M I S E A U P O I N T Dysautonomie du diabète : détection et prise en charge ● P. Valensi* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ La dysautonomie est une complication potentiellement grave du diabète. ■ D’expression très polymorphe, la dysautonomie diabétique peut toucher le système cardiovasculaire, le tractus digestif, l’appareil urogénital, la motricité pupillaire et le système sudoral. ■ Dans chacune de ces localisations, la dysautonomie peut être mise en évidence au stade infraclinique par des examens complémentaires non invasifs. ■ La neuropathie autonome cardiaque (NAC) constitue l’atteinte dysautonomique la plus fréquente et la plus précoce du diabète. ■ La NAC peut être recherchée de façon simple par l’étude des variations de fréquence cardiaque au cours d’épreuves standardisées, en tenant compte de l’influence de l’âge. ■ La NAC expose à différents risques, en particulier aux conséquences de l’hypotension orthostatique, de l’ischémie myocardique silencieuse, des anomalies de la repolarisation ventriculaire et des variations nycthémérales de la pression artérielle. ■ Le traitement des manifestations dysautonomiques s’appuie encore sur les traitements symptomatiques. Mais l’amélioration de l’équilibre glycémique, qui se révèle effective au moins partiellement, reste fondamentale en l’attente des traitements spécifiques de la neuropathie diabétique. * Service d’endocrinologie-diabétologie-nutrition, CHU Jean-Verdier - Université Paris-Nord, Bondy. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 L a dysautonomie est une complication chronique et grave du diabète, qui affecte les diabétiques insulinodépendants et non insulinodépendants. Sa fréquence est certainement sous-estimée, dans la mesure où elle est rarement symptomatique. Elle peut être révélée à un stade infraclinique par des techniques appropriées. Elle peut toucher les systèmes sympathique et parasympathique, des preuves histopathologiques d’atteinte des deux systèmes ayant été obtenues. La physiopathologie de la dysautonomie diabétique est complexe, rendant compte d’un traitement également complexe. PHYSIOPATHOLOGIE Cette complexité résulte de différents facteurs, en particulier du fait de l’atteinte de différents appareils, qui peuvent être touchés de façon inégale et variable dans le temps, et d’une histoire naturelle encore insuffisamment connue. C’est la neuropathie autonome cardiaque (NAC), une des conséquences les plus mesurables de la dysautonomie, qui a permis les recherches physiopathologiques les plus fructueuses. L’influence de l’équilibre métabolique est suggérée par la mise en évidence précoce de la NAC, par des données transversales (1,2) et par l’effet favorable de l’équilibre optimisé du diabète de type 1 (insulinodépendant) (3). Les facteurs métaboliques impliquent une série de conséquences de l’hyperglycémie chronique : augmentation d’activité de la voie de l’aldose réductase, conduisant à une accumulation de sorbitol, une déplétion en myo-inositol, une réduction d’activité de la Na+/K+ ATPase dans le nerf, une accumulation des produits finaux de glycation (AGE : Advanced Glycated Endproducts), une activation des processus d’oxydation. Le rôle de facteurs immunologiques peut être soupçonné devant l’infiltration des ganglions autonomes par des lymphocytes et des plasmocytes (4) et la mise en évidence d’anticorps antimédullo-surrénales et antiganglions sympathiques, chez les diabétiques ayant une dépression de la réponse catécholergique à l’orthostatisme (5). L’implication de facteurs microcirculatoires, à l’instar de ceux vraisemblablement en cause dans la neuropathie périphérique, est possible. Enfin, des facteurs nutritionnels révélés dans le diabète expérimental, mais également suggérés dans le diabète humain, pourraient être impliqués. L’influence de la malnutrition a ainsi été 143 M I S E A suggérée. L’obésité, très fréquente chez les diabétiques de type 2 (non insulinodépendant), peut aussi s’associer à un dysfonctionnement autonome cardiovasculaire et peut rendre compte, dans une certaine mesure, des altérations des épreuves autonomes cardiaques chez les diabétiques (6). EXPRESSION CLINIQUE DE LA DYSAUTONOMIE DIABÉTIQUE L’expression clinique peut être patente, avec des symptômes parfois invalidants. Elle est beaucoup plus souvent latente, mise en évidence par des examens de complexité et de sensibilité variables. Dans les formes patentes, le diagnostic est délicat en raison du caractère non spécifique des symptômes et de l’atteinte souvent dissociée des différents organes. Enfin, la dysautonomie n’est pas spécifique du diabète, et d’autres étiologies, comme l’éthylisme chronique et l’insuffisance rénale, peuvent être en cause. La neuropathie autonome cardiovasculaire La NAC, au stade infraclinique, est une complication très fréquente, retrouvée chez 20 à 70 % des diabétiques selon les séries. Elle survient précocement, touchant près de 10 % des patients atteints d’un diabète de type 1 récent et environ 6 % des patients atteints d’un diabète de type 2 récemment diagnostiqué. • Valeur pronostique La NAC, au stade infraclinique, s’associe à une augmentation de la mortalité, en particulier d’origine cardiovasculaire, révélée par plusieurs séries prospectives (7). Ainsi, le taux de mortalité est multiplié par un facteur 5. Un allongement du segment QT et la survenue d’arythmies ventriculaires pourraient être le mécanisme de certaines morts subites. Les corrélations significatives entre NAC, rétinopathie et sévérité de la néphropathie diabétique (2,7) sont bien cohérentes avec la notion que la NAC pourrait être un marqueur précoce de microangiopathie diabétique. • Les manifestations patentes L’hypotension orthostatique en est la plus classique, parfois invalidante. Elle est définie par la baisse de la pression artérielle systolique d’au moins 30 mmHg et/ou de la pression diastolique d’au moins 20 mmHg après une minute d’orthostatisme. L’hypotension orthostatique, strictement d’origine autonomique, est en relation avec une atteinte sympathique, ainsi qu’en témoigne une baisse des taux plasmatiques de noradrénaline. Au contraire, la variété hyperadrénergique de l’hypotension orthostatique est associée à une hypovolémie ou à une anémie, et non à une NAC. Enfin, l’hypotension orthostatique ne peut être rattachée à la dysautonomie qu’après avoir écarté des facteurs iatrogènes, comme des diurétiques, des vasodilatateurs, des dérivés nitrés, des antidépresseurs tricycliques ou des phénothiazines, ou encore, dans quelques cas, le rôle propre de l’insuline (qui intervient par une vasodilatation périphérique et par une augmentation de la perméabilité capillaire responsable d’une hypovolémie). 144 U P O I N T Quelques études autopsiques ont fortement suggéré que l’infarctus du myocarde silencieux pouvait être relié, dans quelques cas, à des lésions des fibres nerveuses autonomes issues du myocarde. Toutefois, le lien entre NAC et caractère silencieux de la cardiopathie ischémique avant infarctus n’est pas établi de façon formelle. La tachycardie permanente est une autre manifestation classique de la NAC, encore que son authenticité soit discutable à la lumière des enregistrements Holter ECG sur 24 heures. Des œdèmes des membres inférieurs peuvent également résulter de la dysautonomie, du fait de la levée du tonus sympathique vasoconstricteur périphérique. Lorsqu’une de ces manifestations patentes est présente, il existe en règle des signes cliniques de neuropathie périphérique. • La NAC au stade infraclinique a - Épreuves standardisées Différentes méthodes ont été proposées pour mettre en évidence la NAC au stade infraclinique. Les plus fréquemment utilisées, en raison de leur faisabilité et de leur reproductibilité (8), sont les épreuves proposées par Ewing et al. (9). Ces auteurs ont développé une batterie de cinq épreuves standardisées, réalisables au lit du malade ou en ambulatoire, dans les conditions d’un repos d’au moins trente minutes et à distance d’un effort physique récent. Trois de ces épreuves explorent les variations de la fréquence cardiaque, essentiellement sous contrôle parasympathique. À l’aide d’un cardiographe simple ou, mieux, en recourant à des systèmes informatisés, il est possible de mesurer précisément les espaces RR et d’examiner les variations de fréquence cardiaque au cours d’épreuves de respiration profonde, d’orthostatisme actif et de Valsalva (10). L’épreuve de respiration profonde doit être effectuée en demandant au patient de s’adapter préalablement à ce type de respiration. Le sujet doit réaliser en décubitus six cycles respiratoires profonds en une minute. La fréquence cardiaque (FC) maximale est atteinte en inspiration (I) et la FC minimale en expiration (E). Le résultat est exprimé par le rapport I/E. L’épreuve d’orthostatisme actif induit d’abord une accélération de la FC dans les premières secondes suivant le passage à la position debout, pour atteindre un maximum vers la 15e seconde, qui laisse place secondairement à un ralentissement, maximal vers la 30e seconde. Le résultat est exprimé par le rapport de la FC maximale à la FC minimale. L’épreuve de Valsalva, réalisée en position assise, consiste à expirer dans un embout buccal relié à un manomètre à mercure et à maintenir une pression de 40 mmHg pendant 15 secondes. Au cours de la phase active se produit une accélération cardiaque. Lorsque le Valsalva est relâché, la FC ralentit. Le rapport de Valsalva est égal au rapport FC maximale/FC minimale. Il est préférable de répéter le test trois fois et d’établir la moyenne des trois résultats. Il faut rappeler que cette épreuve ne doit pas être réalisée chez les patients ayant une rétinopathie diabétique sévère, car il existe un risque potentiel d’induire une hémorragie rétinienne. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 L’interprétation des résultats de ces trois épreuves doit se faire en fonction de l’âge, dans la mesure où, physiologiquement, les variations de la fréquence cardiaque décroissent de façon notable avec l’âge (11). Les deux autres épreuves explorent la réponse tensionnelle, essentiellement sous contrôle sympathique. Leur sensibilité dans le dépistage d’une atteinte sympathique est faible, et leur reproductibilité est limitée. Il s’agit de la recherche d’une hypotension orthostatique et de l’étude de la réponse tensionnelle à une contraction isométrique de la main (Handgrip). Celle-ci consiste, à l’aide d’un dynamomètre à main, à déterminer la contraction maximale, puis à maintenir un tiers de cette contraction pendant 5 minutes. Une augmentation de la pression artérielle diastolique inférieure à 10 mmHg est en faveur d’une atteinte sympathique. Les épreuves le plus souvent perturbées sont les épreuves de respiration profonde et d’orthostatisme, tandis que l’épreuve de Valsalva l’est exceptionnellement de façon isolée. Quant aux deux épreuves sous contrôle essentiellement sympathique, elles sont, en général, perturbées uniquement s’il existe des altérations parasympathiques. b - Méthodes modernes Les variations spontanées de fréquence cardiaque peuvent être étudiées sur des enregistrements ECG de quelques minutes ou de 24 heures. Les variations de fréquence cardiaque et de pression artérielle peuvent aussi être étudiées sur un enregistrement continu par pléthysmographie digitale, puis décomposition par analyse spectrale (Finapres) (12). Cette analyse révèle deux pics intéressants : une composante de basse fréquence (autour de 0,10 Hz, ou ondes de Mayer), associée au baroréflexe, et une composante de haute fréquence (autour de 0,25 Hz), liée à l’activité respiratoire. Pour les variations de fréquence cardiaque, la composante de haute fréquence dépend de la respiration et reflète l’activité parasympathique, la composante de basse fréquence est sous dépendance mixte, surtout sympathique mais aussi parasympathique. Pour les variations de pression artérielle systolique, le pic de basse fréquence (autour de 0,10 Hz) dépend quasi exclusivement de l’activité sympathique, lorsque l’enregistrement est effectué en orthostatisme. Cette méthode séduisante offre une meilleure spécificité que les épreuves standardisées, et une neuropathie sympathique peut être dépistée avec une plus grande sensibilité qu’avec ces dernières. Mais elle impose un matériel encore onéreux, et les résultats doivent toujours être interprétés en fonction de l’âge. L’atteinte sympathique peut aussi être révélée au niveau vasculaire périphérique, en étudiant la vasomotricité par pléthysmographie ou par un système de laser-doppler, au cours d’épreuves activant le sympathique (13). Certaines méthodes permettent de mesurer directement l’activité nerveuse sympathique. Citons la scintigraphie myocardique à la MIBG, qui se développe dans certains centres, et la mesure de l’activité nerveuse musculaire périphérique. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 • En pratique La NAC devrait être recherchée chez le plus grand nombre de diabétiques, en pratiquant au minimum deux épreuves standardisées qui évaluent les variations de fréquence cardiaque (épreuves respiratoire et d’orthostatisme). Sa recherche est également justifiée pour rattacher à la dysautonomie des manifestations cliniques isolées (cardiovasculaires patentes, digestives ou urogénitales) ou des hypoglycémies sans symptômes adrénergiques. La NAC au stade infraclinique doit aussi être recherchée s’il existe une neuropathie périphérique clinique. Mais il faut signaler qu’elle est souvent retrouvée en l’absence de signes cliniques de neuropathie périphérique. La mise en évidence d’une NAC doit conduire à un bilan et une prise en charge complémentaires (14) : • recherche d’une hypotension orthostatique ; • recherche d’une ischémie myocardique silencieuse au minimum par ECG standard et, mieux, par une épreuve d’effort chez les patients ayant d’autres facteurs de risque cardiovasculaire ; • recherche d’un allongement du segment QT sur l’ECG standard et d’un trouble du rythme ventriculaire paroxystique par l’ECG de 24 heures, si le segment QT est allongé ; • enregistrement ambulatoire de la pression artérielle, qui peut révéler une modification du profil nycthéméral physiologique, avec perte de la chute nocturne, voire élévation paradoxale nocturne de la pression artérielle ; • arrêt ou remplacement des médicaments susceptibles de favoriser une hypotension orthostatique ; • vigilance particulière vis-à-vis de l’anesthésie générale (car des accidents ont été décrits à l’induction anesthésique chez des patients atteints de NAC) ; • enfin, une NAC devrait rendre plus particulièrement attentif au dépistage des autres complications du diabète, en particulier micro-angiopathiques. • Traitement L’amélioration de l’équilibre glycémique se révèle capable de stabiliser, et même d’améliorer, les épreuves autonomes cardiaques. Les autres thérapeutiques fondées sur une approche physiopathologique, en particulier les inhibiteurs de l’aldose réductase, n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité chez les diabétiques, même si certaines d’entre elles sont très efficaces dans le diabète expérimental. Le traitement de l’hypotension orthostatique repose d’abord sur l’éviction des facteurs iatrogènes potentiels : suppression d’un régime désodé ou des drogues mentionnées plus haut. Les méthodes physiques destinées à améliorer le retour sanguin au cœur, notamment les bandes de contention, s’asseoir au bord du lit au lieu de se lever brutalement, la natation, peuvent être préconisées. La dihydroergotamine, un antagoniste alpha-2 adrénergique, peut être essayé. Le traitement médicamenteux le plus efficace repose sur les minéralo-corticoïdes : fludrocortisone à la dose de 100 à 300 µg/jour, avec un régime normosalé. Mentionnons aussi que la midodrine, un agoniste alpha-1 145 M I S E A U P O I N T adrénergique, ou le pindolol, un bêtabloquant doté d’une action sympathomimétique intrinsèque, ou encore l’octréotide, un analogue de la somatostatine, des inhibiteurs de la synthèse des prostaglandines (comme l’indométacine ou l’ibuprofène), ou encore des antagonistes dopaminergiques, comme le métoclopramide, ont pu être utilisés avec succès dans quelques cas. L’existence d’une gastroparésie justifie la pratique plus étroite de l’autosurveillance glycémique par les patients, des essais de modification des horaires d’injection d’insuline, souvent la mise en route d’une insulinothérapie intensive par la pompe à insuline, enfin la réduction de la consommation de fibres alimentaires. La dysautonomie digestive • L’atteinte du tractus digestif inférieur Cette atteinte peut donner lieu à une diarrhée ou une constipation. Typiquement, la diarrhée est impérieuse, nocturne et explosive. L’atteinte du sphincter anal est responsable d’incontinence. Sur le plan diagnostique, rappelons que la diarrhée chez les diabétiques peut avoir des origines diverses : traitement par biguanides ou inhibiteurs de l’alphaglucosidase, hyperthyroïdie, maladie cœliaque, insuffisance pancréatique exocrine, enfin une cause infectieuse. Il n’est donc possible de rapporter ces symptômes digestifs à la dysautonomie qu’après avoir écarté ces différentes étiologies et, en cas de persistance, après avoir réalisé une exploration endoscopique. La mise en évidence d’une NAC apporterait un argument supplémentaire en faveur d’une dysautonomie digestive. Une diarrhée chronique doit faire soupçonner une cause infectieuse, même si la coproculture est négative, et doit faire réaliser un test thérapeutique aux tétracyclines pendant deux à quatre semaines. Les traitement antidiarrhéiques habituels peuvent être utilisés à la demande : lopéramide, diphénoxylate, cholestyramine, diphénylhydantoïne ou clonidine. Enfin, l’amélioration de l’équilibre glycémique s’accompagne souvent d’une régression de la diarrhée. Tous les segments du tractus digestif peuvent être touchés. Les signes cliniques sont en général tardifs. • L’atteinte du tractus digestif supérieur Les symptômes digestifs reflètent une atteinte œsophagienne (dysphagie, brûlures rétrosternales, signe de reflux gastroœsophagien) et/ou gastrique (anorexie, nausées, vomissements, douleurs abdominales, ballonnements, sensation de satiété précoce ou de lenteur à la digestion). Exceptionnellement apparaît une gastroplégie avec intolérance digestive totale. La dysautonomie digestive peut également induire un déséquilibre glycémique. En effet, une gastroparésie, du fait du retard d’absorption du bol alimentaire, peut provoquer typiquement des hypoglycémies postprandiales immédiates et des hyperglycémies à distance des repas et un retard à la correction par voie orale d’une hypoglycémie pouvant être responsable d’un coma hypoglycémique. L’examen clinique retrouve parfois la distension abdominale, avec le classique clapotage à jeun. Surtout, il recherche des signes pouvant rendre compte de la symptomatologie fonctionnelle et appelant des explorations spécialisées (hépatomégalie, masse abdominale...). Du fait du manque de spécificité de ces manifestations, une fibroscopie œsophago-gastrique est souhaitable, afin d’éliminer un obstacle mécanique, une œsophagite, un ulcère gastrique ou une mycose. Si l’endoscopie se révèle négative, la vidange gastrique doit être explorée. La scintigraphie gastrique double phase, liquide et solide, constitue la méthode de référence pour l’étude de la vidange gastrique, en utilisant des marqueurs radioactifs incorporés dans des repas tests. Habituellement, un retard d’évacuation des solides et/ou une vidange des liquides ralentie ou accélérée sont mis en évidence. Selon la scintigraphie, la gastroparésie toucherait 30 à 60 % des diabétiques, dont la moitié ne se plaignent d’aucun symptôme digestif. Le traitement de la gastroparésie repose sur l’amélioration du contrôle glycémique, mais aussi sur l’utilisation de molécules qui accélèrent la vidange gastrique. Le cisapride, la dompéridone ou le métoclopramide sont souvent utilisés avec succès. L’érythromycine, par son effet agoniste de la motiline, est un puissant accélérateur de la vidange gastrique. Une hospitalisation est nécessaire en cas de gastroplégie, permettant la mise au repos du tractus digestif, l’alimentation par voie parentérale et l’utilisation de l’érythromycine par voie veineuse. 146 La neuropathie vésicale Environ 50 % des diabétiques souffriraient de troubles du contrôle vésico-sphinctérien, en relation, le plus souvent, avec une atteinte mixte touchant le système nerveux somatique (voies sensitives principalement) et le système nerveux végétatif, aussi bien sympathique que parasympathique. Certains signes d’appel aident à typer le comportement vésicosphinctérien : • vessie hypoactive, hypocontractile, hypoesthésique, se caractérisant par un trouble de la perception du besoin d’uriner qui est réduite et retardée, une diminution de la perception du passage urétral des urines, une dysurie avec nécessité de poussées abdominales pour vider totalement la vessie, parfois une rétention chronique avec perception d’un résidu postmictionnel par le patient ; • vessie hyperactive, caractérisée par un besoin beaucoup trop précoce, impérieux, aboutissant parfois à des mictions impérieuses, avec fuites. L’examen clinique neuro-périnéal peut retrouver certaines anomalies non corrélées aux désordres urinaires et non spécifiques. Les examens complémentaires sont essentiels pour confirmer et caractériser les troubles vésicaux. Ils sont dominés par les La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 explorations urodynamiques : débitmétrie, cystomanométrie (examen de référence), sphinctérométrie, voire des tests pharmacologiques utilisant des parasympathomimétiques directs ou des anticholinergiques (15). Les explorations neurologiques périnéales peuvent aussi contribuer au diagnostic. L’échographie vésicorénale permet de dépister un résidu postmictionnel et de juger de l’état de la vessie et du haut appareil. L’urographie intraveineuse, l’uréthrocystoscopie et l’uréthrocystographie rétrograde avec clichés permictionnels sont discutés selon le cas par l’urologue, s’il existe un syndrome obstructif. Il faut insister sur le fait que les troubles vésicaux sphinctériens chez les diabétiques peuvent résulter de différents facteurs associés. Aussi, un bilan urologique est toujours utile en cas de dysurie avec rétention chez l’homme, ainsi qu’une exploration urodynamique, si le bilan urologique est négatif ou s’il existe une suspicion de vessie hyperactive, et enfin un bilan gynécologique. Sur le plan thérapeutique, une vessie hypoactive peut bénéficier d’un traitement par un parasympathicomimétique direct (urécholine) ou indirect par un inhibiteur de la cholinestérase, ou par un alphabloquant. Une vessie hyperactive peut être traitée par l’oxybutynine, un parasympathicolytique anticholinergique et éventuellement un inhibiteur calcique ou un antispasmodique. Enfin, une rétention chronique d’urine impose des autosondages permettant de supprimer le résidu et de limiter le risque d’infection. Enfin, rappelons que la surveillance par la glycosurie ne revêt plus aucune valeur en présence d’une neurovessie. La neuropathie génitale Environ 50 % des hommes et 30 % des femmes diabétiques présenteraient des troubles génitaux. L’origine neurologique est parfois impliquée et repose sur l’atteinte du système nerveux autonome et des nerfs somatiques. Chez l’homme, il peut s’agir d’une éjaculation rétrograde – pouvant être perçue par le patient ou décelée par la présence de spermatozoïdes à l’examen des premières urines émises après un rapport sexuel et pouvant être source d’infécondité – mais aussi et surtout de troubles de l’érection. L’impuissance, chez le diabétique, peut relever de différentes causes : – facteurs psychogènes, très souvent présents mais rarement isolés ; – origine endocrinienne : hypogonadisme ou hyperprolactinémie, de façon exceptionnelle ; – origine artérielle ; – fuite veineuse ; – alcoolisme chronique ; – facteurs iatrogènes ; – déséquilibre glycémique pouvant induire une impuissance “fonctionnelle”, réversible avec le retour à un équilibre glycémique correct ; – enfin, une origine neuropathique, dysautonomique ou somatique. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 Aussi, le bilan d’une impuissance ne doit être entrepris que si celle-ci est véritable depuis au moins trois mois, si le patient est demandeur et motivé, et si l’équilibre du diabète est satisfaisant, avec un taux d’HbA1c ne dépassant pas 8 % ; enfin, après avoir écarté un facteur iatrogène ou alcoolique. Chez la femme, la dysautonomie peut induire une baisse des sécrétions vaginales et une anorgasmie. L’examen clinique peut trouver des signes d’orientation en faveur d’une endocrinopathie, d’une artériopathie. Une origine dysautonomique peut être soupçonnée, lorsque les troubles de l’érection s’associent à une neurovessie de type vessie hypoactive, ou devant une NAC. Une neuropathie somatique peut être envisagée devant une hypotonie musculaire périnéale. Après avoir écarté une origine hormonale, iatrogène, toxique (alcool) ou dysmétabolique (grand déséquilibre glycémique), un traitement oral peut être entrepris en première intention, recourant à un alphabloquant, comme l’alfuzosine ou la nicergoline. En cas d’échec, une prise en charge spécialisée est souhaitable (14) : – soit multidisciplinaire, incluant le concours de diabétologues, de psychologues et d’un laboratoire d’explorations fonctionnelles neurovasculaires ; on pourra effectuer un enregistrement pléthysmographique pénien nocturne ou diurne, un bilan neurologique recherchant d’autres signes de dysautonomie ainsi qu’une neuropathie génitale somatique par des explorations neurophysiologiques périnéales en particulier (14,15) et un bilan artériel ; – soit d’emblée un test thérapeutique consistant en l’injection intracaverneuse de prostaglandines PGE1 ou de moxisylyte. Toutefois, ce test ne permet pas de rapporter formellement les troubles à une étiologie précise mais permet, en revanche, de proposer au long cours un traitement par auto-injections. Ce traitement ne peut être proposé que par une unité présentant une structure d’accueil et offrant les moyens d’un soutien psychothérapique et d’une décompression en urgence des corps caverneux en cas de priapisme. Compte tenu de ce risque, la posologie doit être augmentée progressivement et prudemment. Les “pompes à vide”, qui provoquent un afflux sanguin et une érection, représentent une alternative sans risque aux autoinjections intracaverneuses. La prothèse pénienne est d’indication très limitée chez les diabétiques. Enfin, le recours au sildénafil pour les diabétiques est possible en dehors de l’angor instable. Chez les diabétiques coronariens stables, l’usage du sildénafil est autorisé, si tout traitement par dérivés nitrés peut être suspendu pendant les 24 heures qui encadrent la prise de ce produit. Si l’impuissance est d’origine neuropathique, les agents vasoactifs intracaverneux sont très souvent efficaces, et la “pompe à vide” peut être essayée, avant d’envisager la prothèse pénienne. Toutefois, il faut bien rappeler que l’origine de l’impuissance est très souvent multifactorielle, et qu’une prise en charge mixte est souvent nécessaire. 147 M I S E A U P O I N T Hypoglycémies non ressenties Les anomalies d’adaptation de la vasomotricité Il s’agit d’hypoglycémies survenant sans perception des symptômes adrénergiques (sueurs, palpitations), tandis que les symptômes neuroglycopéniques (troubles de l’humeur, perte de concentration intellectuelle et de l’attention, troubles oculaires, troubles du langage, fourmillement des extrémités) sont perçus. Ce profil semble surtout induit par la répétition des hypoglycémies elles-mêmes. Il affecte surtout les diabétiques de type 1. Il semble, dans ce cadre, que les anomalies de réponse autonomique concernent seulement l’hypoglycémie, alors que les épreuves autonomiques cardiaques, par exemple, peuvent être normales. Ailleurs, les symptômes adrénergiques en réponse à une hypoglycémie peuvent manquer, du fait de l’existence d’une NAC. En pratique, l’insulinothérapie intensive doit être évitée dans ce cas. Si les hypoglycémies sont évitées pendant quelques semaines ou mois, les symptômes adrénergiques d’alerte peuvent réapparaître. Le patient doit être bien informé sur le risque hypoglycémique et la nécessité d’une pratique rapprochée de l’autosurveillance glycémique. Une surveillance diabétologique plus étroite doit être mise en œuvre ; l’entourage et le milieu professionnel doivent être bien informés des mesures thérapeutiques immédiates en cas d’hypoglycémie. Une dysautonomie périphérique peut rendre compte d’anomalies de la vasomotricité. Les tests permettant d’explorer la réponse vasomotrice à différents stimuli peuvent recourir à des méthodes non invasives, comme la mesure du flux sanguin cutané par laser-doppler (13). Ces anomalies peuvent favoriser l’apparition de rougeurs et d’œdème des pieds. Anomalies de la motricité pupillaire L’atteinte autonome de la motricité pupillaire peut provoquer un défaut d’adaptation à l’obscurité. Elle peut être décelée cliniquement par une altération de la dilatation pupillaire à l’obscurité, qui relève d’une perturbation sympathique (16). La confirmation des anomalies de la motricité pupillaire peut être obtenue par des procédés vidéo-pupillographiques ou des photographies des pupilles. Ces anomalies seraient des marqueurs précoces de neuropathie et devraient conduire à rechercher des signes cliniques de neuropathie périphérique, ainsi que d’autres signes de dysautonomie. Les conséquences pratiques de ces troubles sont la nécessité d’attirer l’attention du patient sur le risque lié à la conduite automobile le soir et à la marche dans les lieux sombres, et l’impossibilité de dilater les pupilles par l’atropine. L’atteinte du système sudoral Les anomalies de la sudation peuvent consister en une anhydrose ou une hyperhydrose. L’anhydrose est typiquement distale, touchant les extrémités des membres inférieurs, parfois la partie basse du tronc et les membres supérieurs. Elle s’associe à une réduction de la capacité thermorégulatrice et à des anomalies vasomotrices. L’hyperhydrose touche préférentiellement le visage et le tronc et peut donner lieu à des sueurs diffuses au début du repas, lors de l’exercice physique ou la nuit ; elle peut encore être déclenchée par l’ingestion d’aliments, comme le fromage, l’alcool ou le vinaigre. Des accès d’hypersudation, pour être rapportés à une origine dysautonomique, doivent être distingués d’épisodes hypoglycémiques. Enfin, les anomalies sudorales peuvent contribuer aux lésions des pieds. 148 PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES Ainsi que nous l’avons vu, les traitements des différentes atteintes autonomiques du diabète sont essentiellement symptomatiques. Même dans ce cadre, peu d’études contrôlées ont été réalisées. Tel a été le cas pour les atteintes du tractus digestif supérieur. Ailleurs, il s’agit de quelques observations rapportées ou d’études ouvertes. Compte tenu de la responsabilité clairement établie du déséquilibre glycémique, son amélioration devrait s’opposer à l’aggravation spontanée de la dysautonomie, ou même faire régresser les troubles dans une certaine mesure. Cela a été démontré pour la NAC. Toutefois, l’évaluation de cette démarche dans les manifestations dysautonomiques patentes est toujours difficile du fait de leur évolution capricieuse. Aussi les essais thérapeutiques en cours s’adressent-ils aux conséquences métaboliques de l’hyperglycémie chronique. De nouveaux inhibiteurs de l’aldose réductase, ainsi que l’acide thioctoïque (un agent vasodilatateur et antioxydant) sont en cours d’évaluation. CONCLUSION La dysautonomie patente est une complication rare du diabète. Lorsqu’elle survient, elle est en général associée aux autres complications dégénératives de la maladie : complications oculaires, rénales ou neurologiques périphériques. Elle est source d’inconfort. Dès le stade infraclinique, la NAC revêt une valeur de mauvais pronostic et s’associe à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire. Aussi, un dépistage précoce et annuel de la dysautonomie est justifié et doit reposer sur l’interrogatoire, l’examen clinique et quelques examens complémentaires simples. La recherche d’une NAC et d’anomalies de la motricité pupillaire devrait être plus largement entreprise (14). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. The DCCT Research Group. 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