L’Encéphale (2010) Supplément 1, S23–S26 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Traitement d’un premier épisode maniaque Treatment of a first manic episode M. Maurel*(a), A. Kaladjian(a), E. Fakra(a), N. Besnier(a), M. Adida(a), J.-M. Azorin(a) (a) Pôle de Psychiatrie Adultes, CHU Sainte Marguerite, 13009 Marseille Mots clés Premier épisode maniaque ; Diagnostic différentiel ; Alliance thérapeutique ; Prévention des récurrences KEYWORDS First episode of mania ; Differential diagnosis ; Treatment alliance ; Prevention of recurrences Résumé Le premier épisode maniaque, lorsqu’il n’est pas directement lié à une pathologie somatique ou toxique, signe le trouble bipolaire. Ces possibilités doivent être systématiquement éliminées par un bilan biologique et morphologique. Son identification clinique est difficile principalement en raison d’une présentation clinique le plus souvent atypique. S’il peut survenir à tout âge, il touche préférentiellement une population de sujets jeunes où l’usage de toxiques est courant. Les formes psychotiques sont particulièrement fréquentes de même que certains symptômes comme l’irritabilité. Le traitement de la phase aiguë n’est pas distinct des autres épisodes maniaques, mais les enjeux sont très différents puisque, si après un premier épisode il existe déjà souvent une dégradation fonctionnelle, elle s’accentue considérablement avec la répétition des accès. Il est donc essentiel d’établir le plus tôt possible une alliance thérapeutique de qualité qui facilitera la mise en place, l’acceptation et l’observance du traitement préventif ainsi que l’adhésion à différentes recommandations d’hygiène de vie. Des études cliniques sont nécessaires afin de mieux préciser quel traitement préventif est le plus adapté à cette population. Abstract When the first episode of mania is not directly related to a somatic or toxic disease it indicates bipolar disorder. These former possibilities must always be excluded from a laboratory and morphological assessment. They are clinically difficult to identify mostly because the clinical presentation is usually atypical. Whilst they may occur at any age they mostly involve young people, and drug use is common. Psychotic presentations are particularly common as are some symptoms such as irritability. Treatment of the acute phase is no different from that of other manic episodes although the challenges are very different as whilst there is often a risk of functional deterioration after an initial episode this risk increases considerably with repeated episodes. It is therefore essential to establish a quality treatment alliance as soon as possible which will facilitate the introduction, acceptance and adherence to preventative treatment and adherence to the different lifestyle recommendations. Clinical studies are needed in order to provide more information about the most suitable preventative treatment in this population. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. M. Maurel et al. S24 Introduction La littérature concernant les aspects cliniques et thérapeutiques d’un épisode maniaque est extrêmement riche, mais elle n’explore qu’exceptionnellement le caractère princeps de l’épisode. Ainsi, les recommandations de consensus concernant le traitement d’un accès maniaque sont identiques quel que soit son rang. Or, ce premier épisode se distingue des autres sur différents aspects. En premier lieu, l’identification clinique en est plus difficile, non seulement parce qu’il est le premier mais aussi parce que sa présentation est souvent atypique. Il impose une évaluation clinique et paraclinique strictes afin de l’attribuer sans erreur à un trouble bipolaire de type I dont il va alors, par définition, signer le début. En second lieu, ce premier contact avec le système de soins d’un patient qui traverse une expérience vitale inédite et souvent traumatique est aussi le moment où doit se mettre en place le traitement au long cours de la maladie bipolaire elle-même. En effet, la répétition des épisodes est fréquente, puisqu’au moins 50 % des patients vont présenter un nouvel accès maniaque dans les seules quatre années suivant l’épisode index [21]. L’hypothèse d’une sensibilisation acquise lors de la répétition des accès pourrait rendre compte de l’augmentation de la durée des épisodes ultérieurs et de leur plus grande facilité à survenir [15]. Le pronostic fonctionnel est lui considérablement aggravé par la répétition des accès, et si près de deux tiers des patients travaillent après un premier épisode, seulement un tiers le font après plusieurs épisodes et dans 10 % des cas à peine occupent un emploi correspondant à leurs compétences [4]. Ainsi, le moment où il apparaît le plus important d’instaurer un traitement préventif est également celui où il est probablement le plus difficile de le mettre en place [3, 14]. Enfin, si un premier épisode maniaque peut survenir à tout âge, la population la plus exposée est celle des sujets jeunes. Les recommandations thérapeutiques actuelles mériteraient sans doute d’être examinées plus attentivement à la lumière de cet aspect. Identification d’un premier épisode maniaque L’identification clinique d’un premier épisode maniaque est souvent difficile en raison du manque de spécificité de certains critères diagnostiques. La question du diagnostic différentiel peut se poser avec de nombreux tableaux psychiatriques tels les troubles de la personnalité borderline ou les troubles anxieux, la difficulté la plus fréquente est représentée par les épisodes délirants aigus et la schizophrénie [8]. Près de 60 % des patients présentant un trouble bipolaire développent au moins un symptôme psychotique au cours de leurs accès [6]. Ces symptômes, longtemps qualifiés d’atypiques, sont extrêmement fréquents. Les éléments hallucinatoires, délirants, congruents ou pas à l’humeur, les troubles de l’organisation idéique et même la catatonie qui est présente dans près de 30 % des états maniaques n’ont en fait rien d’inhabituel [1, 10, 20]. Leur présence n’apparaît donc pas comme un facteur discriminant pour le diagnostic différentiel et rend compte de l’instabilité du diagnostic d’un premier épisode psychotique [3]. La présentation clinique et l’existence de comorbidités sont de plus influencées par l’âge de survenue. On retrouve par exemple chez les sujets jeunes une plus grande fréquence de symptômes psychotiques, de formes mixtes, de cycles rapides, d’une irritabilité. L’usage de toxiques est également très courant [3, 18]. Chez les sujets âgés de plus de 65 ans les syndromes confusionnels sont courants de même que les intrications médicamenteuses. Les psychoses puerpérales posent en revanche moins de problèmes diagnostiques. Enfin, un premier épisode maniaque peut être la première manifestation d’une pathologie somatique. La littérature à ce sujet est très abondante et si certaines pathologies sont classiques telles les dysthyroïdies et autres maladies endocriniennes, le lupus érythémateux aigu disséminé, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaque, les encéphalites notamment liées au VIH ou certaines ischémies cérébrales, d’autres sont plus surprenantes comme la maladie de Wilson [12]. Ces manies inaugurales isolées imposent donc la pratique systématique d’examens paracliniques, biologiques et morphologiques. Les premiers accès maniaques déclenchés par une substance toxique ou médicamenteuse ont un statut discrètement différent, pouvant révéler un trouble bipolaire jusqu’alors non exprimé ou induire les troubles par leur effet propre. De telles situations sont décrites avec les traitements antidépresseurs, certes, mais aussi avec des agonistes dopaminergiques comme la cocaïne, les amphétamines, la méthamphétamine ainsi que d’autres toxiques : psychodysleptiques, cannabis, alcool. Sont également concernés les corticoïdes, l’interféron ainsi que certains antimitotiques. Dans tous les cas, l’anamnèse est indispensable et quelquefois déterminante pour relier l’épisode à un trouble bipolaire. L’importance des antécédents familiaux et personnels est classique, il faut y ajouter la valeur de signes thymiques antérieurs ainsi que leur apparition ou leur modification au cours du traitement. La durée de constitution des troubles est également à préciser, un état maniaque classique se mettant souvent en place de façon progressive. Traitement d’un premier épisode maniaque Relation thérapeutique La relation thérapeutique qui s’établit lors du premier contact avec un patient est déterminante. Dans le cas d’un premier accès maniaque il est opportun d’instaurer le plus rapidement possible une alliance thérapeutique de qualité qui va soutenir l’acceptation du traitement médicamenteux lors de la phase aiguë et son observance à plus long terme. Si la littérature scientifique traditionnelle s’accorde sur ce point, elle est paradoxalement très pauvre sur les caracté- Traitement d’un premier épisode maniaque ristiques du style relationnel approprié à ce type de situation clinique. Des travaux de psychologie sont sur cet aspect plus informatif. Certains déterminants d’un thérapeute sont classiquement propices à l’établissement d’une bonne alliance thérapeutique et favorisent l’efficacité du traitement, que celui-ci soit psychologique ou, de façon plus surprenante peut être, médicamenteux. Ces aspects sont largement étudiés et six invariants, communs à différentes approches psychothérapeutiques peuvent être définis : •l’empathie : elle peut se définir comme la capacité intuitive de se mettre à la place d’autrui ou de comprendre ce qu’il ressent. Exprimer de l’empathie a des effets positifs sur l’efficacité d’un traitement [13] ; •le respect : il s’agit ici non seulement de la considération indispensable du patient mais également de ses croyances, en particulier en ce qui concerne le traitement. Une absence de respect de celles-ci est associée à une mauvaise alliance thérapeutique et peut être responsable de l’échec d’un traitement [19] ; •la flexibilité : c’est-à-dire la capacité à s’ajuster au fonctionnement du patient, son antonyme, la rigidité a également fait preuve des propriétés inverses [15] ; •l’encouragement à une participation active du patient, participation orientée vers un objectif positif [5] ; •l’allégeance : qui se définit ici comme la confiance qu’a le thérapeute dans son traitement [16] ; •la révélation de soi du thérapeute : c’est-à-dire la capacité de faire état de ce qui se passe, au moment où cela se passe et qui concerne par exemple le sentiment du thérapeute sur le discours du patient [9]. L’ensemble de ces composantes n’impose pas un style uniforme de relation qui, pour être authentique, respecte le caractère et l’originalité propres à chacun. Traitement médicamenteux Le traitement d’un épisode maniaque est à ce jour bien codifié et ne présente pas de particularités dans ce contexte. Schématiquement, il fait appel au Lithium, au Divalproate et à certains antipsychotiques atypiques qui seront utilisés seuls ou en association selon la sévérité de l’épisode. Les antipsychotiques typiques ne sont pas recommandés mais ne sont pas non plus contre indiqués et peuvent être utiles si les stratégies de première intention se révèlent inefficaces. Les antidépresseurs, eux sont contre indiqués, même en présence de signes dépressifs associés [2, 7]. Ce bref résumé permet cependant de s’interroger sur les choix thérapeutiques les plus pertinents liés aux caractéristiques cliniques précédemment décrites. La difficulté principale concerne le traitement préventif des rechutes ultérieures et les questions sont plus nombreuses que les réponses. Les premiers épisodes ont le plus souvent des caractéristiques de sévérité qui vont imposer une bithérapie dans la phase aiguë et la population la plus touchée est celle des sujets jeunes ayant des comportements addictifs associés, deux caractéristiques prédictives d’une mauvaise observance ultérieure. Or, dans la perspective d’obtenir la S25 meilleure observance possible, il est souhaitable de faire appel à un seul traitement. La première question concerne donc le choix du traitement à maintenir et les modalités d’interruption éventuelle du second. Le choix du traitement préventif est probablement la question la plus difficile car il doit prendre en compte de nombreux facteurs d’observance : •La nécessité d’un traitement qui soit le moins contraignant possible implique un index thérapeutique large et une surveillance biologique minimale. Le lithium à ce titre est probablement le plus mal placé. •Le risque malformatif lors d’une grossesse est une réserve soulignée par la conférence de consensus britannique pour l’utilisation du valproate chez des patientes en âge de procréer, réserves qui ne sont pas émises pour l’usage du lithium qui présente pourtant le même risque. La même remarque est valable pour les autres anticonvulsivants. •Les antipsychotiques atypiques présentent sur ces deux plans une nette supériorité, l’absence de titration est un avantage supplémentaire qui permet au patient de reprendre de façon autonome un traitement à posologie efficace d’emblée après une interruption de traitement, même longue, en particulier si des symptômes évocateurs de rechute apparaissent. Mais leurs effets métaboliques, en revanche, ne plaident pas en leur faveur. L’absence d’études cliniques documentées fait de ce choix, plus encore que chez les patients ayant de multiples antécédents d’accès maniaques, un choix individuel qui devra prendre en compte de multiples facteurs parmi lesquels les compétences du patient et la qualité de son support familial et social [17]. Interventions psycho-éducatives L’ensemble des conférences de consensus internationales insiste sur cet aspect capital du traitement des troubles bipolaires. Ils ne seront que très brièvement rappelés ici : information générale sur la maladie bipolaire et sur l’importance du traitement préventif, respect d’une régularité des rythmes circadiens, repérage des événements potentiellement déclencheurs et des prodromes, et apprentissage de stratégies afin d’y faire face, éviction des toxiques en général et surtout des deux plus fréquemment rencontrés que sont l’alcool et le cannabis. Ces interventions s’adressent aux patients et à leur entourage. Conclusion Un premier épisode maniaque est complexe à plus d’un titre : complexité clinique pour le psychiatre, expérience inédite pour le patient, expérience souvent déroutante pour l’entourage. L’importance de la mise en place d’un traitement préventif des rechutes est à ce moment de la maladie bipolaire le plus important car si la guérison syndromique est habituelle, la disparition de tout symptôme thymique est plus rare et la récupération fonctionnelle difficile. La dégradation du pronostic fonctionnel après plusieurs rechu- S26 tes est sévère, et souvent difficilement concevable par un jeune patient. L’absence d’études permettant de formaliser des recommandations est un obstacle supplémentaire car si l’on se réfère au concept d’allégeance, le psychiatre ne peut avoir pleine confiance dans l’efficacité et le bien fondé de son action. La mise en place de l’ensemble des mesures thérapeutiques, éducatives et médicamenteuses, qui seraient souhaitables est dans ce contexte malheureusement difficile. L’approche la plus raisonnable est probablement la mise en place de plans de soins personnalisés, respectant les choix du patient et tenant compte au mieux de son environnement social et familial. Références [1]Abrams R, Taylor MA. Importance of schizophrenic symptoms in the diagnosis of mania. Am J Psychiatry. 1981 ; 138 (5) : 658-61. [2]American Psychiatric association. Practice Guideline for the Treatment of patient with bipolar disorder (Revision). Am J Psychiatry 2007 ; 159 (Suppl) : 1-50. [3]Conus P, MCGorry PD. First-episode mania : a neglected priority for early intervention. Aust NZeal J Psychiatry 2002 ; 36 : 158-172. [4]Dion GL, Tohen M, Anthony WA et al. Symptoms and functioning of patients with bipolar disorder six months after hospitalisation. Hosp Community Psychiatry 1988 ; 39 : 652-657. 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