46 LA RECHERCHE | OCTOBRE 2005 | Nº 390
« théorie M », qui rassemblerait dans un même
cadre la « supergravité » à onze dimensions et les
différentes expressions de la théorie des cordes.
Ainsi, même si la théorie des cordes a souvent
été présentée comme la « théorie du Tout », nous
devons nous rendre à l’évidence : ce n’est pas la
théorie la plus générale. Alors qu’initialement
les physiciens espéraient que cette théorie per-
mettrait de faire des prédictions univoques sur
les propriétés de l’Univers, ils se sont aperçus
qu’il existe de nombreux modèles, chacun conte-
nant différentes forces, différentes dimensions et différentes combi-
naisons de particules. La théorie M et les branes augmentent consi-
dérablement le nombre de manières dont la théorie des cordes
permet de décrire l’existence des particules et des forces.
Des dimensions enroulées
Un autre exemple est l’incapacité de la théorie des cordes à expliquer
pourquoi la géométrie de notre Univers est telle que nous l’observons.
Les théoriciens des cordes ont longtemps pensé (beaucoup le pensent
encore) que les dimensions supplémentaires de l’espace étaient
compactées sur de très courtes distances, et enroulées les unes sur les
autres, formant une structure appelée « espace de Calabi-Yau ». Or, il
existe a priori un très grand nombre d’espaces de Calabi-Yau. Avec
certains d’entre eux, on retrouve bien les trois familles de particules
élémentaires décrites par le Modèle standard, identifiées dans les expé-
riences. Mais avec d’autres, il peut y avoir plusieurs centaines de familles
de particules élémentaires. Aucune théorie ne permet de choisir un
espace de Calabi-Yau en particulier, celui qui
donnerait sa géométrie à notre Univers.
En 1999, avec Raman Sundrum, de l’université
Johns-Hopkins, nous avons trouvé une autre
explication de l’arrangement des dimensions sup-
plémentaires. Nous avons démontré que, si les
dimensions spatiales ordinaires sont correcte-
ment courbées – comme le postule la théorie de
la relativité d’Einstein en présence d’un certain
type d’énergie –, les dimensions supplémentaires
peuvent être « cachées » même si leur taille est
infinie [9]. En raison de la courbure de l’espace et du temps, la gra-
vitation est alors localisable dans ces dimensions supplémentaires,
même si, en principe, elle peut s’étendre à l’infini.
Ces exemples montrent que nous avons encore des progrès à faire
pour comprendre pourquoi les particules et les interactions déduites
de la théorie des cordes ont les propriétés que nous observons dans
notre monde. Nous comprendrons peut-être pourquoi certaines
manifestations de la théorie des cordes prennent le pas sur les autres,
mais bien que sa formulation sous-jacente soit une théorie unique,
la théorie des cordes, dans son état actuel de développement, ne per-
met pas de prédire toutes les caractéristiques de l’Univers.
Pour conclure, il est sans doute trop ambi-
tieux de chercher à découvrir directement
une « théorie du Tout ». Les progrès vien-
dront davantage d’une compréhension
plus fine des principes directeurs carac-
térisant une théorie fondamentale, mais
aussi de la recherche de solutions à des
problèmes moins abstraits pour lesquels
on peut faire des expériences. Des avancées graduelles devraient
ainsi guider les physiciens qui cherchent une manière de raccor-
der la théorie des cordes à notre monde.
Si les théories que certains physiciens et moi-même avons avan-
cées sont correctes, nous en saurons probablement plus sur les
dimensions cachées de l’Univers une fois que le grand collision-
neur de hadrons du CERN, près de Genève, sera opérationnel,
après 2007 [10]. Des signes de l’existence des particules super-
symétriques pourraient aussi être identifiés. J’ignore si nous allons
trouver un jour les réponses à toutes nos questions ou découvrir
une théorie unificatrice. Je suis en revanche certaine que ces
recherches continueront de nous rapprocher d’une meilleure
compréhension des lois fondamentales de la nature.
Lisa Randall est professeur de physique théorique à l’université Harvard.
randall@schwinger.harvard.edu
Cet article a été traduit de l’américain par Muriel Valenta.
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ÉNIGMES
4➔THÉORIE DU TOUT
Daniela Wuench, The Inventor of the 5th Dimension: Theodor Kaluza,
his Work and Life, Termessos Verlag, à paraître.
Carlos Calle, Supercordes et autres ficelles, Dunod, 2004.
Stephen Hawking, The Theory of Everything : The Origin and Fate
of the Universe, New Millenium Audio, 2002.
Qu’est-ce que l’Univers? Université de tous les savoirs, dirigé
par Yves Michaud, Odile Jacob, 2001.
« Prouver la théorie des cordes ? », La Recherche, juin 2001, p. 24.
POUR EN SAVOIR PLUS
Ils ont étudié la question
FIGURES
ALBERT EINSTEIN (1879-1955), physicien allemand natura-
lisé Suisse, puis Américain, fut l’un des premiers à se pen-
cher sur le problème de l’unification des forces. En vain,
il chercha pendant trente ans à unifier les deux forces
connues à l’époque : la gravité et l’électromagnétisme.
THEODOR KALUZA (1885-1954), mathématicien alle-
mand, fut le premier à proposer l’existence de dimen-
sions spatiales cachées afin d’unifier la gravité et
l’électromagnétisme. Cette idée sera reprise plusieurs
dizaines d’années plus tard par les théoriciens des
cordes.
STEVEN WEINBERG (né en 1933), physicien nucléaire amé-
ricain, partagea en 1979 le prix Nobel de physique avec
Abdus Salam et Sheldon Glashow pour la formulation
de la théorie électrofaible, qui unifie l’électro-
magnétisme et la force nucléaire forte.
JUAN MALDACENA (né en 1968), physicien argentin, est
l’un des théoriciens des cordes les plus réputés. Ses
travaux sur les trous noirs, notamment, ont permis à
cette théorie d’enregistrer l’un de ses plus francs suc-
cès en tant que théorie de la gravitation quantique.
CETTE STRUCTURE GÉOMÉTRIQUE,
appelée « espace de Calabi-Yau »,
pourrait contenir les dimensions
cachées de l’espace prédites par la
théorie des cordes.
© D.R. - CERN.SPL/COSMOS - TERMESSOS.DE - LEEMAGE
© A.J.HANSON/INDINIA UNIVERSITY
[9] L. Randall et R. Sundrum,
Phys. Rev. Lett., 83, 3370,
1999.
[10] I. Antoniadis,
« Les expériences ne sont
plus hors de portée »,
La Recherche, juin 2001,
p. 25.