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ÉNIGMES
4THÉORIE DU TOUT
EN DEUX MOTS
Depuis près d’un siècle, les physiciens cherchent une théorie
capable d’unifier la mécanique quantique et la relativité, et deler ainsi la nature
unique des quatre forces fondamentales. La théorie des cordes, souvent qualifiée de
« théorie ultime », est considérée aujourd’hui comme la meilleure candidate. Mais
des travaux récents suggèrent qu’elle ne serait pas le dernier mot de la physique.
M
A
T
I
È
R
E
3Léquation
ultime
pour la physique
Existe-t-elle cette « théorie du Tout » qui expli-
querait simplement l’ensemble des phénomènes
physiques ? De nombreux physiciens se sont en
tout cas attelés à son élaboration. À la fin du siè-
cle dernier, le développement de la théorie des
cordes laissait penser à certains qu’ils y parvien-
draient rapidement. Cétait sans compter avec la
complexité du monde.
siques connus ? Lidée est particulièrement audacieuse. Telle est
pourtant la quête dans laquelle se sont engagés des physiciens
depuis près dun siècle.
Compte tenu de la complexité du monde, ils sont peut-être trop
optimistes. Même si elle existe, on trouvera fort probablement
parmi ses conséquences des phénomènes secondaires complexes,
que l’on ne pourra pas prévoir de façon simple. De plus, en admet-
tant que les scientifiques parviennent à faire des prédictions à
42 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390
Les physiciens aiment les choses simples. Depuis près
d’un siècle, bon nombre dentre eux ont recherc
un cadre conceptuel unique qui permettrait dexpli-
quer simplement pourquoi notre Univers est tel qu’il
est, et pourquoi son contenu se comporte comme
nous l’observons. Cette quête, dont on ne sait si elle
sachèvera un jour, a permis d’améliorer considérablement notre
compréhension du monde, en particulier, depuis quelques années,
avec le veloppement de la théorie des cordes.
Une quête audacieuse
Existe-t-il une « théorie du Tout » ? Une théorie fondée sur un
petit nombre de paramètres reliés entre eux par une seule équa-
tion, qui permettrait de prédire lensemble des phénomènes phy-
L’UNIVERS SERAIT FORMÉ de cordes
infinitésimales repliées plusieurs fois
sur elles-mêmes, comme l’évoque
cette vue d’artiste.
Lisa Randall
partir de l’équation dune théorie ultime, celles-ci dépendraient
toujours de conditions initiales incertaines : comment tout a com-
mencé (lire « À la recherche du temps zéro », p. 30). Enfin, quand
bien même ils découvriraient une théorie dont la formulation
paraîtrait extrêmement simple, il est fort probable quil faudrait
lui ajouter des éléments pour ajuster ses prédictions aux grandeurs
mesurables de l’Univers.
Malgces réserves, et même si elle n’aboutit pas, la recherche
dune « torie du Tout » a une certaine utilité.
Elle peut dabord améliorer notre compréhension
de principes physiques fondamentaux. Elle pour-
rait aussi nous rapprocher dune théorie physique
plus nérale que celles dont nous disposons
aujourdhui, qui décrirait une plus grande diver-
sité de phénomènes. C’est déjà ce qui s’est produit
dans le pas.
Premiers pas vers lunification
La premre étape vers une « torie du Tout »
consisterait à unifier les quatre forces fondamen-
tales de la physique : la gravitation, l’électromagné-
tisme, et les deux forces nucléaires, faible et forte.
La gravitation et l’électromagtisme sont bien
connus : ces forces sont responsables respectivement
de la chute des corps et de la propagation de la
lumière, par exemple. Les deux autres nont é
identifiées et comprises quau XXe siècle. La force
faible intervient dans les interactions nucléaires qui
permettent au soleil de briller. La force forte per-
met quant à elle la cohésion des particules élémen-
taires au sein des noyaux atomiques.
À basse énergie*, les forces nucléaires se compor-
tent dune manière très différente des forces élec-
tromagnétiques et gravitationnelles. À cause de
cela, et du fait que les forces nucléaires étaient encore
inconnues il y a une centaine dannées, les premiè-
res tentatives dunification ne concernèrent dabord
que la gravité et lélectromagnétisme. En 1919, soit
cinq ans après quAlbert Einstein eut achevé sa théo-
rie de la relativité générale, qui est surtout une théo-
rie de la gravitation, le mathématicien allemand
Theodor Kaluza formula une théorie particulière-
ment intéressante [1].
Observant que la relativité générale reste valable si
lespace compte plus de dimensions que les trois
qui nous sont familières,
Kaluza proposa lexistence
dune quatrième dimen-
sion spatiale (quil ne faut
pas confondre avec le
temps, quatrième dimen-
sion de lespace-temps).
Grâce à cette dimension
supplémentaire, lélectro-
magnétisme apparaissait
au sein d’une théorie qui ne contenait au
départ que la gravitation. Les deux forces
résultaient des oscillations de la même
particule, le « graviton », censé transmet-
tre les interactions gravitationnelles. Dans
la direction des trois dimensions spatiales
ordinaires, ces oscillations produisaient
la gravité ; dans la direction de la
35
ÉNIGMES
4THÉORIE DU TOUT
Nº 390 | OCTOBRE 2005 | LA RECHERCHE 43
*Les conditions
de basse énergie
sont celles qui
règnent aujourd’hui
en moyenne dans
l’Univers,
par opposition
aux conditions
de haute énergie,
qui prévalaient juste
après le Big Bang,
et que l’on tente
de recréer dans
les accélérateurs
de particules.
[1] T. Kaluza,
Sitzungsberichte
Preussische Akademie
der Wissenschaften, 96,
69, 1921.
© CAROL ET WERNER/PHOTOTAKE USA.COM/EURELIOS
35
ÉNIGMES
4THÉORIE DU TOUT
dimension supplémentaire, elles produisaient la force électro-
magnétique. Selon cette théorie, toutefois, les intensités des forces
électromagnétique et gravitationnelle auraient dû être identiques.
Or l’expérience montre que ce n’est pas le cas : ces intensités diffè-
rent même de plusieurs ordres de grandeur. Cela n’a pas empêché
Einstein de suivre la piste proposée par Kaluza à la recherche d’une
théorie unificatrice, et de développer ses propres stratégies dans
les trente dernières années de sa vie. En vain.
La découverte des forces nucléaires marqua un tournant impor-
tant dans le casse-tête de lunification des forces. Les physiciens
comprirent alors que la gravité était fondamentalement différente
des trois autres forces. Ils se focalisèrent donc sur lunification de
ces dernières. Sheldon Glashow et Steven Weinberg, alors tous les
deux à luniversité Harvard, et Abdus Salam, alors à l’Imperial
College de Londres, firent le premier pas dans cette direction en
développant indépendamment, entre 1961 et 1967, la théorie « élec-
trofaible », qui unifie électromagnétisme et force faible.
Au-delà du Modèle standard
Selon cette théorie, que tous les physiciens considèrent aujourd’hui
comme correcte, la force électromagnétique n’était pas une force
distincte dans l’Univers primordial. Ce nest que plus tard, lorsque
l’Univers s’est suffisamment refroidi, que cette force, transmise
par une particule sans masse, le photon, s’est différenciée de la
force faible. Ce succès attira des critiques. Ainsi, c’est à cette épo-
que que lécrivain polonais Stanislaw Lem inventa lexpression
« théorie du Tout » pour se moquer des théories dun savant farfelu
apparaissant dans plusieurs de ses romans de science-fiction.
Toutefois, en 1974, en suivant la me logique, Glashow et son col-
lègue de Harvard Howard Georgi proposèrent une théorie qui englo-
bait toutes les forces non gravitationnelles [2]. Selon eux, une « grande
force unifiée » s’était partagée en trois peu après le Big Bang, alors
que l’Univers commençait à se dilater et à se refroidir. Ils démon-
trèrent que les équations qui crivent les particules connues et les
forces non gravitationnelles auxquelles elles sont soumises entrent
dans un cadre mathématique sous-jacent unique.
Il restait à traiter le problème des intensités des interactions.
Pour que lunification fonctionne, les trois forces devaient avoir
la même intensité aux énergies et tempé-
ratures élevées qui caractérisaient les pre-
miers instants de l’Univers ; elles devaient
aussi avoir des intensités différentes aux
énergies et températures basses, condi-
tions dans lesquelles les physiciens réali-
sent aujourdhui leurs expériences.
La « torie quantique des champs *» per-
mettait de calculer la variation de l’intensité
d’une interaction en fonction de l’énergie.
Peu après la proposition de Glashow et
Georgi, ce dernier réalisa ce calcul, avec
Weinberg et Helen Quinn, de l’université
de Californie, pour les trois forces non gra-
vitationnelles [3]. Ils trouvèrent que leurs
intensités variaient avec l’énergie, de sorte
quelles devaient avoir la même intensi
pour une énergie cent mille milliards de
fois plus grande que celles auxquelles des
expériences avaient été réalisées.
Nous savons aujourd’hui que ces calculs
n’étaient pas assez précis pour démontrer
l’unification. Des mesures plus précises de lintensi des forces
indiquent que celles-ci ne se rejoignent pas tout à fait à haute éner-
gie. Nous savons aussi aujourd’hui que des théories qui vont au-delà
du Mole standard, la torie qui crit les particules connues
ainsi que leurs interactions [4], entretiennent l’espoir d’une unifi-
cation des forces et, partant, de la couverte de la « théorie du Tout ».
Lun de ces modèles, la « supersymétrie », qui associe une nouvelle
particule « supersymétrique » à chaque particule du Modèle stan-
dard, est à ce titre ts inressant [fig. 1] [5]. Dans les théories super-
symétriques, élaborées dans les années 1970, les contributions de
particules virtuelles permettent en effet aux forces non gravitation-
nelles de sunifier à très haute énergie. Nous ne savons pas à ce jour
si des particules supersymétriques existent vraiment, mais nous
espérons que de futures expériences permettront de trancher.
De façon remarquable, à l’énergie très élevée à laquelle les forces
non gravitationnelles semblent s’unifier, même la gravité a une
44 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390
Le modèle supersymétrique
Fig.1
Le modèle supersymétrique
Modèle standard
Intensité de l'interaction
(sans dimension)
Intensité de l'interaction
(sans dimension)
104
0,12
0,08
0,04
1081012 1016 1041081012 1016
Force nucléaire forte Force nucléaire forte
Force électromagnétique Force électromagnétique
Force
nucléaire
faible Force nucléaire faible
Modèle standard supersymétrique
0,12
0,08
0,04
Énergie
(en giga-électronvolt) Énergie
(en giga-électronvolt)
PARTICULE : ÉQUIVALENT SUPERSYMÉTRIQUE :
• lepton • slepton
• electron • selectron
• quark • squark
• top • stop
• boson de jauge • gaugino
• photon • photino
• boson w • wino
• boson z • zino
• gluon • gluino
• graviton • gravitino
* La théorie
quantique des
champs
est
une formulation
des fluctuations
quantiques des états
de la matière
et de ses interactions,
compatible avec
la relativité restreinte.
[2] H. Georgi et S. Glashow,
Phys. Rev. Lett., 32, 438, 1974.
[3] H. Georgi et al., Phys. Rev.
Lett., 33, 451, 1974.
[4] www-dsm.cea.fr
/Dossiers/ModeleSTD
/page.shtml
[5] P. Fayet, « La super-
symétrie et l’unification des
interactionsfondamentale,
La Recherche, mars 1988,
p. 334 ; « La supersymétrie,
une piste sérieuse », La
Recherche, janvier 2001, p. 29.
LA SUPERSYMÉTRIE est une extension du Modèle standard de la physique des particules. Selon cette théorie, chaque particule posséderait un équivalent
supersymétrique très massif (tableau de gauche). En postulant l’existence de ces « sparticules », l’unification des forces fortes, faibles et électromagnétiques
devient possible. Comme le montre le graphe de droite, en effet, elles ont alors toutes la même intensité d’interaction à très haute énergie.
Modèle standard
Intensité de l'interaction
(sans dimension)
Intensité de l'interaction
(sans dimension)
104
0,12
0,08
0,04
1081012 1016 1041081012 1016
Force nucléaire forte Force nucléaire forte
Force électromagnétique Force électromagnétique
Force
nucléaire
faible Force nucléaire faible
Modèle standard supersymétrique
0,12
0,08
0,04
Énergie
(en giga-électronvolt) Énergie
(en giga-électronvolt)
© INFOGRAPHIE BRUNO BOURGEOIS
intensi comparable aux trois autres forces : cela laisse penser quelle
pourrait être unifiée avec celles-ci. Avant dy parvenir, nous devrons
trouver une théorie de la gravitation plus nérale encore que la
relativité générale. Malgré ses succès indéniables, celle-ci ne serait
pas la théorie ultime de la gravité, car elle ne s’applique pas à des
distances extrêmement courtes. En fait, à des distances de lordre
de la longueur de Planck (10-33 centimètre), la taille de l’Univers
immédiatement après le Big Bang la description quantique du gra-
viton nest plus pertinente. Pour expliquer les tout premiers instants
de l’Univers, ou, ce qui revient au me, les phénones physiques
à très haute énergie, nous devons donc trouver une théorie de la
gravitation sappliquant au-dessous de l’échelle de Planck.
Vibrations et membranes
La « théorie des cordes » est consie comme la meilleure
candidate pour atteindre cet objectif. En torie des cordes,
la nature de la matière diffère radicalement des approches
traditionnelles de la physique : les objets les plus élémentaires sont
des boucles unidimensionnelles, ou « cordes », en vibration dont la
longueur est la longueur de Planck [fig. 2]. Contrairement aux cordes
d’un violon, celles-ci ne sont pas composées d’atomes, eux-mêmes
composés délectrons et de noyaux, eux-mêmes composés de
quarks. En fait, cest exactement le contraire : toutes les particules
connues sont produites par les vibrations de ces cordes.
Cette torie avance également des idées provocantes sur la
nature de lespace. En effet, ses prévisions n’ont de sens que si
lespace contient plus de trois dimensions. Selon les modèles
considérés, il y en aurait neuf ou dix, voire davantage.
Initialement, les théoriciens pensaient ne devoir utiliser que des
cordes fondamentales, dont les différents modes de vibration pro-
duisaient lensemble des particules. Mais, depuis la fin des années
1990, ils ont compris qu’ils devaient prendre en compte d’autres
objets afin d’expliquer lorganisation des particules connues et leur
dynamique : les « branes ». Ces branes sont des sortes de membra-
nes qui sétendent dans plusieurs dimensions de lespace. Elles peu-
vent piéger les particules et les forces qui, du coup, ne « ressentent »
plus ce qu’il se passe dans les autres dimensions.
La théorie des cordes nest pas la seule tentative dunification de
la mécanique quantique et de la gravitation. La « gravité quanti-
que en boucles », par exemple, qui a été inventée vers le milieu des
années 1980, a la même ambition. La théorie des cordes est toute-
fois la plus prometteuse, car elle embrasse les prévisions de la rela-
tivité générale, de la mécanique quantique et de la physique des
particules ; elle permettrait en outre détendre la physique à des
domaines de distance et dénergie pour lesquels les tories concur-
rentes sont inadaptées. Bien quelle ne soit pas encore assez déve-
loppée pour que lon puisse tester son efficacité dans ces condi-
tions insaisissables, elle a dores et déjà
permis lobtention de résultats qui appor-
tent un éclairage intéressant sur des pro-
blèmes relatifs à la gravitation quantique
et à la physique des particules.
Lun des plus grands succès de la théorie des
cordes comme théorie de la gravitation
quantique concerne les trous noirs. En 1996,
Andrew Strominger et Cumrun Vafa, deux théoriciens de l’univer-
si Harvard, ont fabriqué à l’aide de branes un objet correspondant
à un trou noir [6]. Ils ont ensuite compté le nombre dassemblages
différents permettant d’obtenir le me résultat : ce nombre indique
la quantité d’information que peut contenir l’objet. Or ils ont retrouvé
de cette façon un résultat obtenu dans les années 1970 par Stephen
Hawking et Jacob Bekenstein, alors tous les deux à l’universi de
Cambridge, qui avaient réalisé des calculs de thermodynamique sur
les trous noirs. Cest une preuve que la théorie des cordes permet de
crire au moins certaines propriétés de l’Univers.
La nature de la gravitation
En 1997, Juan Maldacena, à l’époque à l’université Harvard, formula
une idée tout aussi excitante concernant la gravitation, dont nous
navons pas encore compris toutes les conséquences. Il a démontré
quune théorie particulière de la gravitation contient la me infor-
mation quune théorie qui prenait en compte les autres types de for-
ces mais pas la gravitation [7]. En d’autres termes, si l’on souhaite
effectuer un calcul dans le cadre d’une de ces théories, il existe en
principe un calcul correspondant dans l’autre théorie qui donne la
solution. En outre, sa théorie « non gravitationnelle » appliquée sur
une surface particulière de l’espace serait complètement équivalente
à sa théorie gravitationnelle dans l’espace de dimension plus élevée
délimité par cette surface. Cette découverte semble indiquer quelque
chose de fondamental sur la nature même de la gravitation. encore,
la recherche dune « théorie du Tout », bien quelle naboutisse pas
complètement, nous permet des avancées déterminantes.
Un autre sultat des dix dernres années a été une meilleure comp-
hension des liens qui existent entre les différentes versions de la théo-
rie des cordes. Au milieu des années 1990, on disposait en effet de cinq
variantes, chacune décrivant des interactions différentes. Grâce notam-
ment aux travaux d’Edward Witten, de l’Institut des études avanes
de Princeton, nous savons sormais que ces cinq théories, apparem-
ment différentes, ont le me contenu physique [8]. Witten en a déduit
lexistence d’une théorie plus fondamentale, quil a baptisée
35
ÉNIGMES
4THÉORIE DU TOUT
Nº 390 | OCTOBRE 2005 | LA RECHERCHE 45
LE POSTULAT DE BASE de la théorie des cordes est que les objets les plus élémen-
taires de l’Univers ne sont pas des particules mais des cordes infinitésimales,
ouvertes comme un cheveu ou fermées comme un élastique. Le mode de vibration
de ces cordes conrerait les propriétés des particules que lon observe. Plus le nom-
bre de crêtes et de creux s’inscrivant entre les deux extrémités d’une corde (sché-
mas ci-dessus de gauche à droite) est grand, plus la particule est énergétique.
Des cordes aux particules
Fig.2
[6] A. Strominger et C. Vafa,
Phys. Rev. Lett. B, 379, 99,
1996.
[7] J. Maldacena, Black Holes
and String Theory, APS
Meeting, avril 1997.
[8] E. Witten, Nucl. Phys. B,
471, 135, 1996.
© INFOGRAPHIE BRUNO BOURGEOIS
46 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390
« théorie M », qui rassemblerait dans un même
cadre la « supergravi » à onze dimensions et les
différentes expressions de la théorie des cordes.
Ainsi, même si la théorie des cordes a souvent
été présentée comme la « théorie du Tout », nous
devons nous rendre à l’évidence : ce nest pas la
théorie la plus générale. Alors quinitialement
les physiciens espéraient que cette théorie per-
mettrait de faire des prédictions univoques sur
les propriétés de l’Univers, ils se sont aperçus
qu’il existe de nombreux modèles, chacun conte-
nant différentes forces, différentes dimensions et difrentes combi-
naisons de particules. La théorie M et les branes augmentent consi-
dérablement le nombre de manières dont la théorie des cordes
permet de décrire l’existence des particules et des forces.
Des dimensions enroulées
Un autre exemple est l’incapacité de la théorie des cordes à expliquer
pourquoi la géotrie de notre Univers est telle que nous l’observons.
Les théoriciens des cordes ont longtemps pensé (beaucoup le pensent
encore) que les dimensions supplémentaires de lespace étaient
compactées sur de très courtes distances, et enroulées les unes sur les
autres, formant une structure appelée « espace de Calabi-Yau ». Or, il
existe a priori un très grand nombre d’espaces de Calabi-Yau. Avec
certains d’entre eux, on retrouve bien les trois familles de particules
élémentaires crites par le Modèle standard, identifiées dans les expé-
riences. Mais avec d’autres, il peut y avoir plusieurs centaines de familles
de particules émentaires. Aucune théorie ne permet de choisir un
espace de Calabi-Yau en particulier, celui qui
donnerait sa géotrie à notre Univers.
En 1999, avec Raman Sundrum, de luniversité
Johns-Hopkins, nous avons trouune autre
explication de l’arrangement des dimensions sup-
plémentaires. Nous avons démontré que, si les
dimensions spatiales ordinaires sont correcte-
ment courbées comme le postule la théorie de
la relativité d’Einstein en présence d’un certain
type d’énergie, les dimensions supplémentaires
peuvent être « cachées » même si leur taille est
infinie [9]. En raison de la courbure de l’espace et du temps, la gra-
vitation est alors localisable dans ces dimensions supplémentaires,
me si, en principe, elle peut s’étendre à l’infini.
Ces exemples montrent que nous avons encore des progrès à faire
pour comprendre pourquoi les particules et les interactions déduites
de la théorie des cordes ont les propriétés que nous observons dans
notre monde. Nous comprendrons peut-être pourquoi certaines
manifestations de la théorie des cordes prennent le pas sur les autres,
mais bien que sa formulation sous-jacente soit une théorie unique,
la théorie des cordes, dans son état actuel de développement, ne per-
met pas de prédire toutes les caractéristiques de l’Univers.
Pour conclure, il est sans doute trop ambi-
tieux de chercher à découvrir directement
une « théorie du Tout ». Les progrès vien-
dront davantage dune compréhension
plus fine des principes directeurs carac-
térisant une théorie fondamentale, mais
aussi de la recherche de solutions à des
problèmes moins abstraits pour lesquels
on peut faire des expériences. Des avancées graduelles devraient
ainsi guider les physiciens qui cherchent une manière de raccor-
der la théorie des cordes à notre monde.
Si les théories que certains physiciens et moi-même avons avan-
cées sont correctes, nous en saurons probablement plus sur les
dimensions cachées de l’Univers une fois que le grand collision-
neur de hadrons du CERN, près de Genève, sera opérationnel,
après 2007 [10]. Des signes de lexistence des particules super-
symétriques pourraient aussi être identifiés. J’ignore si nous allons
trouver un jour les réponses à toutes nos questions ou découvrir
une théorie unificatrice. Je suis en revanche certaine que ces
recherches continueront de nous rapprocher d’une meilleure
compréhension des lois fondamentales de la nature.
 
Lisa Randall est professeur de physique théorique à l’université Harvard.
randall@schwinger.harvard.edu
Cet article a été traduit de l’américain par Muriel Valenta.
35
ÉNIGMES
4THÉORIE DU TOUT
Daniela Wuench, The Inventor of the 5th Dimension: Theodor Kaluza,
his Work and Life, Termessos Verlag, à paraître.
Carlos Calle, Supercordes et autres ficelles, Dunod, 2004.
Stephen Hawking, The Theory of Everything : The Origin and Fate
of the Universe, New Millenium Audio, 2002.
Quest-ce que l’Univers? Université de tous les savoirs, dirigé
par Yves Michaud, Odile Jacob, 2001.
« Prouver la théorie des cordes ? », La Recherche, juin 2001, p. 24.
POUR EN SAVOIR PLUS
Ils ont étudié la question
FIGURES
ALBERT EINSTEIN (1879-1955), physicien allemand natura-
lisé Suisse, puis Américain, fut l’un des premiers à se pen-
cher sur le problème de l’unification des forces. En vain,
il chercha pendant trente ans à unifier les deux forces
connues à l’époque : la gravité et l’électromagnétisme.
THEODOR KALUZA (1885-1954), mathématicien alle-
mand, fut le premier à proposer l’existence de dimen-
sions spatiales cachées afin d’unifier la gravité et
l’électromagtisme. Cette idée sera reprise plusieurs
dizaines d’années plus tard par les théoriciens des
cordes.
STEVEN WEINBERG (né en 1933), physicien nucléaire amé-
ricain, partagea en 1979 le prix Nobel de physique avec
Abdus Salam et Sheldon Glashow pour la formulation
de la théorie électrofaible, qui unifie l’électro-
magnétisme et la force nucaire forte.
JUAN MALDACENA (né en 1968), physicien argentin, est
l’un des théoriciens des cordes les plus putés. Ses
travaux sur les trous noirs, notamment, ont permis à
cette torie d’enregistrer l’un de ses plus francs suc-
s en tant que torie de la gravitation quantique.
CETTE STRUCTURE GÉOMÉTRIQUE,
appelée « espace de Calabi-Yau »,
pourrait contenir les dimensions
cachées de lespace prédites par la
théorie des cordes.
© D.R. - CERN.SPL/COSMOS - TERMESSOS.DE - LEEMAGE
© A.J.HANSON/INDINIA UNIVERSITY
[9] L. Randall et R. Sundrum,
Phys. Rev. Lett., 83, 3370,
1999.
[10] I. Antoniadis,
« Les expériences ne sont
plus hors de portée »,
La Recherche, juin 2001,
p. 25.
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