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Etre logé, se loger, habiter
Regards de jeunes chercheurs
Sous la direction de Martine Berger et Lionel Rougé
Avec la collaboration de Férial Drosso, Hélène Jannières, Jean-Michel Léger, Christine Lelévrier.
L’Harmattan, Collection Habitat et Société, 2012
Introduction générale : Martine Berger (Université Paris 1, LADYSS) et Lionel Rougé (Université Caen
Basse-Normandie, ESO)
Première partie : Quand les pratiques et des politiques s’ajustent
Introduction F. Drosso (IUP, Université Paris 12 Val-de-Marne, CRETEIL) et C. Lelévrier (IUP,
Université Paris 12 Val-de-Marne, CRETEIL)
- Loïc Bonneval : Evolutions du métier d’agent immobilier et marchés du logement
- Pascale Dietrich-Ragon : L’intervention sur le logement dégradé à Paris : concurrences de légitimité
- Florent Herouard : Vers une institutionnalisation de l’hébergement d’urgence dans les hôtels ? Le cas du
Calvados
- Sophie Bretesché : Le service de proximité dans l’habitat social : utopie rationnalisatrice et rapport moral
au locataire
- Vanessa Caru : L’impossible émergence d’une politique de logement social en contexte colonial ?
L’exemple de Bombay (années 1890-1920)
- Sylvaine Le Garrec : Quand la rénovation urbaine s’applique à une copropriété : les Bosquets à
Montfermeil (93)
- Pierre Gilbert : Démolir et reconstruire aux Minguettes
- Marie Chabrol : Espace bâti et gentrification : le cas du quartier Château-Rouge à Paris
- Anne Clerval : Le logement et l’habitat dans le processus de gentrification L’exemple de Paris
- Anaïs Collet : Gentrifieurs d’aujourd’hui, gentrifieurs d’hier
- Hadrien Dubucs : Habiter une ville lointaine : les migrants japonais dans l’agglomération parisienne
Deuxième partie : S’approprier : De la conception aux modes d’habiter
Introduction Hélène Jannière (ENSA Paris La Vilette, LADYSS) et Jean-Michel Léger (ENSA Paris
Belleville, IPRAUS)
- Marilena Kourniati : Team 10 : Regarder l’autre pour « inventer l’habitat humain »
- Sabrina Bresson : La réception sociale des expérimentations architecturales : l’Unité d’habitation de Le
Corbusier à Rezé et les Etoiles de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine
- Olivier Berger : Le Parc dArdenay (Essonne), sociologie d’une résidence
- Julie Boustingorry : les « Castors » aquitains : quand une communauté de défi veut construire une
communauté de vie
- Elsa Coslado : Désirée et désirable, la « villa économique » à Marrakech
- Claire Aragau : Choix résidentiels et aménagement routier. Un exemple dans l’ouest francilien
- Nathalie Ortar : Une ancre pour être mobile : parcours de résidents secondaires et permanents dans l’Ain
et le haut pays des Alpes-Maritimes
- Sylvie Clément-Valissant : Modes d’habitat et institution militaire : l’exemple de la vie en caserne au sein
de la gendarmerie nationale
- Melinda Molnar : Habiter les lotissements de jardins en Hongrie
- Magalie Paris : Habiter son jardin en milieu urbain dense
- Valérie Lebois : L’entre-deux de l’immeuble parisien
- Amélie Flamand : Espaces privés et espaces publics ? Heurs et malheurs des cages d’escaliers
- Maïmouna Traoré : Perceptions et gestion des déchets domestique à Ouagadougou
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La réception sociale des expérimentations architecturales : l’Unité d’habitation de
Le Corbusier à Rezé et les Etoiles de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine
Sabrina BRESSON
Depuis plus d’un demi-siècle, la France tente de régler les problèmes d’une crise du logement qui ne
cesse de se renouveler. Les politiques d’habitat social, qui se sont succédées depuis les années de la
Reconstruction, n’ont su apporter que des réponses dans l’urgence. En ce début de XXI e siècle, le bilan
des réalisations de logements sociaux des années d’après-guerre à nos jours est mitigé : les cités HLM de
banlieues connaissent aujourd’hui des problèmes sociaux importants, qui ne sont certainement pas sans
liaison avec la façon dont ces modèles d’habitat ont été pensés et ces quartiers intégrés à la ville. Les
projets des Trente Glorieuses pour l’habitat du plus grand nombre portaient pourtant en eux toutes les
évolutions de l’âge moderne. Comment les ensembles de logements produits dans ces années-là ont
enduré l’épreuve du temps et les mutations de la société ? Quel bilan social peut-on tirer de ces
expériences ?
La plupart des concepteurs s’interrogent sur les usages quotidiens et les attentes de ceux pour qui ils
réalisent des logements, mais le rôle social de l’architecte est complexe : « S’il ne peut d’un trait de
crayon imposer véritablement un mode de vie, il peut le perturber ou à l’inverse le soutenir. Il a la
capacité de mettre en forme, de spatialiser une culture, de lui donner des lieux qui permettent que les
mille gestes quotidiens soient accomplis avec aisance et plaisir. Pour créer cette situation, il ne peut faire
l’économie de regarder vivre les habitants et d’observer le devenir des bâtiments et des logements sur le
temps long »1. C’est le travail que nous proposons ici : pour comprendre comment les habitants vivent
dans des ensembles de logements pensés pour eux et comment ils perçoivent l’espace habité, il faut se
livrer à un recensement diachronique de leurs usages, il faut mettre à jour les rapports sociaux qui se sont
établis et s’établissent encore dans ces ensembles, aussi bien du point de vue de l’intimité des logements
que du rapport aux espaces collectifs ou publics. Ainsi, l’objectif de notre recherche est de prendre la
mesure de la réception sociale des projets architecturaux pour l’habitat du plus grand nombre, en
confrontant les conceptions des architectes aux pratiques des habitants.
Pour ce faire, nous avons choisi de nous intéresser aux situations d’expérimentations architecturales pour
le logement social. Selon la définition de Jean-Michel Léger dans le Dictionnaire de l’habitat et du
logement, on peut parler d’expérimentation architecturale « lorsque le maître d’ouvrage et/ou l’architecte
proposent une innovation (distribution, forme du logement, matériaux, etc.) » 2. Une des premières
propriétés des expérimentations architecturales serait donc la nature innovante de l’architecture proposée,
aussi bien dans la forme, que dans le plan, ou que dans les matériaux utilisés. Plus encore, nous pensons
que les architectes, en produisant de nouveaux modèles d’habitat, orientent leurs plans vers des formes
susceptibles, selon eux, de participer à l’évolution de la société, de favoriser le changement, de permettre
le renouvellement des pratiques et des modes d’appropriation sociale de l’espace. Les propositions des
architectes dépassent donc un cadre simplement technique car elles suggèrent un projet de société, un
projet de vie pour des habitants présumés. Dans ce sens, on peut penser que la mise à l’épreuve des
solutions nouvelles envisagées peut favoriser l’enrichissement de la connaissance, à condition que ces
expériences ne soient pas dépourvues d’observateurs, ni de retour aux hypothèses. C’est donc ici
1 M. ELEB et A.M. C HATELET, Urbanité, sociabilité et intimité. Des logements d’aujourd’hui, Les Editions de l’Epure, Paris,
1997, p. 182.
2 Voir l’article de J.M. Léger sur les expérimentations architecturales, dans M. SEGAUD, J. BRUN, J.C. DRIANT (dir.),
Dictionnaire de l’habitat et du logement, Armand Colin, Paris, 2002, p. 163.
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l’occasion de confronter des modèles théoriques d’habitat, dont on connaît les objectifs, aux pratiques
effectives des individus pour lesquels ils ont été élaborés. Les nouveaux modèles d’habiter participent-ils
à la mutation des modes de vie ? Génèrent-ils de nouvelles pratiques ? Comment sont perçues au
quotidien les formes du milieu bâti et quelles sont leurs influences sur les représentations des citadins et
sur leurs usages de la ville ? Il s’agit pour nous de comprendre, via le discours des usagers, comment les
propositions des architectes ont rencontré les évolutions sociales des dernières décennies, comment
l’utopie d’une époque a enduré les années et comment les transformations de la société se sont traduites
dans l’espace.
Afin de répondre à ces questions, nous avons sélectionné deux modèles d’habitat social emblématiques de
la seconde moitié du XXe siècle : les « Unités d’habitation de grandeur conforme » de Le Corbusier et les
« Etoiles » de Jean Renaudie. Si nous avons choisi ces deux exemples c’est parce qu’il s’agit
d’expériences où les projets architecturaux résultent d’une longue réflexion sur la production des villes et
de l’habitat et que nous avons la chance de disposer de traces de ces réflexions grâce aux écrits des deux
architectes3. Le Corbusier et Renaudie ont, en effet, la particularité d’avoir « théorisé » leur pratique de
l’architecture et ont en commun de penser que le logement est constitutif de la ville. Pour eux, c’est une
question essentielle de la fabrication des villes, car le logement est un besoin fondamental qu’il faut
évidemment satisfaire, mais surtout amener à évoluer en phase avec les mutations de la société. Toutefois,
si Le Corbusier et Renaudie poursuivent le même objectif, celui de produire des logements de qualité
pour tous, il faut remarquer – et c’est ce qui a fait porter notre attention sur ces deux exemples – que les
modèles considérés s’opposent en de nombreux points et s’inscrivent dans des courants de pensée
antinomiques. Evidemment, les deux architectes sont issus de générations différentes. Le Corbusier est
empreint des idées de la modernité, de l’hygiénisme, du progrès technologique, propres au premier XX e
siècle. Renaudie, quant à lui, est marqué par son engagement dans les mouvements contestataires de la fin
des années 60, qui, en architecture, remettent en cause les principes du fonctionnalisme prônés par Le
Corbusier.
En France, quatre unités d’habitations de grandeur conforme de le Corbusier ont vu le jour entre 1952 et
19674. De même, il existe plusieurs ensembles de logements dits « en étoiles », conçus par Renaudie entre
1972 et 1981. Pour nos enquêtes, nous avons choisi d’étudier deux bâtiments en particulier : la Maison
Radieuse de Rezé (Loire-Atlantique) livrée en 1955 par Le Corbusier et l’immeuble Casanova réalisé par
Jean Renaudie en 1972 dans le cadre de la rénovation du centre-ville d’Ivry-sur-Seine. Du point de vue
méthodologique, il faut distinguer deux dimensions importantes de notre analyse. Premièrement, une
étude rigoureuse des doctrines architecturales et urbanistiques en présence est nécessaire pour mener à
bien notre projet. Secondement, la réception sociale des logements considérés ne peut être appréhendée
que par des enquêtes in situ 5, notamment des séries d’observations et d’entretiens auprès des habitants et
des acteurs locaux des plus anciens aux plus récents. Nous insistons sur la dimension diachronique de
notre analyse car le temps long constitue pour nous l’opportunité de la mesure des évolutions sociales. Il
nous faut, en effet, comprendre comment ont évolué les pratiques et les représentations des habitants dans
les deux ensembles de logements, comment les propositions des architectes ont rencontré les mutations de
la société sur près d’un demi-siècle. Bien que les deux expériences s’inscrivent dans des contextes
sociaux et urbains très différents, la dimension expérimentale des projets, le caractère circonscrit des deux
3 Les productions littéraires des deux architectes sont inégales : si les textes de Le Corbusier sont nombreux, ceux de Renaudie
sont plus rares. Dans la bibliographie présentée ci-après, nous reprenons quelques textes primordiaux des deux auteurs sur la
question de la ville et de l’habitat.
4 Gérard Monnier a fait le point sur « l’histoire » des unités d’habitations de Le Corbusier en France. Il a observé en détail les
circonstances et les acteurs de leur création et montré que les quatre immeubles ont connu des sorts très contrastés : la
contestation à Marseille, l'adoption à Rezé, l'abandon à Firminy et la démolition évitée de justesse à Briey. Voir G. M ONNIER,
Le Corbusier. Les unités d’habitation en France, Belin, Paris, 2002.
5 Les données utilisées pour le présent article sont tirées des enquêtes de terrain menées auprès des habitants de la Maison
Radieuse à Rezé et de l’immeuble Casanova à Ivry-sur-Seine entre 2003 et 2007. Léchantillon de personnes interviewées
représente entre 12% et 15% de la population totale des deux immeubles.
4
immeubles, la possibilité de l’observation sur le temps long, et l’ensemble des ressources documentaires
et archivistiques6 dont nous disposons, complété par nos enquêtes auprès des habitants, font de la Maison
Radieuse de Rezé et de l’immeuble Casanova à Ivry des « laboratoires », qui doivent nous permettre de
mesurer les effets sociaux des dispositifs spatiaux et de réfléchir à la cohérence des modèles proposés.
1. Les projets architecturaux de Le Corbusier et de Renaudie : de la rationalité à la complexité
Selon Michel Conan, « l’habiter, c’est une conduite par laquelle des hommes donnent un sens à l’espace
où ils vivent, sens qui à la fois les protège, renforce la permanence de leur identité et leur permet de faire
face aux changements »7. Nous nous intéressons ici à trois « échelles » de l’habiter. La première est celle
du logement proprement dit, de l’espace privé. Elle est intimement liée au concept d’appropriation de
l’espace. Habiter son logement c’est vivre son environnement spatial intime, c’est pouvoir le marquer de
ses goûts, c’est avoir la possibilité de l’organiser selon ses habitudes culturelles et sociales. Il s’agit donc
pour nous de comprendre comment les habitants s’adaptent aux formes des logements proposés et quels
sont les processus en œuvre dans l’adéquation ou non au modèle architectural. La deuxième échelle que
nous observons est celle des espaces « intermédiaires », ni vraiment privés, ni vraiment publics. Il s’agit
de tous les espaces collectifs que les habitants doivent apprendre à partager (hall, couloirs, cages
d’escaliers, parc, etc.). Ils peuvent être à la fois des espaces de la sociabilité de voisinage, de la
négociation, de la contrainte, parfois même du conflit… Dans tous les cas, ils témoignent de l’évolution
des relations sociales qui s’instaurent entre les habitants d’un même ensemble de logements. Enfin, la
troisième échelle sur laquelle nous portons notre regard est celle des rapports à l’espace urbain. Habiter la
ville c’est produire des différences au sein d’un territoire commun. On peut penser que les formes du
milieu bâti structurent la perception de l’espace, caractérisent dans l’imaginaire collectif les territoires
urbains, et entrent en jeu dans la qualification des quartiers et dans les processus de valorisation ou de
dévalorisation du cadre de vie.
Les théories de Le Corbusier et de Jean Renaudie sur l’habitat collectif reprennent ces trois échelles de
l’habiter. Les deux architectes réfléchissent aux conséquences de leurs plans non seulement sur le rapport
des habitants à l’intimité du foyer, mais encore sur le lien social qui peut s’établir dans une même unité de
voisinage, ou sur les usages des espaces publics dans le quartier et la ville toute entière.
La rationalité fonctionnaliste chez Le Corbusier
La Maison Radieuse de Rezé, près de Nantes, est la deuxième unité d’habitation de grandeur conforme
réalisée par Le Corbusier en France, après celle de Marseille et avant celles de Briey et de Firminy.
Quand sa construction débute, Rezé n’est qu’un petit bourg de campagne isolé au sud de Nantes. C’est
6 Il est important de noter que nous disposons d’une série détudes réalisées à la Maison Radieuse à différents moments des
cinq décennies de vie de l’immeuble (notamment des analyses architecturales, plus rarement des enquêtes sociologiques).
Notons celle de Paul-Henry Chombart-de-Lauwe qui, dès 1957, se livrait à un « essai d’observation expérimental » des
pratiques sociales et des réactions des tout premiers habitants (Voir P.H. CHOMBART-DE-LAUWE (Dir.), Famille et habitation.
Tome II. Un essai d’observation expérimentale, Centre d’ethnologie sociale et de psychologie, CNRS, Paris, 1967) ; ou encore
celle de Philippe Bataille et Daniel Pinson, qui, à l’occasion des travaux de réhabilitation du bâtiment dans les années 90, ont
conduit une enquête davantage orientée sur des perspectives architecturales (voir Ph. BATAILLE et D. PINSON, Rezé évolution et
réhabilitation Maison Radieuse, Editions du Ministère de l’Equipement, Paris, 1990). De même, pour l’immeuble Casanova à
Ivry, nous bénéficions d’une enquête qui témoigne des réactions des primo-habitants. Il s’agit de l’enquête psycho-
sociologique de Françoise Lugassy menée à la livraison du bâtiment (voir F. L UGASSY, Les réactions à l'immeuble Danielle
Casanova à Ivry. Tome 1 : Réactions avant emménagement. Tome 2 : Les processus d’appropriation. Rapport de recherche du
Plan Construction, Compagnie Française d’Economistes et de Psychosociologues (C.E.P.), Direction de la Construction au
Ministère de l’Equipement, juillet 1973, mars 1974).
7 M. CONAN, Le système de l’habiter, CSTB, Paris, 1981, p. 3.
5
une société anonyme coopérative de logements à loyer modéré, la Maison Familiale, soutenue par le
maire de Rezé, qui décide de se lancer dans le projet 8. Dès avril 1955, l’unité d’habitation, haute de 50
mètres, longue de 110 et large de 20, domine la campagne rezéenne. Constituée de 18 niveaux, elle
comporte 294 logements repartis en six rues intérieures. Il faut noter que le bâtiment est construit sur un
mode de financement original : la Maison Familiale obtient un prêt de l’Etat qui lui permet d’assurer 85%
du financement, le complément est pris en charge par les apports personnels des occupants qui deviennent
actionnaires de la société coopérative. Chaque année, la part du loyer relative à l’amortissement de
l’emprunt de l’Etat fait également l’objet d’attribution d’actions. Le locataire devient ainsi copropriétaire.
Ce montage financier particulier a certainement favorisé le développement d’une identité habitante forte,
chacun participant à la vie commune de l’immeuble et faisant partie intégrante d’un tout. Cependant, dès
1971, la loi Chalandon, du nom du ministre de l’Equipement et du Logement, annule le système statutaire
de locataire-coopérateur et impose aux habitants de la Maison Radieuse le choix entre devenir
propriétaires ou locataires. Seulement 12% des habitants choisissent d’acheter leur logement. Les autres
deviennent locataires HLM ou quittent tout simplement l’immeuble. Néanmoins, la suppression de la
location-coopérative a donné lieu à un mouvement social important, significatif de l’esprit militant qui
anime depuis toujours les habitants de la Maison Radieuse. Aujourd’hui, la société anonyme d’HLM,
Loire Atlantique Habitations, après avoir vendu un certain nombre de ses appartements, reste majoritaire
à 56% dans l’immeuble. Les 44% de propriétaires occupent en général leur logement, une petite minorité
d’entre eux le louent. Cette diversité des statuts d’occupation donne à l’immeuble une configuration
inédite de mixité sociale. Aujourd’hui, la population de la Maison Radieuse s’élève à un petit millier
d’habitants, propriétaires et locataires confondus. Par ailleurs, il est important de noter qu’en 1965, à la
mort de Le Corbusier, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, fait inscrire à l’inventaire
supplémentaire des monuments historiques les façades et la terrasse de la Maison Radieuse. Désormais,
l’immeuble est classé « monument historique » et fait partie du patrimoine national.
La Maison Radieuse de Rezé, bien qu’elle n’ait pas été réalisée dans une logique globale d’aménagement
urbain, répond aux principes généraux d’architecture et d’urbanisme défendus par Le Corbusier depuis les
années 20. Dressé au milieu d’un parc de six hectares (2,9 à l’origine), l’immeuble se hisse sur de larges
pilotis, libérant ainsi l’espace au sol. On y pénètre par un vaste hall, d’où trois ascenseurs permettent
l’accès aux étages et au toit-terrasse. L’unité d’habitation présente la particularité d’offrir des
appartements en duplex desservis, tous les trois étages, par de larges couloirs. Autour de chacune de ces
« rues intérieures » s’emboîtent 49 logements, de type montant ou descendant. La façade nord étant
aveugle, tous les appartements sont traversants et bénéficient d’une double orientation est-ouest,
exception faite de ceux situés sur le pignon sud qui ne jouissent que d’une seule vue. Les 294 logements
proposés sont de six types différents : tous possèdent une cuisine équipée s’ouvrant sur la pièce de vie
derrière un passe-plat, une salle d’eau avec douche et des toilettes séparées. Les appartements sont conçus
à l’échelle du « Modulor » 9 et sont standards, seul le nombre des chambres d’enfants varie. Les façades
libres permettent l’ouverture par des baies vitrées de toute la largeur des pièces, donnant ainsi accès à des
loggias qui surplombent le vaste parc. Pour les premiers occupants, qui s’installent en 1955, c’est un
changement de vie radical de pouvoir disposer de tout le confort moderne : espace vert, insonorisation
exceptionnelle, double vitrage, ventilation mécanique, chauffage collectif, équipements sanitaires,
chambres séparées, cuisine ouverte et aménagée, vide-ordures, etc.
8 Le Corbusier avait déjà travaillé à une proposition de plan d’urbanisme pour la reconstruction de Nantes dès 1944, à la
demande de Gabriel Chéreau, avocat et membre de la Maison Familiale. Voir à ce propos les travaux de Gilles Bienvenu,
« Nantes ville radieuse ou l’appel du Corbusier : le projet Chéreau », 303, n°15, 1984, p. 11-21.
9 Le Modulor est un système de mesure harmonique imaginé par Le Corbusier, qui correspond à une silhouette humaine
standardisée, dont la taille est de 1m83 et la hauteur du nombril de 1m13 (le rapport entre les deux étant égal au nombre d’or).
En généralisant l’utilisation du Modulor à l’ensemble de la pratique architecturale, Le Corbusier entend adapter au mieux le
logement à l’échelle de la morphologie humaine.
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