35 ÉNIGMES 4➔THÉORIE DU TOUT EN DEUX MOTS Depuis près d’un siècle, les physiciens cherchent une théorie capable d’unifier la mécanique quantique et la relativité, et de révéler ainsi la nature unique des quatre forces fondamentales. La théorie des cordes, souvent qualifiée de « théorie ultime », est considérée aujourd’hui comme la meilleure candidate. Mais des travaux récents suggèrent qu’elle ne serait pas le dernier mot de la physique. M A L’équation ultime TI ÈRE 3 pour la physique Lisa Randall Existe-t-elle cette « théorie du Tout » qui expliquerait simplement l’ensemble des phénomènes physiques ? De nombreux physiciens se sont en tout cas attelés à son élaboration. À la fin du siècle dernier, le développement de la théorie des cordes laissait penser à certains qu’ils y parviendraient rapidement. C’était sans compter avec la complexité du monde. L es physiciens aiment les choses simples. Depuis près d’un siècle, bon nombre d’entre eux ont recherché un cadre conceptuel unique qui permettrait d’expliquer simplement pourquoi notre Univers est tel qu’il est, et pourquoi son contenu se comporte comme nous l’observons. Cette quête, dont on ne sait si elle s’achèvera un jour, a déjà permis d’améliorer considérablement notre compréhension du monde, en particulier, depuis quelques années, avec le développement de la théorie des cordes. Une quête audacieuse Existe-t-il une « théorie du Tout » ? Une théorie fondée sur un petit nombre de paramètres reliés entre eux par une seule équation, qui permettrait de prédire l’ensemble des phénomènes phy42 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390 L’UNIVERS SERAIT FORMÉ de cordes infinitésimales repliées plusieurs fois sur elles-mêmes, comme l’évoque cette vue d’artiste. siques connus ? L’idée est particulièrement audacieuse. Telle est pourtant la quête dans laquelle se sont engagés des physiciens depuis près d’un siècle. Compte tenu de la complexité du monde, ils sont peut-être trop optimistes. Même si elle existe, on trouvera fort probablement parmi ses conséquences des phénomènes secondaires complexes, que l’on ne pourra pas prévoir de façon simple. De plus, en admettant que les scientifiques parviennent à faire des prédictions à 35 ÉNIGMES 4➔THÉORIE DU TOUT d’une « théorie du Tout » a une certaine utilité. Elle peut d’abord améliorer notre compréhension de principes physiques fondamentaux. Elle pourrait aussi nous rapprocher d’une théorie physique plus générale que celles dont nous disposons aujourd’hui, qui décrirait une plus grande diversité de phénomènes. C’est déjà ce qui s’est produit dans le passé. Premiers pas vers l’unification © CAROL ET WERNER/PHOTOTAKE USA.COM/EURELIOS La première étape vers une « théorie du Tout » consisterait à unifier les quatre forces fondamentales de la physique : la gravitation, l’électromagnétisme, et les deux forces nucléaires, faible et forte. La gravitation et l’électromagnétisme sont bien connus : ces forces sont responsables respectivement de la chute des corps et de la propagation de la lumière, par exemple. Les deux autres n’ont été identifiées et comprises qu’au XXe siècle. La force faible intervient dans les interactions nucléaires qui permettent au soleil de briller. La force forte permet quant à elle la cohésion des particules élémentaires au sein des noyaux atomiques. À basse énergie*, les forces nucléaires se comportent d’une manière très différente des forces électromagnétiques et gravitationnelles. À cause de cela, et du fait que les forces nucléaires étaient encore inconnues il y a une centaine d’années, les premières tentatives d’unification ne concernèrent d’abord que la gravité et l’électromagnétisme. En 1919, soit cinq ans après qu’Albert Einstein eut achevé sa théorie de la relativité générale, qui est surtout une théorie de la gravitation, le mathématicien allemand Theodor Kaluza formula une théorie particulièrement intéressante [1] . Observant que la relativité générale reste valable si l’espace compte plus de dimensions que les trois qui nous sont familières, Kaluza proposa l’existence *Les conditions de basse énergie d’une quatrième dimen- sont celles qui sion spatiale (qu’il ne faut règnent aujourd’hui pas confondre avec le en moyenne dans temps, quatrième dimen- l’Univers, sion de l’espace-temps). par opposition aux conditions Grâce à cette dimension de haute énergie, supplémentaire, l’électro- qui prévalaient juste magnétisme apparaissait après le Big Bang, au sein d’une théorie qui ne contenait au et que l’on tente départ que la gravitation. Les deux forces de recréer dans les accélérateurs résultaient des oscillations de la même de particules. particule, le « graviton », censé transmettre les interactions gravitationnelles. Dans [1] T. Kaluza, la direction des trois dimensions spatiales Sitzungsberichte Preussische Akademie ordinaires, ces oscillations produisaient der Wissenschaften, 96, la gravité ; dans la direction de la 69, 1921. partir de l’équation d’une théorie ultime, celles-ci dépendraient toujours de conditions initiales incertaines : comment tout a commencé (lire « À la recherche du temps zéro », p. 30). Enfin, quand bien même ils découvriraient une théorie dont la formulation paraîtrait extrêmement simple, il est fort probable qu’il faudrait lui ajouter des éléments pour ajuster ses prédictions aux grandeurs mesurables de l’Univers. Malgré ces réserves, et même si elle n’aboutit pas, la recherche Nº 390 | OCTOBRE 2005 | LA RECHERCHE 43 35 ÉNIGMES 4➔THÉORIE DU TOUT dimension supplémentaire, elles produisaient la force électromagnétique. Selon cette théorie, toutefois, les intensités des forces électromagnétique et gravitationnelle auraient dû être identiques. Or l’expérience montre que ce n’est pas le cas : ces intensités diffèrent même de plusieurs ordres de grandeur. Cela n’a pas empêché Einstein de suivre la piste proposée par Kaluza à la recherche d’une théorie unificatrice, et de développer ses propres stratégies dans les trente dernières années de sa vie. En vain. La découverte des forces nucléaires marqua un tournant important dans le casse-tête de l’unification des forces. Les physiciens comprirent alors que la gravité était fondamentalement différente des trois autres forces. Ils se focalisèrent donc sur l’unification de ces dernières. Sheldon Glashow et Steven Weinberg, alors tous les deux à l’université Harvard, et Abdus Salam, alors à l’Imperial College de Londres, firent le premier pas dans cette direction en développant indépendamment, entre 1961 et 1967, la théorie « électrofaible », qui unifie électromagnétisme et force faible. la même intensité aux énergies et températures élevées qui caractérisaient les premiers instants de l’Univers ; elles devaient une formulation aussi avoir des intensités différentes aux des fluctuations énergies et températures basses, condiquantiques des états tions dans lesquelles les physiciens réalide la matière et de ses interactions, sent aujourd’hui leurs expériences. compatible avec La « théorie quantique des champs *» perla relativité restreinte. mettait de calculer la variation de l’intensité d’une interaction en fonction de l’énergie. [2] H. Georgi et S. Glashow, Phys. Rev. Lett., 32, 438, 1974. Peu après la proposition de Glashow et [3] H. Georgi et al., Phys. Rev. Georgi, ce dernier réalisa ce calcul, avec Lett., 33, 451, 1974. Weinberg et Helen Quinn, de l’université [4] www-dsm.cea.fr de Californie, pour les trois forces non gra/Dossiers/ModeleSTD vitationnelles [3] . Ils trouvèrent que leurs /page.shtml intensités variaient avec l’énergie, de sorte [5] P. Fayet, « La superqu’elles devaient avoir la même intensité symétrie et l’unification des interactionsfondamentale, pour une énergie cent mille milliards de La Recherche, mars 1988, fois plus grande que celles auxquelles des p. 334 ; « La supersymétrie, expériences avaient été réalisées. une piste sérieuse », La Recherche, janvier 2001, p. 29. Nous savons aujourd’hui que ces calculs n’étaient pas assez précis pour démontrer l’unification. Des mesures plus précises de l’intensité des forces indiquent que celles-ci ne se rejoignent pas tout à fait à haute énergie. Nous savons aussi aujourd’hui que des théories qui vont au-delà du Modèle standard, la théorie qui décrit les particules connues ainsi que leurs interactions [4] , entretiennent l’espoir d’une unification des forces et, partant, de la découverte de la « théorie du Tout ». L’un de ces modèles, la « supersymétrie », qui associe une nouvelle particule « supersymétrique » à chaque particule du Modèle standard, est à ce titre très intéressant [fig. 1] [5] . Dans les théories supersymétriques, élaborées dans les années 1970, les contributions de particules virtuelles permettent en effet aux forces non gravitationnelles de s’unifier à très haute énergie. Nous ne savons pas à ce jour si des particules supersymétriques existent vraiment, mais nous espérons que de futures expériences permettront de trancher. De façon remarquable, à l’énergie très élevée à laquelle les forces non gravitationnelles semblent s’unifier, même la gravité a une * La théorie quantique des champs est Selon cette théorie, que tous les physiciens considèrent aujourd’hui comme correcte, la force électromagnétique n’était pas une force distincte dans l’Univers primordial. Ce n’est que plus tard, lorsque l’Univers s’est suffisamment refroidi, que cette force, transmise par une particule sans masse, le photon, s’est différenciée de la force faible. Ce succès attira des critiques. Ainsi, c’est à cette époque que l’écrivain polonais Stanislaw Lem inventa l’expression « théorie du Tout » pour se moquer des théories d’un savant farfelu apparaissant dans plusieurs de ses romans de science-fiction. Toutefois, en 1974, en suivant la même logique, Glashow et son collègue de Harvard Howard Georgi proposèrent une théorie qui englobait toutes les forces non gravitationnelles [2] . Selon eux, une « grande force unifiée » s’était partagée en trois peu après le Big Bang, alors que l’Univers commençait à se dilater et à se refroidir. Ils démontrèrent que les équations qui décrivent les particules connues et les forces non gravitationnelles auxquelles elles sont soumises entrent dans un cadre mathématique sous-jacent unique. Il restait à traiter le problème des intensités des interactions. Pour que l’unification fonctionne, les trois forces devaient avoir Fig.1 Le modèle supersymétrique 0,12 0,12 0,08 0,08 Intensité de Intensité de l'interaction l'interaction (sans dimension) 0,12 0,12 Force Forcenucléaire nucléaireforte forte Force Force nucléaire nucléaire faible 0,04 0,04 faible Force Forceélectromagnétique électromagnétique 10104 4 10108 8 10101212 10101616 Force Forcenucléaire nucléaireforte forte 0,08 0,08 (sans dimension) (sans dimension) ÉQUIVALENT SUPERSYMÉTRIQUE : • slepton • selectron • squark • stop • gaugino • photino • wino • zino • gluino • gravitino Intensité de Intensité de l'interaction l'interaction (sans dimension) PARTICULE : • lepton • electron • quark • top • boson de jauge • photon • boson w • boson z • gluon • graviton Modèle Modèlestandard standardsupersymétrique supersymétrique Modèle Modèlestandard standard Énergie Énergie (en (engiga-électronvolt) giga-électronvolt) Forcenucléaire nucléairefaible faible 0,04 0,04 Force Force Forceélectromagnétique électromagnétique 10104 4 10108 8 10101212 10101616 © INFOGRAPHIE BRUNO BOURGEOIS Au-delà du Modèle standard Énergie Énergie (en (engiga-électronvolt) giga-électronvolt) LA SUPERSYMÉTRIE est une extension du Modèle standard de la physique des particules. Selon cette théorie, chaque particule posséderait un équivalent supersymétrique très massif (tableau de gauche). En postulant l’existence de ces « sparticules », l’unification des forces fortes, faibles et électromagnétiques devient possible. Comme le montre le graphe de droite, en effet, elles ont alors toutes la même intensité d’interaction à très haute énergie. 44 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390 35 ÉNIGMES 4➔THÉORIE DU TOUT Vibrations et membranes La « théorie des cordes » est considérée comme la meilleure candidate pour atteindre cet objectif. En théorie des cordes, la nature de la matière diffère radicalement des approches traditionnelles de la physique : les objets les plus élémentaires sont des boucles unidimensionnelles, ou « cordes », en vibration dont la longueur est la longueur de Planck [fig. 2] . Contrairement aux cordes d’un violon, celles-ci ne sont pas composées d’atomes, eux-mêmes composés d’électrons et de noyaux, eux-mêmes composés de quarks. En fait, c’est exactement le contraire : toutes les particules connues sont produites par les vibrations de ces cordes. Cette théorie avance également des idées provocantes sur la nature de l’espace. En effet, ses prévisions n’ont de sens que si l’espace contient plus de trois dimensions. Selon les modèles considérés, il y en aurait neuf ou dix, voire davantage. Initialement, les théoriciens pensaient ne devoir utiliser que des cordes fondamentales, dont les différents modes de vibration produisaient l’ensemble des particules. Mais, depuis la fin des années 1990, ils ont compris qu’ils devaient prendre en compte d’autres objets afin d’expliquer l’organisation des particules connues et leur dynamique : les « branes ». Ces branes sont des sortes de membranes qui s’étendent dans plusieurs dimensions de l’espace. Elles peuvent piéger les particules et les forces qui, du coup, ne « ressentent » plus ce qu’il se passe dans les autres dimensions. La théorie des cordes n’est pas la seule tentative d’unification de la mécanique quantique et de la gravitation. La « gravité quantique en boucles », par exemple, qui a été inventée vers le milieu des années 1980, a la même ambition. La théorie des cordes est toutefois la plus prometteuse, car elle embrasse les prévisions de la relativité générale, de la mécanique quantique et de la physique des particules ; elle permettrait en outre d’étendre la physique à des domaines de distance et d’énergie pour lesquels les théories concurrentes sont inadaptées. Bien qu’elle ne soit pas encore assez développée pour que l’on puisse tester son efficacité dans ces conditions insaisissables, elle a d’ores et déjà [6] A. Strominger et C. Vafa, permis l’obtention de résultats qui apporPhys. Rev. Lett. B, 379, 99, tent un éclairage intéressant sur des pro1996. blèmes relatifs à la gravitation quantique [7] J. Maldacena, Black Holes et à la physique des particules. and String Theory, APS L’un des plus grands succès de la théorie des Meeting, avril 1997. cordes comme théorie de la gravitation [8] E. Witten, Nucl. Phys. B, quantique concerne les trous noirs. En 1996, 471, 135, 1996. Fig.2 Des cordes aux particules © INFOGRAPHIE BRUNO BOURGEOIS intensité comparable aux trois autres forces : cela laisse penser qu’elle pourrait être unifiée avec celles-ci. Avant d’y parvenir, nous devrons trouver une théorie de la gravitation plus générale encore que la relativité générale. Malgré ses succès indéniables, celle-ci ne serait pas la théorie ultime de la gravité, car elle ne s’applique pas à des distances extrêmement courtes. En fait, à des distances de l’ordre de la longueur de Planck (10-33 centimètre), la taille de l’Univers immédiatement après le Big Bang la description quantique du graviton n’est plus pertinente. Pour expliquer les tout premiers instants de l’Univers, ou, ce qui revient au même, les phénomènes physiques à très haute énergie, nous devons donc trouver une théorie de la gravitation s’appliquant au-dessous de l’échelle de Planck. LE POSTULAT DE BASE de la théorie des cordes est que les objets les plus élémentaires de l’Univers ne sont pas des particules mais des cordes infinitésimales, ouvertes comme un cheveu ou fermées comme un élastique. Le mode de vibration de ces cordes conférerait les propriétés des particules que l’on observe. Plus le nombre de crêtes et de creux s’inscrivant entre les deux extrémités d’une corde (schémas ci-dessus de gauche à droite) est grand, plus la particule est énergétique. Andrew Strominger et Cumrun Vafa, deux théoriciens de l’université Harvard, ont fabriqué à l’aide de branes un objet correspondant à un trou noir [6] . Ils ont ensuite compté le nombre d’assemblages différents permettant d’obtenir le même résultat : ce nombre indique la quantité d’information que peut contenir l’objet. Or ils ont retrouvé de cette façon un résultat obtenu dans les années 1970 par Stephen Hawking et Jacob Bekenstein, alors tous les deux à l’université de Cambridge, qui avaient réalisé des calculs de thermodynamique sur les trous noirs. C’est une preuve que la théorie des cordes permet de décrire au moins certaines propriétés de l’Univers. La nature de la gravitation En 1997, Juan Maldacena, à l’époque à l’université Harvard, formula une idée tout aussi excitante concernant la gravitation, dont nous n’avons pas encore compris toutes les conséquences. Il a démontré qu’une théorie particulière de la gravitation contient la même information qu’une théorie qui prenait en compte les autres types de forces mais pas la gravitation [7] . En d’autres termes, si l’on souhaite effectuer un calcul dans le cadre d’une de ces théories, il existe en principe un calcul correspondant dans l’autre théorie qui donne la solution. En outre, sa théorie « non gravitationnelle » appliquée sur une surface particulière de l’espace serait complètement équivalente à sa théorie gravitationnelle dans l’espace de dimension plus élevée délimité par cette surface. Cette découverte semble indiquer quelque chose de fondamental sur la nature même de la gravitation. Là encore, la recherche d’une « théorie du Tout », bien qu’elle n’aboutisse pas complètement, nous permet des avancées déterminantes. Un autre résultat des dix dernières années a été une meilleure compréhension des liens qui existent entre les différentes versions de la théorie des cordes. Au milieu des années 1990, on disposait en effet de cinq variantes, chacune décrivant des interactions différentes. Grâce notamment aux travaux d’Edward Witten, de l’Institut des études avancées de Princeton, nous savons désormais que ces cinq théories, apparemment différentes, ont le même contenu physique [8]. Witten en a déduit l’existence d’une théorie plus fondamentale, qu’il a baptisée Nº 390 | OCTOBRE 2005 | LA RECHERCHE 45 35 ÉNIGMES © D.R. - CERN.SPL/COSMOS - TERMESSOS.DE - LEEMAGE espace de Calabi-Yau en particulier, celui qui « théorie M », qui rassemblerait dans un même cadre la « supergravité » à onze dimensions et les donnerait sa géométrie à notre Univers. différentes expressions de la théorie des cordes. En 1999, avec Raman Sundrum, de l’université Ainsi, même si la théorie des cordes a souvent Johns-Hopkins, nous avons trouvé une autre été présentée comme la « théorie du Tout », nous explication de l’arrangement des dimensions supdevons nous rendre à l’évidence : ce n’est pas la plémentaires. Nous avons démontré que, si les CETTE STRUCTURE GÉOMÉTRIQUE, théorie la plus générale. Alors qu’initialement dimensions spatiales ordinaires sont correcteappelée « espace de Calabi-Yau », les physiciens espéraient que cette théorie perment courbées – comme le postule la théorie de pourrait contenir les dimensions mettrait de faire des prédictions univoques sur la relativité d’Einstein en présence d’un certain cachées de l’espace prédites par la théorie des cordes. les propriétés de l’Univers, ils se sont aperçus type d’énergie –, les dimensions supplémentaires qu’il existe de nombreux modèles, chacun contepeuvent être « cachées » même si leur taille est nant différentes forces, différentes dimensions et différentes combi- infinie [9] . En raison de la courbure de l’espace et du temps, la granaisons de particules. La théorie M et les branes augmentent consi- vitation est alors localisable dans ces dimensions supplémentaires, dérablement le nombre de manières dont la théorie des cordes même si, en principe, elle peut s’étendre à l’infini. permet de décrire l’existence des particules et des forces. Ces exemples montrent que nous avons encore des progrès à faire pour comprendre pourquoi les particules et les interactions déduites Des dimensions enroulées de la théorie des cordes ont les propriétés que nous observons dans Un autre exemple est l’incapacité de la théorie des cordes à expliquer notre monde. Nous comprendrons peut-être pourquoi certaines pourquoi la géométrie de notre Univers est telle que nous l’observons. manifestations de la théorie des cordes prennent le pas sur les autres, Les théoriciens des cordes ont longtemps pensé (beaucoup le pensent mais bien que sa formulation sous-jacente soit une théorie unique, encore) que les dimensions supplémentaires de l’espace étaient la théorie des cordes, dans son état actuel de développement, ne percompactées sur de très courtes distances, et enroulées les unes sur les met pas de prédire toutes les caractéristiques de l’Univers. autres, formant une structure appelée « espace de Calabi-Yau ». Or, il Pour conclure, il est sans doute trop ambiL. Randall et R. Sundrum, existe a priori un très grand nombre d’espaces de Calabi-Yau. Avec tieux de chercher à découvrir directement [9] Phys. Rev. Lett., 83, 3370, certains d’entre eux, on retrouve bien les trois familles de particules une « théorie du Tout ». Les progrès vien- 1999. élémentaires décrites par le Modèle standard, identifiées dans les expé- dront davantage d’une compréhension [10] I. Antoniadis, riences. Mais avec d’autres, il peut y avoir plusieurs centaines de familles plus fine des principes directeurs carac- « Les expériences ne sont plus hors de portée », de particules élémentaires. Aucune théorie ne permet de choisir un térisant une théorie fondamentale, mais La Recherche, juin 2001, aussi de la recherche de solutions à des p. 25. problèmes moins abstraits pour lesquels on peut faire des expériences. Des avancées graduelles devraient FIGURES ainsi guider les physiciens qui cherchent une manière de raccorder la théorie des cordes à notre monde. ALBERT EINSTEIN (1879-1955), physicien allemand naturaSi les théories que certains physiciens et moi-même avons avanlisé Suisse, puis Américain, fut l’un des premiers à se pencées sont correctes, nous en saurons probablement plus sur les cher sur le problème de l’unification des forces. En vain, dimensions cachées de l’Univers une fois que le grand collisionil chercha pendant trente ans à unifier les deux forces neur de hadrons du CERN, près de Genève, sera opérationnel, connues à l’époque : la gravité et l’électromagnétisme. après 2007 [10] . Des signes de l’existence des particules supersymétriques pourraient aussi être identifiés. J’ignore si nous allons THEODOR KALUZA (1885-1954), mathématicien alletrouver un jour les réponses à toutes nos questions ou découvrir mand, fut le premier à proposer l’existence de dimensions spatiales cachées afin d’unifier la gravité et une théorie unificatrice. Je suis en revanche certaine que ces l’électromagnétisme. Cette idée sera reprise plusieurs recherches continueront de nous rapprocher d’une meilleure dizaines d’années plus tard par les théoriciens des compréhension des lois fondamentales de la nature. Ils ont étudié la question cordes. STEVEN WEINBERG (né en 1933), physicien nucléaire américain, partagea en 1979 le prix Nobel de physique avec Abdus Salam et Sheldon Glashow pour la formulation de la théorie électrofaible, qui unifie l’électromagnétisme et la force nucléaire forte. Lisa Randall est professeur de physique théorique à l’université Harvard. [email protected] Cet article a été traduit de l’américain par Muriel Valenta. POUR EN SAVOIR PLUS Daniela Wuench, The Inventor of the 5th Dimension: Theodor Kaluza, his Work and Life, Termessos Verlag, à paraître. Carlos Calle, Supercordes et autres ficelles, Dunod, 2004. Stephen Hawking, The Theory of Everything : The Origin and Fate of the Universe, New Millenium Audio, 2002. Qu’est-ce que l’Univers? Université de tous les savoirs, dirigé par Yves Michaud, Odile Jacob, 2001. « Prouver la théorie des cordes ? », La Recherche, juin 2001, p. 24. JUAN MALDACENA (né en 1968), physicien argentin, est l’un des théoriciens des cordes les plus réputés. Ses travaux sur les trous noirs, notamment, ont permis à cette théorie d’enregistrer l’un de ses plus francs succès en tant que théorie de la gravitation quantique. 46 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390 © A.J.HANSON/INDINIA UNIVERSITY 4➔THÉORIE DU TOUT