Éditorial Éditorial Hypertension artérielle : le cru 2000 des recommandations de l’ANAES H. Milon* * Service de cardiologie, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon. n septembre 1997, l’ANAES a publié un très bon texte, souvent cité et utilisé, de recommandations sur l’hypertension artérielle (HTA) (1). La même année, un désormais célèbre comité d'experts américains (le JNC) a publié la sixième version de ses recommandations sur le même sujet. Puis en février 1999, l’Organisation mondiale de la santé et la Société internationale d’hypertension ajoutaient leurs propres recommandations dans un texte très documenté. On pouvait ainsi se considérer bien pourvu en matière de recommandations sur l’HTA. Et pourtant voilà de nouvelles recommandations de l’ANAES, moins de trois ans après les précédentes : “Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle. Recommandations cliniques et données économiques” (2). Il est vrai que l’HTA et son traitement constituent un énorme problème de santé publique, en même temps qu’un énorme problème économique, dans un contexte français où apparemment le contrôle de l’HTA est loin d’être optimal, d’après des enquêtes récentes de la Société française d’hypertension artérielle et de la Caisse nationale d’assurance maladie. Par ailleurs, il n’est que de citer quelques acronymes, HOT, CAPPP, SYSTEUR, STOP-2, HOPE, TONE, ALLHAT, correspondant à des travaux sur le traitement de l’HTA publiés dans les trois dernières années, pour comprendre que les connaissances sur le traitement de l’HTA évoluent rapidement. Sans que cela implique pour autant des changements radicaux de pratique, une mise à jour se justifiait pleinement. Parmi les éléments nouveaux, ou accentués, de cette mise à jour, on relèvera l’admission des appareils électroniques validés pour mesurer la pression artérielle, bientôt rendue obligatoire par l’interdiction du mercure pour raisons écologiques. Ainsi les sons de Korotkoff, après un siècle de bons et loyaux services à la cause de la mesure tensionnelle, entrent en phase terminale ! Au-delà de cet aspect technique, un des points forts du texte, qui suit en cela les recommandations internationales, est la mise en avant très catégorique de l’évaluation du risque individuel (à partir des chiffres de pression artérielle mais aussi des autres facteurs de risque et des antécédents), comme fondement de la décision de traitement. Même si jusqu’ici, dans les textes comme dans les pratiques, cette manière de faire était plus ou moins implicite pour les médecins français, il s’agit d’un appel à une petite “révolution culturelle”. Comment évaluer ce risque individuel ? La méthode pragmatique proposée est-elle valide ? Est-elle praticable en routine ? Mais surtout, seronsnous capables de nous défaire de notre vieille habitude d’utiliser un critère unique de pression artérielle ? Autant de questions auxquelles on ne pourra répondre que dans quelques années, en attendant aussi des essais cliniques rigoureux conduits en sélectionnant des individus sur leur risque individuel. En effet, ces essais n’existent pas aujourd’hui, mais on ne pouvait différer cette recommandation, tant la logique est aveuglante : beaucoup d’individus sont traités par médicaments alors que le risque qu’ils encourent est insignifiant ; inversement, beaucoup de cas d’hypertension modérée ne sont pas traités malgré un risque cardiovasculaire important. Comme en 1997, le traitement non pharmacologique de l’HTA est fortement mis en exergue, y compris chez les personnes âgées. Mais les mesures correspondantes (sel, E (1). Diagnostic et traitement de l’hypertension artérielle essentielle de l’adulte de 20 à 80 ans.Coll. Références médicales, sept. 1997. (2). Internet : http://www. anaes.fr 463 Éditorial Éditorial Hypertension artérielle : le cru 2000 des recommandations de l’ANAES H. Milon alcool, poids, exercice physique) dans la population générale apparaissent maintenant au sein des recommandations (elles n’étaient qu’en annexe en 1997). Leur diffusion large est en effet fondamentale puisque seule permettant d’espérer la prévention de l’HTA. En outre, elle facilite l’adoption durable des mêmes mesures par les sujets atteints hypertension. Les recommandations quant aux médicaments sont légitimement très attendues. Pour le traitement initial, le cru 2000 des recommandations de l’ANAES paraîtra un peu plus conservateur que le précédent. Ainsi les médicaments préconisés sont ceux ayant fait la preuve d’un effet préventif clinique (avec, comme en 1997, la possibilité d’utiliser une bithérapie faiblement dosée avec AMM dans cette indication). Une certaine primauté est aussi donnée aux diurétiques et aux bêtabloquants du fait d’un plus grand nombre d’essais probants les concernant. Le principe " baisse tensionnelle égale, bénéfice égal " a été abandonné : en effet, les résultats défavorables de la doxazosine dans l’essai ALLHAT (par comparaison avec la chlortalidone) sont venus nous rappeler rudement qu’un critère intermédiaire (ici, la pression artérielle) ne peut se substituer facilement aux critères d’évolution clinique. L’objectif tensionnel reste inférieur à 140/90 mmHg avec des chiffres plus bas en cas de diabète ou d’insuffisance rénale (sauf pour l’HTA systolique de la personne âgée, < 150 mmHg). Pour atteindre cet objectif, le recours à des bi- ou plurithérapies est proposé selon des modalités semblables à celles de 1997. On notera encore une originalité de ce texte français, à savoir l'introduction de données économiques sur les méthodes de mesure de pression artérielle et le traitement de l'HTA. À cet égard, il est souligné que l'on ne dispose pas de travaux français et qu'il est très difficile de transposer à notre pays des travaux conduits ailleurs. Ces données ne peuvent donc pas peser lourdement sur les recommandations au clinicien, ce qui n'enlève rien à leur intérêt. La seule recommandation est finalement de se mettre au travail et des propositions sont faites pour aborder le problème. Voilà quelques-uns des points marquants de ces nouvelles recommandations. Un juste équilibre a été recherché entre les “faits probants” et la praticabilité de terrain. On pourra s’étonner de telle ou telle différence avec les recommandations précédentes de l’ANAES, ou d’autres recommandations, américaines ou internationales. Globalement peu nombreuses, elles s’expliquent par le contexte épidémiologique de la France, ou par les différences de la pratique médicale, ou encore – il faut bien le dire – par une lecture différente des mêmes “faits probants”. La véritable question est en fait la suivante : ces textes de recommandations sont-ils utiles ? On entend dire qu’ils sont peu lus, encore moins mémorisés, et encore moins mis en pratique. Les mesures d’impact sont inexistantes. Il est vrai que, pour l'HTA, le praticien rencontre une difficulté non négligeable. Sa prise en charge n’est pas autre chose qu’une action de prévention cardiovasculaire, au même titre que la prise en charge du diabète, de l’hyperlipidémie, ou du tabagisme. D'où un sentiment de confusion. Comment utiliser plusieurs textes de recommandations qui abordent le même problème, la prévention cardiovasculaire, par des entrées différentes ? Comment hiérarchiser les mesures à prendre ? Cette absence d’un texte unique et synthétique est certainement un facteur de moindre efficacité des recommandations. Cette réserve faite, ces recommandations de l’ANAES représentent, en l'an 2000, l’opinion équilibrée d’un groupe de médecins praticiens, spécialistes ou généralistes, cliniciens ou non. Il faut souhaiter qu’elles soient considérées utiles par les enseignants. Pour les cliniciens amenés à s’occuper d’HTA, elles ne sont pas un recueil de lois intangibles mais un guide, à partir duquel ils pourront réfléchir aux meilleures attitudes à adopter selon les particularités de leur patient. Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 7, septembre 2000 464