Les tumeurs desmoides Auteur : Docteur Laurent Mignot1 Date de création : janvier 2002 Editeur scientifique : Professeur Gilles Vassal 1 Service d'oncologie et d'hematologie, Hopital Foch, 40 rue Worth, 92150 Suresnes, France. [email protected] Résumé Mots-clés Nom de la maladie et de ses synonymes Nom des maladies exclues Critères diagnostiques/définition Incidence Description clinique Mode de prise en charge, incluant les traitements Etiologie Conseil génétique Références Résumé Les tumeurs desmoides ou fibromatoses agressives, sont des proliférations fibreuses infiltrantes, récidivantes mais non métastasiantes : elles sont proches des fibrosarcomes de bas grade. Si la plupart des cas sont sporadiques, 2% sont d'origine génétique, par mutation du gène APC, et entrent dans le cadre du syndrome de Gardner associé à la polypose adénomateuse familiale (PAF). Elles sont localisées soit dans les aponévroses des muscles périphériques (45%), soit dans les muscles de la paroi abdominale (45%) soit plus rarement dans les régions mésentériques ou rétropéritonéales (10%). Ce sont des tumeurs rares puisqu'elles correspondent à moins de 0,03% de toutes les néoplasies, avec une incidence de 2 à 4 nouveaux cas pour 100 000 habitants. La chirurgie reste le traitement de référence mais des rechutes locales surviennent dans un tiers des cas dans les cinq ans qui suivent, selon la localisation, l'âge et la possibilité d'une résection satisfaisante. La radiothérapie complémentaire réduit ce risque. En cas de lésions inopérables ou récidivantes de nombreux traitements ont été testés, avec une efficacité modeste mais certaine : l'hormonothérapie, la chimiothérapie, les anti-inflammatoires et l'immunothérapie. Mots-clés Tumeurs desmoides, fibromatoses agressives, polypose adénomateuse familiale, gène APC, fibrosarcomes Nom de la maladie et de ses synonymes - Tumeur desmoide - Fibromatose agressive Nom des maladies exclues • Fibrosarcome, • Fibrose réactionnelle, • Fibrose superficielles, • Fibrose idiopathique rétropéritonéale. Critères diagnostiques/définition Les tumeurs desmoïdes (desmos=bande), dénommées aussi fibromatoses agressives, font partie des fibromatoses profondes, elles mêmes intégrées dans le groupe des tumeurs des tissus mous. Elles sont décrites depuis 1960 comme étant des proliférations fibreuses infiltrantes mais non métastasiantes ayant tendance à récidiver. Ces tumeurs sont constituées de la lente prolifération de myofibroblastes différenciés au sein d'une matrice collagène lâche. Plusieurs caractéristiques permettent de les différencier Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf 1 d'une part des fibromatoses bénignes et d'autre part des sarcomes: • les myofibroblastes sont localisés au niveau des muscles, ils prolifèrent le long des faisceaux musculaires et des aponévroses, au sein d'une matrice collagène abondante; ainsi, la tumeur desmoide a un potentiel invasif local avec une croissance lente et progressive. Contrairement aux sarcomes, elle est moins cellulaire, elle ne présente pas de pseudocapsule, pas de mitoses anormales ni de réaction inflammatoire . • ces tumeurs, comme les néoplasies malignes, dérivent de la prolifération d'un clone unique de fibroblastes différenciés d'aspect normal. Ceci a été démontré par l'étude de l'inactivation du chromosome X. Selon Enzinger - référence mondiale en terme de tumeurs des partie molles - il ne s'agit donc pas d'une prolifération réactionnelle, mais d'une néoplasie maligne de bas grade et leur prise en charge doit être identique à celle des fibrosarcomes de bas grade. Les tumeurs desmoides initialement présentées comme une tumeur localisée sur la paroi abdominale de la femme en post-partum, ont été ultérieurement décrites dans d'autres régions extra-abdominales, dans les membres, la ceinture scapulaire et dans des localisations intra-abdominales. Les études sur des grandes séries de patients sont rares et le pourcentage de chacune des localisations variable selon les recrutements. Dans l'importante série étudiée par Reitamo et al. (89 cas) la répartition est la suivante : • Localisation de la paroi abdominale : 49% • Localisation extraabdominale : 43% • Localisation mésentérique : 8% Incidence La tumeur desmoide est rare puisqu'elle correspond à moins de 0,03% de toutes les néoplasies, avec une incidence de 2 à 4 nouveaux cas pour 100.000 habitants. Il existe une prédominance féminine avec un sex ratio de 2/1 pour un âge moyen de 20 à 40 ans. La présentation semble en fait variable en fonction de l'âge. Reitamo et al. classe les tumeurs desmoides en 4 groupes : • tumeurs juvéniles, essentiellement de localisation extra-abdominale avec une prédilection pour les filles de 15 ans et moins (l'âge médian est de 4 à 5 ans); • tumeurs en phase de fertilité, survenant presque exclusivement dans la région abdominale chez des femmes en âge de procréer; • • tumeurs de la ménopause, situées majoritairement dans l'abdomen avec une fréquence égale entre les hommes et les femmes; tumeurs de la période âgée, de localisation abdominale et extra-abdominale et se répartissant à égalité sur les deux sexes. Description clinique Les trois formes cliniques sont de présentations différentes. Tumeurs desmoides extra-abdominales Particularités cliniques Les fibromatoses extra-abdominales surviennent préférentiellement entre la puberté et l'âge de 40 ans avec un pic de fréquence entre 25 et 35 ans. Les enfants sont parfois atteints (5% des patients d'une des principales séries ont moins de 10 ans, le plus jeune ayant 9 mois) ; les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes. La tumeur se présente comme une masse d'apparition sournoise, mal limitée, de croissance lente, peu ou pas sensible. Une gêne à la mobilité ou une compression nerveuse peut survenir selon la localisation et l'extension de la tumeur. Les localisations extra-abdominales sont rarement multicentriques (seulement dans 5% des cas environ), dans la majorité des cas la seconde lésion est contiguë à la première. Dans de rares cas la coexistence de localisations abdominale et extra abdominale ont été décrites chez le même patient . Localisations Les tumeurs desmoides extra-abdominales peuvent atteindre de multiples sites; les localisations les plus fréquentes sont les épaules puis la paroi thoracique avant la région des cuisses et la région cervicale. Dans la région des ceintures et du cou, les muscles deltoides de la ceinture scapulaire et de la fosse supraclaviculaire sont les plus fréquemment atteints avec extension possible dans les régions axillaires. La présence des structures vasculaires et nerveuses expliquent la difficulté d'une exérèse complète. Les fibromatoses des cuisses atteignent préférentiellement les quadriceps et la fosse poplitée, les mains et les pieds sont rarement concernés. Chez l'enfant, plus d'un tiers des localisations extra abdominales sont situées dans les régions cervicales, les parties molles cervicales sont les plus fréquemment atteintes suivies par la région de la face, la cavité buccale, le cuir chevelu, les sinus et la région orbitaire. Les localisations cervicales sont particulièrement agressives, elles Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf 2 peuvent entrainer une destruction des os adjacents et une érosion de la base du crâne ou de la trachée. Radiologie La lésion se présente comme une masse affectant les parties molles avec rupture des plans intermusculaires sous jacents. Il existe fréquemment une encoche ou une érosion osseuse contiguë avec souvent une réaction périostée ou une exostose. Le scanner et surtout l'imagerie par résonance magnétique (IRM) sont les examens radiologiques de choix. Cette dernière retrouve des lésions homogènes et isodenses par rapport au muscle apparaissant au niveau du signal en T1 et T2, des lésions de signal hétérogène égal ou inférieur à celui de la graisse en fonction de l'agressivité de l'atteinte. Le suivi par IRM permet de se faire une idée de l'évolutivité des lésions dans le temps. Aspect macroscopique La tumeur est le plus souvent confinée au niveau de l'aponévrose et du fascia musculaire. Les tumeurs volumineuses peuvent s'étendre le long des fascias ou infiltrer le tissu sous cutanés. Elles mesurent entre 5 et 10 cm mais peuvent atteindre 20 cm et plus. La tumeur est ferme, granitée à la coupe, d'un blanc luisant, grossièrement trabéculée ressemblant à du tissu cicatriciel; d'où la difficulté pour le chirurgien de distinguer en cas de rechute, la cicatrice primaire de la récidive. Aspect microscopique La lésion est généralement mal limitée avec infiltration des tissus adjacents notamment musculaires. La prolifération est sous forme de cellules allongées, fusiformes, de petites tailles, d'apparence uniforme, séparées les unes des autres par un abondant tissu collagène non inflammatoire. Les cellules possèdent un noyau de petite taille, sans atypie. Elles fixent la vimentine et l'actine musculaire, le tissu musculaire est comprimé voire atrophié à la périphérie, les calcifications sont rares. Diagnostic différentiel La tumeur desmoide extra-abdominale ressemble de près à un fibrosarcome ou à une réaction fibreuse. Le fibrosarcome est plus uniformément cellulaire avec un agencement plus fasciculaire montrant une atypie cellulaire et moins de contingent collagénique. Il y a en fait peu de différence entre un sarcome bien différentié et une fibromatose; c'est dire l'importance d'une biopsie de bon volume. La transformation de fibromatoses agressives en sarcome est rare et discutée, quelques observations sont rapportées dans la littérature avec des délais de transformation de 10 à 28 ans. Les proliférations fibroblastiques réactionnelles à un traumatisme peuvent également être difficile à distinguer des tumeurs desmoides. Elles sont de taille plus variable, avec souvent des phénomènes hémorragiques focaux. Elles sont généralement situées près des structures vasculaires. Des confusions avec des entités comme les fasciites nodulaires sont également possibles. Evolution Bien que ne métastasiant jamais, les fibromatoses aggressives récidivent fréquemment (35% en moyenne dans les cinq ans qui suivent la chirurgie). Les rechutes semblent plus fréquentes chez les femmes de plus de 30 ans et quand les berges de l'éxérèse sont envahies. De très rares cas de régressions spontanées après la ménopause ont été rapportés. Tumeurs desmoides de la paroi abdominale Bien qu'histologiquement identiques aux autres tumeurs desmoides -notamment extra abdominales -, elles sont particulières par leurs localisations, leurs circonstances de survenue et leur thérapeutique. • • • • • Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf Elles se développent dans les structures musculoaponévrotiques de la paroi abdominale, essentiellement les muscles grand droit et grand oblique. Elles peuvent plus rarement se développer à partir de la paroi pelvienne mimant alors une tumeur de l'ovaire avec parfois un retentissement vaginal, vésical, urétéral ou rectal. Elles surviennent essentiellement chez les femmes jeunes enceintes, ou plus fréquemment dans la première année qui suit la grossesse. La moyenne d'âge des femmes atteintes se situe entre 20 et 30 ans. Cette localisation est rare chez l'enfant et l'homme adulte. Quelques unes surviennent dans le cadre de polyposes coliques, notamment sur le site de l'intervention chirurgicale antérieure. Des facteurs hormonaux sont suspectés pour expliquer les tumeurs desmoides de la paroi abdominales qui surviennent juste après la grossesse. Elles se présentent comme des masses palpables de 3 à 10 cm, elles sont d'évolution lente et progressive sans jamais traverser la ligne médiane. 3 • Le traitement est la chirurgie large afin d'obtenir des marges histologiquement saines. Comme pour les autres formes, le risque de rechute locale est important (15 à 30%), mais semble plus faible que celui des localisations extra-abdominales. La rechute survient en moyenne, dans les deux ans qui suivent la première intervention, elle est parfois favorisée par une nouvelle grossesse. Tumeurs desmoides mésentériques • Elles constituent la tumeur la plus fréquente du mésentère, la plupart des cas sont sporadiques mais 10% d'entre elles entrent dans le cadre du syndrome de Gardner. Quand celui-ci est absent une intervention chirurgicale préalable est retrouvée dans 10% des cas. • Elles surviennent à un âge très variable, vers 35-40 ans en moyenne. Elles touchent aussi bien les hommes que les femmes. • Elles sont le plus souvent localisées dans le mésentère de l'intestin grêle mais des atteintes du mésentère iléocolique, du grand épiploon voire du rétropéritoine ont été décrites. • Les patients présentent généralement une masse abdominale asymptomatique parfois douloureuse. Le diagnostic est posé sur une complication comme un saignement digestif, une perforation, une compression urétérale. La taille de la tumeur est souvent important 10 cm ou plus- avec une lésion macroscopique relativement bien limitée, mais histologiquement infiltrante dans les tissus voisins, notamment le tube digestif. • En l'absence d'une histoire de polypose familiale, ces localisations sont difficiles à distinguer des autres processus fibrosants de ces régions tels : o la fibrose rétropéritonéale idiopathique où la hyalinisation et le tissu inflammatoire sont plus denses; o la mésentérite sclérosante reliée à la lipodystrophie mésentérique, dans ce cas la fibrose est prédominante avecprésence d'un infiltrat inflammatoire sans extension au niveau du tube digestif; o le fibrosarcome inflammatoire du mésentère et du rétropéritoine qui est plus cellulaire avec des atypies plus marquées. Le traitement consiste en une chirurgie la plus large possible. Cette dernière est rendue difficile à cause de l'infiltration des organes de voisinage. Comme pour les autres localisations le risque de rechute est variable d'une série à l'autre. Il est surtout variable en fonction du contexte, ainsi dans une série de 130 patients le taux de rechute est de : • 23% pour l'ensemble des patients; • 12% en l'absence de syndrome de Gardner, aucun patient n'a eu plus d'une rechute et n'est décédé du fait de sa tumeur desmoide; • 90% en présence d'un syndrome de Gardner où les rechutes sont multiples et 4 patients décèdent de leur tumeur. Mode de prise en charge, incluant les traitements La prise en charge de ces tumeurs de bas grade est difficile. Chez l'adulte Chirurgie La résection macroscopique est possible dans 2/3 des cas environ. Les possibilités sont fonction de la localisation de la tumeur et de sa taille. Il est en fait très difficile pour le chirurgien d'être sûr d'avoir fait une résection complète car la tumeur n'est pas encapsulée et l'extension musculaire est impalpable. Pour éviter au maximum le risque de rechute, il est conseillé dans la littérature, de faire soit une résection, soit une résection large soit une résection radicale emportant tout le muscle concerné. En cas de tumeur primaire, le bénéfice d'une résection chirurgicale large avec obtention de marges histologiquement saines est prouvé. Cependant, tout le monde s'accorde pour éviter une chirurgie mutilante d'emblée, sur une tumeur certes agressive, mais non véritablement maligne et d'évolution lente. Dans la plus importante série monocentrique publiée (189 patients) le risque de rechute global est de 30% à 5 ans et 33% à 10 ans. Ce risque est fonction de: - la qualité des marges d'exérèse; le risque de rechute est de 27% si les marges sont histologiquement saines et de 54% si elles sont envahies; - la localisation; le risque de rechute est de 11% pour les tumeurs du tronc contre 25% pour celle du cou et 43% pour celles des extrémités; - l'âge; le risque de rechute semble plus important chez les sujets jeunes avant 30 ans. Radiothérapie En cas de résection chirurgicale de la tumeur primaire avec des marges indemnes l'intérêt de la radiothérapie n'est pas admis par tous même si une étude détaillées des principales séries (780 patients) retrouve un bénéfice en faveur de Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf 4 cette thérapie : 6% de rechutes avec radiothérapie contre 28% sans radiothérapie. En revanche, en cas de marges envahies ou après rechute, la radiothérapie externe adjuvante avec des doses de 50 à 55 grays permet dans pratiquement toutes les séries d'améliorer le contrôle local : 25% avec radiothérapie contre 59% sans radiothérapie. Plusieurs techniques spécialisées de radiothérapie ont également été tentées avec de bons résultats notammant l'hyperthermoradiothérapie et la radiothérapie par électrons. La radiothérapie permet également le contrôle de tumeurs macroscopiques inopérables : 78% de contrôle local chez les 102 patients colligés dans la littérature. Chez les sujets jeunes l'indication de la radiothérapie doit être discutée en connaissance du risque de tumeurs secondaire. Traitements médicaux En cas de progression ou rechute de nombreux traitements médicaux ont été proposés, l'évaluation de leur réel bénéfice reste difficile. • L'hormonothérapie Plusieurs facteurs plaident en faveur de l'implication des hormones sexuelles dans l'évolution de la maladie, il était donc logique que des thérapies hormonales suscitent de l'intérêt. De nombreux produits ont été essayés, notamment les antioestrogènes de type tamoxifène ou torémifène, les agonistes de la Gn Rh (gonadotropin-releasing hormone), les progestatifs tel l'acétate de médroxyprogestérone. Ces produits ont été utilisés seuls ou en association. Le petit nombre de cas rend difficile une véritable évalution, une revue de la littérature de 66 patients ayant reçu ces traitements seuls ou en association, retrouve une réponse objective chez 34 patients (soit 52%). Dans certains cas -rares mais certains- le traitement par tamoxifène a pu induire une régression spectaculaire et de longue durée. L'échec d'un premier traitement par hormonothérapie ne doit pas faire renoncer une seconde tentative avec une autre substance (exemple tamoxifène faible dose ou forte dose puis inhibiteur de luteinizing hormone-releasing hormone LHRH). L'hormonothérapie n'a bien sûr aucune indication démontrée en adjuvant d'un traitement locorégional. • Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) Certains auteurs soutiennent que la production de prostaglandines peut jouer un rôle dans l'évolution des tumeurs desmoides. Des antiinflammatoires tel Sulindac ou Indométhacine, utilisés seuls ou en association, ont été testés chez certains patients et ont permis l'obtention de stabilisations, voire même de régressions avec une très faible toxicité. Il a été montré que la synthèse des prostaglandines passe principalement par la voie de la cyclooxygénase 2 (COX2). Les inhibiteurs de COX2 (e.g. Celecoxib) semblent ralentir la cancérisation des polypes coliques des sujets à risque. Leur intérêt comme traitement des tumeurs desmoides mérite d'être évalué . • La chimiothérapie La lente évolution de ces tumeurs ne laisse pas augurer d'une grande chimiosensibilté; celle-ci a néanmoins été testée dans des situations de rechutes inopérables avec certains résultats significatifs. La littérature fait état de l'utilisation de chimiothérapies dite "douces" associant de manière hebdomadaire vinblastine ou vinorelbine et méthotréxate. Elle a permis chez l'enfant, avec des traitements de longue durée, des régressions et des stabilisations dans plus de la moitié des cas. Elle est limitée par la neurotoxicité de ces médicaments. La chimiothérapie type "sarcome" à base d'anthracycline associée à d'autres produits a été testée. Les séries étudiées sont limitées mais plusieurs observations témoignent de son efficacité dans des situations particulières d'évolutivité. Il s'agit parfois de franche régression, d'apparition souvent tardive, ou de stablisation de longue durée. Elle n'a bien sûr aucune indication en adjuvant d'un traitement local. L'interféron gamma et la colchicine ont été essayés avec de rares mais certaines réponses. La logique de ces traitements est d'obtenir une inhibition du facteur de croissance transformants β (TGF-β) dont on sait qu'il augmente la synthèse du collagène. L'inhibiteur de thyrosine kinase a été utilisé. Certaines tumeurs comme les sarcomes digestifs surexpriment le gène KIT qui code pour le récepteur d'une thyrosine kinase d'un facteur de croissance, ces tumeurs de très mauvais pronostic semblent spectaculairement améliorées par l'utilisation d'une molécule inhibitrice de cette thyrosine kinase tel l'imatinib mesylate (Glivec®). Les tumeurs desmoides semblent également surexprimer ce gène d'où l'intérêt potentiel de ce produit. Un essai thérapeutique doit prochainement débuter en Europe. Le facteur de nécrose tumorale ou tumor necrosis factor (TNF) est actif dans les Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf 5 sarcomes des membres, il est utilisé en perfusion intra-artérielle sélective en association avec le melphalan. Ce traitement permet parfois d'éviter une chirurgie d'amputation ; quelques observations démontrent son intérêt potentiel dans les tumeurs desmoides des extrémités en rechute ou inopérables. Chez l'enfant Le traitement ne se discute pas de la même façon chez l'enfant. En cas de chirurgie, le pronostic esthétique et fonctionnel est primordial en particulier pour les localisations extra-abdominales qui sont les plus fréquentes. Le risque de récidive après exérèse est plus élevé mais la radiothérapie fait craindre des risques de séquelles. Dans une série pédiatrique rétrospective faite au memorial Sloan-Kettering cancer center à NewYork (63 cas), il a été effectué chez tous les patients une exérèse partielle ou complète, associée à une chimiothérapie ou une radiothérapie. Le taux de récidive à 6 ans est de 75 %. Le seul facteur lié à une diminution de ce taux est une résection avec des marges saines; le bénéfice d'une radiothérapie ou d'une chimiothérapie adjuvante n'est pas clairement démontré. Dans des situations où la morbidité liée à la chirurgie est trop élevée, la chimiothérapie "douce" par l'association vinblastineméthotrexate hebdomadaire a permis d'obtenir des réponses complètes ou des stabilisations chez 8/10 des enfants. Un essai d'association d'une hormonothérapie par tamoxifene et d'AINS a été récemment réalisé chez 2 enfants, il a permis une longue stabilisation de la maladie et démontre ainsi la faisabilité et la probable efficacité de ce type de traitement dans cette situation. Etiologie Le contexte souvent particulier de découverte et de survenue de la tumeur (post partum, postopératoire), l'existence d'un sex ratio et la liaison à la polypose adénomateuse familiale (PAF) ont fait rechercher des facteurs favorisant la survenue d'une tumeur desmoïde. Prédisposition génétique L'existence d'une prédisposition génétique est très bien documentée dans le cas d'une association à la PAF ; cette maladie autosomique dominante est caractérisée par l'existence de centaines de polypes disséminés le long de la paroi colorectale, apparaissant entre 20 et 30 ans. Ils dégénèrent en adénocarcinome dans presque 100% des cas, le plus souvent avant l'âge de 50 ans. Une colectomie prophylactique est souvent proposée vers l'âge de 20 ans. Cette maladie est liée à une mutation du gène APC (adenomatous polyposis of the colon), gène suppresseur de tumeur situé sur le chromosome 5. La mutation d'un seul allèle étant suffisante à la survenue des polypes. Les patients atteints de PAF ont 852 fois plus de risques de développer une tumeur desmoide que la population normale. La tumeur est diagnostiquée chez 10 à 20% de ces patients avec un sex ratio femme/homme de 2/1 et une moyenne d'âge de 30 ans. L'association PAF, tumeur desmoide, ostéome et kystes sébacés de la face doit alors être recherchée et constitue le syndrome de Gardner dans sa forme plus ou moins complète. Une revue générale récente a répertorié 97 tumeurs desmoides parmi 780 patients atteints d'une PAF (soit 12%). Leurs caractéristiques sont les suivantes : • les tumeurs desmoides associées au syndrome de Gardner et liées à une mutation génétique ne représentent que 2% de l'ensemble des tumeurs desmoides ; • les tumeurs desmoides sont le plus souvent mésentériques ou rétropéritonéales (72% des cas), sinon mésentériques et dans la paroi abdominale (30%) ; • elles sont volontiers multicentriques; • elles apparaissent dans les ¾ des cas après la chirurgie colique dans un délai moyen de 4,5 ans ; • elles sont volontiers plus agressives puisque responsables de 10% de décès. Celui-ci survient dans un délai moyen de 5 ans après le diagnostic, par extension digestive, compression urétérale ou vasculaire. En comparaison, les tumeurs desmoides non liées à une prédisposition génétique ne sont qu'exceptionnellement responsable du décès des patients ; • certaines études suggèrent que la mutation du gène APC entraîne une augmentation du taux de bétacaténine intracellulaire. Celle-ci, en se liant à des facteurs de transcriptions, favorise la prolifération de la cellule fibroblastique et la croissance tumorale. Chez les patients atteints de PAF et ayant la mutation constitutionnelle du gène APC, il existe une corrélation génotype-phénotype. La position des mutations sur le gène conditionne la gravité de certaines manifestations : • les lésions rétiniennes telle l'hypertrophie congénitale de l'épithélium pigmentair, ne sont retrouvées que si la mutation survient après l'exon 9 et avant le codon 1444 ; • les mutations survenant entre les codons 1250 et 1464 sont associées à une forme Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. Janvier 2002. http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-desmoide.pdf 6 profuse où la densité des adénomes est 5 fois supérieure à celle observée dans les autres mutations. L'apparition des adénomes est précoce - avant 10 ans - et l'évolution est rapidement défavorable ; • les mutations siégeant au delà du codon 1444 sont systématiquement associées au développement précoce de tumeurs desmoides (les tumeurs desmoides sporadiques n'ont pas de mutation du gène APC) ; • les mutations les plus proches du codon initiateur sont au contraire associées à un phénotype atténué, avec des polypes plus tardifs et sans symptomatologie extracolique. Ces données expliquent l'importance du conseil génétique chez les familles concernées. Il a par exemple été décrit des familles dont les membres développent uniquement des tumeurs desmoides associées à une polypose colique inexistante ou très atténuée. Les traitements antihormonaux - notamment le tamoxifène- font partie des possibiltés de traitement des rechutes. Il n'est pas sûr que leur effet soit médié par le récepteur à l'oestradiol. Cependant, il s'agit peut-être d'un effet sur la sécrétion de TGF β ou d'un effet direct sur la synthèse de collagène. Facteurs hormonaux De nombreux éléments sont en faveur de l'existence de facteurs hormonaux (stimulation oestrogénique) dans la genèse des tumeurs desmoides. • Tumeur plus fréquente chez la femme, • découverte de tumeurs desmoides chez la femme en postpartum ou au début d'une contraception orale, • régression de certaines tumeurs après la ménopause, • développement d'une tumeur desmoide chez un homme traité par oestrogènes à forte dose, • régression de certaines tumeurs par des manipulations hormonales avec une utilisation bénéfique, notamment des antioestrogènes. Des modèles expérimentaux semblent confirmer cette impression puisqu'il a été décrit des développements de tumeurs fibroblastiques chez l'animal sous oestrogènes avec régression en utilisant de la progestérone et des inductions de tumeurs desmoides à partir de cultures fibroblastiques in vitro, stimulées par des oestrogènes puis dont la prolifération a été inhibé sous Tamoxifène. L'hormonosensibilté des tumeurs comme le cancer du sein est médiée par l'intermédiaire des récepteurs hormonaux à l'oestradiol ou à la progestérone. Ceux-ci ont été recherchés dans quelques tumeurs desmoides. Le taux de résultats positifs est variable de 30 à 50%, mais à des concentrations faibles, inférieures à 50 fentomoles /mg de protéines du cytoplasme. Conseil génétique Dans les familles atteintes de polypose colique familiale, une mutation constitutionnelle est identifiée dans environ 90% des cas. Le diagnostic précoce est donc possible par analyse génétique avant l'expression du phénotype colique de la polypose (voir ci dessus). Il existe une corrélation génotypephénotype et la position de la mutation conditionne le risque de tumeur desmoide qui présente une certaine gravité dans ces circonstances. Il est donc possible dans ces circonstances à risque, d'établir une surveillance particulière afin de dépister le plus tôt possible l'apparition d'une tumeur desmoide notamment abdominale. Facteurs traumatiques Les traumatismes, qu'ils soient chirurgicaux ou accidentels, ont également été évoqués dans la genèse des tumeurs desmoides. Dans le cas particulier de tumeurs desmoides survenant en association à la PAF, le diagnostic se fait le plus souvent dans les cinq ans suivant la colectomie. Il a été également décrit des tumeurs apparaissant sur des cicatrices de plaie, des sites d'implantation de trocarts de laparoscopie ou après mise en place de prothèse mammaire en silicone. La relation de causalité n'a cependant pas été prouvée et les arguments physiopathologiques sont rares. Références Ballo MT, Zagars GK, Pollack A, Pisters PW, Pollack RA, 1999, Desmoid tumor: prognostic factors and outcome after surgery, radiation therapy, or combined surgery and radiation therapy, J Clin Oncol.17: 158-67. Faulkner LB, Hajidu SI, Kher U, et al. 1995, Pediatric desmoid tumor : retrospective analysis of 63 cases. J Clin Oncol; 13: 2813-8. Lackner H, Urban C, Kerbi R, et al. 1997, Noncytotoxic drug therapy in children with unresecable desmoid tumors. Cancer; 80: 33440. Nuyttens J , Rust P , Thomas C , Turissi A, 2000, Surgery versus radiation therapy for patients with fibromatosis or desmoid tumors : a comparative review of 22 articles. Cancer; 88: 1517-23 Mignot. L. Les tumeurs desmoides. Orphanet encyclopédie. 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