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une société anonyme coopérative de logements à loyer modéré, la Maison Familiale, soutenue par le
maire de Rezé, qui décide de se lancer dans le projet 8. Dès avril 1955, l’unité d’habitation, haute de 50
mètres, longue de 110 et large de 20, domine la campagne rezéenne. Constituée de 18 niveaux, elle
comporte 294 logements repartis en six rues intérieures. Il faut noter que le bâtiment est construit sur un
mode de financement original : la Maison Familiale obtient un prêt de l’Etat qui lui permet d’assurer 85%
du financement, le complément est pris en charge par les apports personnels des occupants qui deviennent
actionnaires de la société coopérative. Chaque année, la part du loyer relative à l’amortissement de
l’emprunt de l’Etat fait également l’objet d’attribution d’actions. Le locataire devient ainsi copropriétaire.
Ce montage financier particulier a certainement favorisé le développement d’une identité habitante forte,
chacun participant à la vie commune de l’immeuble et faisant partie intégrante d’un tout. Cependant, dès
1971, la loi Chalandon, du nom du ministre de l’Equipement et du Logement, annule le système statutaire
de locataire-coopérateur et impose aux habitants de la Maison Radieuse le choix entre devenir
propriétaires ou locataires. Seulement 12% des habitants choisissent d’acheter leur logement. Les autres
deviennent locataires HLM ou quittent tout simplement l’immeuble. Néanmoins, la suppression de la
location-coopérative a donné lieu à un mouvement social important, significatif de l’esprit militant qui
anime depuis toujours les habitants de la Maison Radieuse. Aujourd’hui, la société anonyme d’HLM,
Loire Atlantique Habitations, après avoir vendu un certain nombre de ses appartements, reste majoritaire
à 56% dans l’immeuble. Les 44% de propriétaires occupent en général leur logement, une petite minorité
d’entre eux le louent. Cette diversité des statuts d’occupation donne à l’immeuble une configuration
inédite de mixité sociale. Aujourd’hui, la population de la Maison Radieuse s’élève à un petit millier
d’habitants, propriétaires et locataires confondus. Par ailleurs, il est important de noter qu’en 1965, à la
mort de Le Corbusier, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, fait inscrire à l’inventaire
supplémentaire des monuments historiques les façades et la terrasse de la Maison Radieuse. Désormais,
l’immeuble est classé « monument historique » et fait partie du patrimoine national.
La Maison Radieuse de Rezé, bien qu’elle n’ait pas été réalisée dans une logique globale d’aménagement
urbain, répond aux principes généraux d’architecture et d’urbanisme défendus par Le Corbusier depuis les
années 20. Dressé au milieu d’un parc de six hectares (2,9 à l’origine), l’immeuble se hisse sur de larges
pilotis, libérant ainsi l’espace au sol. On y pénètre par un vaste hall, d’où trois ascenseurs permettent
l’accès aux étages et au toit-terrasse. L’unité d’habitation présente la particularité d’offrir des
appartements en duplex desservis, tous les trois étages, par de larges couloirs. Autour de chacune de ces
« rues intérieures » s’emboîtent 49 logements, de type montant ou descendant. La façade nord étant
aveugle, tous les appartements sont traversants et bénéficient d’une double orientation est-ouest,
exception faite de ceux situés sur le pignon sud qui ne jouissent que d’une seule vue. Les 294 logements
proposés sont de six types différents : tous possèdent une cuisine équipée s’ouvrant sur la pièce de vie
derrière un passe-plat, une salle d’eau avec douche et des toilettes séparées. Les appartements sont conçus
à l’échelle du « Modulor » 9 et sont standards, seul le nombre des chambres d’enfants varie. Les façades
libres permettent l’ouverture par des baies vitrées de toute la largeur des pièces, donnant ainsi accès à des
loggias qui surplombent le vaste parc. Pour les premiers occupants, qui s’installent en 1955, c’est un
changement de vie radical de pouvoir disposer de tout le confort moderne : espace vert, insonorisation
exceptionnelle, double vitrage, ventilation mécanique, chauffage collectif, équipements sanitaires,
chambres séparées, cuisine ouverte et aménagée, vide-ordures, etc.
8 Le Corbusier avait déjà travaillé à une proposition de plan d’urbanisme pour la reconstruction de Nantes dès 1944, à la
demande de Gabriel Chéreau, avocat et membre de la Maison Familiale. Voir à ce propos les travaux de Gilles Bienvenu,
« Nantes ville radieuse ou l’appel du Corbusier : le projet Chéreau », 303, n°15, 1984, p. 11-21.
9 Le Modulor est un système de mesure harmonique imaginé par Le Corbusier, qui correspond à une silhouette humaine
standardisée, dont la taille est de 1m83 et la hauteur du nombril de 1m13 (le rapport entre les deux étant égal au nombre d’or).
En généralisant l’utilisation du Modulor à l’ensemble de la pratique architecturale, Le Corbusier entend adapter au mieux le
logement à l’échelle de la morphologie humaine.