L’économie de la biodiversité et des services écosystémiques Jean-Michel Salles CNRS, UMR LAMETA, Montpellier [email protected] Une multiplication d’initiatives internationales et nationales • En 2008, P. Dasgupta notait que la nature avait été mal traitée par l’analyse économique au 20ème siècle • Le Millenium Ecosystem Assessment (MEA, 2001-2005): – Les économie modernes dépendent toujours fortement d’écosystèmes de plus en plus souvent dégradés – Popularise la notion de services écosystémiques • The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB, 2007-2011) – “making nature’s values visible” to mainstream the values of biodiversity and ecosystem services into decision-making at all levels • L’IPBES « GIEC de la biodiversité » (créé en 2012) : – Organiser et renforcer les liens entre science et politique en matière de biodiversité – Identifier les besoins d’accord multilatéraux en matière de biodiversité 2 27/06/2016 Les bénéfices retirés des écosystèmes et leurs liens avec le bien-être humain La liberté de choix implique l’existence d’alternatives, avant tout techniques, mais aussi sociales, politiques, culturelles… 27/06/2016 Elle est aussi au coeur de l’approche économique de la valeur des SES 3 Les services écosystémiques une multiplicité de représentations des relations natures-sociétés Les catégories de services en fonction de la « naturalité » des écosystèmes 5 27/06/2016 Des écosystèmes à leur valeur économique (CICES, 2014) 6 27/06/2016 Que signifie l’évaluation économique ? • La notion économique de valeur : interpréter ou justifier des choix • Anthropocentrée : basée sur les intérêts des (seuls ?) humains • Instrumentale : pertinence des moyens pour atteindre une fin • Conséquentialiste : évaluation à l’aune des effets (≠ déontologique) Utilitariste : arithmétique des plaisirs et des peines • Subjective : chacun est le meilleur juge de ses préférences • Marginaliste : on ne mesure pas, on compare • L’évaluation et le marché • Les prix observés ne reflètent (généralement) pas des valeurs • L’évaluation comme préalable à la marchandisation : étude de marché • L’évaluation comme alternative au marché : éclairer les choix publics 7 27/06/2016 Vers une "valeur économique totale" des écosystèmes et de la biodiversité ? • Les biens et services liés à l’environnement naturel : – Des biens et services marchands dont il faut peut être corriger les prix – Des services non-marchands qu’il faut intégrer dans l’évaluation • Construire des indicateurs ayant la dimension de prix (comparer) • La valeur de l’environnement reflète l’ensemble des intérêts humains et sociaux qui lui sont liés • La notion de "valeur économique totale des actifs naturels" (VET) : un indicateur synthétique agrégeant l’ensemble des « raisons économiques » de conserver un « actif naturel » • Pourquoi les « agréger » ? – Parfois : pourquoi ne pas les agréger ? 8 27/06/2016 Les composantes de la VET • Des valeurs d’usage réel ou effectif – Usages directs : productifs, récréatifs, esthétiques, santé • usages de consommation directe (alimentation, énergie, plantes médicinales…) • usages productifs = ressources industrielle (pharmaceutique, énergie, matériaux…) • usages n’impliquant pas la consommation, comme les usages récréatifs ou esthétiques, le tourisme, les science et l’éducation. – Usages indirects : valoriser les fonctions écologiques = avantages liés à la demande dérivée pour le maintien d’écosystèmes qui fournissent des services contribuant au bien-être sans impliquer d’interaction directe (services contribuant à la productivité des agro-systèmes ; régulation des climats ; entretien de la fertilité des sols ; contrôle du ruissellement et des flux hydriques ; épuration des eaux ou de l’atmosphère... ) • Des valeurs d’usage potentiel – Valeur d’option statique (assurance face à incertitude sur les usages futurs) – Valeur d’option dynamique (meilleurs choix si amélioration de l’information) 9 27/06/2016 Les composantes de la VET (suite) • Des valeurs de non-usage ou d’usage passif parmi lesquelles on peut distinguer trois formes d’altruisme ou de sujets sur lesquels il s’exerce : – l’altruisme envers nos contemporains – l’altruisme envers nos descendants – l’altruisme envers les espèces non humaines 10 27/06/2016 La question de l’incommensurabilité est-elle grave ? 11 27/06/2016 Une pluralité de méthodes… parfois controversées 1. Les méthodes basées sur les coûts : 2. Les méthodes basées sur les préférences révélées : 3. Dépenses de prévention ou de protection Coûts de déplacement Prix hédonistes Les méthodes basées sur les préférences déclarées : 4. Monétarisation des dommages physiques Coûts de restauration ou de remplacement Effets sur la productivité Évaluations contingentes Analyses en choix discrets Les transferts de valeur Plutôt une fonction qu’une valeur moyenne Des bases de données (EVRI, Envalue, ESD…) De multiples précautions sont nécessaires 12 27/06/2016 Toutes ces méthodes rencontrent des limites fortes • • • Des limites informationnelles : • Les méthodes basées sur des coûts doivent être contraintes par des valeurs (la restauration d’un écosystème peut coûter 10 fois sa « valeur ») • Les méthodes basées sur des préférences révélées ne capturent généralement qu’une partie de la valeur Des biais systématiques : • Les méthodes basées sur des préférences révélées ne portent que sur certaines valeurs d’usage réel (récréatif, aménités esthétiques…) • Les méthodes basées sur des préférences déclarées peuvent aboutir à des mesures déformées (biais hypothétique, stratégique, d’inclusion…) L’évaluateur est confronté à un dilemme, choisir entre • des méthodes robustes sur un spectre limité (aux valeurs d’usage réel) ou discutable (la restauration ou le remplacement sont-ils toujours justifiés) • des approches à spectre plus large (toutes les valeurs sont potentiellement identifiables) ; mais peu robustes (basées sur des déclarations…) 13 27/06/2016 UK NEA (National Ecosystem Assessment) uknea.unep-wcmc.org/ • Question centrale : en quoi une meilleure prise en compte de la valeur des services écosystémiques conduirait à des usages différents des territoires • Un maillage serré du territoire UK : maille de 2x2 km (400 ha) • Des scénarios contrastés d’usage des territoires • La mobilisation d’un ensemble de valeurs de référence, issues de méthodes hétérogènes, … mais raisonnées L’Évaluation Française des Écosystèmes et Services Écosystémiques (EFESE) • • • Une initiative du Ministère de l’environnement : un « MEA français »… Cartographier les services retirés de l’ensemble des écosystèmes (surtout métropolitains) Six groupes de travail : – – – – – – • • Écosystèmes agricoles (INRA) Écosystèmes forestiers (ECOFOR) Milieux marins (IFREMER) Écosystèmes urbains (IAURIF…) Écosystèmes aquatiques et milieux humides (IRSTEA-BRGM) Haute montagne Accent mis sur la description bio-physique et les co-variances (synergies, antagonismes) Créer une base informationnelle pour permettre un suivi des évolutions et offrir des références pour les choix publics à toutes les échelles 16 27/06/2016 Evaluation économique des services écosystémiques : pour quoi faire ? • Pour intégrer les ES dans les comptes nationaux comme facteur de production ou comme service final (cf. CICES, EFESE) : – Donner une image plus juste (de l’économie) et permettre un suivi temporel – Construire ou alimenter des scénarios • Dans la comptabilité des entreprises : approche des « True costs » • Prendre pleinement en compte les impacts sur les écosystèmes et la biodiversité dans les décisions publiques et privées à tous les niveaux – Ex ante : Améliorer/compléter l’évaluation des projets (analyse coûts-avantages) • « on ne gère bien que ce qu’on mesure » (TEEB) – Ex post : mieux indemniser les « dommages écologiques » (?) – Dimensionner des instruments de politique, comme les PSE (?) – Argumenter , convaincre, éclairer les décisions,,, – A rien ? Si ce n’est communiquer sur l’importance des enjeux en les présentant sous une forme commensurable avec d’autres problèmes socio-économiques – Mieux gérer dans l’avenir les problèmes de rareté et les conflits d’usage 17 27/06/2016