Chimiothérapie du cancer du côlon, indications, effets secondaires Michel Ducreux1,2, Charles Ferté1,2, Valérie Boige1, Pascal Burtin1, Rita Bou-Farah1, Ludovic Doucet1, Elodie Mussat1, Stéphanie Morgant1, Sandra le Mener1, Monica Simion1, David Malka1 1 Service d’Oncologie Digestive, Département de Médecine, Gustave Roussy, 114 rue Edouard Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France 2 Faculté de Médecine, Université Paris-Sud, Le Kremlin Bicêtre, FRANCE Auteur pour la correspondance : Pr Michel Ducreux, Service d’Oncologie Digestive, Département de Médecine, Gustave Roussy, 114 rue Edouard Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France Adresse e-mail : [email protected] Tél : 0142116017, Fax : 0142115229 Assistante de secrétariat : Mme Caroline Capogrosso, Tel : 0142114308, adresse e-mail : [email protected] Introduction Il y a peu de domaines où l’évolution des traitements a été aussi rapide et efficient que dans le domaine de la chimiothérapie du cancer du côlon INDICATIONS Les progrès dans la chimiothérapie des formes métastasées La chimiothérapie du cancer du côlon a beaucoup progressé ces dernières années. Les publications de méta-analyses datant d’il y a une quinzaine d’années rapportaient une survie médiane de l’ordre de 12 mois. La première avancée thérapeutique a été marquée par l’optimisation des protocoles à base de 5FU donnant lieu au LV5FU2, combinant perfusion continue et bolus de 5-fluorouracile (5FU), véritable colonne vertébrale de la chimiothérapie des cancers du côlon. L’arrivée de deux molécules de chimiothérapie, l’oxaliplatine et l’irinotecan a fait nettement progressé ces résultats avec l’avènement des protocoles FOLFOX (LV5FU2 et oxaliplatine) et FOLFIRI (LV5FU2 et irinotecan). L’utilisation séquentielle de ces deux combinaisons de chimiothérapie dans un ordre ou l’autre a permis d’obtenir une médiane de survie de l’ordre de 21 mois (1) marquant déjà une progression très nette par rapport à l’époque de la monochimiothérapie. En parallèle, le développement de la capécitabine a permis de démontrer qu’il était possible dans la très grande majorité des situations de remplacer la molécule princeps 5FU par son équivalent orale aboutissant à l’avènement des protocoles Xelox (capécitabine et oxaliplatine) ou Xeliri (capécitabine et irinotecan). Certains patients peuvent ainsi recevoir des schémas de traitement qui n’imposent une venue en hôpital de jour que toutes les trois semaines et la prise dans l’intervalle de capécitabine deux semaines sur trois. Le pas majeur suivant provient de l’arrivée des thérapies ciblées dans le traitement des cancers colorectaux métastasés. Deux types de molécules se sont imposées, les inhibiteurs du récepteur à l’Epidermal Growth Factor (Anti-EGFR), qui ont d’abord montré une efficacité en combinaison avec la chimiothérapie en situation de recours puis plus tôt dans la maladie. Il existe deux molécules dans cette famille : le cetuximab et la panitumumab qui peuvent être associées au Folfiri et au Folfox permettant sous certaines conditions que nous reverrons d’améliorer significativement la survie globale des patients traités par rapport à la chimiothérapie seule. Dans le même temps, les anti-angiogéniques, inhibant la production de nouveaux vaisseaux dans l’environnement de la tumeur ont également fait la preuve de leur efficacité. Associés à la chimiothérapie ils permettent d’augmenter la survie sans progression et souvent la survie globale des patients ayant des métastases de cancer colorectal. Le principal représentant de cette classe thérapeutique est le bevacizumab anticorps anti-Vascular Endothelial Growth factor (VEGF), qui peut être associé à toutes les molécules de chimiothérapie. Plus récemment l’aflibercept, protéine de fusion constitué de morceaux d’immunoglobulines qui « leurre » le VEGF produit par la tumeur et destiné à entrainer une boucle d’autostimulation, a fait la preuve de son efficacité en combinaison avec le FOLFIRI en seconde ligne (voir infra). Enfin le regorafenib est une molécule multi-cibles mais essentiellement anti-angiogéniques qui a été développé en monothérapie chez des malades réfractaires. Grâce à ces nouvelles molécules il a ainsi été possible d’améliorer encore la médiane de survie globale des patients ayant un cancer colorectal métastasé qui est maintenant compris entre 25 et 30 mois. La combinaison des anti-angiogéniques et des anti-EGFR en plus de la chimiothérapie qui semblait a priori réalisable compte tenu d’un spectre de toxicité différent s’est révélée toxique et délétère. Les premiers résultats de l’affrontement chimiothérapie + anti- angiogéniques versus chimiothérapie + anti-EGFR sont plutôt en faveur de ces derniers mais des études complémentaires sont attendues cette année pour trancher ce débat complexe. La recherche autour de l’utilisation des anti-EGFR a en outre permis d’aller plus loin que la simple administration d’une molécule ciblée vers un mécanisme important de la prolifération cancéreuse. En effet il a été rapidement rapporté que certaines mutations (Kras, Nras) survenant sur la chaine de signalisation intracellulaire pouvaenit constituer un obstacle à l’efficacité des anti-EGFR. La mutation est en effet située à l’intérieur de la cellule cancéreuse de 50% des cancers du côlon et provoque une activation permanente inaccessible à un blocage du récepteur situé sur la surface de la cellule. Il a été possible de montrer que ces mutations (de Kras d’abord, puis de Nras) avaient une valeur prédictive négative de l’efficacité des anti-EGFR, c’est à dire qu’elles étaient capables de définir des patients qui ne bénéficiaient pas de ces traitements. En revanche nous sommes incapables à ce jour de prédire la réponse au traitement, il n’existe donc pas de facteur biologique ayant une valeur prédictive positive. Une autre mutation, la mutation Braf est souvent recherchée, mais elle n’a pas de valeur prédictive positive ou négative, mais une très forte valeur pronostique défavorable. L’intérêt de sa recherche en pratique clinique reste discutable en l’absence de traitement spécifique… Les indications dans les formes métastasées En allant du plus simple au plus compliqué il est possible de définir trois grandes situations dans la prise en charge des cancers colorectaux métastasés. La première de ces situations correspond à la présence de métastases aisément accessibles à une résection chirurgicale (en particulier métastases hépatiques). Dans ce cas, le traitement de référence reste la combinaison de la chimiothérapie dite « péri-opératoire » et de la chirurgie. Il n’y a aucune place pour les thérapies ciblées dans cette indication et c’est le protocole Folfox qui est le seul à avoir montré une efficacité dans ce contexte (2). Le traitement standard comporte donc 3 mois de Folfox suivis d’une chirurgie de résection suivis de trois nouveaux mois de Folfox. Lorsque les métastases sont plus difficilement accessibles à un traitement chirurgical mais qu’elles peuvent éventuellement bénéficier d’une chirurgie en cas de bonne réponse à la chimiothérapie, l’accent doit être mis sur l’efficacité des traitements médicaux initiaux. Cela ne concerne que 30% environ des patients présentant des métastases de cancer colorectal, mais il est possible d’offrir à ce sous-groupe de patients un espoir de guérison grâce à l’efficacité de traitements médicaux comportant soit une tri-chimiothérapie (FOLFIRINOX associant LV5FU2, oxaliplatine et irinotecan), soit une bi-chimiothérapie avec une thérapie ciblée. Si la tumeur n’a pas de mutation Ras (ou « Ras sauvage », cf ci-dessus), il est possible de choisir entre une chimiothérapie de type Folfox ou Folfiri associée à un anti-EGFR, ou la même chimiothérapie associée au bevacizumab. Si la tumeur est Ras mutée la seule option est une bi-chimiothérapie associée au bevacizumab. Lorsque la maladie n’est accessible à aucun traitement à but curatif, le but essentiel du traitement est de prolonger la survie en préservant la qualité de vie de patients qui vont malheureusement décéder de leur maladie. Il a ainsi été proposé de mettre en œuvre les agents de chimiothérapie séquentiellement (monochimiothérapie d’abord avec LV5FU2 ou capécitabine, puis Folfox ou Folfiri). Cette stratégie n’est cependant pas applicable en cas de tumeurs à forte croissance ou très étendue d’emblée avec un retentissement important sur l’état général, situations où il faut frapper vite et fort d’emblée et donc proposer une bichimiothérapie. Dans ces situations également la chimiothérapie doit être associée à une thérapie ciblée : anti-EGFR ou bevacizumab si tumeur Ras non mutée ou bevacizumab si tumeur mutée. Après échec d’un traitement dit de première ligne, il faut changer la chimiothérapie (passage du Folfox au Folfiri par exemple ou du Xeliri au Xelox avec la chimiothérapie orale). En ce qui concerne la thérapie ciblée associée, différentes options s’offrent en fonction du traitement initial. Soit le traitement a comporté du bevacizumab en première ligne et il y a trois options : poursuivre le bevacizumab, une étude ayant montré que le blocage continu de l’angiogenèse avait un effet sur la survie (3), en cas d’utilisation du Folfox en première ligne un passage au Folfiri-aflibercept ^peut être proposé, la dernière option étant l’introduction des anti-EGFR. Si le traitement a comporté d’emblée une bi-chimiothérapie et un anti-EGFR en cas de tumeur Ras non mutée, il faut changer la chimiothérapie et introduire en seconde ligne le bevacizumab. L’algorithme d’utilisation de ces différentes protocoles reste complexe et de nombreuses options sont possibles (4). En situation dite de recours, après échec des traitements à base de chimiothérapie combinée à des anti-EGFR ou du bevacizumab, seul le regorafenib peut être utilisé. Il a, dans cette indication, démontré une efficacité indiscutable (5). Les indications en chimiothérapie adjuvante La situation de la chimiothérapie adjuvante des cancers du côlon est moins complexe en ce qui concerne les cancers du côlon avec envahissement ganglionnaire (stade III de l’UICC). Le standard de traitement n’a pas changé depuis environ 15 ans, 6 mois de chimiothérapie par Folfox ou Xelox restent le traitement de référence. Pour les patients âgés et certaines contre-indications à l’oxaliplatine, il faut utiliser une monochimiothérapie et dans ce cas la capécitabine est le plus souvent choisie compte tenu de la démonstration de son efficacité en monothérapie. En l’absence d’envahissement ganglionnaire, la preuve de l’efficacité de la chimiothérapie n’est pas faite. La chimiothérapie par Folfox, Xelox ou capécitabine seule est réservée aux formes de plus mauvais pronostic (en particulier les tumeurs du côlon T4 avec envahissement des organes de voisinage). Les thérapies ciblées (anti-EGFR et antiangiogéniques) ont clairement démontré leur absence d’intérêt dans cette situation adjuvante. EFFETS SECONDAIRES Les principaux effets secondaires des molécules de chimiothérapie et thérapies ciblées utilisées dans le traitement des cancers du côlon sont résumés dans le tableau 1. Il faut retenir essentiellement qu’une bi-chimiothérapie de cancer du côlon a un niveau d’agressivité moyen en termes d’effets secondaires et que les thérapies ciblées ont des toxicités qu’il a fallu apprendre à gérer mais qui sont maintenant parfaitement connue. En outre, l’adjonction d’une thérapie ciblée à une chimiothérapie n’augmente pas la toxicité de celle-ci. CONCLUSION La chimiothérapie des cancers du côlon a tellement progressé ces dernières années qu’il est bien difficile de présenter synthétiquement les différentes indications des neuf molécules qui peuvent être utilisées. La multidisciplinarité a une place essentielle dans le choix du traitement permettant d’emblée d’évaluer la situation d’un patient donné dans une optique de stratégie globale. L’ESSENTIEL La chimiothérapie des cancers du côlon a beaucoup progressé ces dernières années Les traitements de référence associent le 5-fluorouracile à l’oxaliplatine ou l’irinotecan Le 5-fluorouracile put être remplacé par la capécitabine L’adjonction de thérapies ciblées (anti-angiogéniques ou anti-Epidermal Growth Factor) améliore les résultats de la chimiothérapie. La mutation Kras ou Nras entraine une stimulation intra-cellulaire qui empêche l’action des inhibiteurs de l’Epidermal Growth Factor, le cetuximab ou la panitumumab ne peuvent donc être utilisés qu’en cas de tumeur non mutée. Tableau 1: Principales toxicités des agents thérapeutiques utilisés dans le traitement du cancer du côlon Molécule 5-fluorouracile Capécitabine Irinotecan Oxaliplatine Bevacizumab Effet secondaire fréquent Mucite Diarrhée Syndrome main-pied Syndrome main-pîed +++ Inconfort digestif Diarrhée Syndrome cholinergique aigu Nausées Vomissements Diarrhée Alopécie (40%) Nausées, Vomissements Neuropathie au froid Neuropathie cumulative Sensation de spasme laryngé Thrombopénies Protéinurie Hypertension artérielle Aflibercept Protéinurie Hypertension artérielle Cetuximab Toxicité cutanée avec éruption acnéiforme Toxicité péri-unguéale au long cours (décollement, pseudo ongles incarnés) Hypertrophie des cils et sourcils Diarrhée Toxicité cutanée avec éruption acnéiforme Toxicité péri-unguéale au long cours (décollement, pseudo ongles incarnés) Hypertrophie des cils et sourcils Diarrhée Diarrhée Syndrome main-pied Panitumumab Regorafenib Effet secondaire rare Accident coronarien Toxicité hématologique Accident coronarien Toxicité hématologique Toxicité hématologique sévère en cas de déficit de glycuro-conjugaison (maladie de Gilbert) Neutropénies Allergie Perforation digestive (moins de 1% des cas) Hémorragie Thrombose artérielle ou veineuse Perforation digestive (moins de 1% des cas) Hémorragie Thrombose artérielle ou veineuse Allergie Allergie plus rare qu’avec le cetuximab Rash Asthénie REFERENCES 1. Tournigand C, Andre T, Achille E, et al.: FOLFIRI followed by FOLFOX6 or the reverse sequence in advanced colorectal cancer: a randomized GERCOR study. J Clin Oncol 22:229-237, 2004 2. Nordlinger B, Sorbye H, Glimelius B, et al.: Perioperative FOLFOX4 chemotherapy and surgery versus surgery alone for resectable liver metastases from colorectal cancer (EORTC 40983): long-term results of a randomised, controlled, phase 3 trial. Lancet Oncol 14:1208-1215, 2013 3. Bennouna J, Sastre J, Arnold D, et al.: Continuation of bevacizumab after first progression in metastatic colorectal cancer (ML18147): a randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 14:29-37, 2013 4. Thesaurus National de Cancérologie Digestive. Cancer du Côlon. www.tncd.org 5. Grothey A, Van CE, Sobrero A, et al.: Regorafenib monotherapy for previously treated metastatic colorectal cancer (CORRECT): an international, multicentre, randomised, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 381:303-312, 2013