En collaboration avec le laboratoire Infos étude Enquête ADHERE Applications dans l’hypertension artérielle des recommandations de l’ANAES ! P. Boutouyrie (Paris) L’ augmentation de pression artérielle potentialise les effets délétères des facteurs de risque cardiovasculaire. Il s’agit là d’une extension de la notion de risque cardiovasculaire absolu. Il existe un consensus international visant à prendre en compte non seulement la valeur absolue de la pression artérielle, mais aussi le niveau d’autres facteurs de risque modifiables et la présence d’une atteinte des organes cibles afin de justifier des décisions thérapeutiques. C’est l’esprit qui a conduit aux recommandations de l’OMS-ISH, à celles du JNC-VI, et enfin aux dernières de l’ANAES parues en 2000. En établissant ces recommandations, les experts de l’ANAES ont cherché à répondre à quatre questions spécifiques : – qui est hypertendu ? – quelle est la prise en charge initiale à recommander chez le patient hypertendu ? – quel patient hypertendu faut-il traiter par des médicaments antihypertenseurs ? – quels sont les objectifs du traitement ? Les recommandations proposées ont été groupées en trois grades : A, B, C, suivant le niveau de preuves scientifiques (ANDEM). En l’absence de preuves scientifiques suffisantes, elles sont rédigées suivant un accord professionnel fort. Leur bien-fondé n’est pas à établir, il correspond à une interprétation de la médecine fondée sur les preuves et ces recommandations répondent à l’obligation réglementaire de pratiquer la médecine suivant les données actuelles de la science. Cependant, il paraît tout aussi nécessaire d’évaluer leur compréhension et leur mise en œuvre auprès des médecins praticiens généralistes ainsi qu’auprès des cardiologues. En effet, malgré leur diffusion par différents canaux, l’expérience montre que ces recommandations ne sont pas forcément assimilées et encore moins facilement mises en pratique. Il faut saluer l’initiative du laboratoire Pfizer d’avoir désiré connaître la sensibilité d’un panel de médecins généralistes et de cardiologues à ces récentes recommandations de l’ANAES. 34 MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE Il s’agit d’une enquête d’opinion et de notoriété portant sur la perception et la mise en pratique des recommandations pour la prise en charge des patients hypertendus. Les objectifs de cette étude étaient : – d’évaluer le contenu spontanément mémorisé des recommandations de l’ANAES pour la prise en charge des patients âgés de 20 à 80 ans et atteints d’hypertension artérielle, – d’identifier les thèmes de prévention auxquels les médecins praticiens sont le plus sensibles, – de connaître la prise en compte et la hiérarchisation des autres facteurs de risque coexistant avec l’hypertension artérielle, ainsi que leur niveau de prise en charge. Le questionnaire directif a été présenté directement par le visiteur médical Pfizer auprès des médecins participants. L’enquête a été réalisée entre janvier 2001 et mars 2002 auprès d’environ 5 000 médecins généralistes et 810 cardiologues. ANALYSE DES RÉSULTATS Niveau de notoriété des recommandations de l’ANAES Il peut être considéré comme globalement bon : 71 % des cardiologues considèrent que leur connaissance des recommandations de l’ANAES est bonne à très bonne, alors que 56 % des médecins généralistes considèrent avoir ce même niveau de connaissance. Parmi les différents canaux de diffusion des recommandations de l’ANAES, la presse médicale apparaît au premier plan en tant que vecteur de diffusion pour 79 % des cardiologues et 62 % des médecins généralistes. Les autres facteurs de diffusion restent marginaux en dehors de la visite médicale, tout particulièrement citée par les médecins généralistes (61 %). La diffusion directe par l’ANAES est citée comme un vecteur de diffusion préférentiel par 25 à 30 % des médecins. Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002 Objectifs des recommandations Avaient été pris en compte en particulier les buts de la baisse tensionnelle, la prise en charge globale de la maladie cardiovasculaire, la stratification du risque et des options thérapeutiques. Il est intéressant de noter que les objectifs de réduction de morbimortalité cardiovasculaire sont au premier plan pour les médecins généralistes (58 % vs 46 % pour les cardiologues), alors que les cardiologues sont plus sensibles à la stratification du risque cardiovasculaire chez le patient hypertendu en fonction de la présence d’autres facteurs de risque (60 % versus 40 % pour les médecins généralistes). La simplification des objectifs tensionnels et le choix non hiérarchisé de quatre classes thérapeutiques majeures pour le traitement initial du traitement de l’hypertension n’étaient que marginalement cités comme intéressants. Principaux facteurs et indicateurs de risque cardiovasculaire et maladies associées pris en compte dans la prise en charge d’un patient atteint d’une hypertension artérielle (adapté de WHO-ISH 1999). Cette liste n’est ni hiérarchique, ni exhaustive. Source Anaes 2000. • Âge supérieur à 45 ans chez l’homme et à 55 ans chez la femme. • Antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire à un âge précoce (avant 55 ans chez le père ou 65 ans chez la mère). • Tabagisme. • Diabète. • HDL-cholestérol ‹ 0,35 g/l (0,9 mmol/l), LDL › 1,90 g/l (4,9 mmol/l). • Consommation excessive d’alcool. • Catégories à risque particulier (notamment groupes socio-économiques défavorisés)*. • Absence d’activité physique régulière. • Obésité abdominale. • Atteinte d’un organe-cible. * Les recommandations 1999 du JNC VI et de l’OMS-ISH ont précisé en outre les critères de groupes ethniques et régions géographiques particulièrement exposées, notamment les Afro-Americains et ceux issus de la zone caraïbe. La Guyane et les Antilles françaises sont évidemment concernées. Nombre de ces facteurs de risque ne sont pas modifiables. Stratification du risque pour quantifier le pronostic d’un patient atteint d’une hypertension artérielle (adapté de WHO-ISH 1999). Source Anaes 2000. Autre facteur de risque et histoire de la maladie Grade 1 (HTA “légère”) Systolique 140-159 ou diastolique 90-99 Grade 2 (HTA “modérée”) Systolique 160-179 ou diastolique 100-109 Grade 3 (HTA “sévère”) Systolique › 180 ou diastolique › 110 Groupe A : pas d’autre facteur de risque Risque faible Risque moyen Risque élevé Groupe B : 1-2 facteurs de risque Risque moyen Risque moyen Risque élevé Groupe C : 3 facteurs de risque ou plus, ou atteinte d’un organe-cible, ou diabète* Risque élevé Risque élevé Risque élevé * Dans le cas de maladies cardiovasculaires associées, le patient doit être considéré comme à risque très élevé, quel que soit son niveau tensionnel et faire l’objet d’une prise en charge spécifique. Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002 L’écrasante majorité des praticiens avait bien mémorisé la recommandation non hiérarchisée des quatre classes principales d’antihypertenseurs pour la prise en charge initiale de l’hypertension. Seuils de prise en charge de l’HTA Plus de 90 % des praticiens ont retenu les normes de 140 mmHg comme pression artérielle systolique normale, alors que seulement 25 % des médecins généralistes exigent des pressions artérielles diastoliques inférieures à 80 mmHg au repos. La prise en compte de la pression artérielle systolique semble avoir été moins bien assimilée par les médecins praticiens. À la question “Dans quel sous-groupe de patients la valeur prédictive de la pression artérielle systolique par rapport à la diastolique est-elle la meilleure ?”, 64 % des cardiologues (vs 46 % des généralistes) estimaient que c’était chez le sujet âgé et 51 % des médecins généralistes considéraient que c’était vrai pour tous les hypertendus. Il peut s’agir de l’extension a priori du concept de “pression artérielle systolique = meilleur prédicteur de risque” à l’ensemble des sous-populations. Lorsque la question est : “À partir de quel niveau de pression artérielle systolique, le traitement médicamenteux est-il indiqué chez les hypertendus âgés ?”, 36 % des médecins généralistes et 22 % des cardiologues pensent que le traitement est indiqué si la PAS est supérieure à 160 mmHg et la PAD à 95 mmHg. Seuls 36 % des généralistes et 50 % des cardiologues estiment qu’une élévation isolée de pression systolique au-dessus de 160 mmHg conditionne le traitement médicamenteux. Traitement de l’HTA et risques cardiovasculaires L’une des originalités de l’approche “moderne” du traitement de l’hypertension artérielle est de moduler l’intensité de la prise en charge en fonction des strates de risque cardiovasculaire absolu (la coexistence d’un ou plusieurs facteurs de risque et/ou l’atteinte des organes cibles de l’hypertension artérielle). Dans ce cadre, il convenait de préciser le pourcentage des différents facteurs de risque et de morbidité associée, au sein des patients hypertendus que les médecins généralistes et cardiologues ont en charge. Les résultats sont très homogènes. Moins de 20 % des patients pris en charge pour leur HTA n’ont pas de facteurs de risque associés. Parmi les autres, il s’agit de façon prédominante de sujets âgés (38 à 45 %), dyslipidémiques (± 30 %), et souvent diabétiques (24 à 19 %). Il faut noter la fréquence importante de maladie coronaire avérée 35 Infos associée à l’HTA chez 24 % des patients suivis par des cardiologues et 14 % par des médecins généralistes. Concernant la fréquence des patients à risque cardiovasculaire, nous pouvons constater que l’ordre apparent est très homogène entre les cardiologues et les médecins généralistes. Le groupe de tête est constitué des quatre facteurs de risque cardiovasculaire classiques, à savoir : diabète, tabac, dyslipidémie et antécédents familiaux. Il est intéressant de constater que l’âge et l’atteinte des organes cibles n’apparaissent qu’en 5e ou 6e position, alors qu’ils ont un poids tout à fait considérable dans la prise de décision thérapeutique. Enfin, en contradiction avec toutes les données épidémiologiques, l’alcool n’apparaît qu’en dernière position. Dans ce cadre très restreint, il apparaît que la prise en charge de l’HTA, dans son contexte de risque cardiovasculaire absolu reste à optimiser. On soulignera encore que la connaissance d’une morbidité associée à l’hypertension artérielle devrait influencer la prise en charge pharmacologique. En effet, il existe des niveaux de preuve convaincants démontrant l’effet différentiel de certaines classes thérapeutiques. Ainsi, il a été demandé de préciser la classe thérapeutique utilisée préférentiellement pour traiter Stratégie de suivi du patient hypertendu. Source Anaes 2000. * À l’exception des urgences hypertensives, qui ne sont pas l’objet de ces recommandations. ** Ou moins dans 2 cas particuliers : diabète et insuffisance rénale. *** Chez les patients à risque faible, une certaine “tolérance” est préconisée si le seul traitement non médicamenteux ne permettait pas d’atteindre l’objectif idéal de 140/90 mmHg, sous réserve de réévaluation régulière de la situation. 36 étude l’HTA de patients avec ou sans condition morbide associée. Les dihydropyridines sont citées, au même titre que les bêta-bloquants chaque fois qu’il y a une notion de maladies coronariennes ou de cardiopathie ischémique. Les médecins généralistes insistent sur la place des dihydropyridines lorsqu’il y a une cardiopathie ischémique associée, alors que les cardiologues insistent spontanément sur la place des bêta-bloquants. Chez le patient diabétique, seuls les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont cités. Les diurétiques ne sont cités que chez le sujet âgé. Ces résultats soulignent la difficulté de traduire en pratique quotidienne les résultats les plus récents des études interventionnelles et le très important poids des habitudes de prescription. Quels enseignements tirer de cette enquête ? Un certain nombre de points de satisfaction : la notoriété de ces recommandations, qui demeure élevée, l’adhésion des médecins généralistes et des cardiologues à la majorité des points relevés dans ces recommandations, entre autres, à une prise en charge spécifique dès l’identification de facteurs de risque et/ou de condition morbide associés à l’hypertension artérielle. A contrario, la sous-représentation de patients présentant une atteinte d’organes cibles dans la hiérarchisation des facteurs de risque et des conditions morbides associées peut refléter un défaut de consensus sur la définition même de l’atteinte des organes cibles. Cela est tout particulièrement vrai pour l’atteinte artérielle où les explorations fonctionnelles ne sont pas pratiquées en routine. Dans ce cadre, il serait important de proposer un panel d’explorations fonctionnelles simples, rendant des résultats clairs et validés, permettant de mieux rechercher la ou les atteintes des organes cibles. Ensuite, il faut s’interroger sur la mise en pratique quotidienne des résultats des grandes études, s’agissant de la validation de nouveaux paramètres cliniques ou biologiques (tels que la pression artérielle systolique ou les paramètres de retentissement sur les organes cibles) ou des résultats d’études interventionnelles. D’autres ont déjà insisté sur le délai important séparant la publication de la mise en pratique. Cela traduit à l’évidence un défaut de crédibilité de la médecine basée sur les preuves, dont les déterminants sont multiples et qui sortent du cadre de ce travail. Quoi qu’il en soit, mesurer la mise en pratique de recommandations est aussi important que de les rédiger et la mise en évidence de décalages entre les recommandations et la pratique ne peut qu’améliorer, in fine, les soins apportés à nos patients. ! Correspondances en médecine - n° 3, vol. III - juillet/août/septembre 2002