n° 13 si : fiche pratique P. Charron* Sous la responsabilité de son auteur Quel bilan étiologique devant une cardiomyopathie dilatée ? L a découverte d’une cardiomyopathie dilatée (CMD) conduit à réaliser un bilan étiologique afin de rechercher une cause curable ou requérant un traitement spécifique, d'adapter la surveillance médicale du patient lorsque des complications particulières sont à craindre, et de déterminer si une surveillance cardiologique des apparentés est souhaitable. Après la mise en évidence d’un ventricule gauche dilaté hypokinétique (fraction d'éjection ventriculaire gauche inférieure à 45 % et diamètres ventriculaires gauches télédiastolique et télésystolique supérieurs à 32 mm/m2 ou au 95e percentile), la démarche vise à affirmer la CMD en écartant les causes communes de dysfonction systolique (maladie coronaire, hypertension artérielle, valvulopathies, etc.), puis à envisager la recherche de causes particulières à la CMD. Du fait de la multiplicité de causes sous-jacentes possibles (tableau I) [1] et du rendement souvent médiocre du bilan étiologique, ce bilan initial ne peut être exhaustif et il privilégie la recherche des pathologies avec traitement spécifique. En revanche, l’analyse attentive du patient et de son histoire familiale doit systématiquement rechercher des signes d’appel. Ceux-ci vont amener à approfondir le bilan étiologique, qui sera donc orienté au cas par cas. Causes infectieuses, inflammatoires, immunes ◆ Virus (HIV, etc.), bactéries, mycobactéries, champignons, parasites (chagas) ◆ Sarcoïdose, maladie de Kawasaki, syndrome de Churg-Strauss Causes toxiques ◆ Alcool, anthracyclines, cobalt, agents antirétroviraux, phénothiazines, plomb, mercure, cocaïne Causes métaboliques ◆ Carences nutritionnelles (thiamine, sélénium, carnitine) ◆ Désordre électrolytique (hypocalcémie, hypophosphatémie) ◆ Causes endocriniennes (hypothyroïdie, acromégalie, thyrotoxicose, maladie de Cushing, phéochromocytome, diabète) Péripartum Cardiopathie rythmique Causes familiales/génétiques ◆ Avec myopathie : dystrophinopathie (Duchenne/Becker ), dystrophie myotonique (Steinert), desminopathie (gène desmine), laminopathie (gène des lamines A/C) ◆ Syndromique : cytopathie mitochondriale, syndrome de Barth ◆ Associant CMD et troubles conductifs : laminopathie (gène des lamines A/C), desminopathie (gène desmine) ◆ CMD isolée : gènes du sarcomère, bande Z, cytosquelette, desmosome Anamnèse, symptômes et examen physique Les éléments atypiques à rechercher sont notamment l’âge très précoce au diagnostic (maladies métaboliques), l’exposition à des substances cardiotoxiques (médi­caments, alcool, etc.), un contexte fébrile (myocardite), des difficultés d’apprentissage (maladie de Steinert, maladies mitochondriales, maladie de Danon), la présence d’une surdité, d’un diabète, de troubles de la vision (maladies * Centre de référence pour les maladies cardiaques héréditaires, hôpital de la PitiéSalpêtrière, AP-HP, Paris. mitochondriales), un déficit musculaire squelettique ou des myotonies (maladie de Steinert, dystrophinopathies, laminopathie, desminopathie), une hyperpigmentation cutanée (hémochromatose), une cataracte précoce (desminopathie). Une histoire familiale est présente dans un tiers des cas de CMD et doit systématiquement être recherchée. Électrocardiogramme Les signes d’appel sur l’ECG sont le bloc auriculoventriculaire (myocardite, sarcoïdose, laminopathie, desminopathie), F I C H E À D É T A C H E R Démarche générale Tableau I. Principales causes de CMD. La Lettre du Cardiologue • n° 458 - octobre 2012 | I Échocardiographie Le bilan étiologique doit être poussé en cas d’akinésie ou de dyskinésie segmentaire (myocardite, sarcoïdose, dystrophinopathie), d’hypertrophie des parois (les causes d’hypertrophie, d'infiltration, de restriction, ou bien la myocardite aiguë) ou de non-compaction du myocarde (formes génétiques de CMD, notamment sarcomériques). Tableau II. Bilan biologique à visée étiologique dans la CMD. Bilan en première intention ◆ NFS plaquettes ◆ CPK (créatine phosphokinase) ◆ Calcémie, phosphatémie ◆ Fer sérique, ferritine ◆ T SH (Thyroïd Stimulating Hormone) ◆ Sérologie HIV ◆ CRP (C Reactive Protein) Bilan en seconde intention ◆ Thiamine, carnitine, sélénium ◆ S érologies virales, Lyme, Chagas ◆ Catécholamines plasma/urines ◆ E nzyme de conversion de l’angiotensine ◆B ilan immun (anticorps divers, autoanticorps) A Biologie Certains examens simples et pertinents (tableau II) doivent systématiquement être demandés (une élévation chronique de créatine phosphokinase (CPK) doit, par exemple, faire rechercher une myopathie, une carence martiale évoque une hémochromatose, une hyperéosinophile évoque un syndrome de Churg-Strauss, une neutropénie évoque un syndrome de Barth), alors que d’autres examens plus spécialisés sont réalisés en cas de signes d’appel. B Imagerie par résonance magnétique Les signes d’appel en IRM (figure) sont une anomalie de la cinétique segmentaire (myocardite, sarcoïdose, dystrophinopathie), un aspect d’œdeme (T2) et de rehaussement précoce (T1) [myocardite], un rehaussement tardif “en mottes” à mi-paroi (postmyocardite, dystrophinopathie), une anomalie de séquence T2* (hémochromatose), un remplacement adipeux intrapariétal (T1wFS) [“DVDA” du ventricule gauche] (2). Figure. Exemples d’images par IRM (d’après [2]). A : ventricule gauche dilaté à parois fines avec rehaussement tardif à mi-paroi (flèches) typique d’une cardiomyopathie non ischémique. B : rehaussement tardif de localisation multiple “en mottes”, typique d’une myocardite. Tableau III. Bilan familial et génétique à préconiser. Biopsie Bilan cardiologique (ECG/échographie) chez les apparentés La biopsie endomyocardique est le “gold standard” pour le diagnostic de myocardite et elle est utile au diagnostic étiologique de nombreuses pathologies à l’origine d'une CMD (3). Elle est indiquée en présence de signes d’appel. La biopsie musculaire squelettique peut constituer une alternative en cas de stigmates musculaires, tels qu’une élévation inexpliquée de CPK. Bilan cardiologique familial et test génétique ◆ Préconisé chez tous les apparentés au 1er degré (fratrie, enfants, parents), quel que soit le contexte familial (au moins à partir de l’âge de 10 ans pour les enfants) ◆ S’il s’agit d’une forme familiale : préconiser la poursuite d’une surveillance cardiologique régulière (échocardiographie), même en cas de premier bilan normal, chez les apparentés au 1er degré (tous les 1 à 2 ans entre l’âge de 10 ans et celui de 20 ans, puis tous les 2 à 5 ans entre l’âge de 20 ans et celui de 50 à 60 ans) du fait de l’expression cardiaque tardive. À adapter si les données génétiques sont disponibles (pas de surveillance cardiaque si la mutation est absente chez l’apparenté) E H C ◆ Proposée en cas de CMD sporadique uniquement en cas de phénotype particulier évocateur : troubles conductifs, myopathie ou CPK élevée (gènes ciblés selon le phénotype et le bilan étiologique complet) A ◆ Proposée systématiquement en cas de forme familiale : gènes du sarcomère (exemple : myosine β) si le phénotype est commun (CMD), ou autres gènes ciblés, si le phénotype est particulier E 4. Charron P, Arad M, Arbustini E et al. European Society of Cardiology Working Group on Myocardial and Pericardial Diseases. Genetic counselling and testing in cardiomyopathies: a position statement of the European Society of Cardiology Working Group on Myocardial and Pericardial Diseases. Eur Heart J 2010;31:2715-26. H 3. Cooper LT, Baughman KL, Feldman AM et al. The role of endomyocardial biopsy in the management of cardiovascular disease: a scientific statement from the American Heart Association, the American College of Cardiology, and the European Society of Cardiology. Circulation 2007;116:2216-33. I 1. Luk A, Ahn E, Soor GS, Butany J. Dilated cardiomyopathy: a review. J Clin Pathol 2009;62:219-25. 2. Karamitsos TD, Francis JM, Neubauer S. The current and emerging role of cardiovascular magnetic resonance in the diagnosis of nonischemic cardiomyopathies. Prog Cardiovasc Dis 2011;54:253-65. C Références bibliographiques À D É T Le bilan cardiologique chez les apparentés est recommandé devant toute CMD, et le test génétique est largement préconisé, sauf en cas de cause acquise démontrée (tableau III) [4]. ■ R Analyse génétique chez le patient avec CMD F n ° 13 p ra t i q u e f i c h e la pseudo-séquelle d’infarctus postéro-inférieur (sarcoïdose, dystrophinopathie) et le faible voltage des QRS (mutation phospholamban). II | La Lettre du Cardiologue • n° 458 - octobre 2012