LE CŒUR SERAIT-IL DOUÉ D'UNE CAPACITÉ MÉTABOLIQUE ?
Un premier travail expérimental retrouve in vitro (culture de
cardiomyocytes de rats) un rôle du complexe CYP 450 dans la
production endogène de stéroïdes, rendant ainsi compte
des capacités métaboliques du tissu cardiaque jusqu'alors
ignorées (9). La même équipe décide alors d'étudier la présence
et le niveau d’expression des enzymes du cytochrome P 450
dans différentes parties du cœur humain (4). Thum (4) dispose
de prélèvements auriculaire et ventriculaire provenant d'inter-
ventions chirurgicales pour transplantation cardiaque. L’ana-
lyse de l’ARN messager extrait de sept cœurs malades (prin-
cipalement des cardiopathies dilatées) par RTPCR (Reverse
Transcriptase Polymerase Chain Reaction) met en évidence,
préférentiellement au niveau du cœur droit, la présence d’ARN
messager codant pour plusieurs cytochromes (CYP 1A1,
CYP 2B6/7, CYP 2C8-19, CYP 2D6 et CYP 4B1). Au niveau
du ventricule droit, au contraire, on retrouve exclusivement du
cytochrome CYP 2D6. Ce dernier élément paraît important, car
cette sous-famille participe au métabolisme de plusieurs médi-
caments bêtabloquants. Il faut noter l'absence, au niveau car-
diaque, de la famille CYP 3A4 (connue pour métaboliser un
grand nombre de médicaments au niveau hépatique).
La signification physiologique de ces différences d'expression
a été analysée par l'étude du métabolisme microsomial du véra-
pamil dans les différentes parties du cœur (4). Thum a incubé
les microsomes issus des prélèvements de ventricule en pré-
sence de vérapamil. L'analyse par HPLC montre la présence
des différents métabolites du vérapamil dans le seul ventricule
droit. Ce résultat confirme les données de biologie moléculaire
en établissant une relation entre les gènes détectés et leur fonc-
tion, ici l'activité enzymatique des cytochromes métabolisant
le vérapamil. Le ventricule droit serait la partie du cœur la plus
active sur le plan métabolique. La présence d'un fort niveau
d'expression au niveau du cœur droit, des artères pulmonaires
et du poumon s’explique par le rôle important de détoxifica-
tion joué par le poumon. La plupart des médicaments arrivant
au niveau du cœur gauche ont déjà subi la biotransformation,
rendant ainsi compte du faible niveau d'expression des cyto-
chromes dans les cavités gauches (3). Ce travail amène cepen-
dant un certain nombre de remarques, puisque la capacité méta-
bolique du ventricule droit ne représente que 2 % de celle du
foie (en quantité d’enzymes par gramme de tissu). Ce niveau
d’expression faible doit faire discuter la capacité du cœur à
influencer le taux plasmatique des médicaments.
QUELLE EST LA SIGNIFICATION DE LA PRÉSENCE
DE CYTOCHROME P 450 DANS LE CŒUR DROIT ?
Une grande partie des médicaments cardiotropes [bêtablo-
quants (10), inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l'an-
giotensine (11), inhibiteurs calciques (12) ou antagonistes des
récepteurs à l'angiotensine II (13)] se métabolisent par la voie
des cytochromes P 450. Dans son travail, Thum montre que le
vérapamil se métabolise uniquement par les microsomes issus
du tissu cardiaque droit : il existerait donc une relation entre
la répartition des enzymes et leur activité (4). Le faible niveau
d’expression cardiaque de ces enzymes par rapport au stock
de cytochromes hépatiques confirme que l'élimination du
médicament reste la fonction privilégiée du foie. On peut ima-
giner que, au niveau cardiaque, ces enzymes pourraient être
responsables de la régulation des concentrations intracellu-
laires des médicaments. Cependant, l’absence d'expression des
cytochromes P 450 du groupe 3A4 dans le ventricule droit
(complexe responsable majoritairement du métabolisme des
médicaments, dont le vérapamil), soulève un certain nombre
de questions sur la pertinence des résultats. Comment le véra-
pamil (inhibiteur du CYP 2D6) peut-il être métabolisé ? Dans
l'étude de Thum, on peut expliquer la présence de métabolites
du vérapamil par la mise en jeu de voies métaboliques alternes
(isoformes 2C6 et 2D6) (12), puisque les enzymes du groupe
3A sont absentes du cœur. Ce travail préliminaire demande à
être complété par des travaux sur des tissus cardiaques sains
ou pathologiques pour mieux comprendre la répartition du
stock des cytochromes et leur participation réelle au métabo-
lisme des médicaments.
LES CYTOCHROMES P 450 MYOCARDIQUES :
CARDIOPROTECTEURS ?
Cette hypothèse paraît surprenante pour des gènes faiblement
exprimés. Les données de Thum sont insuffisantes et ne tien-
nent pas compte de l'influence de l'âge et des pathologies (com-
position hétérogène du groupe des patients). L'analyse de l'ex-
pression des cytochromes doit aussi tenir compte de la possible
induction de ces enzymes par l'alcool, le tabac ou les agents
polluants environnementaux. Le concept de spécificité car-
diaque a été confirmé par Thum (4) lors de l'analyse du profil
d'expression des cytochromes chez un patient avec une trans-
position corrigée des gros vaisseaux. Chez ce patient opéré dès
la naissance, on retrouve un profil de distribution enzymatique
inversé (les enzymes du cœur droit se retrouvent dans le cœur
gauche) ; ainsi le cœur gauche anatomique, tout en jouant le
rôle fonctionnel d’un cœur droit, présente un profil d’expres-
sion comparable à celui d’un cœur droit classique. Le niveau
et le type d'expression reposent davantage sur les spécificités
fonctionnelles du tissu cardiaque que sur les caractéristiques
anatomiques (4). Un autre exemple est celui des patients avec
hypertrophie ventriculaire droite. Les inhibiteurs de l'enzyme
de conversion (IEC), efficaces pour diminuer l’hypertrophie
ventriculaire gauche, le sont moins au cours de l’hypertrophie
ventriculaire droite. On peut supposer dans ce cas une inacti-
vation des IEC par les cytochromes du ventricule droit rendant
compte de l'inefficacité thérapeutique de cette classe dans ces
conditions pathologiques particulières (14).
Un autre point clé concerne la spécificité du CYP 2D6 pour le
cœur droit. Cette famille de cytochromes est responsable du
métabolisme d'un grand nombre de médicaments psychoactifs
(antidépresseurs imipraminiques entre autres). À l'échelle de la
population européenne, 5 à 10 % des sujets présentent un phé-
notype de métaboliseurs lents pour cette isoforme. Cette carac-
téristique rend ces sujets susceptibles de développer des effets
indésirables, car les médicaments peu ou pas métabolisés voient
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n
os
4-5 - juillet-octobre 2002
PHARMACOLOGIE