Entretien avec Raphaël Poulain Raphaël Poulain était le joueur d’un rugby en voie de professionnalisation, d’abord au Stade français pendant 7 ans puis au Racing Métro 92, avant de mettre un terme à sa carrière en juin 2008. Souvent blessé, il a connu une vie remplie d’abus qu’il a dû accepter afin de pouvoir se reconstruire. Aujourd’hui, il se rend dans les clubs d’ovalie afin de transmettre son expérience et ainsi briser le mythe de Superman... La jeunesse est prévenue ! « Je mets en scène ma carrière, mes abus, mes faiblesses » Après son premier livre, Raphaël Poulain propose au centre de formation une intervention qui retrace son parcours avec l’ensemble de ses failles, ses émotions et ses réussites qui l’ont amené à vouloir monter sur scène. On lit souvent que vous n'étiez pas destiné à faire du rugby de haut niveau alors pourquoi un tel choix de carrière? Quand je suis arrivé à Paris, le rugby se découvrait pro, tout comme le Stade Français. En Picardie, on ne savait pas cela. Je voulais être comédien, je n'étais donc pas prédestiné à être rugbyman de haut niveau. En plus, j'avais beaucoup de mal avec l'autorité. Dans votre livre vous parlez de l'engrenage du sport de haut niveau : alcool, filles... Pourquoi êtes-vous tombé dedans ? Je ne suis pas tombé dedans, c'est un cliché. C'est Paris, c'est l'inconnu, personne ne prépare un gosse de 20 ans à devenir connu et ce n'est pas que dans le sport. J'étais une caricature de moi-même. On profite de tout ce qui s'offre à nous, mais je n'aurais pas dû le faire dans de telles proportions, ce n'était pas compatible avec le rugby de haut niveau. Quand tu es blessé, tu remplaces par autre chose, moi c'était surtout l'alcool. Sur le coup c'est violent, je montre ce côté sombre, c'est comme ça que l'on se forme. Le fait d'être souvent blessé me faisait me sentir comme n'appartenant pas à l’équipe alors que Galthié (à l’époque entraîneur du Stade français) disait que j'étais un bon mec pour le groupe. Je me sentais redevable inconsciemment par rapport au club, je voulais être le plus connu de l'entraîneur donc j'allais faire la promotion pour les calendriers... C'était de la culpabilité, de la mauvaise motivation. Pour plaire à l'entraîneur, je faisais aussi plus de musculation, ce qui a entraîné des blessures. Je n'écoutais même plus mes parents. D’où l’intérêt d’avoir un psychologue dans les clubs et les centres de formation ? A cette époque, il n'y avait pas de soutien psychologique. Le psychologue enlève de la puissance, du pouvoir à l'entraîneur. Au rugby, il s'agit d'une hiérarchie de pouvoir, pas de compétence. En plus, on touche à l'égo, à la créativité, à la sensibilité, à l’imaginaire, tout cela est beaucoup trop féminin pour le milieu du rugby. Il est donc important d’humaniser les joueurs alors que les médias cherchent la forme et non le fond : le consommable. Vous parlez de burnout, c'est un terme très fort, comment cela se manifestait ? Les formations en psychologie et en philosophie m’ont permis de comprendre ce que je cherchais à travers la quête d'alcool : la reconnaissance. Il a fallu tout déstructurer pour que je puisse reconstruire. J’ai commencé une dépression le 30 juin 2008 avec l’envie de tout envoyer voler. Je n'ai jamais eu d'idée noire mais on devient fou, on ne trouve pas de réponse. J'avais peur de la normalité, j’évitais la vie sociale... Il faudrait un terme plus fort que le burnout. J'ai vécu des moments très durs et ma responsabilité est de les accepter. Est-ce que lors de votre parcours rugbystique vous faisiez déjà ce genre d'analyse sur vos émotions, ou est-ce que c'est grâce à vos diverses formations (préparateur mental, comédien, en philosophie et psychologie) ? Tout cela a commencé par de la philosophie au coin d’un bar avec un journaliste de l’Equipe. J'ai pris le temps de réfléchir sur l’ensemble de ma vie - 28 ans c’est peu et énormément à la fois. Par exemple, je comprends mon ancien statut de joueur pro en lien avec celui de Narcisse. Comme si j'avais dû mourir pour renaître plus humain. Au niveau de mon amour pour le rugby, j’ai éprouvé différents sentiments - avant 2008 j'étais dans ma période éros (le désir), je prenais tout - de 2008 à 2012 : philia (l’amitié) grâce à une remise en question qui m’a « J’ai vécu des moments très durs et ma permis de me rendre compte que j'étais acteur de ma vie. Et maintenant, je suis dans l’agapè (l’altruisme), je veux le responsabilité est de les accepter. » partager au théâtre avec les gamins... Je ne recherche pas la perfection, j’ai simplement la volonté de partager ! Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire le livre « Quand j’étais Superman » ? J’ai d’abord imaginé un scénario grâce à un livre de philosophie fin 2007, ça a été le début de la prise de conscience. Au départ, le bouquin faisait 700 pages puis on s’est contenté de le réduire à l’essence de chaque expérience. Après, libre à chacun de s’identifier ou non à une partie du bouquin. Après le rugby, la littérature. Et aujourd’hui vous revenez à la comédie, votre première passion ? Ma légitimité en tant que comédien m'a été offerte par Nicolas Diégo lorsqu’il m'a dit que j'avais du « Je suis dans une période de transition où les talent. Entre 2005 et 2008, je ne savais pas ce que je renvoyais physiquement. Pour moi, j'étais un enfant dans deux mondes : rugby et comédie se rencontrent. » un corps d'adulte. Je me suis donc retrouvé dans une équipe de jeunes avec pleins d'ondes positives, en étant moins dans l'excès. C'est de la confiance en soi que l'on gagne. En ce moment, je suis dans une période de transition où les deux mondes : rugby et comédie se rencontrent. Je sais où est ma kryptonite (cf. matériau imaginaire qui affecte Superman), je connais mes faiblesses... J'ai tout accepté ! Tout est là pour faire une belle carrière. Concrètement, vous êtes en train de créer un spectacle sur votre histoire ? Tout à fait ! Je veux faire du théâtre avec l’idée d’une pièce où un homme vit à Paris avec une femme qui le plaque parce qu’il est trop dans l’excès. Il quitte alors Paris pour se reconstruire avant d’y revenir. Pour l’instant, je propose surtout d’intervenir dans les clubs de rugby, les centres de formation, sous forme de one man show, même si je préfère dire « seul en scène ». Je préviens les jeunes de ce qui peut arriver. Actuellement, vous vous déplacez dans les clubs. Comment se passe votre intervention ? J’ai déjà fait une intervention à Castres, c’était énorme ! Il y avait 300 enfants, j’étais comme dans un état de flow, ça a duré 1h30. Ma volonté de voir les autres clubs part de là. Ce serait bien de le faire avec les joueurs pro. Le 9 janvier je serai au Pôle France de Marcoussis, je pense que cela vaut le coût pour les clubs de me recevoir. Dans l’avenir, vous allez donc vous concentrer sur ce projet ? Je pense en effet me centrer sur le sport avec les clubs de rugby de janvier à juillet et aller au-delà à partir de septembre 2013. J’aimerais ensuite trouver une salle dans un théâtre à Paris. La trame sera similaire mais la différence se fera sur les trente dernières minutes. Je veux que ce soit différent tous les soirs. Inconsciemment, ça fait 4 ans que j’y travaille. Mes objectifs pour l’instant sont donc les centres de formation et le théâtre. Propos recueillis par Aude Rault