D o s s i e r t h é m a t i q u e Démences à composante vasculaire : intérêt de la galantamine… ■ D. Deplanque* * Service de pharmacologie, CHRU de Lille. 160 À la différence de la maladie d’Alzheimer, la prise en charge thérapeutique des patients présentant une démence vasculaire reste un problème délicat dans la mesure où, à l’exception des traitements de prévention, aucun médicament n’a fait la preuve de son efficacité dans cette indication. L’étude réalisée par Erkinjutti et al., récemment publiée dans le Lancet, apporte dans ce contexte des arguments en faveur d’un bénéfice de la galantamine, une molécule anticholinestérasique et modulatrice des récepteurs nicotiniques, dans le traitement des démences vasculaires et de la maladie d’Alzheimer à composante vasculaire cérébrale surajoutée. Dans le cadre d’une étude contrôlée, en double aveugle versus placebo, les effets de la galantamine à la posologie de 24 mg par jour ont été évalués dans une population de patients présentant une démence vasculaire probable selon les critères du NINCDS-ADRDA ou une maladie d’Alzheimer selon les critères du NINDS-AIREN, à condition qu’à celle-ci soient associées des lésions vasculaires cérébrales. Parmi les critères d’inclusion, le tableau démentiel devait avoir débuté entre 40 et 90 ans, le MMS être compris entre 10 et 25 et l’ADAS-cog – une échelle d’évaluation cognitive – être supérieure ou égale à 12. Par ailleurs, les patients devaient avoir présenté des symptômes focaux rendant compte d’un antécédent d’accident vasculaire cérébral (AVC) et être porteurs de lésions vasculaires cérébrales sous la forme d’infarctus territoriaux multiples, d’infarctus stratégiques (gyrus angulaire, cortex fronto-basal, territoires des artères cérébrales antérieure ou postérieure, infarctus lacunaires des ganglions de la base et de la substance blanche, leucopathie vasculaire touchant plus de 25 % de la substance blanche), lésions authentifiées par un scanner cérébral datant de moins de 1 an. Enfin, il devait pouvoir être établi un lien entre l’évolution de la démence et celle de la pathologie vasculaire cérébrale : début du tableau cognitif dans les 3 mois suivant un AVC, détérioration brutale des troubles cognitifs, fluctuation ou progression en marche d’escalier. L’existence d’une pathologie pouvant contribuer à la détérioration cognitive, en particulier une maladie neurodégénérative autre que la maladie d’Alzheimer, un traumatisme crânien, une hypoxie cérébrale, un déficit vitaminique, une pathologie infectieuse, une tumeur cérébrale, un retard mental, une épilepsie ou encore une pathologie psychiatrique, hépatique, rénale, pulmonaire, métabolique, endocrinienne, un ulcère évolutif et la consommation de drogues ou d’alcool constituaient autant de facteurs d’exclusion. Enfin, l’ensemble des traitements à visée cognitive (nootropes, agents cholinergiques et estrogènes) devaient être interrompus avant le début de l’étude. Après une phase de 4 semaines sous placebo, les patients étaient randomisés pour recevoir la galantamine ou le placebo selon un ratio de 2 pour 1. La posologie de la galantamine était augmentée progressivement à raison de 4 mg par semaine pour atteindre la dose optimale de 24 mg par jour en 6 semaines. Les critères principaux d’évaluation étaient le maintien ou l’amélioration des capacités cognitives à 6 mois mesurées par l’ADAS-cog/11 (évaluation des fonctions cognitives en 11 items) et par l’échelle CIBIC-plus. Les critères secondaires reposaient sur la mesure de l’ADAS-cog/13 (2 items supplémentaires : compréhension et distractibilité) ainsi que sur des échelles d’activités de la vie quotidienne (disability assessment in dementia) et de symptômes comportementaux (neuropsychiatric inventory). Sur les 592 patients inclus dans cette étude, 396 recevaient un traitement par galantamine. Les principales caractéristiques initiales des patients (sexe, âge, ethnie, poids, sévérité du tableau cognitif) étaient similaires dans les 2 groupes. De même, la répartition des différents diagnostics (maladie d’Alzheimer + lésions vasculaires ou démences vasculaires) était, là encore, similaire. Au cours de cette étude, il était rapporté un nombre important de perdus de vue, respectivement 26 et 27 % dans les groupes galantamine et placebo ; néanmoins, l’analyse en intention de traiter demeurait en faveur d’un effet de la galantamine. Ainsi, après 6 mois de traitement, il était noté une amélioration des fonctions cognitives dans le groupe des patients recevant de la galantamine, et ce tant par rapport à l’état initial Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 Faits nouveaux en neurologie vasculaire qu’en comparaison du groupe placebo (p < 0,0001). L’amélioration à l’ADAS-cog/11 était en moyenne de 1,7 point dans le groupe galantamine (p < 0,0001), alors qu’une aggravation de 1 point était rapportée dans le groupe placebo (p = 0,045). L’analyse du sous-groupe des patients présentant une démence vasculaire probable permettait de mettre en évidence une amélioration de 2,4 points à l’ADAS-cog/11 (p < 0,0001) par rapport à l’état initial, cette amélioration demeurant néanmoins non significative en comparaison du groupe placebo. La comparaison des autres critères, entre groupe galantamine et groupe placebo sur l’ensemble de la population, montrait une amélioration significative de l’ADAS-cog/13 (p < 0,0001), de l’échelle d’activités de la vie quotidienne (p = 0,0017) ou des symptômes comportementaux (p = 0,0164). Ces effets étaient par ailleurs retrouvés quel que soit le MMS de départ. De même, le pourcentage de patients améliorés ou dont les capacités cognitives étaient maintenues à 6 mois était significativement plus important dans le groupe galantamine (tableau). Il n’était, en revanche, pas rapporté de différence concernant la survenue d’AVC au cours de l’étude non plus qu’en termes de mortalité. Enfin, l’interruption du traitement en raison des effets indésirables était plus fréquente pour les patients du groupe galantamine (20 % versus 8 %), en particulier au cours de la période d’introduction, et ce principalement en raison de la survenue de vomissements, ce type de symptôme n’étant plus observé que chez 0,5 % des patients au cours de la période ultérieure. COMMENTAIRES Alors que les médicaments cholinergiques étaient jusqu’à présent réservés au traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer, les résultats de cette étude permettent de discuter de l’intérêt de leur utilisation au cours des démences à composante vasculaire. Il faut cependant garder à l’esprit que la galantamine n’est pas une molécule cholinergique comme les autres, puisqu’elle est à la fois à même d’inhiber la cholinestérase centrale et de moduler de manière directe le fonctionnement du récepteur nicotinique. Dans ce contexte, outre l’amélioration du tonus cholinergique, des travaux expérimentaux apportent des arguments pour un effet protecteur cellulaire résultant de la modulation pharmacologique de ces récepteurs, pouvant peut-être expliquer en partie les effets observés chez les patients porteurs de lésions vasculaires cérébrales. En dépit de ces données encourageantes, cette étude présente plusieurs écueils qui obligent à la prudence. En effet, bien que l’analyse en intention de traiter apporte des résultats favorables, il est regrettable que le nombre de patients perdus de vue soit aussi important. À l’inverse, le manque de puissance de cette étude rend impossible toute interprétation fiable des résultats concernant les sousgroupes de patients, en particulier les effets du traitement sur le sous-groupe des patients présentant une démence vasculaire probable selon les critères du NINDS-AIREN. Il reste donc nécessaire d’envisager la réalisation d’études spécifiques permettant d’évaluer l’efficacité éventuelle de cette molécule dans le traitement des démences vasculaires “pures”. De nombreux problèmes méthodologiques rendent cependant de tels travaux difficiles, dans la mesure où les modalités évolutives de ces pathologies sont différentes de celles de la maladie d’Alzheimer et compte tenu par ailleurs de la fréquence et de l’impact potentiel des événements vasculaires chez ces patients, en particulier en termes de mortalité. Il n’en reste pas moins que la démonstration d’effets favorables de la galantamine sur des patients présentant à la fois une maladie d’Alzheimer et des lésions vasculaires cérébrales confirme, au vu des études précédentes, l’intérêt de ce type de traitement pour l’ensemble des patients ayant cette démence dégénérative, la bonne tolérance clinique une fois passée la période initiale demeurant quant à elle un gage de bonne observance. Tableau. Prévalence des patients améliorés ou dont les capacités cognitives sont maintenues après 6 mois. Critères d’évaluation (score amélioré ou identique) ADAS-cog/11 CIBIC plus Placebo n = 196 (%) Galantamine n = 396 (%) p 50,6 63,8 0,006 59 74 0,001 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 ✓ Erkinjuntti T et al. Efficacy of galantamine in probable vascular dementia and Alzheimer’s disease combined with cerebrovascular disease : a randomised trial. The Lancet 2002 ; 359 : 1283-90. 161