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L’Encéphale (2013) 39, 212—223
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Caractéristiques et modalités de prise en charge des
patients présentant un trouble bipolaire en France :
enquête MONTRA
Current status and management of patients with bipolar disorder in
France: The MONTRA survey
P.-M. Llorca a,∗, V. Camus b, P. Courtet c, D. Gourion d, M. Lukasiewicz e,
S. Coulomb e
a
Service de psychiatrie B, CHU de Clermont-Ferrand, 58, rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand, France
Inserm U930, clinique psychiatrique universitaire, université François-Rabelais de Tours, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 01,
France
c
Service de psychiatrie, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier cedex 5, France
d
17, rue des Marronniers, 75016 Paris, France
e
Laboratoire AstraZeneca, 1, place Louis-Renault, 92844 Rueil-Malmaison cedex, France
b
Reçu le 27 février 2013 ; accepté le 29 avril 2013
Disponible sur Internet le 30 mai 2013
MOTS CLÉS
Trouble bipolaire ;
Pratique clinique ;
Antipsychotique
atypique ;
Antidépresseur ;
Thymorégulateur
∗
Résumé MONTRA est une enquête réalisée sur le territoire métropolitain entre 2010 et
2011 auprès de 439 psychiatres dont l’objectif a été de décrire les conditions de prise en charge
de patients souffrant d’un trouble bipolaire (TB) en situation habituelle de pratique clinique.
Ont été analysés 2529 dossiers de patients vus au cours de quatre journées de consultation (âge
moyen, 47 ans ; femmes, 58 % ; TB type I, 56 % ; TB type II, 40 %). Les patients ambulatoires (87 %,
n = 2210) étaient pour la plupart en phase euthymique (39 et 50 % des patients suivis respectivement en consultation publique ou libérale) ou en phase intercurrente avec des symptômes
résiduels le plus souvent dépressifs (respectivement, 24 et 30 % des patients). Les patients hospitalisés (13 %, n = 319) étaient tous symptomatiques et présentaient un épisode thymique aigu
maniaque (25 %) ou dépressif (27 %), ou bien étaient en phase intercurrente avec des symptômes
résiduels le plus souvent dépressifs (25 %). Tous les patients (100 %) recevaient un traitement
médicamenteux du TB, prescrit le plus souvent en association (73 %) et comportant selon le
statut clinique, un thymorégulateur, un antipsychotique atypique et/ou un antidépresseur. Une
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (P.-M. Llorca).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.04.010
Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA
213
prise en charge non médicamenteuse était proposée chez 90 % des patients (principalement
psychothérapie de soutien, 73 %). En conclusion dans cette enquête, la présentation clinique
des patients symptomatiques était dominée par une polarité dépressive des symptômes et les
psychiatres ont déclaré recourir plus fréquemment à une association médicamenteuse pour
traiter les différentes phases du TB.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
KEYWORDS
Bipolar disorder;
Clinical practice;
Antipsychotic;
Antidepressant;
Mood stabilizer
Summary
Objectives. — The objectives were to assess the characteristics of patients with bipolar disorder
(BD) and to evaluate the prescribing practices.
Methods. — MONTRA is a quantitative survey conducted between December 2010 and February
2011. Data were extracted by the psychiatrists from the medical files of BD patients seen on
four consecutive days of consulting.
Results. — Four hundred and thirty-nine psychiatrists included 2529 patients (inpatients, n = 319;
outpatients from mental clinics, n = 1090; outpatients consulting in private practice, n = 1020).
In the total patient population (mean age: 47 years; women, 58%), BD was distributed as follows:
BD type I, 56%; BD type II, 40%; other types of BD, 4%; rapid cyclers, 10%. The prevalence of
psychiatric comorbidities was high (anxiety disorders, 48%; abuse and dependence on toxic
substances, 17 and 10% respectively), 36% of the patients had a history of suicide attempt
and the risk of suicide, when assessed, was 6%. In about half the patients (48%), the polarity
of the initial bipolar episode was of the depressive type (versus 39% for the manic/hypomanic
type). Outpatients were globally independent and did not require assistance in the management
of their disease or its treatment whereas the social and professional lives of inpatients were
negatively affected by their condition. Based on the psychiatrist’s declarations, 39 to 50% of
the outpatients were symptom-free, 36 to 40% were in the intercurrent phase with residual
symptoms, 11 to 17% presented either a manic or depressive acute BP episode, and 3 to 4%
were in a mixed state; among inpatients, 52% presented an acute episode either manic or
depressive, 38% were in the intercurrent phase and 9% were in a mixed state. In the symptomatic
patients from the total population (61%), the most prevalent symptoms were depressive and
corresponded to acute symptoms (patients with a depressive episode, 14%) or residual symptoms
(patients in the intercurrent phase, 27%). The predominant depressive polarity was observed in
both hospitalized and outpatients. The pharmacological treatment of BD included polytherapy
in 73% of the patients. In the manic episodes (n = 126), the patients were treated with a Mood
Stabilizer (MS, 56%) or an atypical antipsychotic (AAP, 52%) in association. In the depressive
episodes (n = 342), the patients received an antidepressant drug associated with a MS or an
AAP (70%). In symptom-free or symptomatic intercurrent periods (n = 1943), the patients were
treated with a MS (49—58%) or an AAP (37—49%), in association.
Conclusion. — BD patients evaluated in our survey were in majority diagnosed with BD type
I, associated with considerable comorbidity. In the symptomatic patients, the most prevalent
symptoms, either acute or residual, were of the depressive type. In the majority of the patients,
whatever the clinical status, polytherapy was prescribed for the BD.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Introduction
La prévalence du trouble bipolaire (TB) est estimée autour
de 1 % dans les études en population générale (0,4 à 1,6 %
pour le TB de type I et 0,5 % pour le TB de type II,
selon les critères du DSM-IVTR [1,2]). Dans la pratique
médicale, cette affection est rencontrée fréquemment,
et les résultats d’une enquête menée en France auprès
de plus de 9000 patients consultant en cabinet de médecine générale suggèrent que la prévalence du TB, défini
par un questionnaire spécifique (Mood Disorder Questionnaire [MDQ]), est au moins de 3,7 % [3]. L’expression
clinique variée du TB et son évolution, marquée par des
épisodes aigus et des périodes intercritiques souvent symptomatiques, rendent le diagnostic particulièrement difficile
[4].
Les conditions de prise en charge des patients ont
considérablement évolué au cours de ces dernières années
notamment en ce qui concerne le traitement médicamenteux. Les médicaments antiépileptiques, habituellement
prescrits pour prévenir les rechutes, ont démontré une
efficacité dans le traitement des phases aiguës [5,6], et
une nouvelle classe pharmacologique, les antipsychotiques
atypiques, a également montré une efficacité dans le traitement des épisodes thymiques aigus, en monothérapie ou
en association aux thymorégulateurs [7,8]. Dans le traitement de la dépression bipolaire, l’intérêt d’associer un
médicament antidépresseur à un régulateur de l’humeur
n’a pas été confirmé (étude STEP-BD du National Institute
of Mental Health [9]), alors que l’usage de cette classe
pharmacologique reste important en pratique clinique. Ces
évolutions ont conduit les agences de santé et diverses
214
sociétés savantes de psychiatrie à mettre à jour les recommandations professionnelles sur la prise en charge du TB
[10—16].
On dispose de peu d’informations sur les conditions
actuelles de prise en charge des patients souffrant d’un
TB en France. La cohorte EPIMAN/EPIDEP est composée
de patients souffrant d’un TB suivis depuis la fin des
années 1990, mais les explorations portent surtout sur les
particularités cliniques des patients [17—19]. L’étude observationnelle EMBLEM a évalué les modalités de prise en
charge de patients bipolaires dans la pratique clinique, mais
les patients inclus souffraient exclusivement d’un épisode
maniaque ou mixte [20]. Enfin WAVE-bd est une étude observationnelle, dont l’objectif est de suivre l’évolution clinique
de patients souffrant d’un TB de type I ou II pendant une
durée de deux ans. Plus de 2500 patients ont été inclus
dans cette étude internationale, dont près de 500 patients
français [21].
Dans ce contexte, il nous a paru pertinent de mener
en France une enquête auprès d’un large échantillon de
psychiatres, avec pour objectifs de décrire les caractéristiques cliniques des patients bipolaires (de type I
ou de type II), et de connaître plus précisément les
conditions actuelles de leur prise en charge en situation habituelle de pratique clinique. Cette enquête
transversale et multicentrique a été conduite entre
décembre 2010 et février 2011 sur l’ensemble du territoire
métropolitain.
Méthodes
Sélection des psychiatres, inclusion des patients
Les psychiatres participants, hospitaliers et/ou libéraux, ont
été recrutés selon un tirage aléatoire à partir d’un fichier
national de plus de 12 000 psychiatres (fichier CEGEDIM), afin
d’assurer la représentativité de la population en termes
de densité médicale nationale et en termes d’exercice :
exercice hospitalier, consultation publique (centre médicopsychologique [CMP], hôpital de jour) ou consultation
libérale. Ils ont complété un questionnaire portant sur les
caractéristiques et la prise en charge des patients bipolaires vus lors de quatre journées consécutives d’activité.
S’agissant d’une enquête en vie réelle, le diagnostic clinique
a été posé en condition naturelle, sans évaluation de critère
précis.
Recueil et analyse des données
Les données enregistrées portaient sur les caractéristiques
sociodémographiques et sociales du patient (âge, sexe,
IMC, niveau d’études, statut socioprofessionnel) et sur les
caractéristiques du TB (diagnostic, délai, polarité du premier épisode, hospitalisations, comorbidités). L’évaluation
du risque suicidaire, ainsi que l’observance du traitement, le degré d’autonomie du patient, et l’implication de
l’entourage, ont également été renseignés. Enfin, le médecin devait mentionner sur une liste préétablie, les mesures
non médicamenteuses (psychothérapeutiques et sociales)
P.-M. Llorca et al.
proposées et indiquer la totalité des spécialités médicamenteuses prescrites.
L’enquête a été déclarée à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). S’agissant d’une enquête de
pratique, les données des patients sont restées anonymes.
Elles ont été recueillies et transmises électroniquement
(e-CRF) par le médecin et l’analyse a été effectuée à
l’aide du logiciel SPSS. Les résultats ont été décrits d’abord
dans la population totale, puis présentés selon le statut du
patient (hospitalisé ou ambulatoire) et selon son état clinique au moment de la consultation (épisode aigu maniaque
ou dépressif ; phase intercurrente avec symptômes résiduels
maniaques ou dépressifs ; état mixte ; intervalle libre sans
symptôme). Le mode de prise en charge des patients a également été analysé selon le lieu d’exercice des psychiatres
(région Île-de-France, Sud-Est, Sud-Ouest, Ouest, Nord et
Est), mais aucune différence notable n’a été retrouvée,
témoignant d’une homogénéité des pratiques sur l’ensemble
du territoire. Les résultats sont donc présentés toutes
régions confondues.
Résultats
Quatre cent trente-neuf psychiatres participants,
2529 dossiers patients analysés
Au total, 439 psychiatres ont répondu au questionnaire
de pratique professionnelle et documenté les données de
2529 patients bipolaires vus au cours de quatre journées
de consultation (6 dossiers patient remplis en moyenne
par chaque médecin) chacun. La répartition des médecins selon leur mode d’exercice était équilibrée : 32 %
(n = 141) exerçaient à l’hôpital, 30 % (n = 132) en CMP/hôpital
de jour et 38 % (n = 166) en secteur libéral. La population de l’enquête était composée en majorité de
patients ambulatoires (87 %, n = 2210) suivis en consultation publique (n = 47 %, n = 1190) ou bien en consultation
libérale (40 %, n = 1020), et de 13 % (n = 319) de patients
hospitalisés.
Caractéristiques des patients
Dans leur ensemble, 56 % des patients présentaient un TB de
type I, 40 % d’un TB de type II, 4 % d’un TB d’un autre type
(type mixte, type III, type IV, trouble schizoaffectif) et 10 %
des patients présentaient des cycles rapides (Tableau 1).
Les patients souffrant d’un TB II étaient proportionnellement plus nombreux parmi les patients ambulatoires que
parmi les patients hospitalisés (41 % vs 30 %). Les patients
étaient âgés de 47 ans en moyenne (min—max : 16—92 ans),
et 21 % des patients hospitalisés avaient moins de 30 ans. Les
femmes étaient plus nombreuses (58 % vs 42 % d’hommes),
surtout dans la population suivie en consultation libérale
(61 % vs 39 % d’hommes). Le diagnostic de TB était récent,
de moins de dix ans pour la majorité des patients (58 %).
La plupart des patients (75 %) avaient déjà été hospitalisés
pour leur TB et la polarité du premier épisode bipolaire avait
été plus souvent dépressive (48 %) que maniaque (29 %) ou
hypomaniaque (9 %).
Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA
Tableau 1
215
Caractéristiques des patients bipolaires (total, 2529 dossiers patient).
Total patients
(n = 2529)
Hospitalisés
(n = 319)
Ambulatoires
CS publique
(n = 1190)
Ambulatoires
CS libérale
(n = 1020)
56 (1415)
40 (1001)
4 (113)
10 (245)
62 (197)
30 (97)
8 (25)
9 (28)
57 (679)
39 (464)
4 (47)
10 (115)
53 (539)
43 (440)
4 (41)
10 (102)
47,3
45,1
47,1
48,3
12
71
17
58
(294)
(1797)
(430)
(1460)
21
61
18
52
(68)
(194)
(57)
(165)
11
72
17
57
(135)
(854)
(198)
(674)
9 (91)
74 (749)
17 (175)
61 (621)
Délai depuis le diagnostic de TB %, (n)
< 1 an
1—9 ans
10—15 ans
> 15 ans
15
43
21
21
(381)
(1079)
(540)
(519)
25
41
15
18
(81)
(131)
(48)
(59)
12
44
23
20
(148)
(522)
(277)
(243)
15
43
21
21
Hospitalisationsb
Hospitalisations antérieures %, (n)
Nombre moyen d’hospitalisations
75 (1889)
4,8
82 (263)
6,2
82 (975)
5,2
64 (651)
3,6
Polarité du 1er épisode %, (n)
Maniaque
Hypomaniaque
Dépressive
Mixte
Inconnue
29 (735)
9 (236)
48 (1217)
8 (199)
6 (142)
37 (117)
11 (36)
40 (128)
8 (26)
4 (12)
34 (405)
10 (116)
42 (498)
9 (103)
6 (68)
21 (213)
8 (84)
58 (591)
7 (70)
6 (62)
Trouble bipolaire %, (n)
Type I
Type II
Autre typea
Cycles rapides
Caractéristiques démographiques
Âge moyen (ans)
Âge %, (n)
< 30 ans
30—60 ans
> 60 ans
Femmes %, (n)
(152)
(436)
(215)
(217)
CS : consultation.
a Autre type (n = 113), dont type mixte (n = 29), type III (n = 19), cyclothymie (n = 12), troubles schizoaffectifs (n = 8), type IV (n = 7).
b Hospitalisations pour le trouble bipolaire.
Caractéristiques sociales, professionnelles et
autonomie des patients
Les patients suivis en consultation libérale vivaient la plupart en couple ou en famille (62 %), leur niveau de scolarité
était élevé (41 % avaient atteint un niveau d’études supérieures) mais 40 % n’avaient pas d’activité professionnelle
(Tableau 2). Les patients hospitalisés vivaient seuls dans 40 %
des cas, 46 % d’entre eux étaient autonomes dans la gestion
de leur maladie et leur entourage participait régulièrement
à leur prise en charge (47 %). Enfin selon les déclarations
des psychiatres, l’adhésion du patient à son traitement a
été évaluée à chaque consultation dans 48 % des cas.
Comorbidités somatiques, psychiatriques et risque
suicidaire
Un tiers des patients (33 %) présentait une surcharge pondérale avec un indice de masse corporelle IMC compris entre
25 et 30, et 15 % présentaient une obésité avec un IMC
supérieur à 30 (en comparaison, 32 % des Français étaient
estimés en surpoids et 14,5 % estimés obèses en 2009 dans
l’étude en population générale ObEpi [22]) (Tableau 3). Dans
cette enquête, 7 % des patients étaient déclarés diabétiques
(la prévalence est donc supérieure à celle de la population générale en France, estimée autour de 4,4 % [23]). Les
dyslipidémies et les comorbidités cardiovasculaires étaient
déclarées respectivement chez 19 et 10 % des patients (en
comparaison, la prévalence des dyslipidémies est estimée
en France, à 48 % chez les individus âgés de 35 à 64 ans [24]
et celle de l’hypertension artérielle seule, autour de 31 %
dans la population adulte âgée de 18 à 74 ans [25]).
Les comorbidités psychiatriques étaient fréquentes : près
d’un patient sur deux (48 %) présentait une comorbidité
anxieuse et près d’un patient sur trois (32 %) présentait des
troubles de la personnalité. L’abus et la dépendance aux
toxiques étaient rapportés chez respectivement 17 et 10 %
des patients, et concernaient plus souvent les patients hospitalisés que les patients ambulatoires. Les antécédents de
tentative de suicide étaient notés chez 36 % des patients. Les
psychiatres participants déclaraient ne pas évaluer systématiquement le risque suicidaire du patient : seulement deux
tiers des patients (66 %) ont été interrogés sur la présence
216
P.-M. Llorca et al.
Tableau 2 Contexte social et professionnel, évaluation de l’autonomie et de l’adhésion du patient au traitement (total,
2529 dossiers patient).
Total patients
(n = 2529)
Hospitalisés
(n = 319)
Ambulatoires
CS publique
(n = 1190)
Ambulatoires
CS libérale
(n = 1020)
37 (941)
57 (1448)
3 (67)
40 (129)
48 (153)
7 (22)
38 (452)
55 (664)
3 (34)
35 (360)
62 (631)
1 (11)
Niveau scolaire %, (n)
Primaire, collège
Lycée
Formation professionnelle
Supérieur
23
21
22
33
28
23
22
28
25
23
22
28
20
17
22
41
Activité professionnelle %, (n)
En milieu ordinaire
En milieu protégé
En cours d’études
Inactif, invalide
AAH
44 (1104)
3 (69)
3 (78)
44 (1111)
7 (167)
34 (107)
4 (12)
6 (19)
46 (148)
10 (33)
39 (465)
3 (37)
3 (33)
46 (553)
9 (102)
52 (532)
2 (20)
3 (26)
40 (410)
3 (32)
71 (1802)
86 (2174)
46 (147)
68 (216)
71 (841)
84 (1005)
80 (814)
93 (953)
31 (794)
4,2
47 (150)
4,4
34 (401)
4,1
24 (243)
4,3
48 (1223)
32 (813)
20 (493)
46 (146)
35 (111)
19 (62)
49 (585)
32 (386)
19 (219)
48 (492)
31 (316)
21 (212)
Situation familiale %, (n)
Vivant seul(e)
Avec conjoint(e), parent(s)
En institution, appartement
thérapeutique
Autonomie du patient %, (n)
Gestion de la maladie
Prise du traitement
Entourage du patient
Impliqués dans les soins %, (n)
Visites annuelles (n moyen)
Évaluation de l’adhésion du patient
au traitementa %, (n)
À chaque consultation
Évaluation régulière
Évaluation ponctuelle ou jamais
(594)
(526)
(565)
(844)
(89)
(72)
(70)
(88)
(307)
(279)
(266)
(338)
(198)
(175)
(229)
(418)
AAH : allocation adulte handicapé ; CS : consultation.
a Pourcentage calculé sur la proportion de patients évalués.
d’idées suicidaires lors de la consultation ; un risque suicidaire a été identifié chez 6 % des patients évalués.
présentaient soit un épisode bipolaire aigu (maniaque ou
dépressif, 52 %), soit se situaient en phase intercurrente
avec des symptômes résiduels (38 %).
Les patients ambulatoires sont pour la plupart dans
un intervalle libre ou bien en phase intercurrente
avec des symptômes résiduels
Chez les patients symptomatiques, la polarité des
symptômes est majoritairement de type dépressif
Les patients ambulatoires consultaient le plus souvent à
l’occasion d’un suivi prévu, sans nouvel élément clinique
(81 %) (Fig. 1a). Les patients hospitalisés ont été vus
lors d’une consultation initiale motivée par une aggravation/rechute (44 % des patients) ou bien lors d’une
consultation prévue, en cours d’hospitalisation (38 %). Le
statut clinique des patients était variable. Au moment
de la consultation, les patients ambulatoires étaient pour
la plupart en période euthymique (39 % des patients en
consultation libérale, 50 % en consultation publique) ou
bien en phase symptomatique (phase intercurrente avec
symptômes résiduels : 40 % en consultation libérale ; 35 % en
consultation publique) (Fig. 1b). Inversement, les patients
hospitalisés étaient tous en phase symptomatique (100 %) et
Lorsque qu’ils étaient en phase symptomatique, les patients
présentaient le plus souvent des symptômes à polarité
dépressive (Fig. 1b). Les patients en phase aiguë présentaient plus souvent un épisode dépressif qu’un épisode
maniaque (respectivement 14 % des patients vs 5 %, dans
la population totale). Chez les patients en phase intercurrente, les symptômes résiduels étaient majoritairement de
type dépressif (27 % des patients en population totale : 25 %
en population hospitalisée ; 24 à 30 % en population ambulatoire) alors que les symptômes résiduels maniaques ou
mixtes étaient moins fréquents (en population totale, respectivement 11 et 4 % des patients). La polarité dépressive
prédominante des symptômes s’observait aussi bien chez les
patients hospitalisés que ceux suivis en ambulatoire et aussi
Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA
Tableau 3
217
Données cliniques des patients bipolaires (total, 2529 dossiers patient).
Total patients
(n = 2529)
Hospitalisés
(n = 319)
Ambulatoires
CS publique
(n = 1190)
Ambulatoires
CS libérale
(n = 1020)
Indice de masse corporelle (IMC)
IMC moyen (kg/m2 )
IMC < 25 %, (n)
IMC 25—30
IMC > 30
25,5
52 (1302)
33 (832)
15 (366)
25,1
58 (183)
29 (90)
13 (42)
25,8
49 (585)
35 (417)
15 (181)
25,3
53 (534)
32 (325)
14 (143)
Comorbidités somatiques %, (n)
Cardiovasculaire
Dyslipidémie
Diabète
10 (246)
19 (475)
7 (184)
13 (41)
18 (56)
8 (26)
10 (123)
21 (252)
8 (92)
8 (82)
16 (167)
6 (66)
Comorbidités psychiatriques %, (n)
Troubles anxieux
Troubles de la personnalité
48 (1216)
32 (819)
43 (136)
36 (114)
44 (523)
30 (358)
55 (557)
34 (347)
Substances toxiques %, (n)
Abus
Dépendance
17 (429)
10 (257)
22 (71)
14 (46)
18 (216)
10 (120)
14 (142)
9 (91)
Atcd de tentative de suicide %, (n)
36 (907)
40 (127)
38 (456)
32 (324)
Risque suicidaire %, (n)
Évalué
Présence d’idées suicidairesa
66 (1657)
6 (151)
71 (228)
10 (32)
64 (761)
5 (56)
65 (668)
6 (63)
Atcd : antécédent.
a Pourcentage calculé sur la proportion de patients évalués.
bien dans les épisodes aigus que dans les phases intercurrentes.
Le traitement médicamenteux repose sur une
polythérapie
Tous les patients (100 %) étaient traités, quel que soit leur
statut clinique, et 73 % d’entre eux recevaient une polythérapie associant un thymorégulateur TR (sel de lithium ou
antiépileptique), un antipsychotique atypique APA et/ou un
antidépresseur AD (Fig. 2, Tableau 4). Les patients en phase
maniaque (n = 126) étaient traités, en proportion égale,
par un APA (67 %) et/ou par un TR (62 %), les deux traitements étant le plus souvent associés. On note que quelques
patients ne recevaient ni APA ni TR (6 %), et quelques
patients (6 %) continuaient de recevoir un AD en association, malgré la symptomatologie maniaque. Les patients
en phase aiguë dépressive (n = 342) étaient traités par un
AD (76 % des patients), le plus souvent prescrit en association (70 %) à un TR ou à un APA. On note aussi que 6 % des
patients bipolaires en phase dépressive recevaient un antidépresseur seul, non couvert par un régulateur de l’humeur.
Dans les états mixtes (n = 110), le traitement reposait sur un
APA en association, un TR en association, (respectivement
48 et 58 % des patients) ou sur un antidépresseur associé
(38 % des patients). Chez les patients en phase intercurrente avec des symptômes résiduels maniaques ou dépressifs
(n = 957), le traitement reposait sur un TR (68—73 %) et/ou
un APA (50—60 %), prescrits en association. Lorsque les
symptômes résiduels avaient une polarité dépressive
(n = 678), un AD était également prescrit en association chez
61 % des patients. Enfin parmi les patients en intervalle libre,
sans symptôme résiduel (n = 986), 22 % recevaient un TR en
monothérapie et 49 % étaient traités par un TR en association
à un APA ou plus rarement, à un AD.
Les neuroleptiques classiques étaient prescrits chez 15 %
des patients au total, et surtout utilisés chez les patients
en phase maniaque (47 %). La coprescription d’anxiolytiques
et d’hypnotiques concernait respectivement 29 et 20 % des
patients, et s’adressait surtout aux patients avec une symptomatologie dépressive. Enfin, les traitements correcteurs
des symptômes extrapyramidaux, les traitements substitutifs opiacés et les traitements du sevrage alcoolique
n’étaient déclarés que chez 1 % des patients ou moins.
La prise en charge combine un traitement
médicamenteux, une approche
psychothérapeutique, et des mesures
psychosociales
Dans la population totale, 90 % des patients bénéficiaient
d’une psychothérapie ou d’interventions psychosociales
(Fig. 3). Les psychothérapies de soutien étaient les plus fréquemment déclarées (population totale, 72 % des patients),
alors que les psychothérapies plus spécifiques, d’inspiration
analytique ou cognitivo-comportementales, n’étaient proposées qu’à respectivement 9 et 8 % des patients (population
totale). Enfin, les thérapies familiales et groupes de support
pour les familles restaient encore peu développés (respectivement 4 et 3 % des patients dans la population totale).
218
P.-M. Llorca et al.
a
6% (64)
2% (24)
4% (41)
3% (27)
12% (141)
12% (122)
81% (961)
81% (830)
14% (47)
4% (12)
44% (139)
38% (121)
Hospitalisé (n=319)
b
Ambulatoire - CS hôpital (n=1190)
Ambulatoire - CS libérale (n=1020)
Suivi prévu
Aggravaon clinique
Problème lié au traitement médicamenteux
Première consultaon/ consultaon de référence
9% (30)
4% (39)
3% (41)
24% (288)
30% (311)
25% (79)
9% (104)
27% (86)
15% (152)
11% (136)
2% (29)
10% (100)
2% (16)
13% (43)
50% (591)
39% (395)
25% (81)
Hospitalisé
(N=319)
Ambulatoire - CS publique (N=1190)
Intervalle libre, pas de symptôme
Episode maniaque
Phase intercurrente, SR maniaques
Episode dépressif
Phase intercurrente SR dépressifs
Etat mixte
Ambulatoire - CS
libérale (N=1020)
Figure 1 a : motif de la consultation (total, 2529 dossiers patients) ; b : statut clinique du patient lors de la consultation (total,
2529 dossiers patients). CS : consultation ; SR : symptôme résiduel.
Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA
18% (61)
219
7% (47)
5% (5)
6% (8)
6% (7)
4% (11)
13% (37)
76% (259)
62% (78)
6% (59)
61% (416)
39% (43)
73% (204)
35% (343)
68% (459)
69% (76)
71% (699)
50% (339)
52% (57)
47% (461)
56% (193)
67% (84)
60% (168)
42% (143)
Episode
maniaque
(N=126)
Phase
Phase
Episode dépressif
intercurrente, intercurrente,
(N=342)
SR maniaques SR dépressifs
(N=279)
(N=678)
Anpsychoque atypique, APA
Andépresseur, AD
Etat mixte
(N=110)
Intervalle libre,
pas de
symptôme
(N=986)
Thymorégulateur, TR
Ni APA, ni TR
Figure 2 Traitement médicamenteux du trouble bipolaire (total, 2529 dossiers patients). AD : antidépresseur ; APA : antipsychotique atypique (amisulpride, risperidone, olanzapine, aripiprazole) ; TR : thymorégulateur = sels de lithium ou antiépileptique
(divalproate de sodium, valpromide, carbamazépine, lamotrigine) ; SR : symptôme résidu.
Tableau 4
Modalités de prescription des traitements médicamenteux (total, 2529 dossiers patient).
Épisode
maniaque
(n = 126)
Épisode
dépressif
(n = 342)
Phase
intercurrente
SR maniaques
(n = 279)
Phase
intercurrente
SR dépressifs
(n = 678)
État mixte
(n = 110)
Intervalle libre
pas de SR
(n = 986)
Modalités de prescription
APA monothérapie
APA associé
TR monothérapie
TR associé
AD monothérapie
AD associé
14 (18)
52 (66)
6 (8)
56 (70)
—
6 (7)
5 (17)
37 (126)
5 (19)
51 (174)
6 (20)
70 (239)
11 (31)
49 (137)
15 (42)
58 (162)
—
13 (36)
6 (41)
44 (298)
10 (68)
58 (391)
2 (13)
60 (403)
4 (4)
48 (53)
11 (12)
58 (64)
1 (1)
38 (42)
10 (98)
37 (363)
22 (217)
49 (482)
3 (30)
32 (313)
Autres psychotropes
Neuroleptique
Anxiolytique
Hypnotique
47
29
25
12
44
25
24
32
22
12
34
22
18
35
25
10
18
14
% (n)
AD : antidépresseur ; APA : antipsychotique atypique (amisulpride, risperidone, olanzapine, aripiprazole) ; TR : thymorégulateur = sels de
lithium ou antiépileptique (divalproate de sodium, valpromide, carbamazépine, lamotrigine) ; SR : symptôme résiduel.
220
P.-M. Llorca et al.
7% (21)
5% (15)
7% (23)
7% (22)
4% (44)
5% (56)
6% (76)
8% (93)
44% (139)
10% (104)
36% (425)
73% (233)
Hospitalisé
(N=319)
2% (19)
9% (92)
32% (323)
73% (867)
72% (732)
Ambulatoire - CS
publique (N=1190)
Ambulatoire - CS
libérale (N=1020)
Psychothérapie de souen
Thérapie psychoéducave
Psychothérapie d'inspiraon analyque
Psychothérapie cognivo-comportementale
Thérapie familiale
Groupe de support pour les familles
Figure 3
Prise en charge des patients bipolaires — traitements non médicamenteux (total, 2529 dossiers patients).
Discussion
L’enquête MONTRA a permis de connaître les caractéristiques et les conditions de prise en charge en France, de
2529 patients bipolaires suivis par 439 psychiatres pendant
la période 2010/2011.
Intérêts et limites
Cette enquête donne un aperçu du profil et des conditions de
prise en charge en France, de patients bipolaires suivis par
des psychiatres exclusivement. Avec un recrutement plus
large incluant les médecins généralistes, il est probable que
la proportion de patients en phase euthymique, nécessitant
une surveillance simple des changements d’humeur, aurait
été plus importante. Les médecins participants, sélectionnés à partir d’un fichier national de 12 000 médecins, et
répartis de façon équilibrée selon leur mode d’exercice,
étaient représentatifs des psychiatres français. Les patients
ont été inclus consécutivement, au cours de quatre jours
de consultation, ce qui a permis en principe de limiter
un biais de sélection de patients spécifiques. Les données
enregistrées reposaient exclusivement sur les déclarations
des psychiatres participants, sans contrôle de l’adéquation
avec le dossier médical du patient, si bien qu’on ne peut
pas exclure un biais de déclaration dans la présentation
des résultats. Enfin, aucune comparaison statistique n’a été
réalisée entre les groupes de patients dans cette enquête.
Certains domaines n’ont été abordés que globalement,
l’usage de toxiques par exemple, car l’enquête était conçue
pour limiter la contrainte imposée au médecin participant,
sans interférer avec le déroulement de la consultation.
Population de l’enquête
La population de l’enquête était jeune, composée en majorité de femmes (âge moyen de 47 ans, 58 % de femmes)
et les patients souffraient plus souvent d’un TB de type I
(56 %). Sans surprise, les patients hospitalisés étaient plus
pénalisés sur le plan social et professionnel, moins souvent
autonomes dans la gestion de leur maladie. Inversement,
les patients ambulatoires étaient mieux insérés socialement
mais 40 % d’entre eux étaient professionnellement inactifs, confirmant d’une manière générale que la proportion
de personnes sans emploi parmi les patients bipolaires est
Patients présentant un trouble bipolaire en France : enquête MONTRA
très supérieure à celle de la population générale, pour des
niveaux d’âge et d’étude égaux [26].
Les comorbidités psychiatriques ont été rapportées avec
une fréquence élevée (comorbidité anxieuse, 48 % ; troubles
de la personnalité, 32 %), rejoignant les données de la littérature [27,28]. Plus d’un tiers des patients (36 %) avait
des antécédents de tentative de suicide. Des chiffres tout
aussi importants ont été retrouvés dans d’autres études
françaises (dans l’étude TEMPPO : 37 % des patients avec une
durée médiane de la maladie de 16 ans [29] ; dans la cohorte
EMBLEM : 36 % des patients avec une durée de la maladie
superposable [20]).
Le risque suicidaire n’a pas été évalué systématiquement, et seulement deux patients sur trois (66 %) ont été
interrogés sur leurs idées suicidaires lors de la consultation.
Le risque suicidaire est majeur chez les patients bipolaires,
avec une mortalité par suicide estimée de l’ordre de 15 %
[1]. Plusieurs facteurs nécessitant un suivi renforcé ont été
identifiés chez les patients à haut risque suicidaire, comme
la présence d’une comorbidité anxieuse ou d’une addiction, une instabilité thymique importante avec des cycles
rapides, ou encore des épisodes dépressifs nombreux [30].
La moitié des médecins seulement (48 %) a déclaré évaluer
à chaque consultation, l’adhésion du patient au traitement.
Or l’alliance thérapeutique et l’observance du traitement
médicamenteux sont fondamentales chez le patient bipolaire et de nombreux travaux montrent que l’arrêt ou
l’observance seulement partielle des traitements stabilisants de l’humeur ont un impact direct sur le risque de
rechute, d’hospitalisation, et sur le risque suicidaire chez
les patients bipolaires [31]. La surveillance de l’observance
est d’autant plus nécessaire que les traitements médicamenteux sont maintenus sur de longues périodes, au moins
deux ans après un épisode aigu, et jusqu’à cinq ans si le
patient présente des risques de rechute élevés [13].
Parmi les comorbidités somatiques notées dans cette
enquête, seul le diabète a été retrouvé avec une prévalence
élevée (7 %) et les cas de surcharge pondérale, d’obésité,
d’affections cardiovasculaires et de dyslipidémies ont été
probablement sous-estimés car les prévalences sont superposables voire inférieures aux prévalences rapportées dans
la population générale. Les médecins ont sans doute signalé
uniquement les patients traités (par antidiabétique, hypolipémiant, antihypertenseur. . .) et négligé de mentionner
les patients simplement surveillés. Les patients bipolaires
sont identifiés comme une population à haut risque métabolique — risque caractérisé par une obésité, une dyslipidémie,
une intolérance glucidique et une hypertension artérielle
[32]. L’association d’un syndrome métabolique dans le TB
est fréquente, sous-tendue par des facteurs iatrogènes
(usage des médicaments psychotropes, en particulier des
antipsychotiques) et des facteurs autres (facteurs génétiques, instabilité des modes de vie, des comportements
alimentaires). Elle impose de surveiller régulièrement les
fonctions métaboliques et de proposer des mesures éducatives pour réduire la surcharge pondérale [13].
Statut clinique de patients
Lors de la consultation, les patients ambulatoires symptomatiques présentaient le plus souvent une polarité
221
dépressive des symptômes (33 et 45 % des patients suivis
respectivement en consultation publique et libérale présentaient un épisode dépressif aigu ou bien des symptômes
résiduels dépressifs). Les patients hospitalisés présentaient, eux-aussi, une polarité majoritairement dépressive
des symptômes (52 % des patients avec des symptômes
dépressifs aigus ou résiduels vs 38 % avec des symptômes
maniaques, aigus ou résiduels). Dans l’étude TEMPPO, la
répartition des patients en termes de statut clinique était
similaire, avec 33 % des patients ambulatoires vus en phase
dépressive et 20 % en phase maniaque/hypomaniaque [29].
Dans plusieurs études de suivi prospectif, il a été montré
que les patients bipolaires passent jusqu’à trois fois plus
de temps déprimés qu’en phase euthymique, hypomaniaque
ou maniaque additionnées [33—37]. L’impact psychosocial,
tant des épisodes caractérisés que des symptômes résiduels
dépressifs, est plus important que pour celui des épisodes
maniaques [38,39] et les symptômes résiduels dépressifs
sont associés à un risque de rechute et de suicide plus importants [4,33,40]. L’obtention d’une rémission clinique des
épisodes dépressifs est donc une préoccupation fondamentale pour la prise en charge au long cours des patients. Or
les épisodes dépressifs sont difficiles à traiter, du fait de
traitements approuvés limités et des risques de virage et
d’accélération des cycles associés à la prescription des antidépresseurs [13]. Or les épisodes dépressifs sont difficiles à
traiter, l’usage des antidépresseurs est marqué par un risque
de virage de l’humeur et d’accélération des cycles, et les
traitements approuvés sont limités [13].
Modalité de prise en charge des patients
La quasi-totalité des patients de l’enquête (90 %) bénéficiait d’une prise en charge combinant une psychothérapie et
un traitement médicamenteux. L’accompagnement psychologique comportait le plus souvent une psychothérapie de
soutien ou une thérapie psychoéducative, chez les patients
hospitalisés et ambulatoires. Ces résultats suggèrent que
la psychoéducation fait partie intégrante de l’approche
thérapeutique, avec pour objectifs principaux de réduire
la sévérité des phases symptomatiques, de prévenir les
rechutes, d’améliorer le fonctionnement psychosocial et la
qualité de vie des patients [13].
La prescription d’un traitement médicamenteux du TB
était systématique : 100 % des patients étaient traités par
un thymorégulateur TR (lithium ou antiépileptique), par un
antipsychotique atypique APA et/ou un antidépresseur AD et
73 % recevaient une association de ces traitements. D’une
manière globale, les pratiques de prescription étaient
conformes aux recommandations de la Haute Autorité de
Santé [13].
Dans la prise en charge de l’épisode maniaque,
l’enquête MONTRA (2010—2011) confirme l’importance des
APA puisque 66 % des patients en phase aiguë recevaient
un APA, en monothérapie ou en association. Dans l’étude
EMBLEM (2002—2004), 55 % des patients bipolaires en phase
maniaque/mixte étaient déjà traités par un APA [20]. Dans
l’étude TEMPPO, 74 % des patients en phase maniaque
étaient traités par un APA au moins [29]. De façon surprenante, l’usage des neuroleptiques classiques reste important
dans cette enquête (47 % des patients en phase maniaque).
222
Enfin, on note que quelques patients maniaques étaient
encore traités par un antidépresseur, en désaccord avec les
recommandations [12].
Dans les phases dépressives aiguës, la majorité des
patients de l’enquête recevait une association de traitements comportant un AD (70 %), un TR (51 %) et/ou un APA
(37 %). Il faut signaler que lorsque cette enquête a été
menée, aucune molécule n’était approuvée en monothérapie dans le traitement de la dépression bipolaire. Ces
pratiques observées sont conformes aux recommandations
des experts, qui proposent d’envisager, selon les formes
cliniques, une monothérapie ou une bithérapie associant
TR + AD, TR + APA ou APA + AD, avec dans le cas d’une association, un gain d’efficacité au prix d’un risque augmenté de
complications iatrogènes [14]. L’usage d’un AD en monothérapie ne concerne plus qu’une faible proportion de patients
(6 %), suggérant que les prescripteurs tiennent maintenant
bien compte du risque d’utiliser les antidépresseurs en
monothérapie dans le TB (risque de virage maniaque, augmentation des récidives) [10,11].
Bien que les populations ne soient pas individualisées
dans cette enquête, on peut supposer que les patients en
phase intercurrente se situaient soit en phase de maintenance thérapeutique (poursuite du traitement aigu), soit
en phase de traitement prophylactique (traitement au long
cours). Ces patients recevaient le plus souvent un traitement combiné, associant TR (58 %) + APA (49 %) pour les
formes avec des symptômes résiduels maniaques, ou bien
TR (58 %) + AD (60 %) ou APA (44 %) dans les formes avec
des symptômes résiduels dépressifs. Dans ce dernier groupe
à quelques exceptions près, la prescription d’un AD était
toujours associée, mais les résultats, tels qu’ils sont présentés, ne permettent pas de savoir si dans la pratique
clinique, les AD ont été interrompus chez les patients traités au long cours, conformément aux recommandations
[14].
Enfin, les patients en intervalle libre sans symptôme
recevaient le plus souvent une combinaison médicamenteuse, comportant TR (49 %) + APA (37 %) + AD (32 %), et la
prévention des récidives maniaques ou dépressives par un
traitement en monothérapie ne concernait qu’un tiers des
patients euthymiques (monothérapie par TR, 22 % ; monothérapie par APA, 10 %). Des observations similaires ont été
faites chez les patients euthymiques de l’étude TEMPPO
(24 % traités par TR seul ; 7 % traités par APA seul) [29], suggérant qu’au long cours, les praticiens préfèrent proposer
une polythérapie à une monothérapie, soit parce qu’elle
s’est avérée efficace en traitement aigu, soit parce qu’ils
doivent tenir compte dans la pratique clinique, de la difficulté de prise en charge du patient (sévérité des épisodes
aigus, conduites suicidaires lors de l’épisode index, comorbidités psychiatriques).
En conclusion, l’enquête MONTRA a évalué les caractéristiques de plus de 2500 patients souffrant d’un TB et précisé
les modalités de leur prise en charge par les psychiatres,
en situation de pratique clinique habituelle. Les résultats
permettent de retenir trois observations principales :
• la population était jeune, composée plus souvent de
femmes, et plus d’un patient sur trois avait des antécédents de tentative de suicide ;
P.-M. Llorca et al.
• lorsqu’ils étaient en phase symptomatique, les patients
présentaient le plus souvent des symptômes de polarité
dépressive ;
• le traitement médicamenteux reposait sur une polythérapie (associant un stabilisateur de l’humeur, un
antipsychotique atypique et/ou un antidépresseur),
variant selon le statut clinique du patient.
Déclaration d’intérêts
V. Camus : consultant, a participé à des réunions de conseil,
à des essais cliniques, des observatoires ou est intervenu lors
de symposiums pour les laboratoires AB Sciences, Actelion,
AVID, AstraZeneca, Biocodex, BMS-Otsuka, ESAI, Genentech,
Genopharm, Jansen-Cilag, Lilly, Lundbeck, Myriad, Noscira,
Novartis, Sanofi-Aventis, Servier.
P. Courtet : consultant, a participé à des réunions de
conseil, à des essais cliniques, des observatoires ou est intervenu lors de symposiums pour les laboratoires AstraZeneca,
BMS, Otsuka, Jansen-Cilag, Lilly, Lundbeck, Sanofi-Aventis,
Servier.
D. Gourion : activités de formations scientifiques en partenariat avec AstraZeneca, Lilly, Janssen, BMS, Euthérapie,
Lundbeck.
P.-M. Llorca : consultant pour AstraZeneca, BMS, Sanofi,
Lilly, Lundbeck. Invitation en tant qu’orateur pour AstraZeneca, BMS, Lilly, Lundbeck.
S. Coulomb et M. Lukasiewicz sont employés par AstraZeneca.
Remerciements
Les auteurs remercient Caroline Tantard (BVA Healthcare)
pour son aide dans l’organisation de l’enquête et l’analyse
des résultats, et Catherine Soubrouillard pour son assistance
dans la préparation du manuscrit.
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