbidités somatiques notées dans cette enquête, seul le diabète a été retrouvé avec une prévalence élevée (7 %) et les cas de surcharge pondérale, d’obésité, d’affections cardiovasculaires et de dyslipidémies ont été probablement sous-estimés car les prévalences sont superposables voire inférieures aux prévalences rapportées dans la population générale. Les médecins ont sans doute signalé uniquement les patients traités (par antidiabétique, hypolipémiant, antihypertenseur. . .) et négligé de mentionner les patients simplement surveillés. Les patients bipolaires sont identifiés comme une population à haut risque métabolique — risque caractérisé par une obésité, une dyslipidémie, une intolérance glucidique et une hypertension artérielle [32]. L’association d’un syndrome métabolique dans le TB est fréquente, sous-tendue par des facteurs iatrogènes (usage des médicaments psychotropes, en particulier des antipsychotiques) et des facteurs autres (facteurs génétiques, instabilité des modes de vie, des comportements alimentaires). Elle impose de surveiller régulièrement les fonctions métaboliques et de proposer des mesures éducatives pour réduire la surcharge pondérale [13]. Statut clinique de patients Lors de la consultation, les patients ambulatoires symptomatiques présentaient le plus souvent une polarité 221 dépressive des symptômes (33 et 45 % des patients suivis respectivement en consultation publique et libérale présentaient un épisode dépressif aigu ou bien des symptômes résiduels dépressifs). Les patients hospitalisés présentaient, eux-aussi, une polarité majoritairement dépressive des symptômes (52 % des patients avec des symptômes dépressifs aigus ou résiduels vs 38 % avec des symptômes maniaques, aigus ou résiduels). Dans l’étude TEMPPO, la répartition des patients en termes de statut clinique était similaire, avec 33 % des patients ambulatoires vus en phase dépressive et 20 % en phase maniaque/hypomaniaque [29]. Dans plusieurs études de suivi prospectif, il a été montré que les patients bipolaires passent jusqu’à trois fois plus de temps déprimés qu’en phase euthymique, hypomaniaque ou maniaque additionnées [33—37]. L’impact psychosocial, tant des épisodes caractérisés que des symptômes résiduels dépressifs, est plus important que pour celui des épisodes maniaques [38,39] et les symptômes résiduels dépressifs sont associés à un risque de rechute et de suicide plus importants [4,33,40]. L’obtention d’une rémission clinique des épisodes dépressifs est donc une préoccupation fondamentale pour la prise en charge au long cours des patients. Or les épisodes dépressifs sont difficiles à traiter, du fait de traitements approuvés limités et des risques de virage et d’accélération des cycles associés à la prescription des antidépresseurs [13]. Or les épisodes dépressifs sont difficiles à traiter, l’usage des antidépresseurs est marqué par un risque de virage de l’humeur et d’accélération des cycles, et les traitements approuvés sont limités [13]. Modalité de prise en charge des patients La quasi-totalité des patients de l’enquête (90 %) bénéficiait d’une prise en charge combinant une psychothérapie et un traitement médicamenteux. L’accompagnement psychologique comportait le plus souvent une psychothérapie de soutien ou une thérapie psychoéducative, chez les patients hospitalisés et ambulatoires. Ces résultats suggèrent que la psychoéducation fait partie intégrante de l’approche thérapeutique, avec pour objectifs principaux de réduire la sévérité des phases symptomatiques, de prévenir les rechutes, d’améliorer le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie des patients [13]. La prescription d’un traitement médicamenteux du TB était systématique : 100 % des patients étaient traités par un thymorégulateur TR (lithium ou antiépileptique), par un antipsychotique atypique APA et/ou un antidépresseur AD et 73 % recevaient une association de ces traitements. D’une manière globale, les pratiques de prescription étaient conformes aux recommandations de la Haute Autorité de Santé [13]. Dans la prise en charge de l’épisode maniaque, l’enquête MONTRA (2010—2011) confirme l’importance des APA puisque 66 % des patients en phase aiguë recevaient un APA, en monothérapie ou en association. Dans l’étude EMBLEM (2002—2004), 55 % des patients bipolaires en phase maniaque/mixte étaient déjà traités par un APA [20]. Dans l’étude TEMPPO, 74 % des patients en phase maniaque étaient traités par un APA au moins [29]. De façon surprenante, l’usage des neuroleptiques classiques reste important dans cette enquête (47 % des patients en phase maniaque). 222 Enfin, on note que quelques patients maniaques étaient encore traités par un antidépresseur, en désaccord avec les recommandations [12]. Dans les phases dépressives aiguës, la majorité des patients de l’enquête recevait une association de traitements comportant un AD (70 %), un TR (51 %) et/ou un APA (37 %). Il faut signaler que lorsque cette enquête a été menée, aucune molécule n’était approuvée en monothérapie dans le traitement de la dépression bipolaire. Ces pratiques observées sont conformes aux recommandations des experts, qui proposent d’envisager, selon les formes cliniques, une monothérapie ou une bithérapie associant TR + AD, TR + APA ou APA + AD, avec dans le cas d’une association, un gain d’efficacité au prix d’un risque augmenté de complications iatrogènes [14]. L’usage d’un AD en monothérapie ne concerne plus qu’une faible proportion de patients (6 %), suggérant que les prescripteurs tiennent maintenant bien compte du risque d’utiliser les antidépresseurs en monothérapie dans le TB (risque de virage maniaque, augmentation des récidives) [10,11]. Bien que les populations ne soient pas individualisées dans cette enquête, on peut supposer que les patients en phase intercurrente se situaient soit en phase de maintenance thérapeutique (poursuite du traitement aigu), soit en phase de traitement prophylactique (traitement au long cours). Ces patients recevaient le plus souvent un traitement combiné, associant TR (58 %) + APA (49 %) pour les formes avec des symptômes résiduels maniaques, ou bien TR (58 %) + AD (60 %) ou APA (44 %) dans les formes avec des symptômes résiduels dépressifs. Dans ce dernier groupe à quelques exceptions près, la prescription d’un AD était toujours associée, mais les résultats, tels qu’ils sont présentés, ne permettent pas de savoir si dans la pratique clinique, les AD ont été interrompus chez les patients traités au long cours, conformément aux recommandations [14]. Enfin, les patients en intervalle libre sans symptôme recevaient le plus souvent une combinaison médicamenteuse, comportant TR (49 %) + APA (37 %) + AD (32 %), et la prévention des récidives maniaques ou dépressives par un traitement en monothérapie ne concernait qu’un tiers des patients euthymiques (monothérapie par TR, 22 % ; monothérapie par APA, 10 %). Des observations similaires ont été faites chez les patients euthymiques de l’étude TEMPPO (24 % traités par TR seul ; 7 % traités par APA seul) [29], suggérant qu’au long cours, les praticiens préfèrent proposer une polythérapie à une monothérapie, soit parce qu’elle s’est avérée efficace en traitement aigu, soit parce qu’ils doivent tenir compte dans la pratique clinique, de la difficulté de prise en charge du patient (sévérité des épisodes aigus, conduites suicidaires lors de l’épisode index, comorbidités psychiatriques). En conclusion, l’enquête MONTRA a évalué les caractéristiques de plus de 2500 patients souffrant d’un TB et précisé les modalités de leur prise en charge par les psychiatres, en situation de pratique clinique habituelle. Les résultats permettent de retenir trois observations principales : • la population était jeune, composée plus souvent de femmes, et plus d’un patient sur trois avait des antécédents de tentative de suicide ; P.-M. Llorca et al. • lorsqu’ils étaient en phase symptomatique, les patients présentaient le plus souvent des symptômes de polarité dépressive ; • le traitement médicamenteux reposait sur une polythérapie (associant un stabilisateur de l’humeur, un antipsychotique atypique et/ou un antidépresseur), variant selon le statut clinique du patient. Déclaration d’intérêts V. Camus : consultant, a participé à des réunions de conseil, à des essais cliniques, des observatoires ou est intervenu lors de symposiums pour les laboratoires AB Sciences, Actelion, AVID, AstraZeneca, Biocodex, BMS-Otsuka, ESAI, Genentech, Genopharm, Jansen-Cilag, Lilly, Lundbeck, Myriad, Noscira, Novartis, Sanofi-Aventis, Servier. P. Courtet : consultant, a participé à des réunions de conseil, à des essais cliniques, des observatoires ou est intervenu lors de symposiums pour les laboratoires AstraZeneca, BMS, Otsuka, Jansen-Cilag, Lilly, Lundbeck, Sanofi-Aventis, Servier. D. Gourion : activités de formations scientifiques en partenariat avec AstraZeneca, Lilly, Janssen, BMS, Euthérapie, Lundbeck. P.-M. Llorca : consultant pour AstraZeneca, BMS, Sanofi, Lilly, Lundbeck. Invitation en tant qu’orateur pour AstraZeneca, BMS, Lilly, Lundbeck. S. Coulomb et M. Lukasiewicz sont employés par AstraZeneca. Remerciements Les auteurs remercient Caroline Tantard (BVA Healthcare) pour son aide dans l’organisation de l’enquête et l’analyse des résultats, et Catherine Soubrouillard pour son assistance dans la préparation du manuscrit. Références [1] American Psychiatric Association. DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Quatrième édition, texte révisé. Washington DC: American Psychiatric Association; 2000. [2] Merikangas KR, Jin R, He JP, et al. Prevalence and correlates of bipolar spectrum disorder in the world mental health survey initiative. Arch Gen Psychiatry 2011;68:241—51. [3] Rouillon F. Épidémiologie du trouble bipolaire. 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