Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho

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L’Encéphale (2008) Supplément 4, S154–S157
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales
dans le trouble bipolaire
A. Gut-Fayand
Hôpital Sainte-Anne, 7 rue Cabanis, 75014 Paris
Le trouble bipolaire affecte les patients durant toute leur
vie. Il débute entre 17 et 27 ans en moyenne, et la durée
des épisodes se situe entre 4 et 13 mois. Ceux-ci surviennent en moyenne une fois tous les deux ans, engendrant un
retentissement clinique et social important, avec un risque
de stigmatisation pour le patient et son entourage, et un
dysfonctionnement psychosocial marqué pour deux tiers
des patients [5].
Conséquences de la bipolarité
Conséquences pathologiques
La bipolarité a des conséquences majeures sur la vie des
patients ; la mortalité est 3 fois supérieure à celle de la
population générale, et 20 % des patients décèdent par suicide : le risque suicidaire est 15 fois plus important et le
risque cardio-respiratoire 2 fois plus important que dans la
population générale.
Les comorbidités sont fréquentes, de l’ordre de 65 %,
regroupant les troubles anxieux, les addictions et les troubles de la personnalité principalement. Le retentissement
cognitif est également net.
Conséquences sociales et familiales
Sur le plan social et familial, le retentissement est également marqué : 50 % des sujets sont inactifs alors que 60 %
d’entre eux sont considérés comme aptes, et 16 % seulement ont un emploi à temps plein [12].
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
On compte dans les populations de patients bipolaires
plus d’un divorce sur deux, et la majorité des patients
bipolaires sont soit divorcés, soit célibataires.
Conséquences sociales, médico-légales
et médico-économiques
Parfois la désinsertion est telle qu’ils sont sans domicile ou
vivent dans des conditions sociales préoccupantes.
Environ 25 % des patients ont été impliqués dans des
actes médicolégaux (arrestation, délits, incarcération), et
55 % des patients rencontrent des difficultés financières,
nécessitant souvent la mise en place de mesures de protection des biens.
Par ailleurs, la bipolarité entraîne des coûts directs et
indirects élevés, de l’ordre de 10 milliards d’euros par an
(troubles unipolaires compris), dus au retard diagnostique
et aux conséquences sociales du trouble.
Ainsi, le trouble bipolaire altère considérablement la
qualité de vie et l’estime de soi des patients, même durant
les périodes euthymiques, aboutissant à une désinsertion
socio-professionnelle. Ceci est aggravé par l’incertitude évolutive du trouble, et par la fréquence des hospitalisations
(80 % des patients sont hospitalisés au moins une fois).
Actions de prévention
La mise en place de mesures de prévention s’avère indispensable pour tenter d’éviter ces lourdes conséquences. Il
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales dans le trouble bipolaire
s’agit à la fois de prévention secondaire, par un meilleur
dépistage de la maladie et la mise en place d’actions de
Formation Médicale Continue des praticiens, et de prévention tertiaire, qui vise à développer l’alliance thérapeutique par les thérapeutiques psychosociales, et à améliorer
la prise en charge thérapeutique pour éviter les récidives
et la chronicisation [6], on retrouve chez ces patients 37 %
de récidive la première année, 60 % la deuxième, et 73 %
de récidive après 5 ans ; de plus, 33 % des patients ont des
symptômes résiduels entre les épisodes.
Les thérapeutiques psychosociales travaillent l’alliance
thérapeutique et renforcent l’observance médicamenteuse, par une approche comportementale et cognitive,
par des traitements psycho-éducatifs, et par un travail
avec les familles.
Les thérapies comportementales
et cognitives
Les TCC ont été développées dans les troubles bipolaires
depuis plusieurs décennies. En 1960 est apparue la TCC de
la dépression ; dans les années1980-90 ont été développés
des programmes et des manuels de TCC pour les épisodes
dépressifs [10]. En 1996 paraît le Manuel de TCC pour
patients bipolaires de Basco et Rush [1]. Le programme de
Lam et al., référence internationale dans ce domaine, est
diffusé à partir de 1999 [7], et en 2002 paraît le guide de
Newman.
Constituées en moyenne de 15 séances individuelles ou
de groupe interactifs, ces TCC s’appuient sur la psychoéducation, des techniques comportementales et cognitives, et des séances de consolidation.
Objectifs de la TCC des troubles bipolaires
Les principaux objectifs de la TCC des troubles bipolaires
sont de réguler le comportement quotidien (sommeil, activités…), de faciliter l’identification des prodromes, et de
mettre en place un apprentissage des stratégies de coping
cognitives et comportementales.
Les buts communs de tous ces programmes sont de
diminuer la probabilité de rechutes et de récidives.
Tous les programmes de TCC des troubles bipolaires
s’appuient sur des stratégies éducatives, des techniques
comportementales et cognitives, des stratégies de résolution de problème, et le développement de stratégies de
coping pour faire face aux conséquences psychosociales de
la maladie.
Le modèle de Basco et Rush (1996) [1]
L’un des programmes les plus connus de TCC appliqué au
trouble bipolaire est le modèle de Basco et Rush. Il consiste
en 20 séances individuelles sur un an, et comporte 4 périodes :
1. une phase éducative, avec un entretien interactif
portant sur la maladie et les traitements ;
2. une phase visant à l’augmentation de l’observance
médicamenteuse, par une démarche cognitive analysant
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les pensées qui remettent en cause le traitement médicamenteux, et par un repérage des perturbations cognitives
engendrées par la dépression ou la manie ;
3. un abord des problèmes psychosociaux, avec une
évaluation des conséquences psychosociales du trouble et
une gestion des difficultés, conduisant à la mise en place
de techniques de résolution de ces difficultés ;
4. enfin, un apprentissage de stratégies de résolution
de problèmes, avec identification du problème, liste des
solutions possibles et hiérarchisation en fonction des avantages et des inconvénients de chacune, mise en place de la
solution et constatation des résultats, et enfin évaluation
de l’efficacité de la solution choisie.
La référence internationale :
le programme de groupe de Lam et al. [7]
Ce programme se compose de 20 séances de 2 heures sur
3 mois, au sein de groupes de 10 patients.
La première phase est une phase éducative, de 6 séances en trois semaines (S1 à S6). Elle porte sur le trouble
bipolaire et ses traitements ; la construction de l’alliance
thérapeutique ; l’établissement du modèle cognitif ; la
structuration de l’entretien avec définition de l’agenda ;
l’établissement de tâches à domicile avec mise en place
d’une auto-évaluation ; la construction progressive de la
« life-shart » ; et enfin la définition individuelle des problèmes et des objectifs.
La seconde phase est une phase cognitive, de 10 séances en 10 semaines (S7 à S16), comprenant l’auto-enregistrement quotidien de l’humeur ; l’identification des
fluctuations de l’humeur normale, des aspects de la personnalité et de l’humeur pathologique ; la mise en relation
de la modification de l’humeur avec les cognitions et avec
le taux d’activité ; la relaxation ou au contraire la prescription de tâches, en fonction du taux d’activité ; enfin,
l’identification des schémas cognitifs et la reformulation.
La troisième phase est une phase de consolidation, de
4 séances en 2 semaines (S17 à 20), axées sur la vérification
de la compréhension des techniques TCC, la régularité du
rythme de vie, l’identification des facteurs précédant les
rechutes et la gestion du stress.
Évaluation des techniques de TCC
Les études contrôlées évaluant l’effet d’une TCC dans les
troubles bipolaires concluent toutes à une augmentation de
l’observance médicamenteuse, une diminution du nombre
d’hospitalisations, une amélioration du fonctionnement
social, une augmentation de la confiance en soi et de ses
limites, et une augmentation de l’estime de soi. L’approche
TCC apparaît ainsi curative et préventive, et augmente
l’engagement du patient dans la prise en charge de sa
maladie.
Néanmoins, une étude récente de Lam et al. [8] portant sur 103 patients montre que l’effet bénéfique de la
TCC sur la prévention des rechutes s’estompe après 18 mois,
soulevant la question de la nécessité de réaliser plusieurs
sessions à des temps différents, ou tous les ans.
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A. Gut-Fayand
La psycho-éducation
La psycho-éducation familiale
La psycho-éducation dans la maladie bipolaire est apparue
en 1999, avec comme objectif d’améliorer la compliance,
de détecter des prodromes, et de diminuer le nombre de
rechutes (Tableau 1).
L’intervention familiale (consistant essentiellement en la
délivrance d’informations) réduit le nombre de rechutes et
améliore la symptomatologie dépressive, notamment au
sein des familles à haute expression émotionnelle [9]. Elle
permet de réduire l’émotion exprimée et donc la fréquence
des rechutes, et elle améliore la symptomatologie et le
fonctionnement socio-professionnel des patients. Toutefois,
il existe peu d’études disponibles.
Tableau 1 Psycho-éducation dans la maladie bipolaire
N
Psycho éd./
contrôle
Résultats
Perry et al. [11]
Vieta et al. [2]
69
100
34/35
60/60
Moins d’épisodes
maniaques
Moins d’épisodes
thymiques et plus
longues périodes
d’euthymie avant
la 1re rechute
L’un des principaux programmes est le Programme de
Psycho-éducation des Troubles Bipolaires de Barcelone [2,
3]. Il s’agit d’un programme de 21 sessions, sur des groupes
fermés de 8 à 14 patients bipolaires I ou II en phase euthymique, durant 6 mois avec une séance hebdomadaire de 90
minutes. Le programme de chacune des sessions est codifié
de manière rigoureuse (Tableau 2). En France, de nombreuses équipes animent également de groupes de psycho-éducation.
Tableau 2 Sessions du programme de psychoéducation des troubles bipolaires
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
Introduction
Qu’est ce que la maladie bipolaire ?
Facteurs étiologiques et déclencheurs
Symptômes(I) : manie et hypomanie
Symptômes (II) : dépressions et épisodes mixtes
Évolution et pronostic
Traitements (I) : stabilisateurs de l’humeur
Traitements(II) : antimaniaques
Traitements (III) : antidépresseurs
Niveaux plasmatiques : lithium, carbamazépine,
valproate
Grossesse et conseil génétique
Psychopharmacologie VS thérapies alternatives
Risques associés à l’abandon du traitement
Substances psychoactives : risques dans la maladie
bipolaire
Dépistage précoce des épisodes maniaques et
hypomaniaques
Dépistage précoce des épisodes dépressifs et mixtes
Que faire lorsque l’on détecte l’arrivée d’une nouvelle
phase
Régularité
Techniques pour le contrôle du stress
Stratégies de résolution de problèmes
Session finale
Les autres thérapeutiques psycho-sociales
Les associations de malades ont une fonction
fondamentale pour lutter contre la stigmatisation de la
maladie. Elles apportent un soutien aux malades et à leur
famille, prodiguant conseils et assistance dans le domaine
social. Il faut souligner l’utilité de ces groupes d’aide, mais
aussi le fait qu’ils ne sont en aucun cas substituables au
médecin.
La thérapie interpersonnelle
et des rythmes sociaux
Cette thérapie (Interpersonal and Social Rhythm Therapy
ou IPSRT) a été développée par E. Frank et al. à partir de
2000 (4). Elle consiste en un travail sur les rythmes biologiques et circadiens, partant du principe que « des dérèglements de l’hygiène de vie favorisent l’instabilité circadienne
et précipitent les épisodes thymiques ».
Cette thérapie ne réduit pas le taux de rechute à elle
seule, mais pourrait aider à en retarder la survenue.
Conclusion
Ainsi, les thérapeutiques psychosociales apparaissent indispensables à la prise en charge des troubles bipolaires, associées au traitement pharmacologique. Intégrant les
familles, elles permettent de développer l’alliance thérapeutique, et d’améliorer la qualité de vie en diminuant le
nombre de rechutes et la durée des hospitalisations [13].
En pratique, il conviendrait, dans le cadre de la prévention secondaire, de les enseigner comme faisant partie
intégrante de la prise en charge autant que la thérapeutique biologique, et dans le cadre de la prévention tertiaire,
de les mettre en place dès le troisième ou quatrième épisode, en pratiquant régulièrement des interventions de
« rappel ».
La place des thérapeutiques psychosociales est également liée à la question du handicap, qui soulève de nombreuses interrogations : les sujets bipolaires doivent-ils
constituer une population considérée comme handicapée ?
Comment nommer ce handicap et à partir de quand ? Quel
droit à compensation lui attacher ? Le handicap véhicule
une image négative, alors qu’il conviendrait de renforcer
plutôt les images positives…
Devenir fonctionnel et thérapeutiques psycho-sociales dans le trouble bipolaire
Références
[1] Basco M, Rush A. Cognitive behavioral therapy for bipolar disorder. New York (NY) : Guilford Press ; 1996.
[2] Colom F, Vieta E, Martinez-Aran A, et al. A randomized trial
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of recurrences in bipolar patients whose disease remission is
in remission. Arch Gen Psychiatry 2003a ; 60 : 402-7.
[3] Colom F, Vieta E, Reinares M et al. Psychoeducation efficacity
in bipolar disorders beyond compliance enhancement. J Clin
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[5] Gabbard GO, Lazar SC, Hornberger J et al. The economic
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154 :147-55.
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[7] Lam DH, Jones S, Hayward P et al. Cognitive Therapy for
bipolar disorder : a therapist’s guide to concepts, method and
practice. New York : John Wiley and Sons, 1999.
S157
[8] Lam DH, Hayward P, Watkins ER et al. Relapse prevention in
patients with Bipolar Disorder : Cognitive therapy outcome
after 2 years. Am J Psychiatry 2005 ; 162 : 324-9.
[9] Miklowitcz DJ, George EL, Richards JA et al. A randomized
study family-focused in the outpatient management of bipolar disorder. Arch Gen Psychiatry 2003 ; 60 : 904-12.
[10] Mirabel-Sarron C. Approche comportementale et cognitive
des troubles bipolaires. Troubles bipolaires : pratiques recherches et perspectives p. 119-135. Pathologie Science ; Éditions
John Libbey, Eurotest, Paris ; 2005.
[11] Perry A, Tarrier N, Morriss R et al. Randomised controlled trial
of efficacy of teaching patients with bipolar disorder to identify early symptoms of relapse and obtain treatment. BMJ
1999 ; 318 : 149-53.
[12] Rouillon F. Un enjeu de santé publique ; Troubles Bipolaires :
pratiques, recherches et perspectives, p. 1-9. Pathologie Science ; Éditions John Libbey, Eurotest, Paris ; 2005.
[13] Zaretsky AE, Rizvi S, Parikh SV. How well do psychosocial
interventions work in bipolar disorder ? La revue canadienne
de psychiatrie 2007 ; 52, 1.
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