Bienvenue dans 20 ans, quand le slogan «No Future

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Bienvenue dans 20 ans,
quand le slogan «No Future» sera réel
Avec «Les Fils de l'homme», Alfonson Cuarón conte un avenir où toute femme
est stérile. Une anticipation marquante.
2027. Cela fait 18 ans qu'aucun enfant n'est né sur Terre. Le vieux slogan «No Future» prend
toute sa dimension, tragique. Jusqu'à ce que Theo (Clive Owen), homme brisé par la perte,
justement, d'un enfant, soit contacté par son ancienne amie Julian (Julianne Moore) pour
protéger... une femme enceinte.
Les Fils de l'homme (Children of Men, légère nuance en V.O.) constitue la meilleure nouvelle
qui soit arrivée à la science-fiction cinématographique depuis longtemps. Prenons, dans la liste
des belles œuvres récentes, le Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol (1997) ainsi que les
échappées de Steven Spielberg, Minority Report (2002) et sa glaçante Guerre des mondes en
2005.
Pour le reste, le cinéma a souvent mal à sa SF, à force de basculer dans l'imagerie en toc ou
dans le brouet existentialo-futuriste.
Voici donc ce film dur, cette fresque d'un futur qui crie les failles ouvertes de notre présent. Le
lien est d'ailleurs établi par le personnage d'un ancien hippie bien actuel, campé par Michael
Caine.
L'absence d'enfants, argument du roman de P.D. James qu'adapte Alfonson Cuarón, ne fait
qu'achever le tableau d'un monde qui s'est affaissé sur ses propres inégalités. Le cinéaste opte
pour l'extrapolation pessimiste: son Angleterre, vue dans 20 ans, est pétrie par les gangs et
surtout les afflux de réfugiés parqués dans des cages par un Etat qui a oublié son b.a.-ba de
démocratie et de droits de l'homme.
Comme tout grand film d'anticipation, Les Fils de l'homme repose sur la crédibilité - même
assombrie - de son contexte pour poser son histoire et son discours. Au point que le réalisateur
emporte son œuvre à travers plusieurs genres, la faisant basculer dans le film de guerre
lorsqu'il s'agit d'affronter les ghettos et l'armée. Ce mélange des registres ne trahit nullement un
doute ou des tergiversations, au contraire, il montre un auteur chevillé à sa vision, jusqu'à
rompre avec toute velléité futuriste. Passé le postulat, Les Fils de l'homme raconte une actualité
proche, tout au plus décortiquée sous la loupe.
Dans les suppléments, l'auteur de Y Tu Mamá también raconte d'ailleurs avoir voulu faire «le
contraire de Blade Runner», dans la mesure où il rejette toute esthétisation de son futur. Peutêtre. Mais c'est bien à ce grand frère de 1982 qu'on peut comparer ce film. Par des biais
radicalement différents - esthétique du clip sublimée chez Ridley Scott, réalisme cru pour
Alfonson Cuarón -, les deux œuvres convergent dans certains de leurs pronostics et par la
puissance de leur noir futur.
Sans doute désireux d'appuyer son propos, l'auteur propose un documentaire d'une demi-heure
dans lequel il convoque quelques éminences. Leurs paroles rythment un montage d'images
d'actualité et d'extraits du film. James Lovelock, théoricien de la Terre comme organisme
unique (Gaia), y discourt sur la vengeance de la planète, Naomi Klein évoque «l'apartheid
climatique» à venir et Tzvetan Todorov, la violence du déracinement dans un monde de
migrants.
Un bréviaire altermondialiste en deçà du film, comme on pouvait s'y attendre. La fiction a déjà
tout dit, en mieux. Comme le clame, euphorique, un analyste dans un bref commentaire, «seul
ce genre de films prouve que le cinéma survivra comme un art».
Nicolas Dufour
© Le Temps / El País
19 mai 2007
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