SOMMAIRE Organisateurs : J. HARDWIGSEN (Marseille) 1. Du diagnostic au traitement des tumeurs bénignes du foie : évolution des concepts J. HARDWIGSEN (Marseille) 2. Nature des tumeurs bénignes les plus fréquentes J. CALDERARO (Paris) 3. Quelle stratégie iconographique doit-on mettre en œuvre après la découverte d’une tumeur supposée bénigne du foie (tumeurs kystiques et solides) ? A. LUCIANI (Créteil) 4. Les adénomes hépatocellulaires : anatomopathologie et choix thérapeutiques J. CALDERARO (Paris) 5. Synthèse : le rôle du chirurgien (diagnostique, prise en charge, traitement) A. LAURENT (Créteil) DU DIAGNOSTIC AU TRAITEMENT DES TUMEURS BENIGNES DU FOIE : EVOLUTION DES CONCEPTS Jean HARDWIGSEN Service de chirurgie générale et transplantation hépatique, Aix-Marseille Université, Hôpital de la Conception, 147 boulevard Baille, 13005 Marseille Tel : 04 91 38 36 57 - fax : 04 91 38 16 55 - e-mail : [email protected] Les tumeurs bénignes du foie sont nombreuses (plus de cent types différents ont été colligés (1)), variées, de présentation et d’évolution différentes. Leur diagnostic comme leur traitement peuvent être complexes, parfois mal codifiés et très souvent guidés par la crainte de méconnaitre une tumeur maligne (2). Cette rhétorique de "sous-traiter" une pathologie potentiellement grave doit être pondérée par les risques de "sur-traiter" une pathologie bénigne qui dans la grande majorité des cas ne sera même pas évolutive. L'accès facilité et généralisé à des procédés d'imageries performants permet de découvrir des lésions hépatiques de plus en plus petites. Que ce soit dans le cadre d'un bilan d'extension de cancers, pour l'exploration d'une symptomatologie abdominale ou de manière fortuite, le chirurgien, très souvent sollicité lors de la découverte d'une tumeur du foie dispose : du contexte épidémiologique, des données biologiques et des informations iconographiques pour décider d'un recours à une biopsie avant de choisir : entre l'abstention thérapeutique, une surveillance ou l'exérèse (ou la destruction) de la tumeur. Par ailleurs, des études récentes de cohortes ont confirmé le faible risque évolutif de la plupart des tumeurs bénignes du foie, dont l’histoire naturelle a été mieux caractérisée : impact des modifications de taille, risques de dégénérescence maligne et de complications létales (hémorragie). De fait, le recours à une exérèse chirurgicale diagnostique ou thérapeutique diminue dans le temps (3). En parallèle, le développement des procédés de chirurgie miniinvasive a complété l’offre de soins. La chirurgie du foie par cœlioscopie connaît une place grandissante et reconnue qui mérite d’être précisée pour cette indication (4). Quelle est la place de l'exérèse tumorale ? Les principales indications justifiant le recours à une résection chirurgicale pour une tumeur supposée bénigne sont au nombre de trois (5) : – l’incertitude diagnostique, – le traitement de symptômes rattachés à la présence ou au développement tumoral, – la prévention de complications « majeures » (hémorragie et transformation maligne). Plus rarement la requête d’un patient anxieux peut justifier d'une résection tumorale (6). Ce recours, après un bilan exhaustif, est estimé à 1 cas sur 5 ; les 2/3 des indications sont liées à l'incertitude diagnostique (3) Une résection pour incertitude diagnostique En dehors de l’HNF typique, de l’angiome et du kyste biliaire simple, aucun examen radiologique, quelle que soit sa performance, n’apporte de diagnostic formel. Le doute persiste dans 10 à 40 % des cas (6) et le recours à une biopsie doit être envisagé. Outre l’information primordiale sur l’éventuelle malignité, cette biopsie doit permettre de distinguer le type de TBF pour en adapter le suivi (7). Hormis les risques d’hémorragie sur le trajet de ponction ou de dissémination tumorale (estimé à 2 % environ (8)), l’obtention d’une information inadéquate ou erronée n’est pas négligeable. La performance de cette procédure était estimée au début des années 2000 à 30 % (9). La biopsie par voie percutanée des lésions hypervascularisées n’est pas recommandée ; il en est de même pour les tumeurs de petite taille (9). La concordance, entre les résultats issus d’une biopsie à l’aiguille et les spécimens opératoires, serait de 35 à 40 % (6). Une biopsie « chirurgicale » par cœlioscopie autorise un « large » prélèvement histologique ; sa sensibilité est de l’ordre de 80 % et sa valeur prédictive positive de 100 % (10). Cette large biopsie, en fonction du diagnostic final, ne règle pas le choix de l’exérèse à proposer. Par ailleurs, les tumeurs centrohépatiques ou situées dans les segments postérieurs du foie ne sont pas toujours d’un accès facile. Une résection pour traiter des symptômes En présence d'un patient symptomatique, la découverte d'une (ou plusieurs) tumeur(s) du foie doit systématiquement aboutir à la question de l’imputabilité du développement de cette lésion dans la genèse des signes. Bien que le rôle de l’exérèse comme traitement des tumeurs bénignes symptomatiques soit souligné par plusieurs publications (issues d’études non contrôlées), des précautions sont nécessaires. Des explorations à la recherche de pathologies intriquées (principalement gastriques ou lithiasiques) sont utiles (11) tout en conservant en mémoire que la corrélation entre taille tumorale et symptômes aspécifiques (dyspepsie, toux, douleurs...) est non établie dans bon nombre des cas (5). Par prudence, en présence d'une tumeur de petite taille, une période d’observation, durant laquelle une résolution des symptômes est possible, est souhaitable (11). Parmi les symptômes, la douleur représente environ deux tiers des indications (12). Récemment, une analyse bicentrique de mesure de la qualité de vie pour des patients opérés d’une tumeur bénigne du foie (12) a souligné que l’amélioration des scores de la douleur se prolongeait dans le temps à 6 mois et à 1 an, qu’elle est d’autant plus importante que la douleur préopératoire était intense, et que la laparoscopie apportait un bénéfice significatif à 6 mois et à 1 an mais pas à 1 mois. Une résection pour prévenir une complication Les deux complications majeures observées comme révélatrices ou lors du suivi de tumeurs bénignes sont la transformation maligne et l'hémorragie. - Seules deux tumeurs ont un potentiel dégénératif connu: l'adénome hépatocellulaire et le cystadénome hépatobiliaire. Les recherches menées sur les adénomes (13, 14) dans les années 2000 ont permis de caractériser une sous- population à risque de cancérisation (celle porteuse de la mutation de la béta caténine) : une biopsie et une recherche de cette mutation sont devenues des standards de leur prise en charge (15). En ce qui concerne les cystadénomes hépatiques, la dégénérescence est difficile à établir au début : hors cas caricaturaux, la transformation partielle d'un cystadénome peut être méconnue par les données iconographiques (échographie, TDM, IRM, Pet Scan…), biologiques et des examens plus spécifiques comme une analyse du contenu kystiques (marqueurs tumoraux ou cellules malignes). Une fois le diagnostic de cystadénome établi (ou suspecté comme souvent), la résection complète de la lésion est recommandée (2). - En pratique "quotidienne" l'hémorragie intra tumorale et ou intra péritonéale est l'apanage des adénomes. Le risque théorique lié à la taille (au-delà de 50 mm de diamètre) a été complété par une détermination des sous populations issues de l'analyse moléculaire à risque, justifiant une nouvelle fois du recours "systématique" à la biopsie des adénomes (16). Une surveillance : oui, mais… Si l’amélioration des procédés d’imagerie hépatique et une meilleure connaissance de l’histoire naturelle des tumeurs bénignes du foie autorisent plus fréquemment une surveillance, les modalités et la durée de celle-ci ne sont pas clairement précisées (3, 11). L’équipe du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center à New York prône un contrôle par IRM 3 à 6 mois après la découverte de la tumeur incidentale, puis un intervalle entre 2 examens de 6 mois à 1 an en fonction de la stabilité lésionnelle (3). Finalement lors de la surveillance sur des périodes d’observation inférieures à 5 ans, un changement de stratégie a été rare car une résection justifiée par une modification lésionnelle n’a été pratiquée que dans 5 à 7,5 % (3, 17) des cas. Dans bon nombre de cas la découverte d'une tumeur bénigne du foie ou supposée telle nécessite des examens complémentaires pour établir un diagnostic précis qui dictera les choix thérapeutiques. Cependant la difficulté de ce diagnostic peut progressivement invasifs. La discussion pluridisciplinaire est justifier d'examens dans ces situations recommandée. Le recours à des centres experts décidant des choix stratégiques intriquant la surveillance, les actes biopsiques ou les résections chirurgicales, est conseillé. Références 1. Cong WM, Dong H, Tan L, Sun XX, Wu MC. Surgicopathological classification of hepatic space-occupying lesions: a single-center experience with literature review. World J Gastroenterol. 2011;17(19):2372-8. 2. Hardwigsen J, Laurent A. Tumeurs bénignes du foie. Rapport du 115e Congrès français de chirurgie. Arnette ed2013. 3. Mezhir JJ, Fourman LT, Do RK, Denton B, Allen PJ, D'Angelica MI, et al. Changes in the management of benign liver tumours: an analysis of 285 patients. HPB: the official journal of the International Hepato Pancreato Biliary Association. 2013;15(2):156-63. 4. Buell JF, Cherqui D, Geller DA, O'Rourke N, Iannitti D, Dagher I, et al. The international position on laparoscopic liver surgery: The Louisville Statement, 2008. Annals of surgery. 2009; 250(5):825-30. 5. Colli A, Fraquelli M, Massironi S, Colucci A, Paggi S, Conte D. Elective surgery for benign liver tumours. Cochrane Database Syst Rev. 2007(1):CD005164. 6. Ehrl D, Rothaug K, Herzog P, Hofer B, Rau HG. "Incidentaloma" of the liver: management of a diagnostic and therapeutic dilemma. HPB Surg. 2012; 2012:891787. 7. Maillette de Buy Wenniger L, Terpstra V, Beuers U. Focal nodular hyperplasia and hepatic adenoma: epidemiology and pathology. Dig Surg. 2010; 27(1):24-31. 8. Huang GT, Sheu JC, Yang PM, Lee HS, Wang TH, Chen DS. Ultrasound-guided cutting biopsy for the diagnosis of hepatocellular carcinoma--a study based on 420 patients. Journal of hepatology. 1996; 25(3):334-8. 9. Cherqui D. [Benign liver tumors]. J Chir (Paris). 2001;138(1):19-26. 10. Cherqui D, Rahmouni A, Charlotte F, Boulahdour H, Metreau JM, Meignan M, et al. Management of focal nodular hyperplasia and hepatocellular adenoma in young women: a series of 41 patients with clinical, radiological, and pathological correlations. Hepatology. 1995; 22(6):1674-81. 11. Charny CK, Jarnagin WR, Schwartz LH, Frommeyer HS, DeMatteo RP, Fong Y, et al. Management of 155 patients with benign liver tumours. Br J Surg. 2001; 88(6):808-13. 12. Kneuertz PJ, Marsh JW, de Jong MC, Covert K, Hyder O, Hirose K, et al. 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Weimann A, Ringe B, Klempnauer J, Lamesch P, Gratz KF, Prokop M, et al. Benign liver tumors: differential diagnosis and indications for surgery. World journal of surgery. 1997;21(9):983-90; discussion 90-1. SYNTHESE : LE ROLE DU CHIRURGIEN (DIAGNOSTIQUE, PRISE EN CHARGE, TRAITEMENT) Alexis LAURENT Service de Chirurgie Digestive, Hépatobiliaire & Transplantation Hépatique INSERM U955 – Equipe 18 DHU-VIC (Virus-Immunité-Cancer) Hôpital Henri Mondor - Assistance Publique-Hôpitaux de Paris Faculté de Médecine - Université Paris-Est 51 avenue du maréchal de Lattre de Tassigny - 94010 Créteil - France e-mail: [email protected] La classification des TBF, ordonnée sur une base histologique, est l’objet d’un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), régulièrement mis à jour. La prévalence exacte des TBF demeure inconnue (1), elle pourrait atteindre 50% selon une estimation issue de séries autopsiques ; les principales « tumeurs » étant les angiomes, les kystes biliaires, les hyperplasies nodulaires focales et les adénomes (1). 1. Diagnostic Le rôle du chirurgien dans la prise en charge des TBF est central. En effet, il est fréquemment le clinicien qui va superviser le déroulement complet de la prise en charge (1). Premièrement il faut définir le contexte clinique : s’agit-il de façon certaine d’une tumeur primitive et le foie est-il « sain » ? Ainsi il faudra, répertorier les traitements médicaux en cours et antérieurs, réaliser un interrogatoire à la recherche d’antécédents de tumeurs où de signes en faveur d’un processus tumoral et réaliser un bilan biologique (NFS + plaquettes, tests hépatiques, sérologies VHB – VHC, dosage de l’AFP, test de résistance à l’insuline) (2). Si l’ensemble de ce premier bilan est négatif, le diagnostic peut être obtenu dans la majorité des cas, par un radiologue expert pour les kystes biliaires simples, les angiomes, et les HNF typiques. Le radiologue, devra réaliser une IRM si le diagnostic n’a pas été possible avec certitude par échographie transcutané. L’échographie et d’une IRM sont réalisées selon les recommandations de la Société Française de radiologie (http://gbu.radiologie.fr). A la lecture de ces deux examens, si le radiologue répond : « ceci n’est ni un kyste biliaire simple, ni un angiome, ni une HNF typique», il faudra obtenir un diagnostic histologique et donc réaliser une biopsie tumorale. On rappelle que cette dernière doit être couplée à une biopsie du foie non tumoral. 2. Prise en charge Plus de dix ans après sa publication, cette assertion demeure : "les tumeurs bénignes du foie continue de représenter un challenge diagnostique et thérapeutique" (3). En effet, en présence d'une lésion focale du foie, la stratégie ne doit ni méconnaître une tumeur maligne ou potentiellement maligne ni proposer une exérèse abusive pour une tumeur asymptomatique sans risque évolutif (4). La prise en charge des adénomes et TBF rares doit être supervisée par des centres experts pour des tumeurs primitives du foie. A l’inverse, la prise en charges des kystes biliaires simples, des HNF typiques et des angiomes, ne relèvent pas tous des centres experts (1,4). 2.1 Kystes biliaires simples, HNF et Angiomes (1) Ces tumeurs ne nécessitent aucun traitement particulier, en particulier de résection chirurgicale, si elles sont asymptomatiques. Elles ne nécessitent pas non plus, chez la femme l’arrêt d’une contraception orale. En cas de symptômes, il faudra « résister » à l’exérèse et souvent évaluer sur une période de 6 mois, la réalité et l’évolution des symptômes. Lors d’un primo diagnostic d’HNF ou d’un angiome, il faut répéter l’IRM à 6-12 mois puis encore à 12 mois pour être certain de la stabilité en taille de la lésion. En effet, dans de rares cas ces tumeurs peuvent augmenter de volume. Dans ces conditions, on peut supposer qu’elles puissent à terme devenir responsables d’une symptomatologie (douleur, dysphagie, …) en raison du syndrome tumoral, qui ferait alors discuter une résection. Ces résections préemptives doivent rester des exceptions. 2.2 Adénomes hépatocellulaires (1) On rappelle que le diagnostic radiologique de certitude est impossible et qu’il faudra avoir une preuve histologique dans tous les cas. Leur prise en charge relève des centres experts. Ainsi dans tous les cas, il faudra prendre un avis auprès d’une RCP spécialisée dans les tumeurs primitives du foie, sans nécessairement adresser physiquement le ou la patiente. La classification patho-moléculaire est encore au stade de l’évaluation. Elle est parfois une aide à la décision au sein des RCP des centres experts. Chez l’homme la résection sera quasi systématique. Chez la femme, globalement, tous les adénomes mutés béta caténine seront proposés à la résection, pour les autres tumeurs la prise en charge relève du cas par cas, en particulier dans un contexte de grossesse ou de désir de grossesse. Le risque de rupture hémorragique au-delà de 50mm reste théorique, il faudra également tenir compte du contexte et en particulier du risque chirurgical de la résection. Pour toutes ces raisons la prise en charge supervisée par un centre expert est justifiée. Références 1. Rapport AFC 2013 : Tumeurs bénignes du foie (Arnette) 2. Approche diagnostique devant une tumeur supposée bénigne du foie V. Laurent J. Mathias, P.- A. Ganne, O. Bruot, D. Regent .Gastroenterol Clin Biol. 2008 May;32(5 Pt 2):S182-93. 3. Management of 155 patients with benign liver tumours. Charny CK, Jarnagin WR, Schwartz LH et al. Br J Surg 2001; 88: 808-13 4. Tumeur bénignes du foie. Cherqui D. J Chir (Paris) 2001; 138: 19-26 NOTES NOTES