C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 48 28 novembre 2001 1187 La cardiopathie ischàmique chronique W. Angehrn Introduction La cardiopathie ischémique est l’une des maladies les plus fréquentes dans les pays industrialisés et socio-économiquement très développés. En règle générale, l’athérosclérose coronaire évolue très lentement et sa manifestation clinique fait suite à une très longue phase préclinique. L’étude de Framingham a enregistré un angor chronique comme première manifestation chez 32% des hommes et 56% des femmes (tabl. 1). Dans l’étude GISSI-2, 65% des patients victimes d’un infarctus du myocarde n’avaient aucune cardiopathie coronaire connue, et 35% ont présenté un angor avant l’accident (une forme chronique pour la moitié, et des douleurs depuis moins d’un mois pour l’autre moitié). La genèse de l’athérosclérose coronaire résulte généralement de multiples facteurs de risque, certains influençables et d’autres non influençables. Les facteurs de risque modifiables connus expliquent la moitié environ des cas de maladie. L’association de plusieurs facteurs de risque s’accompagne d’un risque nettement Tableau 1. Nature de la première manifestation de la cardiopathie coronaire (étude de Framingham [2]). Hommes Femmes Angor chronique 32% 56% Infarctus du myocarde 45% 23% Mort subite 9% 11% Mortalité due au maladie coronarien 3% 4% 11% 6% Insuffisance coronaire Tableau 2. Incidence annuelle de l’angor (étude de Framingham [1]). Correspondance: Dr W. Angehrn Division de Cardiologie Département de Médecine interne Hôpital cantonal CH-9007 St-Gall Age Hommes Femmes 45–54 ans 0,3% 0,2% 55–64 ans 0,8% 0,6% 65–74 ans 0,6% 0,6% plus élevé que l’expression maximale d’un seul facteur. Les trois principaux facteurs que sont la fumée de cigarettes, l’hypertension artérielle et l’hyperlipidémie sont à peu près équivalents. Le diabète de type 2 prend une importance épidémiologique de plus en plus grande. Epidémiologie L’incidence de l’angor dépend très nettement de l’âge et du sexe (tabl. 2). L’incidence annuelle moyenne varie énormément d’un pays à l’autre. Dans une étude sur 10 ans, l’incidence annuelle chez des hommes de 40 à 59 ans a été la suivante: 0,1% au Japon, en Grèce et en Croatie; 0,2–0,4% en Italie, en Serbie, aux PaysBas et aux Etats-Unis; 0,6–1,1% en Finlande [1]. Physiopathologie En présence d’une ou de plusieurs sténoses coronaires athéromateuses hémodynamiquement significatives, la relation entre apport d’oxygène et besoins en oxygène du myocarde est perturbée. Une augmentation des besoins en oxygène du myocarde, surtout suite à une augmentation de la fréquence cardiaque et à une ascension de la pression systolique, est à l’origine d’un apport insuffisant d’oxygène. Le substrat pathologique est généralement une sténose de 50 à 70% de la lumière artérielle. L’importance de la sténose n’est pas seulement fonction de la diminution de calibre de la lumière artérielle, mais de la longueur et du nombre de sténoses, de l’existence de collatérales et d’autres facteurs. Le diamètre de la lumière est souvent une dimension non fixe, et dépend notamment du tonus de la musculature lisse. Une augmentation transitoire du tonus vasomoteur en réponse à des stimuli hormonaux ou neurogènes peut entraîner une diminution très importante de la perfusion coronaire, surtout au niveau des sténoses excentriques, mais aussi en aval des sténoses concentriques. Avec des coronaires parfaitement normales à l’angiographie, les spasmes sont rares. Une constriction de coronaires épicardiques normales peut être à l’origine d’une ischémie du myocarde. Les ischémies myocardiques récidivantes ou chroniques peuvent donner lieu à un processus C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 48 28 novembre 2001 1188 d’adaptation du métabolisme du myocarde, avec dysfonction ventriculaire gauche ischémique chronique, mais réversible (myocarde en hibernation). ventriculaires. L’angiographie montre les plaques généralement non sténosantes. Il y a souvent une association à la migraine ou à un syndrome de Raynaud. Manifestations cliniques des ischémies myocardiques transitoires Syndrome X: il s’agit d’un angor typique avec ischémie objectivable (p.ex. sous-dénivellation ST à l’ECG d’effort) sans sténoses des artères épicardiques. L’étiologie est supposée être une pathologie des petites artères. Angor stable chronique: la symptomatologie est stable, avec ses caractéristiques typiques (voir sous Anamnèse) sans aggravation nette pendant plusieurs semaines. Une certaine variabilité est possible sous l’effet de variations du tonus vasomoteur (exposition au froid, stress psychique, postprandial). Equivalent angoreux: les phases ischémiques surviennent sans angor typique, mais avec insuffisance cardiaque gauche transitoire (dyspnée, œdème pulmonaire) ou arythmies ventriculaires. Angor vasospastique (de Prinzmetal): les crises d’angor surviennent typiquement au repos (petit matin). L’électrocardiogramme montre des surélévations ST et souvent des arythmies Ischémie silencieuse du myocarde: des anomalies ischémiques typiques, mais transitoires à l’ECG d’effort ou sur l’ECG de 24 heures, sans douleurs, parlent en faveur d’une ischémie silencieuse du myocarde. De tels épisodes se voient chez 50% environ des patients connus pour avoir une cardiopathie coronaire. Ils sont particulièrement fréquents chez les diabétiques. Diagnostic de la cardiopathie coronaire Anamnèse L’angor est sans aucun doute le symptôme le plus important. Une anamnèse précise de la Tableau 3. Caractéristiques cardinales de l’angor. Localisation Rétrosternale. Irradiation à gauche ou à droite du sternum, et dans les bras, les mâchoires, le dos. Début périphérique avec irradiation centrale possible. Caractère Douleur (crampe, constriction), gêne (pression, brûlure). Dépendance à l’effort Souvent à l’effort physique, mais aussi après stress psychique. Atténuation rapide au repos. Durée La plupart du temps quelques minutes. Autres symptômes Souvent dyspnée, rarement faiblesse ou fatigabilité. Réponse à la nitroglycérine typique mais pas spécifique. Tableau 4. Définition des stades CCS [3]. Stade CCS I Une activité physique normale, marcher ou monter l’escalier, ne provoque pas d’angor. L’angor survient lors d’un effort particulièrement important, rapide ou prolongé, au travail ou lors des loisirs. Stade CCS II Légère limitation des activités normales par l’angor, qui survient à la marche rapide ou dans l’escalier, en montagne, à la marche ou dans l’escalier à une allure normale, postprandial, au froid, dans le vent, sous stress psychique ou dans les heures suivant le réveil. Dans des conditions normales et à allure normale, possibilité de marcher plus de 200 m («two blocks») à plat et de monter plus d’un étage. Stade CCS III Limitation évidente des activités physiques par l’angor, qui survient après 100–200 m de marche à plat et à la montée d’un étage d’escaliers à allure normale. Stade CCS IV Impossibilité d’effort physique sans douleur. Les symptômes peuvent également apparaître au repos. C U R R I C U LU M douleur (caractère, localisation, durée, déclenchement) est capitale (tabl. 3). Les douleurs typiques, mises en relation avec le profil de risque, ont une très grande valeur diagnostique. La recherche de facteurs déclenchants ou potentialisants (p.ex. hypertension artérielle, hypoxémie artérielle, tachyarythmies, anémie, hyperthyroïdie) est importante. Il faut savoir que des pathologies non coronaires (p.ex. sténose valvulaire aortique, cardiomyopathie hypertrophique, prolapsus mitral) peuvent être à l’origine d’un angor typique. La différenciation avec des douleurs œsophagiennes (p.ex. reflux, spasme œsophagien) peut s’avérer difficile. La classification se fait aujourd’hui très souvent selon les critères de la «Canadian Cardiovascular Society» (stades CCS) (tabl. 4). Méthodes d’examen non invasives ECG de repos: il est souvent normal même dans un angor grave. Les troubles de la repolarisation ou signes d’ancien infarctus sont des arguments importants en faveur d’une cardiopathie coronaire. Les anomalies telles que signes d’hypertrophie ventriculaire gauche, bloc de branche ou troubles de conduction donnent d’autres informations importantes et sont utiles dans l’appréciation du risque. ECG de Holter: cette méthode est réservée aux problèmes particuliers tels qu’ischémie silencieuse, angor vasospastique ou arythmies suite à une ischémie du myocarde. Echocardiographie au repos: chez les patients ayant eu un infarctus, en insuffisance cardiaque, ayant une suspicion de vice valvulaire, une hypertrophie ventriculaire gauche ou une car- Forum Med Suisse No 48 28 novembre 2001 1189 diomyopathie, cet examen donne des informations complémentaires très importantes pour le diagnostic et le pronostic. Epreuves d’effort: plusieurs tests dynamiques (ergométrie sur bicyclette ou tapis roulant) et pharmacologiques (dobutamine, dipyridamole, adénosine) ont été mis au point pour apprécier qualitativement et quantitativement une ischémie myocardique. Toutes ces techniques sont largement standardisées. Dans le diagnostic de routine, c’est l’ECG d’effort qui vient en tête. Si son résultat est douteux, si l’effort n’a pas été suffisant, s’il y a des anomalies sur l’ECG de repos telles qu’hypertrophie ventriculaire gauche ou bloc de branche gauche, ou pour préciser certaines questions, d’autres méthodes comme l’échocardiographie à l’effort, la scintigraphie myocardique sous perfusion, la radionucléoventriculographie et la tomographie par émission de positrons viendront contribuer au diagnostic. Ces examens permettent de localiser l’ischémie du myocarde, ce qui n’est pas les cas pour l’ECG d’effort (tabl. 5). La valeur diagnostique des épreuves d’effort est directement proportionnelle à la sensibilité du test et à la probabilité de la maladie avant le test, et inversement proportionnelle à la spécificité du test (théorème de Bayes). La probabilité prétest est fonction de l’âge, du sexe et de la nature des problèmes du patient, et de son profil de risque. La probabilité prétest est donnée par un tableau (tabl. 6). La valeur diagnostique la plus grande est obtenue chez des patients ayant une probabilité prétest intermédiaire de 20 à 80%. Chez les patients ayant une probabilité prétest plus basse, inférieure à 20%, un test négatif parle très nettement contre Tableau 5. Epreuves d’effort (modifié d’après [1]). ECG d’effort Scintigraphie au thallium Echocardiographie à l’effort 50–80% 65–90% 65–90% Confirmation d’une CC Sensibilité Spécificité 80–90% 90–95% 90–95% Sensibilité maximale Pathologie multiartérielle Pathologie monoartérielle Pathologie monoet multiartérielle Localisation de la CC 80–90% RIVA Aucune influence 60% RCA Indication Première intention chez la plupart des patients Donne d’autres informations dans certaines situations (surtout localisation de l’ischémie) Préférée chez les patients incapable d’effort CC = cardiopathie coronaire RIVA = ramus interventricularis anterior RCA = coronaire droite C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 48 28 novembre 2001 l’existence d’une pathologie. Si la probabilité prétest est élevée, supérieure à 80%, un test négatif ne diminue que très peu la probabilité de l’existence d’une pathologie (fig. 1). Coronarographie: la coronarographie classique reste le standard de l’imagerie de l’anatomie des coronaires, malgré les progrès de la tomographie computérisée et de la résonance magnétique. Ses indications figurent dans le tableau 7. L’estimation de la diminution du dia- 1190 mètre de la lumière est subjective. La coronarographie quantitative permet une analyse plus précise. Un diamètre minimal de moins de 1 mm d’une artère proximale reflète une sténose obstructive. Les ultrasons intravasculaires et des études anatomopathologiques ont montré que l’importance des plaques peut être fortement sous-estimée. Figure 1. Probabilité de preuve ou d’exclusion d’une cardiopathie coronaire par différents tests d’effort [5]. Probabilité d’une cardiopathie coronaire après le test Pronostic RNA Résultats positifs TL ECG Résultats négatifs SENS ECG 75 TL 85 RNA 95 % SPEZ 85 90 95 Probabilité d’une cardiopathie coronaire avant le test ECG = ECG d’effort TL = scintigraphie au thallium RNA = radionucléoangiographie Le pronostic des patients ayant un angor stable chronique est relativement bon. Leur mortalité annuelle est de 2 à 3%, et un autre 2 à 3% seront victimes d’un infarctus non fatal sur une année. Dans certains sous-groupes cependant, le risque est nettement plus élevé. Cela concerne surtout les patients ayant une dysfonction ventriculaire gauche, surtout en présence d’une insuffisance cardiaque. Le risque dépend en outre de l’anatomie des coronaires et il est nettement accru en présence de sténoses proximales marquées, surtout du tronc principal Tableau 6. Probabilité d’une cardiopathie coronaire en fonction de l’âge, du sexe et des symptômes (modifié d’après [4]). Age Sexe 30–39 Hommes Intermédiaire Intermédiaire Faible Très faible Femmes Intermédiaire Très faible Très faible Très faible Hommes Elevée Intermédiaire Intermédiaire Faible Femmes Intermédiaire Faible Très faible Très faible Hommes Elevée Intermédiaire Intermédiaire Faible Femmes Intermédiaire Intermédiaire Faible Très faible 40–49 50–59 60–69 Angor typique Angor atypique/ possible Douleur thoracique non angoreuse Aucun symptôme Hommes Elevée Intermédiaire Intermédiaire Faible Femmes Elevée Intermédiaire Intermédiaire Faible Elevée >90%, intermédiaire 10–90%, faible <10%, très faible <5%. Tableau 7. Indication à la coronarographie (modifié d’après [1]). Angor stable grave (stade CCS III), surtout si réponse insuffisante au traitement médicamenteux. Angor stable chronique (stade CCS I et II): anamnèse d’infarctus; ischémie myocardique confirmée sous effort faible; mauvais acceptation du traitement médicamenteux (surtout patients jeunes). Angor stable chronique chez des patients ayant un bloc de branche à l’ECG et une preuve d’ischémie (p.ex. à la scintigraphie) au moindre effort. Angor stable chronique chez des patients prévus pour une importante chirurgie vasculaire (anévrisme de l’aorte, pontage fémoral, intervention sur la carotide). Patients présentant une arythmie ventriculaire complexe. Patients ayant déjà subi des revascularisations (angioplastie coronaire transluminale percutanée, pontages aorto-coronariens) et ayant une récidive d’angor modéré à grave. Confirmation du diagnostic pour des raisons cliniques ou dans certains situations professionnelles (pilote, chauffeur, etc.). C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 48 28 novembre 2001 Quintessence La cardiopathie coronaire chronique est l’une des maladies les plus fréquentes dans les pays socio-économiquement très développés. L’anamnèse précise joue un rôle capital dans l’évaluation des symptômes d’une ischémie myocardique transitoire. L’ECG d’effort est le standard du diagnostic d’une ischémie du myocarde. La scintigraphie au thallium et l’échocardiographie à l’effort sont des méthodes complémentaires qui permettent en outre de localiser l’ischémie. Les épreuves pharmacologiques sont utiles chez des patients ne pouvant accomplir une ergométrie. La valeur prédictive de l’épreuve d’effort dépend de la sensibilité et de 1191 gauche et de l’interventriculaire antérieure. De plus, un angor grave, une ischémie objectivée sous effort modéré et l’âge sont des facteurs pronostiques défavorables. Les formes lentement évolutives sont variables et vont de lentes et linéaires à rapides et épisodiques. De nombreux patients présentent de multiples petites plaques, en plus de sténoses importantes. La probabilité d’une instabilité ou d’une rupture de ces petites plaques est plus grande qu’au niveau des quelques sténoses serrées. Remerciements Un cordial merci à Madame E. Hofstetter pour la rédaction du manuscrit. la spécificité de cette méthode, ainsi que de la probabilité prétest de l’existence d’une cardiopathie coronaire (théorème de Bayes). La coronarographie est la méthode de choix pour visualiser l’anatomie des coronaires. Elle est utilisée pour stratifier le risque et évaluer une technique de revascularisation. Le pronostic des patients souffrant d’un angor stable est relativement favorable. La mortalité annuelle est de 2–3% et l’incidence annuelle d’infarctus non fatal est également de 2–3%. Le pronostic est nettement moins bon pour les patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche (surtout avec insuffisance cardiaque) et des sténoses proximales serrées (tronc principal surtout, interventriculaire antérieure). Références 1 Guidelines: Management of stable angina pectoris: Recommendations of the Task Force of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 1997;18:394-413. 2 Kannel WB. Some lessons in cardiovascular epidemiology from Framingham. Am J Cardiol 1977;37:269. 3 Members of the Swiss Society of Cardiology, Swiss Society of Internal Medicine, Swiss Society of Thoracic and Cardiovascular Surgery. Results of a Swiss consensus conference on coronary angiography. Schweiz Med Wochenschr 1997;127:1179-90. Manuel/Guidelines – Braunwald, Zipes; Libby: Heart Disease. 6th Edition. W.B. Saunders Company, 2001. – ACC/AHA/ACP-ASIM Guidelines for the Management of Patients With Chronic Stable Angina. JACC 1999; 33:2092-197. -–Guidelines: Management of stable angina pectoris: Recommendations of the Task Force of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 1997;18:394-413. 4 Chaitman BR. Exercise Stress Testing. In Braunwald, Zipes; Libby: Heart Disease. 6th Edition. W. B. Saunders Company, 2001. 5 Pfisterer M. Ambulante Abklärung von Patienten mit Verdacht auf koronare Herzkrankheit. Schweiz Med Wochenschr 1984;114(Suppl16):11-6.