Mais comme le montre le cas du textile, cette situation est en train de changer. En effet, du fait de
l'entrée en janvier 2005 de la Chine dans l'OMC, le gouvernement des Etats-Unis a commandé une
large étude internationale sur les coûts salariaux comparatifs entre de très nombreux pays afin
d'évaluer son impact industriel et commercial. Les données de l'ITC américain de 2004 sur le coût
horaire moyen d'un salarié du textile portant sur plus de 40 Etats illustrent les énormes écarts
mondiaux de salaire à fonction et qualification égales : si un Japonais touche 22,76 $ de l'heure, un
Bengalis tombe à 0,25 $. Autrement dit, un salarié japonais équivaut à 91 emplois au Bangladesh, un
des pays les plus pauvres du monde.
Une fois établi le coût salarial horaire, d'autres questions géographiques d'importance se posent :
premièrement, qu'est ce que sont un coût salarial et un coût global de la main d'œuvre ?
Deuxièmement, le coût salarial direct est-il la seule composante du coût total de la main d'œuvre ? La
réponse à ces interrogations est essentielle pour comprendre la dynamique actuelle de cette nouvelle
DIT, les rapports nord/sud et les logiques spatiales des firmes textiles.
Dans les pays développés, le coût global de la main d'œuvre inclut en effet à la fois les rémunérations
directes (salaires bruts, congés payés, primes…), les cotisations sociales (retraites et assurance santé)
et les charges fiscales liées au salaire. On peut sans doute affirmer que globalement ces firmes mettent
en concurrence non seulement les salariés textiles entre eux sur la base du salaire versé directement
mais tout autant les structures sociales et les territoires concernés à travers la question de la protection
sociale. Ainsi, si la Suède - du fait de l'adoption dès les années 1930 d'un système de protection de
qualité - consacre 34,7 % de son PNB aux dépenses de sécurités sociales (santé, retraites) et si les
dépenses de sécurité sociale des pays de l'OCDE ont presque doublé de 1960 à 1990, celles-ci sont
quasi-inexistantes dans de nombreux pays du sud et marginales dans d'autres : la protection sociale ne
couvre ainsi que 8 % de la population active indienne (Thaïlande : 10 %, Chine : 18 %).
Ceci est un facteur fondamental du différentiel de coût salarial. La mise en réseaux du monde par Nike
repose donc fondamentalement sur l'interconnexion concurrentielle des territoires et des relations
sociales et salariales des pays du monde. Cette mise en réseaux n'abolit donc ni le temps, ni l'espace.
Bien au contraire, elle plonge ses racines dans les territoires.
Ainsi, face à cette insécurité sociale généralisée dans les pays du Sud qui se conjugue à de faibles
coûts salariaux directs, la structure familiale joue - en général et quand elle le peut - un rôle majeur
dans le cadre de solidarité intergénérationnelle (absence de retraite, de prise en charge sociale du coût
des soins médicaux…). Les enfants prennent en charge et accueillent sous leurs toits leurs parents âgés
ou malades. Le rôle économique et symbolique le plus souvent dévolu au fils explique, en partie, dans
certains pays comme la Chine ou l'Inde les nombreux infanticides ou avortements des embryons ou
petits enfants de sexes féminins.
Alors que l'économie mondiale n'a jamais produit autant de richesses, l'objectif est-il de supprimer
congés payés, retraites et assurance santé aux salariés en disposant déjà ou d'étendre progressivement
ce dispositif à l'ensemble du monde ? Nous sommes là face à un véritable débat de civilisation qui
dépasse la seule question du salaire direct.
1.4. LES LIMITES DU SYSTEME NIKE : UN SYSTEME FRAGILE RATTRAPE PAR LA GLOBALISATION
Mais le modèle économique de Nike demeure fragile car son succès repose fondamentalement sur le
prestige d'une marque et l'identification de millions d'adolescents au modèle proposé. Ceci suppose de
consacrer à la publicité des sommes colossales et de concéder des ponts d'or à l'élite du star-système
sportif pour se l'attacher.
Dans ce contexte, le moindre grain de sable peut s'avérer redoutable alors que la mondialisation
sauvage des activités textiles des décennies 1970-2000 est peu à peu remise en cause par les
campagnes des Organisations Non Gouvernementales et des syndicats.
Ainsi, la campagne lancée en 2000 par le magazine canadien Adbusters contre Nike porte sur les
conditions de travail de ses fournisseurs en Indonésie (60 000 salariés). Ce magazine, créé en 1989,
tire à 120 000 exemplaires, et constitue l'un des “bibles” du mouvement altermondialiste. A la suite de
cette campagne, Nike a reconnu publiquement en février 2001 les graves abus et les violences