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L’Encéphale (2008) Supplément 4, S143–S145
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p
Troubles bipolaires et comorbidités somatiques
E. Corruble
Faculté de Médecine Paris Sud – INSERM U 669 – CHU de Bicêtre, Service du Pr Hardy, 78 avenue du Général Leclerc,
94270 Le Kremlin Bicêtre
Généralités
Une revue de la littérature a synthétisé l’état actuel des
connaissances sur les liens entre troubles bipolaires et
comorbidités somatiques [15]. Cet article peut être résumé
en quatre points principaux. Le premier est que la majorité
des travaux concernent les comorbidités médicales observées chez les patients bipolaires, plutôt que la recherche
d’une bipolarité chez les patients présentant des pathologies médicales. Les pathologies les plus étudiées sont les
troubles cardio-vasculaires, l’obésité et le diabète ; à un
moindre degré, on retrouve les migraines, les troubles respiratoires et les maladies infectieuses. Le second point
concerne les quelques études qui portent sur la recherche
de bipolarité chez les patients médicaux : elles portent sur
l’épilepsie, la sclérose en plaque, la migraine, et les troubles circulatoires. Le troisième point que soulève cette
revue est l’importance de la iatrogénie chez les patients
présentant une comorbidité entre pathologie médicale et
trouble bipolaire. Enfin, le quatrième point est le faible
recours aux soins primaires de ces patients comorbides.
Une autre revue de la littérature [16] insiste sur la surmortalité précoce d’origine somatique (excluant la mortalité par suicide) dans le trouble bipolaire par rapport à la
population générale (odds ratio de 2,1 chez les femmes et
de 1,9 chez les hommes). Les principales causes retrouvées
sont cardio-vasculaires et métaboliques, gastrointestinales, respiratoires, urogénitales, infectieuses, et cancéreuses. Un des mécanismes envisagés pour expliquer cette
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
surmortalité somatique chez les patients bipolaires est
l’existence de modifications de la coagulation, de la fibrinolyse et de l’activité plaquettaire. Un autre mécanisme
envisagé est l’augmentation du tonus sympathique retrouvé
dans le trouble bipolaire.
Puisque la première cause somatique de surmortalité
dans le trouble bipolaire est la pathologie cardiovasculaire
et métabolique nous nous intéresserons particulièrement à
cette association dans cet article.
Syndrome métabolique
Pour porter le diagnostic de syndrome métabolique, et par
définition [1, 8], plusieurs critères doivent être associés :
un critère obligatoire, l’obésité abdominale (tour de taille
supérieur ou égal à 94 centimètres chez l’homme et à 80
centimètres chez la femme), et au moins deux critères
parmi les quatre suivants : hypertriglycéridémie > 1,5 g/l ;
HDL-cholestérol < 0,4 g/l (Homme) et < 0,5 g/l (Femme) ;
TA systolique > 130 mm Hg, ou diastolique > 85 mm Hg ; et
enfin glycémie à jeun > 1 g/l ou diabète de type 2 connu.
La pertinence de la définition du syndrome métabolique
réside dans l’augmentation de la morbidité et de la mortalité cardio-vasculaire [3, 6, 7, 9, 11, 12].
La revue de la littérature de Taylor et Mac Queen [16]
porte sur 97 études publiées entre 1966 et 2005 et met en
évidence la fréquence du syndrome métabolique chez les
patients bipolaires, expliquant probablement la mortalité
précoce observée chez ces patients. Un travail danois [10]
S144
portant sur 25 000 patients et 113 000 sujets contrôles issus
des registres médicaux danois, a étudié l’augmentation du
risque d’hypertension artérielle chez les patients bipolaires.
Cette étude montre un risque augmenté (risque relatif de
1,27) d’hypertension artérielle dans le trouble bipolaire par
rapport à la population générale, alors qu’il n’existe pas de
majoration de ce risque dans le trouble schizophrénique.
E. Corruble
Tableau 1 Antipsychotiques atypiques et anomalies
métaboliques [14]
Molécule
Olanzapine
Clozapine
Prise de poids et obésité
La moitié des patients bipolaires présentent soit une obésité soit un surpoids [17]. Concernant l’obésité, une étude
canadienne réalisée en population générale sur 37 000 sujets
dans le cadre de la National Community Health Survey [13]
évalue la prévalence de l’obésité à 19 % chez les patients
bipolaires et à 15 % en population générale, cette différence de prévalence étant significative. Ce travail souligne
également un effet significatif des antipsychotiques.
Deux articles de l’équipe de Pittsburgh [4, 5] tendent à
montrer que l’obésité est un facteur de pronostic péjoratif
dans les troubles bipolaires tant d’un point de vue somatique que d’un point de vue psychiatrique. Dans cette étude,
175 patients bipolaires de type I ont été suivis pendant
deux ans, la majorité d’entre eux étant traités par sel de
lithium : 35 % des patients de cet échantillon étaient obèses (Indice de Masse Corporelle (IMC) > 30). Par rapport aux
patients bipolaires non obèses, les patients bipolaires obèses ont un pronostic plus péjoratif de leur trouble bipolaire, avec davantage d’épisodes maniaques et dépressifs
et de tentatives de suicides, des phases aigues plus prolongées et des récurrences plus précoces.
Des facteurs de risque de prise de poids sous traitement
ont été identifiés chez les patients bipolaires. Ces prises de
poids surviennent de façon préférentielle chez les sujets
jeunes, chez les femmes, chez les sujets dont l’IMC avant
traitement est faible, qui ont des antécédents personnels
ou familiaux d’obésité, et qui ont des fluctuations marquées du poids au cours de la vie adulte ; la présence de
caractéristiques psychotiques au cours des épisodes thymiques est également un facteur de risque de prise de poids ;
enfin, les sujets qui prennent du poids très précocement
sous traitement (3 premières semaines) sont ceux qui sont
le plus à risque de présenter une prise de poids ultérieure.
Le rôle des médicaments psychotropes, en particulier
des antipsychotiques, est évidemment essentiel dans le risque de prise de poids. Le risque de survenue de syndrome
métabolique avec les antipsychotiques est aujourd’hui largement démontré, et relativement différent selon les
molécules (Tableau 1).
Les thymorégulateurs entrainent également des prises
de poids. Les sels de lithium entrainent des prises de poids
chez environ 60 % des patients traités, les prises de poids
moyennes étant de 4 à 15 kg en 2 ans. Elles sont associées
à une augmentation de l’appétit, une rétention hydrique,
une modification du métabolisme des glucides et des graisses, et/ou une hypothyroïdie. Le valproate entraîne une
stimulation de l’appétit. En revanche, plusieurs publications suggèrent l’intérêt potentiel de la lamotrigine dans
ce domaine, puisque cette molécule pourrait entraîner une
Prise
de poids
+++
+++
Risque
Hyperlipémie
de diabète
+
+
+
+
Rispéridone
++
?
?
Quétiapine
++
?
?
Ziprasidone
+/–
–
–
Aripiprazole
+/–
–
–
perte de poids chez les sujets obèses [2]. En ce qui concerne
le risque de syndrome métabolique sous thymorégulateurs
(revue 16), on ne dispose à l’heure actuelle que de peu de
données. Toutefois, le valproate pourrait entrainer des prises de poids, une hyperlipidémie, une intolérance au glucose, une insulinorésistance ; le risque serait moindre avec
la carbamazépine et la lamotrigine.
Les prises de poids sous antidépresseurs sont également
connues depuis longtemps et constituent une plainte fréquente des patients dans le traitement au long cours. On
dispose aujourd’hui de données préliminaires en faveur
d’un effet des antidépresseurs sur le métabolisme lipidique
et glucidique, et l’on peut donc s’interroger sur le risque
de survenue de syndrome métabolique sous antidépresseurs. Nous conduisons actuellement une étude nationale
(étude METADAP) pour évaluer le risque de survenue de
syndromes métaboliques chez des patients déprimés traités par antidépresseurs.
Conclusion
La comorbidité somatique dans les troubles bipolaires est
ubiquitaire, mais en premier lieu cardio-vasculaire. La pertinence de cette comorbidité est d’ordre somatique, avec
une mortalité particulièrement importante et précoce,
mais aussi psychiatrique, avec le risque d’altération du
pronostic psychiatrique du trouble bipolaire.
Dans la pratique clinique, il est donc nécessaire pour les
patients bipolaires comme pour tout autre individu, de
faire un dépistage régulier des facteurs de risque somatiques, et une surveillance médicale systématique, clinique
et biologique. L’objectif thérapeutique somatique doit être
identique pour tout patient, qu’il souffre ou non d’un trouble bipolaire.
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