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Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002
augmentation de pression artérielle
potentialise les effets délétères des fac-
teurs de risque cardiovasculaire. Il s’agit là d’une
extension de la notion de risque cardiovasculaire
absolu. Il existe un consensus international visant
à prendre en compte non seulement la valeur
absolue de la pression artérielle, mais aussi le
niveau d’autres facteurs de risque modifiables et
la présence d’une atteinte des organes cibles afin
de justifier des décisions thérapeutiques. C’est
l’esprit qui a conduit aux recommandations de
l’OMS-ISH, à celles du JNC-VI, et enfin aux der-
nières de l’ANAES parues en 2000.
En établissant ces recommandations, les experts
de l’ANAES ont cherché à répondre à quatre ques-
tions spécifiques :
– qui est hypertendu ?
– quelle est la prise en charge initiale à recom-
mander chez le patient hypertendu ?
– quel patient hypertendu faut-il traiter par des
médicaments antihypertenseurs ?
– quels sont les objectifs du traitement ?
Les recommandations proposées ont été grou-
pées en trois grades : A, B, C, suivant le niveau de
preuves scientifiques (ANDEM). En l’absence de
preuves scientifiques suffisantes, elles sont rédi-
gées suivant un accord professionnel fort.
Leur bien-fondé n’est pas à établir, il correspond à
une interprétation de la médecine fondée sur les
preuves et ces recommandations répondent à
l’obligation réglementaire de pratiquer la médecine
suivant les données actuelles de la science.
Cependant, il paraît tout aussi nécessaire d’évaluer
leur compréhension et leur mise en œuvre auprès
des médecins praticiens généralistes ainsi qu’au-
près des cardiologues. En effet, malgré leur diffu-
sion par différents canaux, l’expérience montre que
ces recommandations ne sont pas forcément assi-
milées et encore moins facilement mises en pra-
tique. Il faut saluer l’initiative du laboratoire Pfizer
d’avoir désiré connaître la sensibilité d’un panel de
médecins généralistes et de cardiologues à ces
récentes recommandations de l’ANAES.
M
ÉTHODOLOGIE DE L
ÉTUDE
Il s’agit d’une enquête d’opinion et de notoriété
portant sur la perception et la mise en pratique
des recommandations pour la prise en charge des
patients hypertendus. Les objectifs de cette étude
étaient :
– d’évaluer le contenu spontanément mémorisé
des recommandations de l’ANAES pour la prise en
charge des patients âgés de 20 à 80 ans et
atteints d’hypertension artérielle,
– d’identifier les thèmes de prévention auxquels les
médecins praticiens sont le plus sensibles,
– de connaître la prise en compte et la hiérarchi-
sation des autres facteurs de risque coexistant
avec l’hypertension artérielle, ainsi que leur
niveau de prise en charge.
Le questionnaire directif a été présenté directement
par le visiteur médical Pfizer auprès des médecins
participants. L’enquête a été réalisée entre janvier
2001 et mars 2002 auprès d’environ 5 000 médecins
généralistes et 810 cardiologues.
A
NALYSE DES RÉSULTATS
Niveau de notoriété des recommandations
de l’ANAES
Il peut être considéré comme globalement bon :
71 % des cardiologues considèrent que leur
connaissance des recommandations de l’ANAES
est bonne à très bonne, alors que 56 % des méde-
cins généralistes considèrent avoir ce même
niveau de connaissance.
Parmi les différents canaux de diffusion des
recommandations de l’ANAES, la presse médicale
apparaît au premier plan en tant que vecteur de
diffusion pour 79 % des cardiologues et 62 % des
médecins généralistes. Les autres facteurs de dif-
fusion restent marginaux en dehors de la visite
médicale, tout particulièrement citée par les
médecins généralistes (61 %). La diffusion directe
par l’ANAES est citée comme un vecteur de diffu-
sion préférentiel par 25 à 30 % des médecins.
Infos étude
L’
Enquête ADHERE
Applications dans
l’hypertension artérielle
des recommandations
de l’ANAES
!
!
P. Boutouyrie (Paris)
En collaboration
avec le laboratoire
35
Objectifs des recommandations
Avaient été pris en compte en particulier les buts de
la baisse tensionnelle, la prise en charge globale de
la maladie cardiovasculaire, la stratification du
risque et des options thérapeutiques. Il est intéres-
sant de noter que les objectifs de réduction de
morbimortalité cardiovasculaire sont au premier
plan pour les médecins généralistes (58 % vs 46 %
pour les cardiologues), alors que les cardiologues
sont plus sensibles à la stratification du risque car-
diovasculaire chez le patient hypertendu en fonc-
tion de la présence d’autres facteurs de risque
(60 %
versus
40 % pour les médecins généralistes).
La simplification des objectifs tensionnels et le
choix non hiérarchisé de quatre classes thérapeu-
tiques majeures pour le traitement initial du traite-
ment de l’hypertension n’étaient que marginale-
ment cités comme intéressants.
L’écrasante majorité des praticiens avait bien mémo-
risé la recommandation non hiérarchisée des quatre
classes principales d’antihypertenseurs pour la prise
en charge initiale de l’hypertension.
Seuils de prise en charge de l’HTA
Plus de 90 % des praticiens ont retenu les normes
de 140 mmHg comme pression artérielle systo-
lique normale, alors que seulement 25 % des
médecins généralistes exigent des pressions arté-
rielles diastoliques inférieures à 80 mmHg au
repos.
La prise en compte de la pression artérielle systo-
lique semble avoir été moins bien assimilée par les
médecins praticiens. À la question “Dans quel
sous-groupe de patients la valeur prédictive de la
pression artérielle systolique par rapport à la dias-
tolique est-elle la meilleure ?”, 64 % des cardio-
logues (vs 46 % des généralistes) estimaient que
c’était chez le sujet âgé et 51 % des médecins géné-
ralistes considéraient que c’était vrai pour tous les
hypertendus. Il peut s’agir de l’extension a priori
du concept de “pression artérielle systolique =
meilleur prédicteur de risque” à l’ensemble des
sous-populations.
Lorsque la question est : “À partir de quel niveau de
pression artérielle systolique, le traitement médica-
menteux est-il indiqué chez les hypertendus âgés ?”,
36 % des médecins généralistes et 22 % des cardio-
logues pensent que le traitement est indiqué si la PAS
est supérieure à 160 mmHg et la PAD à 95 mmHg. Seuls
36 % des généralistes et 50 % des cardiologues esti-
ment qu’une élévation isolée de pression systolique
au-dessus de 160 mmHg conditionne le traitement
médicamenteux.
Traitement de l’HTA et risques
cardiovasculaires
L’une des originalités de l’approche “moderne” du
traitement de l’hypertension artérielle est de modu-
ler l’intensité de la prise en charge en fonction des
strates de risque cardiovasculaire absolu (la coexis-
tence d’un ou plusieurs facteurs de risque et/ou
l’atteinte des organes cibles de l’hypertension arté-
rielle). Dans ce cadre, il convenait de préciser le
pourcentage des différents facteurs de risque et de
morbidité associée, au sein des patients hyperten-
dus que les médecins généralistes et cardiologues
ont en charge. Les résultats sont très homogènes.
Moins de 20 % des patients pris en charge pour leur
HTA n’ont pas de facteurs de risque associés. Parmi
les autres, il s’agit de façon prédominante de sujets
âgés (38 à 45 %), dyslipidémiques (± 30 %), et sou-
vent diabétiques (24 à 19 %). Il faut noter la fré-
quence importante de maladie coronaire avérée
Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002
Âge supérieur à 45 ans chez l’homme et à 55 ans chez la femme.
Antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire à un âge précoce
(avant 55 ans chez le père ou 65 ans chez la mère).
Tabagisme.
Diabète.
HDL-cholestérol ‹ 0,35 g/l (0,9 mmol/l), LDL › 1,90 g/l (4,9 mmol/l).
Consommation excessive d’alcool.
Catégories à risque particulier (notamment groupes socio-économiques défavorisés)*.
Absence d’activité physique régulière.
Obésité abdominale.
Atteinte d’un organe-cible.
Principaux facteurs et indicateurs de risque cardiovasculaire et maladies associées pris en
compte dans la prise en charge d’un patient atteint d’une hypertension artérielle (adapté de
WHO-ISH 1999). Cette liste n’est ni hiérarchique, ni exhaustive. Source Anaes 2000.
Autre facteur de risque Grade 1 Grade 2 Grade 3
et histoire de la maladie (HTA “légère”) (HTA “modérée”) (HTA “sévère”)
Systolique 140-159 Systolique 160-179 Systolique › 180
ou diastolique 90-99 ou diastolique 100-109 ou diastolique › 110
* Dans le cas de maladies cardiovasculaires associées, le patient doit être considéré comme à risque très
élevé, quel que soit son niveau tensionnel et faire l’objet d’une prise en charge spécifique.
Groupe A : pas d’autre
facteur de risque Risque faible Risque moyen Risque élevé
Groupe B : 1-2 facteurs
de risque Risque moyen Risque moyen Risque élevé
Groupe C : 3 facteurs de
risque ou plus, ou atteinte Risque élevé Risque élevé Risque élevé
d’un organe-cible,
ou diabète*
* Les recommandations 1999 du JNC VI et de l’OMS-ISH ont précisé en outre les critères de groupes eth-
niques et régions géographiques particulièrement exposées, notamment les Afro-Americains et ceux
issus de la zone caraïbe. La Guyane et les Antilles françaises sont évidemment concernées. Nombre de
ces facteurs de risque ne sont pas modifiables.
Stratification du risque pour quantifier le pronostic d’un patient atteint d’une hypertension
artérielle (adapté de WHO-ISH 1999). Source Anaes 2000.
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associée à l’HTA chez 24 % des patients suivis par
des cardiologues et 14 % par des médecins généra-
listes.
Concernant la fréquence des patients à risque car-
diovasculaire, nous pouvons constater que l’ordre
apparent est très homogène entre les cardiologues
et les médecins généralistes. Le groupe de tête est
constitué des quatre facteurs de risque cardiovas-
culaire classiques, à savoir : diabète, tabac, dysli-
pidémie et antécédents familiaux. Il est intéres-
sant de constater que l’âge et l’atteinte des
organes cibles n’apparaissent qu’en 5
e
ou 6
e
posi-
tion, alors qu’ils ont un poids tout à fait considé-
rable dans la prise de décision thérapeutique.
Enfin, en contradiction avec toutes les données
épidémiologiques, l’alcool n’apparaît qu’en der-
nière position. Dans ce cadre très restreint, il
apparaît que la prise en charge de l’HTA, dans son
contexte de risque cardiovasculaire absolu reste à
optimiser.
On soulignera encore que la connaissance d’une
morbidité associée à l’hypertension artérielle
devrait influencer la prise en charge pharmacolo-
gique. En effet, il existe des niveaux de preuve
convaincants démontrant l’effet différentiel de
certaines classes thérapeutiques.
Ainsi, il a été demandé de préciser la classe théra-
peutique utilisée préférentiellement pour traiter
l’HTA de patients avec ou sans condition morbide
associée. Les dihydropyridines sont citées, au
même titre que les bêta-bloquants chaque fois qu’il
y a une notion de maladies coronariennes ou de car-
diopathie ischémique.
Les médecins généralistes insistent sur la place des
dihydropyridines lorsqu’il y a une cardiopathie isché-
mique associée, alors que les cardiologues insistent
spontanément sur la place des bêta-bloquants. Chez
le patient diabétique, seuls les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion sont cités. Les diurétiques ne sont cités
que chez le sujet âgé. Ces résultats soulignent la diffi-
culté de traduire en pratique quotidienne les résultats
les plus récents des études interventionnelles et le
très important poids des habitudes de prescription.
Quels enseignements tirer
de cette enquête ?
Un certain nombre de points de satisfaction : la
notoriété de ces recommandations, qui demeure
élevée, l’adhésion des médecins généralistes et des
cardiologues à la majorité des points relevés dans
ces recommandations, entre autres, à une prise en
charge spécifique dès l’identification de facteurs de
risque et/ou de condition morbide associés à l’hy-
pertension artérielle.
A contrario
, la sous-représen-
tation de patients présentant une atteinte d’or-
ganes cibles dans la hiérarchisation des facteurs de
risque et des conditions morbides associées peut
refléter un défaut de consensus sur la définition
même de l’atteinte des organes cibles. Cela est tout
particulièrement vrai pour l’atteinte artérielle où les
explorations fonctionnelles ne sont pas pratiquées
en routine. Dans ce cadre, il serait important de pro-
poser un panel d’explorations fonctionnelles
simples, rendant des résultats clairs et validés, per-
mettant de mieux rechercher la ou les atteintes des
organes cibles. Ensuite, il faut s’interroger sur la
mise en pratique quotidienne des résultats des
grandes études, s’agissant de la validation de nou-
veaux paramètres cliniques ou biologiques (tels que
la pression artérielle systolique ou les paramètres
de retentissement sur les organes cibles) ou des
résultats d’études interventionnelles. D’autres ont
déjà insisté sur le délai important séparant la publi-
cation de la mise en pratique. Cela traduit à l’évi-
dence un défaut de crédibilité de la médecine basée
sur les preuves, dont les déterminants sont mul-
tiples et qui sortent du cadre de ce travail.
Quoi qu’il en soit, mesurer la mise en pratique de
recommandations est aussi important que de les
rédiger et la mise en évidence de décalages entre
les recommandations et la pratique ne peut
qu’améliorer, in fine, les soins apportés à nos
patients. !
Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002
Infos étude
Stratégie de suivi du patient hypertendu. Source Anaes 2000.
* À l’exception des urgences hypertensives, qui ne sont pas l’objet de ces recommandations.
** Ou moins dans 2 cas particuliers : diabète et insuffisance rénale.
*** Chez les patients à risque faible, une certaine “tolérance” est préconisée si le seul traitement non médicamenteux
ne permettait pas d’atteindre l’objectif idéal de 140/90 mmHg, sous réserve de réévaluation régulière de la situation.
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