¶ 6-039-A-41 Explorations allergologiques de l’asthme L. Tetu, A. Didier Les relations entre asthme et allergie sont complexes, l’allergie étant à la fois un facteur prédisposant à la survenue de l’asthme et un facteur aggravant de la maladie. La réalisation d’une enquête allergologique est donc une étape indispensable pour la prise en charge d’un asthme. La démarche allergologique comporte deux grandes étapes, étroitement intriquées : la détermination de l’origine allergique des symptômes et l’identification du ou des allergènes responsables. La voie principale du diagnostic reste celle qui va de l’anamnèse et de l’examen clinique aux tests cutanés, moyen simple, rapide et peu coûteux dont la spécificité est excellente. Parmi les examens biologiques, le dosage des immunoglobulines (Ig) E sériques spécifiques est utile lorsqu’il existe des discordances entre l’histoire clinique et les tests cutanés, lorsque ceux-ci sont irréalisables (ce qui reste exceptionnel) ou lorsqu’une désensibilisation spécifique est indiquée. En revanche, ce dosage est inutile si les tests cutanés sont négatifs et la clinique peu évocatrice. Le dosage des IgE spécifiques utilisant les allergènes recombinants peut être utile dans certaine situation, notamment pour l’interprétation des sensibilisations cutanées concomitantes et des réactions croisées. La place des tests de dépistage du terrain atopique représentés par les tests multiallergéniques à réponse globale positive ou négative est encore mal définie. Ils sont surtout intéressants lorsque le praticien n’a pas la possibilité de réaliser (ou de faire réaliser) rapidement des tests cutanés. Les autres tests du terrain atopique, comme la recherche d’une élévation des IgE totales ou d’une hyperéosinophilie sanguine, ont peu d’intérêt. Enfin les tests de provocation spécifiques sont rarement nécessaires au diagnostic allergologique en pratique courante. Néanmoins, ils s’avèrent utiles dans des situations cliniques complexes ou dans des circonstances particulières, notamment en pathologie allergique professionnelle. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Asthme ; Allergie respiratoire ; Enquête allergologique ; Tests cutanés ; IgE spécifiques Plan ¶ Introduction 1 ¶ Moyens du diagnostic allergologique Anamnèse Identification du terrain atopique Identification de l’allergène en cause 1 1 2 2 ¶ Conclusion 4 ■ Introduction Les relations entre asthme et allergie sont complexes, l’allergie étant à la fois un facteur prédisposant à la survenue de l’asthme et un facteur aggravant de la maladie. Ces relations sont suffisamment fortes pour justifier, d’après les recommandations récentes de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) [1], de « faire une enquête allergologique chez tout asthmatique âgé de plus de 3 ans » (recommandations de grade A). En pathologie respiratoire allergique, la démarche diagnostique comporte deux grandes étapes le plus souvent étroitement intriquées : la détermination de l’origine allergique des symptômes et l’identification du ou des allergènes responsables. Cette démarche a pour objectif de permettre d’améliorer la prise en charge de la maladie en proposant, lorsque cela est possible, une éviction du ou des allergènes en cause et/ou un traitement spécifique antiallergique au premier rang duquel la désensibilisation (ou immunothérapie spécifique). Par ailleurs, le diagnostic allergologique a bénéficié, ces dernières années, de progrès importants liés à une meilleure caractérisation à l’échelon moléculaire des allergènes impliqués en pathologie respiratoire allergique. Néanmoins, en pratique, l’interrogatoire, l’examen clinique et les tests cutanés qui ont bénéficié d’efforts de standardisation aussi bien dans le domaine de leur réalisation technique que dans celui de la qualité des extraits allergéniques, demeurent les éléments initiaux indispensables et bien souvent suffisants au diagnostic d’allergie. Dans les lignes qui suivent, nous nous attachons à détailler les différentes composantes cliniques et paracliniques de cette démarche diagnostique et leur intérêt respectif afin de proposer, en synthèse, une hiérarchisation logique. ■ Moyens du diagnostic allergologique Anamnèse L’anamnèse recherche les éléments en faveur du diagnostic d’allergie par un entretien qui précise l’environnement, le mode de vie habituel (y compris professionnel) et occasionnel du patient, les circonstances d’apparition des symptômes, leur caractère saisonnier éventuel et les antécédents personnels et Pneumologie © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984) 1 6-039-A-41 ¶ Explorations allergologiques de l’asthme familiaux d’atopie. On considère comme antécédents atopiques uniquement les manifestations à type de rhinite, d’asthme ou d’eczéma dans la fratrie et chez les parents. Le risque allergique est évalué à 20-40 % si l’un des parents est allergique, 40-60 % si les deux parents sont allergiques, 50-80 % si les deux parents sont atteints de la même symptomatologie allergique, contre 5-15 % si aucun membre de la famille n’est atteint [2]. L’enquête sur l’environnement domestique doit faire préciser l’existence d’un tabagisme actif et/ou passif, le type de literie, la présence de moquette, d’animaux domestiques, voire d’autres allergènes comme les blattes ou les moisissures. L’analyse des circonstances déclenchantes et de la chronologie des manifestations est également importante. Bien évidemment, l’interrogatoire ne doit pas négliger l’environnement professionnel source particulièrement importante d’exposition à des agents asthmogènes variés [3]. À l’issue d’un interrogatoire bien mené, on doit pouvoir affirmer ou soupçonner fortement la responsabilité d’un ou plusieurs allergènes dans les deux tiers des cas [4]. L’utilisation d’un questionnaire standardisé pourrait permettre de dépister et de définir dans 93 à 97 % des cas les patients à risque d’être sensibilisés [5]. Tableau 1. Exemples de tests multiallergéniques. Identification du terrain atopique Ig : immunoglobulines. IgE explorées Tests Pneumallergènes Trophallergènes ® non précisés 0 Alatop® 12 0 Litatop® 11 3 AllergyScreen® 20 0 Vidas® Stallertest 10 0 Rast Fx5® 0 6 Trophatop® 0 variable Tests à réponse spécifique qualitative Kallestad® variable 0 Tests à réponse spécifique semiquantitative Matrix® Tests à réponse globale Phadiatop 14 0 30 Cla30® pneumallergènes 0 Cla30® trophallergènes 0 30 Cla30® mixtes 19 11 Hyperéosinophilie L’hyperéosinophilie sanguine est définie par un nombre absolu d’éosinophiles circulants supérieur à 400 éléments par mm3. Elle peut être masquée par une infection ou par la prise de corticoïdes. En fait, l’hyperéosinophilie ne devrait plus être considérée comme un critère d’atopie. En effet, elle est loin d’être spécifique de l’état atopique et relève parfois d’autres étiologies : générales (maladies de système), parasitaires, médicamenteuses [6]. Dans l’asthme, la présence d’une hyperéosinophilie ne permet pas de différencier le caractère allergique ou non allergique de la maladie [7]. La recherche d’une hyperéosinophilie chez l’asthmatique n’a donc pas de place dans le cadre du bilan allergologique. Une hyperéosinophilie, parfois considérable (> 1 500 éléments/mm3) peut, en revanche, être présente dans deux situations fréquemment associées à l’asthme, l’aspergillose bronchopulmonaire allergique et la vascularite de Churg et Strauss, mais la rareté de ces affections ne justifie pas la recherche en première intention d’une hyperéosinophilie chez l’asthmatique [1]. Immunoglobulines E (IgE) sériques totales Le dosage des IgE sériques totales impose, du fait de la faible concentration sérique de ces anticorps, des tests immunologiques sensibles. Chez l’adulte, la limite supérieure de la normale est généralement fixée à 150 UI/ml. Néanmoins, il n’existe pas de seuil permettant de détecter une réponse allergique de manière sensible et spécifique [8]. La concentration des IgE totales est en zone normale chez 20 à 30 % des patients ayant une allergie documentée ; à l’inverse, elle peut être élevée dans diverses circonstances, non liée à l’atopie comme le tabagisme ou les parasitoses. En pratique, en allergologie respiratoire, le dosage des IgE totales ne paraît utile que dans quelques circonstances cliniques particulières : • chez le petit nourrisson siffleur où il peut être considéré comme un des facteurs prédictifs de l’apparition ultérieure d’un asthme [9] ; • en cas d’eczéma atopique sévère associé aux manifestations respiratoires car, chez ces patients, les tests cutanés sont souvent irréalisables et il est nécessaire de connaître la concentration sérique des IgE totales (parfois très élevée) avant d’interpréter le dosage des IgE spécifiques. Une concentration élevée d’IgE totale sérique (en pratique supérieure à 300 UI/ml) peut, en effet, être à l’origine de faux positifs lors du dosage sanguin des IgE spécifiques (cf. paragraphe IgE spécifiques) ; • dans le cadre très particulier de l’aspergillose bronchopulmonaire allergique où l’élévation du taux des IgE totales au-delà de 2 000 UI/ml représente l’un des cinq critères majeurs du diagnostic de l’affection [10] ; • enfin, lorsqu’on envisage de mettre en place, chez un asthmatique sévère, un traitement par anticorps monoclonal anti-IgE (omalizumab), ce traitement ne pouvant être utilisé, selon les critères de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), que lorsque la concentration sérique d’IgE totales est comprise entre 30 et 700 UI/ml. Tests multiallergéniques (TMA) Les TMA de dépistage (Tableau 1) correspondent à des techniques de dosage recherchant des IgE sériques dirigées contre différents allergènes fixés sur un même support [11-14]. Le premier TMA commercialisé en 1986 a été le Phadiatop®. La réponse de ces tests est globale, qualitative, c’est-à-dire positive ou négative et ne permet donc pas d’identifier quel(s) allergène(s) du mélange est (sont) responsable(s) d’un éventuel signal positif. D’autres sont à réponse globale semi-quantitative de 0 à 4, mais ne permettent pas d’incriminer un allergène précis comme le Stallerscreen ® . Enfin, certains TMA précisent la spécificité des IgE décelées, par exemple, Alatop®, Litatop® et AllergyScreen, Mast Cla®. Les limites de ces multitests sont celles de leur composition. Certains allergènes comme les blattes ou des pollens régionaux peuvent ne pas y figurer, ce qui altère la valeur prédictive négative du test. Cependant, la spécificité et la sensibilité des TMA pour le dépistage global de l’allergie sont de l’ordre de 75 à 90 %, donc supérieures à celles du dosage des IgE totales [15]. Ainsi, pour le Phadiatop®, la concordance avec les tests cutanés est de 95 % et la concordance avec les IgE spécifiques est de 91 % [13]. En combinaison avec l’interrogatoire, la sensibilité des TMA atteint parfois 100 % [12]. Il existe également des TMA aux trophallergènes (Rast Fx5 ® et les différents Trophatop®). Leur intérêt dans le domaine de l’allergie respiratoire n’a pas été évalué. Les TMA offrent la possibilité à un médecin n’ayant pas de compétence particulière en allergologie, de confirmer la présomption d’étiologie allergique mise en évidence à l’interrogatoire lorsque la réalisation de tests cutanés n’est pas possible en première intention. En cas de positivité, l’enquête allergologique doit être poursuivie. Identification de l’allergène en cause Tests cutanés Les tests cutanés recherchent la présence d’anticorps spécifiques d’un allergène au niveau des mastocytes cutanés. La fixation de l’allergène sur les IgE correspondantes induit une dégranulation mastocytaire et une libération d’histamine responsables, localement, d’une induration et d’un érythème. Le 2 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984) Pneumologie Explorations allergologiques de l’asthme ¶ 6-039-A-41 résultat d’un test cutané dépend de trois facteurs : la sensibilisation des mastocytes par des IgE spécifiques, les caractéristiques des mastocytes cutanés et la réponse de la peau aux médiateurs libérés par l’activation cellulaire. La technique la plus couramment utilisée est celle du prick-test. Elle consiste à piquer l’épiderme au travers d’une goutte d’un extrait allergénique préalablement déposée sur la peau en utilisant des aiguilles spéciales conçues pour pénétrer de quelques millimètres dans la couche superficielle de l’épiderme. Stallerpointe®, Allerbiopointe ® , Lancette DHS ® ou Aiguille Kendall ® sont les plus couramment utilisés. Les prick-tests sont de réalisation rapide. Indolores, ils sont sensibles et spécifiques [16]. Ils doivent être pratiqués en peau saine, sur la face antérieure de l’avant-bras ou éventuellement au niveau du dos (chez le petit enfant par exemple), en respectant une distance de 3 cm entre les tests. Il est nécessaire de s’assurer que la réactivité cutanée est préservée à l’aide d’un témoin positif. Le phosphate de codéine à 9 % et le chlorhydrate d’histamine à 10 mg/ml sont les plus utilisés en pratique. De nombreux médicaments sont susceptibles de diminuer la réactivité cutanée, antihistaminiques bien sûr, mais aussi neuroleptiques, antidépresseurs et barbituriques, antipaludéens de synthèse et immunosuppresseurs. Les corticoïdes n’auraient un effet sur la réactivité cutanée qu’en cas de prise prolongée [17]. Le délai de réalisation des tests par rapport à l’arrêt des antihistaminiques est variable en fonction de la molécule utilisée, de 2 à 4 jours pour les antihistaminiques les plus récents, jusqu’à 4 ou 5 semaines pour le kétotifène [16]. Un témoin négatif, le solvant de l’allergène, permet d’éliminer un dermographisme. Les tests cutanés ne sont pas réalisés si le contrôle positif est inférieur à 2 mm, ou si le témoin négatif est supérieur à 1 mm [18] . Le jeune âge n’est pas une contreindication à la réalisation des tests cutanés. La peau du nourrisson est réactive à la codéine dans les deux tiers des cas avant 11 jours et dans 90 % des cas à 3 mois [19]. Les tests cutanés sont pratiqués, dans la même séance, vis-àvis d’un nombre variable d’allergènes. Le choix des allergènes à tester dépend de l’orientation clinique, du lieu d’habitation (saison pollinique) mais aussi de l’âge. Avant l’âge de 3 ans, la batterie usuelle comporte des pneumallergènes, acariens pyroglyphides, Alternaria, épithélium de chat, mais aussi des trophallergènes, lait de vache, œuf, et arachide. Au-delà, il est utile de tester, en première intention, d’autres aéroallergènes du milieu domestique comme les épithéliums de chien et de chat, la blatte germanique et de l’environnement pollinique, dactyle, phléole. Les tests aux trophallergènes, beaucoup moins souvent impliqués en allergologie respiratoire chez le grand enfant et l’adulte, ne sont réalisés qu’en cas de suspicion clinique. D’autres allergènes peuvent être testés en fonction de l’histoire clinique. Ainsi, en cas de manifestations saisonnières, les tests cutanés doivent tenir compte des particularités polliniques régionales [20]. La réglementation concernant la production et la commercialisation des extraits allergéniques utilisables pour le diagnostic et le traitement des maladies allergiques a fait l’objet d’un décret (n° 2004-188 du 23 février 2004). Celui-ci a conduit l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) à autoriser la production par les deux principaux laboratoires commercialisant ces extraits en France, d’une liste limitative d’allergènes consultables sur le site internet de l’agence (http//agmed.santé.gouv.fr). Les critères de positivité des tests cutanés dépendent de la taille du témoin positif. On considère, en général, que le test est positif lorsque le diamètre de la papule, lue à la 15e minute, est supérieur à 3 mm, et supérieur à 50 % du témoin positif [16, 21]. La réactivité cutanée est inférieure chez le jeune enfant à ce qu’elle est chez l’enfant plus grand [22]. La saison influence également les résultats ; la papule des tests cutanés aux pollens de graminées et d’arbres est augmentée en saison pollinique. Les tests cutanés peuvent exceptionnellement provoquer une réaction syndromique. Ceci impose d’avoir à proximité une trousse d’urgence comportant des antihistaminiques, des corticoïdes, de l’adrénaline injectable et des bêtamimétiques en aérosol, d’autant que ces réactions pourraient être plus fréquentes chez les asthmatiques. Les tests cutanés s’accompagnent d’une réaction retardée, à la 6-8e heure, caractérisée par un érythème, une induration, un œdème et des dysesthésies qui se développent au point d’injection. Elle est liée au recrutement de cellules de l’inflammation, en particulier d’éosinophiles, sous l’influence de différentes cytokines et chémokines libérées après l’activation mastocytaire initiale [23]. En pratique, elle n’apporte pas d’élément supplémentaire au diagnostic allergologique. La positivité des prick-tests cutanés (ainsi que des IgE spécifiques) traduit une sensibilisation et définit l’existence d’un terrain atopique. Elle doit toujours être confrontée à l’histoire clinique car 10 à 20 % des sujets ayant des tests positifs n’ont pas de symptômes cliniques [15]. La technique de l’intradermoréaction (IDR), moins utilisée à présent, expose davantage à des réactions systémiques. Elle présente l’avantage de permettre la détermination d’un seuil de réactivité cutanée en utilisant des concentrations croissantes d’allergènes. L’IDR est surtout utilisée pour certains allergènes comme les venins d’hyménoptères ou les médicaments ; elle est le plus souvent inutile dans le bilan allergologique d’un asthme. Les tests à lecture retardée (patch-tests) ne sont pas utilisés dans le diagnostic des allergies respiratoires. Dosages des immunoglobulines E spécifiques Le dosage des IgE sériques spécifiques est un complément parfois utile au diagnostic de l’allergie. Ces tests nécessitent la fixation préalable de l’allergène sur un support solide, puis l’incubation de l’allergène fixé avec le sérum à étudier, et enfin la révélation de l’éventuelle fixation des IgE sur la phase solide par un anticorps anti-IgE marqué par une enzyme (la bêtagalactosidase, la peroxydase ou la phosphatase alcaline) ou plus rarement par un isotope radioactif (iode 125). Les résultats sont exprimés en UI/ml [24]. L’interprétation n’est pas toujours aisée, en particulier pour les taux faibles. Un résultat supérieur à 0,35 UI au phadebas radio allergo sorbent test (RAST) unit (PRU) est habituellement considéré comme significatif. Certaines variables peuvent modifier les résultats comme un taux élevé d’IgG spécifiques, la qualité de l’extrait allergénique ou une réactivité croisée entre les déterminants antigéniques [16]. Des faux positifs sont possibles pour des valeurs d’IgE totales supérieures à 3 000 UI/ml [16]. La sensibilité du dosage des IgE spécifiques varie selon les études de 70 à 90 %. Néanmoins, les tests in vitro de « dernière génération » apportent des résultats fiables pour les aéroallergènes dans toutes les situations cliniques ; dans certaines études, ils apparaissent mieux corrélés avec l’histoire clinique que les tests cutanés qui seraient donc plus sensibles mais moins spécifiques [25-28]. Alors que le dosage des IgE spécifiques effectué avec les extraits allergéniques classiques permet d’évaluer les réactivités entre les IgE du patient et l’ensemble des différentes protéines allergéniques présentes dans l’extrait, le dosage des IgE spécifiques peut aussi être effectué vis-à-vis d’un allergène purifié. La protéine allergisante purifiée est obtenue, soit par des techniques d’extraction performantes à partir de l’extrait natif, soit par production de protéines recombinantes à partir de différents systèmes cellulaires amplificateurs (Escherichia coli notamment). En effet, les progrès dans la biotechnologie appliqués aux extraits allergéniques ont permis l’identification et le séquençage de nombreux allergènes, ainsi que leur production par génie génétique et à grande échelle (allergènes dits « recombinants »). Ceci ouvre de nouvelles perspectives pour le diagnostic allergique, et a notamment permis de progresser dans la compréhension des mécanismes des allergies croisées entre des espèces phylogénétiquement éloignées. Ainsi, il a été mis en évidence, entre de nombreux extraits allergéniques d’espèces différentes, l’existence de protéines communes ayant d’importantes homologies structurales, et parfois fonctionnelles, responsables de réactions croisées immunologiques. Dans le cadre d’une enquête allergologique, cette technique de dosage des IgE spécifiques peut s’avérer utile pour l’interprétation de sensibilisations cutanées concomitantes chez un même patient à certains pollens d’arbres, de graminées ou d’herbacées en permettant la différenciation entre sensibilisation et allergie. Elle s’avère également utile pour la compréhension des réactions Pneumologie © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984) 3 6-039-A-41 ¶ Explorations allergologiques de l’asthme croisées entre allergène pollinique et allergène alimentaire. Par exemple, la mise en évidence d’IgE spécifiques vis-à-vis de la profiline Bet v 2 (un allergène mineur du bouleau) peut expliquer la présence de tests cutanés positifs à la fois pour le pollen de bouleau, et pour les pollens de graminées ou des arbres de la famille des oléacées [29]. Dans ce cas, il s’agit de multiples sensibilisations cutanées secondaires à une sensibilisation à un panallergène : la profiline, le plus souvent sans relevance clinique. Les indications du dosage des IgE spécifiques dans le diagnostic et le suivi des maladies allergiques ont fait l’objet de recommandations de la Haute autorité de santé [30]. Le dosage est indiqué en cas de discordance entre les manifestations cliniques et les résultats des tests cutanés. Il est également indiqué d’emblée en cas d’impossibilité de réaliser des tests cutanés (traitement antihistaminique en cours et/ou dermatose étendue évolutive), ou lorsque les tests cutanés sont ininterprétables (dermographisme, aréactivité cutanée). Ce dosage est également recommandé en complément des tests cutanés lorsqu’une immunothérapie spécifique est envisagée. Autres dosages biologiques Il est possible de doser dans le sérum des médiateurs mastocytaires libérés au cours des réactions IgE médiées, comme l’histamine, la tryptase sérique, la méthylhistamine urinaire. Ces dosages ont surtout été utilisés pour préciser le mécanisme pathogénique de certaines réactions cliniques comme le choc anaphylactique [31]. Leur intérêt en allergologie respiratoire apparaît pour le moins limité [32]. Le taux sérique de la protéine cationique de l’éosinophile (ECP) peut être mesuré par technique radio-immunologique sous réserve de conditions strictes de prélèvement et de transport [32]. En allergologie respiratoire, la baisse du taux sérique de l’ECP pourrait servir d’indicateur d’une éviction allergénique correcte et de l’efficacité du traitement de l’asthme en reflétant la diminution de l’inflammation des voies aériennes [33]. La mesure de l’histaminolibération des cellules au contact de l’antigène ou la mesure de la dégranulation des basophiles par cytométrie de flux sont réservées à des centres spécialisés en raison de leur complexité technique et de leur coût élevé. Elles sont généralement moins sensibles et moins spécifiques pour la recherche d’une sensibilisation que les tests cutanés ou le dosage des IgE spécifiques [34]. Ces techniques apparaissent surtout utiles pour détecter une sensibilisation vis-à-vis de substances pour lesquelles les autres tests ne sont pas réalisables (allergènes rares ou non commercialisés) par exemple au cours de certaines allergies médicamenteuses. Ces dosages ont un intérêt limité en pratique quotidienne. Ils sont, à l’heure actuelle, surtout utilisés en recherche et le plus souvent dans des indications qui ne concernent pas l’allergie respiratoire. Tests de provocation spécifiques Ils visent à déclencher une réaction allergique au niveau de la muqueuse respiratoire par exposition de celle-ci à l’allergène suspecté. Les tests de provocation bronchiques constituaient autrefois une des clés du diagnostic allergologique [35-37] mais leur place dans la démarche diagnostique a considérablement diminué après les années 1970 en raison des progrès effectués dans le domaine des tests cutanés et du dosage des IgE spécifiques. Ils restent toutefois utilisés en recherche clinique, que ce soit dans le domaine de l’exploration des mécanismes physiopathologiques de l’allergie des voies respiratoires ou pour des études pharmacodynamiques d’efficacité des thérapeutiques allergologiques. La réalisation des tests de provocation spécifiques impose le respect de certaines règles générales : arrêt de toutes les thérapeutiques antiallergiques et des bronchodilatateurs (pour les tests de provocation bronchique), absence d’épisode infectieux respiratoire récent, possibilité de disposer d’un matériel de réanimation, méthodologie précise permettant la reproductibilité et incluant systématiquement le test d’un placebo. Pour les tests bronchiques, un volume expiratoire maximal/seconde (VEMS) de base suffisant (en général supérieur ou égal à 70 % de la théorique) doit être exigé [38-40]. Une surveillance médicale prolongée sur plusieurs heures après la provocation est également nécessaire en raison de la fréquence des réactions bronchiques retardées [38-40]. Tests de provocation bronchiques L’allergène suspecté est généralement administré par aérosolisation à l’aide d’un nébulisateur permettant de contrôler la dose administrée. Plus rarement, on a recours à une exposition dite « réaliste » effectuée en cabine. Ce type de test est surtout utilisé en pathologie respiratoire allergique professionnelle lorsqu’on suspecte une hypersensibilité à des produits pour lesquels on ne dispose pas d’extrait permettant la réalisation d’un aérosol dosé. Elle est réservée aux centres disposant d’une cabine d’exposition isolée et ventilée vers l’extérieur. Les critères de positivité habituellement retenus sont, selon les équipes, une chute de 15 ou 20 % du VEMS (PD20 ou PD15) ou de 35 % de la conductance spécifique (PD35) [40]. Lorsque l’allergène est administré à dose croissante, la détermination de la dose-seuil peut être couplée à la mesure de la réactivité par l’établissement d’une courbe dose-réponse [40]. Tests de provocation nasaux La possibilité de déclencher une réaction allergique limitée aux voies aériennes supérieures, moins dangereuse et plus facile à contrôler que la réaction bronchique, et l’accessibilité de la cavité nasale expliquent l’intérêt porté, ces dernières années, à ce type de test. De nombreuses techniques ont été proposées dont la reproductibilité peut paraître discutable : visualisation par rhinoscopie antérieure des modifications de la muqueuse induites par l’allergène, établissement d’un score clinique, comptage des éternuements ou pesée des sécrétions, débitmétrie nasale [41]. Mais ces tests ont surtout bénéficié des progrès et de la standardisation de la rhinomanométrie [42, 43]. Le principe de cette technique consiste à mesurer les variations de la résistance nasale avant et après introduction de l’allergène. L’allergène peut être introduit de différentes manières (applications au contact de la muqueuse nasale, pulvérisations nasales de solutions allergéniques, aérosols). Cela rend nécessaire un protocole très strict afin d’éviter toute contamination bronchique par les solutions allergéniques. Les critères de positivité sont un doublement de la résistance nasale et l’existence de manifestations cliniques dose-dépendantes. Les tests de provocation sont toujours de réalisation longue. Ils ne permettent de tester qu’un seul allergène par séance. Ils doivent être réservés aux situations cliniques complexes où l’histoire clinique et les tests cutanés ne permettent pas d’identifier formellement le ou les allergènes en cause. Ils pourront donc être utilisés, par exemple, en cas de polysensibilisation pour déterminer le rôle respectif des différents allergènes ou, à l’inverse, en présence d’une forte présomption clinique de sensibilisation à un allergène non authentifiable par les méthodes habituelles. Cette dernière situation est particulièrement fréquente en pathologie professionnelle allergique [44]. ■ Conclusion L’enquête allergologique est un élément essentiel de la prise en charge d’un asthme. La voie principale du diagnostic allergologique reste celle qui va de l’anamnèse et de l’examen clinique aux tests cutanés, moyen simple, rapide et peu coûteux dont la spécificité est excellente. La rentabilité de cette première étape pourrait encore être renforcée, dans l’avenir, par le développement de tests simples de mesure de la charge allergénique de l’environnement. Ceux-ci sont pour l’instant limités à l’Acarex-test® et au Rapid test® pour les acariens domestiques [45, 46]. L’obtention d’une information directe par la visite des lieux de vie (domicile, travail, école) par un personnel spécialisé (conseiller médical en environnement intérieur) devrait également être plus souvent possible dans le futur [47]. Parmi les examens biologiques, le dosage des IgE sériques spécifiques est utile lorsqu’il existe des discordances entre l’histoire clinique et les tests cutanés, lorsque ceux-ci sont 4 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984) Pneumologie Explorations allergologiques de l’asthme ¶ 6-039-A-41 “ Points forts Recommandations de la Société de pneumologie de langue française sur asthme et allergie (d’après [1]) (NP : niveau de preuve, de 1 le plus fort à 4 le plus faible) • Recommandation 1. Il est recommandé d’interroger tout asthmatique sur son environnement domestique, extérieur et professionnel, et de rechercher un lien entre une exposition allergénique et la survenue de symptômes (NP1) (recommandation de grade A). • Recommandation 2. Il est recommandé de faire une enquête allergologique chez tout asthmatique âgé de plus de 3 ans (recommandation de grade A). • Recommandation 3. Il est recommandé de tester les pneumallergènes domestiques : acariens, chat, chien, les pollens d’arbres, de graminées, d’herbacées (armoise, ambroise, plantain), les moisissures les plus fréquemment impliquées (Aspergillus, Alternaria, Cladosporium). Les autres allergènes, dont les blattes, seront testés en fonction des données de l’interrogatoire et des particularités locorégionales (NP3) (recommandation de grade B). • Recommandation 4. La réalisation de prick-tests est recommandée en première intention dans le bilan allergologique (NP3) (recommandation de grade B). • Recommandation 5. Il est recommandé de pratiquer un prick-test avec un témoin négatif (avec le diluant qui sert à diluer les allergènes testés) et un témoin positif (recommandation de grade A). • Recommandation 6. Il est recommandé de retenir une positivité du prick-test à un allergène lorsque le diamètre de la papule est supérieur ou égal à 3 mm (témoin avec le diluant négatif) (recommandation de grade B). • Recommandation 7 Il est recommandé de confronter le résultat d’un prick-test à un allergène aux données de l’interrogatoire et de la clinique (recommandation de grade B). • Recommandation 8 Si la réalisation de prick-tests n’est pas possible en première intention, il est recommandé de réaliser un TMA. En cas de positivité, l’enquête allergologique doit être poursuivie (NP3) (recommandation de grade C). • Recommandation 9. Le dosage des IgE sériques totales n’est pas recommandé en pratique chez l’asthmatique, sauf dans deux situations cliniques : avant mise en place d’un traitement par anti-IgE, et lorsqu’une aspergillose bronchopulmonaire allergique est suspectée (NP3) (recommandation de grade A). • Recommandation 10. La répétition des dosages des IgE totales n’est pas recommandée dans le suivi d’un asthme allergique (recommandation de grade A), sauf lorsqu’un diagnostic d’aspergillose bronchopulmonaire allergique est posé (recommandation de grade C). • Recommandation 11. Il est recommandé de ne pas pratiquer le dosage des IgE sériques d’un pneumallergène en pratique courante en première intention (recommandation de grade A). Il est recommandé de pratiquer ce dosage en cas de discordance entre les manifestations cliniques et les résultats des prick-tests ou lorsque les prick-tests ne peuvent être réalisés ou interprétés (recommandation de grade B). • Recommandation 12. Il est recommandé de ne pas rechercher une hyperéosinophilie sérique en première intention chez un asthmatique (recommandation de grade B). irréalisables (ce qui reste exceptionnel) ou lorsqu’une désensibilisation spécifique est indiquée. En revanche, ce dosage est inutile si les tests cutanés sont négatifs et la clinique peu évocatrice. La place des tests de dépistage du terrain atopique représentés par les TMA à réponse globale positive ou négative est encore mal définie. Ils sont surtout intéressants en médecine générale lorsque la réalisation de tests cutanés n’est pas possible en première intention. Les autres tests de dépistage du terrain atopique, comme la recherche d’une élévation des IgE totales et du taux sanguin des éosinophiles, n’ont pas d’intérêt. Enfin les tests de provocation spécifiques sont rarement nécessaires au diagnostic allergologique en pratique courante. Néanmoins ils sont particulièrement utiles devant des situations cliniques complexes ou dans des circonstances particulières, notamment en pathologie allergique professionnelle. . ■ Références [1] [2] [3] Recommandations de la Société de pneumologie de langue française sur « Asthme et Allergie ». Rev Mal Respir 2007;24:7S3-7S67. Bousquet J, Kjellman NI. Predictive value of tests in childhood allergy. J Allergy Clin Immunol 1986;78:1019-22. Ameille J, Larbanois A, Decatha A, Vandenplas O. Épidémiologie et étiologies de l’asthme professionnel. Rev Mal Respir 2006;23:726-40. [4] Dutau G. Le terrain allergique : comment le dépister? Rev Prat 1988; 38:1341-5. [5] Murray AB, Milner RA. The accuracy of features in the clinical history for predicting atopic sensitization to airbone allergens in children. J Allergy Clin Immunol 1995;96:588-96. [6] Kroegel C, Warner JA, Virchow JC, Matthys H. Pulmonary immune cells in health and disease: the eosinophil leucocyte (Part II). 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Service de pneumologie et d’allergologie, Clinique des voies respiratoires, Centre hospitalier universitaire Rangueil-Larrey, 24, chemin de Pouvourville, 31059 Toulouse cedex 9, France. Toute référence à cet article doit porter la mention : Tetu L., Didier A. Explorations allergologiques de l’asthme. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Pneumologie, 6-039-A-41, 2009. Disponibles sur www.em-consulte.com Arbres décisionnels Iconographies supplémentaires Vidéos / Animations Documents légaux Information au patient 6 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984) Informations supplémentaires Autoévaluations Pneumologie Cet article comporte également le contenu multimédia suivant, accessible en ligne sur em-consulte.com et em-premium.com : 1 autoévaluation Cliquez ici © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 19/08/2016 par UNIVERSITE JOSEPH FOURIER Grenoble (29984)