Gestion durable des ressources naturelles – Biodiversité Tiphaine Leménager Problématique La relation dialectique qui caractérise l’articulation des problématiques de développement et celles de gestion durable des ressources naturelles peut paraître insolvable de prime abord : • Les ressources naturelles apparaissent d’un côté comme un pilier indispensable au développement et à la lutte contre la pauvreté. Comment penser et mettre en œuvre un développement sans eau, sans forêts, sans terres fertiles, sans vie marine et terrestre ? L'environnement fournit nos atouts matériels essentiels et une base économique pour les activités humaines. Presque la moitié des emplois mondiaux dépendent de la pêche, des forêts, ou de l'agriculture (PNUE, 2007, GOE4). • D’un autre côté, le constat est clair, ces ressources naturelles se dégradent : 60% des écosystèmes permettant la vie sur Terre ont été dégradés et continueront de se dégrader au cours des cinquante prochaines années. En conséquence, environ deux tiers des fonctions et services que la nature offre au bien être humain et nos économies sont en décroissance (MA, 2005). L’équilibre biologique qui rend les écosystèmes viables et productifs est fragile. Des changements en apparence insignifiants en un endroit peuvent avoir d’énormes conséquences, quoique imprévisibles dans une large mesure, en d’autres endroits (TEEB, 2008). C’est là toute la complexité définie par le concept de « biodiversité »1. D’un point de vue économique, ces pertes de services, souvent sans alternatives techniques connues, ont été récemment chiffrées. Elles représenteraient 2 à 4,5 trillions de $ par an, soit 3 à 8% des 70 trillions constituant le PIB mondial. Il est estimé que 80% de cette perte affectent directement la subsistance et la vie quotidienne des 3,2 milliards d’humains vivant avec moins de 2 $ par jour (TEEB 2009). • Enfin, dernier élément constitutif de cette dialectique, il est reconnu que cette dégradation préoccupante est en grande partie d’origine anthropique : 80% des surfaces terrestres sont affectées fortement, dans leur cycle biologique, par l’activité humaine (TEEB 2008, FAO 2005). Nos modèles de développement mettent à mal leurs propres fondations. L’empreinte écologique de l’humanité serait ainsi de 21,9 ha par personne, alors que la capacité biologique de la Terre n’est en moyenne que de 15,7 ha. Cette situation donne lieu depuis plus de 40 ans à des débats multiples. Certes il reste des incertitudes sur l’ampleur des dommages environnementaux actuels ou à venir et sur la teneur des mesures à prendre pour enrayer ces dommages. Néanmoins, les connaissances accumulées ont conduit l’ensemble de la communauté internationale œuvrant pour le développement à reconnaître l’importance d’agir pour préserver l’environnement afin d’assurer le succès de leur mission à long terme. 1 La définition généralement admise de la biodiversité est celle figurant dans Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CDB) signée à Rio en 1992 : « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ». La biodiversité peut donc se définir comme la diversité du vivant, c'est-à-dire des gènes, des espèces et des écosystèmes, ainsi que leurs interactions, au sein de chacun de ces niveaux fonctionnels, entre ces différents niveaux et avec les sociétés humaines. Ce consensus s’est traduit par de nombreux engagements internationaux et régionaux plus ou moins contraignants. Les bailleurs de fonds se sont emparés de ce challenge dès la fin des années 1960. Des stratégies ont été rédigées puis revues, des plans d’actions ont foisonné depuis l’échelle internationale jusqu’à l’échelle locale. L’AFD elle-même s’est positionnée en faveur de la préservation des ressources naturelles pour soutenir un développement durable. Le challenge reste néanmoins d’actualité. Le contexte évolue et pour répondre à cette dialectique, l’effort de recherche doit sans cesse s’adapter et se renouveler. Comment un bailleur de fonds tel que l’AFD peut-il promouvoir un développement sobre en ressources naturelles, un développement qui valorise ces ressources sans pour autant compromettre l’avenir de nos sociétés ? Pour parvenir à des réponses, il apparait nécessaire de refuser la fausse simplicité du concept de « développement durable » pour prendre à bras le corps les antagonismes qui caractérisent la relation développement-préservation des ressources naturelles. Il est nécessaire d’identifier et d’analyser les synergies qui existent également à son sujet afin de pouvoir les porter dans nos modèles de développement. Tel est l’enjeu du programme de recherche mené par l’AFD sur la gestion durable des ressources naturelles et encadré par Tiphaine Leménager au sein de la Division REC.