4 - à la recherche d`une logique naturelle : les modèles explicatifs

4 - À LA RECHERCHE D'UNE LOGIQUE NATURELLE : LES MODÈLES
EXPLICATIFS
4.1 - Les diverses théories en vogue au XIXe siècle
4.1.1 - Le créationnisme
Cette doctrine postule la création de toutes choses par la volonté de Dieu. On
distingue le créationnisme fixiste lié principalement aux Églises réformées dont
certaines prônent une interprétation dogmatique et littérale de la Bible, et le
créationnisme non fixiste (voir « Le dualisme chrétien » ci-après) qui apporte des
aménagements aux textes bibliques.
Le créationnisme strictement fixiste
L'exposition des enjeux scientifiques et religieux du fixisme dogmatique sera
suivie de la présentation de la théologie naturelle de William PALEY, pour laquelle
l'ordre de la nature est la preuve éclatante de l'existence de Dieu.
- Le fixisme dogmatique
Considérer que Dieu est à l'origine de toutes choses est une thèse ancienne
soutenue par les religieux et les croyants, mais aussi par des scientifiques. Le
philosophe mathématicien allemand Gottfried Wilhelm LEIBNIZ (1646-1716), père du
calcul infinitésimal, a défendu l'idée de l'Échelle des êtres, la Scala naturae : le
classement de toutes les entités minérales ou biologiques, selon leur degré de
complexité, aboutit à la formation d'une série linéaire ininterrompue : « La nature ne
fait pas de saut », natura non facit saltum. Il pense également que tous les êtres
possibles ont été créés et coexistent entre eux sans qu'apparaissent des
incompatibilités particulières. L'idée de l'Échelle des êtres a été surtout débattue au
XVIIIe siècle ; le passage du minéral à l'organique, et du végétal à l'animal soulevait
des discussions enflammées. Dans le premier cas, la question concernait les
fossiles, les squelettes, les coquilles et les carapaces ; dans le deuxième cas, les
Éponges et les Coraux. Le naturaliste suisse Charles BONNET (1720-1793), qui a
découvert la parthénogenèse chez les Pucerons, et le Français Henri DUCROTAY de
BLAINVILLE (1777-1850) ont été, plus que LEIBNIZ, d’ardents partisans de cette
conception étagée et fixiste de la nature ; ils ne conçoivent également qu’une unique
création, décrite dans la Bible. L’Échelle des êtres représente une progression vers la
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perfection, la complexité croissante des êtres étant une preuve de l’existence de
Dieu, créateur des lois universelles, qui privilégie l’harmonie. L’Échelle des êtres ne
contient donc aucun postulat transformiste ou généalogique.
- La théologie naturelle
Dès 1691, dans Wisdom of God (La sagesses de Dieu), J. RAY établit déjà les
bases d’une théologie naturelle. Il pense que l’évidence de Dieu vient plus de
l’observation de la nature que de la divine révélation : la complexité du monde ne
peut être, en effet, que le produit d’une main et d’une intelligence supérieures et non
celui d’un simple hasard.
Au XVIIIe siècle, « siècle des Lumières », s'est produit l'essor de toutes les
disciplines scientifiques : mathématique, physique, chimie et sciences naturelles.
Après observation du vivant, les naturalistes ont été frappés des adaptations, parfois
stupéfiantes, des organismes à leur milieu. Un évêque anglais, William PALEY (1743-
1805), a utilisé cet aspect adaptatif et spectaculaire du monde organique pour
apporter « la preuve du christianisme ». Dans son ouvrage de 1802, Natural
Theology, or Evidence of the Existence and Attributes of the Deity collected from the
Appearances of Nature (« Les Évidences du christianisme »), il démontre l’existence
de Dieu par la perfection des lois naturelles et des adaptations biologiques.
W. PALEY voit une preuve de l’existence de Dieu, DARWIN verra l’effet de la sélection
naturelle. W. PALEY a influencé plusieurs générations, comme le souligne DARWIN dans
son Autobiographie : « Pour passer l'examen de bachelier, il était également nécessaire de
posséder les Évidences du christianisme de Paley, et sa Philosophie morale...La logique de ce
livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu'Euclide...
Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m'y fiant d'emblée, j'étais
charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. » (Autobiographie, Paris,
Belin, 1992, p. 44-45). Dans sa Théologie naturelle, W. PALEY prend d'abord l'exemple
d'une montre, dont toutes les pièces sont ajustées à une fin précise, la mesure du
temps, pour conclure que l'existence de la montre implique obligatoirement celle de
son auteur. Puis il prend l'exemple de l'œil humain, dont la comparaison avec un
télescope lui permet de valoriser l'étonnante adaptation de l'oeil à sa fonction ; il en
conclut que l'existence de l'œil implique celle de Dieu. Si l'on peut s'émerveiller des
adaptations de certains organismes à leur milieu (voir la section 3 2 2 : « Le
mimétisme »), on peut le faire également pour des organes aussi complexes que le
cœur et l'oreille interne... Comme on ne saurait concevoir que de tels organes soient
apparus spontanément, il est plus logique et plus simple d'admettre une création
divine. Personne ne nie l'existence d'un ingénieur à l'origine d'un objet aussi élaboré
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qu'une horloge : pourquoi nier alors celle d’un architecte divin ? C'est ainsi qu'au XIXe
siècle, l'argument du Plan divin a été systématiquement opposé à tout raisonnement
évolutionniste. Il semblait, en effet, irréfutable. Les évolutionnistes ne s'opposaient
pas a priori à l'idée d'une création divine. Ils n'étaient pas athées et matérialistes,
comme le laissaient volontiers entendre les religieux. Thomas Henry HUXLEY, partisan
de la première heure de DARWIN, admettait qu'une création divine était l'hypothèse la
plus plausible pour expliquer l'origine de la vie ; elle n'empêchait pas, par ailleurs, la
nature d'évoluer.
Par leurs dogmes religieux et leur anti-évolutionnisme, les Églises anglicanes et
réformées peut-être plus que les catholiques ont été un frein d'autant plus puissant à
la pensée novatrice des naturalistes qu'elle pouvait exercer une pression politique et
sociale sur les hommes et les institutions ; la séparation de l'Église et de l'État était
inexistante ou bien récente. Si l’église catholique admet, en effet, qu’un dialogue est
possible entre les religieux qui s’appuient sur les Écritures et les scientifiques qui
s’appuient sur leurs expériences et leurs observations, il n’en est pas toujours de
même avec les églises protestantes dont la pensée rigoriste prend parfois au pied de
la lettre les écrits bibliques et rejettent donc toute remise en cause.
- Le créationnisme militant
Alors qu’en France, la vision évolutionniste du monde semble tolérée
presqu’unanimenent, il est à noter une première tentative d’introduction des idées
créationnistes islamiques dans les collèges et les lycées français au début de l’année
2007. La plupart des établissements ont reçu un livre Atlas de la création écrit par un
Turc Harun YAHYA qui réfute tout au long de 770 pages toutes théories évolutionnistes
par des arguments simplistes, tronqués, faux et habituels (voir ci-dessous « le
raisonnement créationniste »). L’enseignement des théories évolutionnistes aux
États-Unis d’Amérique est freiné par une minorité active et bien structurée dont il
sera question dans les paragraphes suivants.
Les créationnistes ont acquis à leur cause de nombreuses personnalités, dont
les plus marquantes ont été deux présidents républicains : Ronald REAGAN et, plus
tard, George W. BUSH. Le premier n’a pas hésité à prendre parti en leur faveur lors de
sa campagne électorale de 1980 et à souhaiter l’enseignement de leurs thèses
concuremment avec celles de l’évolution. Le second, en août 2005, a soutenu le
créationnisme en affirmant que la théorie darwinienne et le « dessein intelligent »
sont une alternative à enseigner. Le médecin australien, Michael DENTON, gagné aux
thèses créationnistes, a écrit en 1985 L’évolution, une théorie en crise, qui a suscité
un tollé général des scientifiques.
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Voici retracées sommairement les différentes phases du conflit qui a opposé
les créationnistes américains aux institutions (États, écoles secondaires et
universités).
Première phase
Entre 1922 et 1929, les créationnistes ont mené une grande offensive qui a
porté ses fruits : 27 États ont préparé un projet de loi visant à interdire
l'enseignement de l'évolution. Dès 1923 d'ailleurs, la Floride et l'Oklahoma
possédaient déjà une telle loi. En mars 1925, l'État du Tennessee a déclaré illégal
dans une institution d'État l'enseignement d'une théorie qui nie l'histoire de la création
divine de l'Homme telle qu'elle figure dans la Bible.
En accord avec certains notables et avec l'appui de « l'Union américaine pour
les Libertés Civiles », un enseignant du lycée de Dayton, John Thomas SCOPES, se
laisse accuser d'avoir violé cette loi. Arrêté, il est inculpé en mai 1925. Son procès se
déroule du 10 au 21 juillet de la même année. Deux personnalités d'envergure sont
au centre du procès : le procureur Jennings BRYAN, trois fois candidat démocrate à la
présidence de États-Unis, ministre des Affaires étrangères sous Thomas WILSON et
créationniste convaincu, et Clarence DARROW, célèbre avocat américain et athée
reconnu. Le verdict du procès est une demi-victoire pour les évolutionnistes et
défenseurs de la liberté d'expression : J. SCOPES n’est condamné qu’à 100 $
d'amende. Mais le jugement est cassé deux ans plus tard. Les créationnistes
triomphent : à la suite de ce procès, l'émotion est telle dans tous les milieux religieux
et chez les simples croyants que, parfois, les auteurs de manuels scolaires n'osent
même plus mentionner l'évolution. La loi du Tennessee, avant d'être déclarée illégale
en 1970, restera en vigueur, bien que rarement appliquée ; neuf États bannissent
l'enseignement de l'évolution. C'est à partir de 1957 que les évolutionnistes
regagnent du terrain : l'ère de la conquête spatiale commence et les sciences se
débarrassent de leur odeur de soufre. Récemment encore, des lois concernant
l'évolution ont été votées : depuis 1969, les manuels californiens présentent
parallèlement les thèses évolutionnistes et créationnistes ; au Texas, les passages
trop évolutionnistes sont supprimés ; en 1981, l'Arkansas, suivi par la Louisiane, a
voté une loi qui impose l'enseignement du créationnisme, loi cassée en 1982.
Deuxième phase
En 1981, Kelly SEGRAVES, directeur du Creation Science Research, attaque l'État
de Californie. Il estime que les thèses évolutionnistes sont assimilables à une religion
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et que, par conséquent, leur enseignement est illégal. La constitution fédérale interdit
en effet, par son premier amendement, au gouvernement et à toute autre
administration de soutenir une opinion religieuse particulière. Le 6 mars 1981, à
Sacramento (Californie), le jugement, sans équivoque, est défavorable à K. SEGRAVES,
dont la plainte est rejetée. Malgré cet échec, les créationnistes sont satisfaits pour
deux raisons :
- La première, conséquence directe du procès, est la résurgence d'un texte tom
en désuétude, qui est alors diffusé dans toutes les écoles pour mettre en garde les
professeurs contre tout dogmatisme.
- La deuxième est la publicité faite à leur thèse avant, pendant et après le procès,
tout comme en 1925.
Les créationnistes visaient surtout la suppression de l'enseignement de
l'évolution. Ils ont agi en trois temps : tout d'abord, ils ont fait pression sur les
institutions. Puis, devant la réapparition des thèses évolutionnistes dans
l'enseignement, ils ont joué la carte de la légalité, d'où le procès de Sacramento en
1981. Enfin, après l'échec du procès, ils ont exigé des enseignants qu’ils consacrent
un temps égal de la création qu’à celui de l’évolution.
Fig. 4.1
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