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45es Rencontres
de la Psychonomic Society,
Minneapolis, novembre 2004
E. Bacon, INSERM, Strasbourg.
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La Psychonomic Society a pour objectif de promouvoir
la communication de la recherche scientifique en psychologie
expérimentale et dans les domaines apparentés, et de faire
connaître très rapidement les résultats
de la recherche. Pour ce faire, elle organise un congrès
annuel fin novembre et édite six journaux de réputation
internationale. La manière dont la psychologie expérimentale
explore et décortique certains comportements
et fonctionnements apporte un éclairage intéressant
et complémentaire sur certains syndromes psychiatriques
et/ou sur des fonctionnements quotidiens.
Génération et exploration :
des processus créatifs distincts
également dans l’autisme
L
e modèle Généplore de la créati-
vité proposé par Finke, Ward et
Smith (1992) implique l’exis-
tence de deux étapes : la génération
et l’exploration. Les processus cogni-
tifs sous-tendant la génération sont
supposés être plus automatiques et
moins délibérés que ceux sous-tendant
l’exploration. Le modèle considère que
l’exploration utilise plus la connais-
sance explicite. Par ailleurs, l’autisme
est caractérisé par des perturbations
des interactions sociales, de la com-
munication, et par des comportements
ou des intérêts restreints et répétitifs.
Une des hypothèses étiologiques de
l’autisme se base sur les dysfonction-
nements des ganglions de la base, qui
provoquent des perturbations de l’abs-
traction, incluant la capacité d’ap-
prendre de manière implicite. Toute-
fois, certains travaux de recherche
suggèrent que les habiletés de raison-
nement explicite pourraient compenser
les déficits des traitements de type
implicite. Des chercheurs de l’univer-
sité de l’Alabama ont exploré les capa-
cités de génération et d’exploration
auprès de vingt-huit enfants âgés de
huit à seize ans. Quatorze d’entre eux
présentaient un développement normal
et les quatorze autres un trouble rele-
vant du spectre autistique. L’hypo-
thèse des chercheurs était que, si les
patients présentent des perturbations
du traitement implicite des infor-
mations associé à la créativité, ils
devraient être moins efficaces au
cours de l’étape de génération que
lors de l’étape d’exploration, par com-
paraison avec des personnes ayant un
développement normal. Cependant, si
les habiletés explicites compensent
les déficits implicites, les patients
devraient alors présenter une corréla-
tion entre leur QI et leurs perfor-
mances en génération et en explora-
tion. Pour la tâche de génération,
les participants avaient réalisé une
composition à partir de pièces de jeux
Minneapolis
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 1 - mars 2005
La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 1 - mars 2005
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Minneapolis
de construction. Pour la tâche d’explo-
ration, on montrait aux enfants un
assemblage de pièces en trois dimen-
sions, et ils avaient à imaginer ce que
cet assemblage pouvait représenter et
à s’amuser avec. Les résultats mon-
trent que les patients étaient aussi
créatifs que les enfants normaux, tant
dans les tâches de génération que
d’exploration. Cependant, le profil des
corrélations entre la créativité et
l’intelligence différait de celui des
enfants normaux. En outre, les corré-
lations avec le QI différaient avec la
tâche. En dépit du fait qu’ils montrent
des niveaux globaux similaires de
créativité, les patients autistes sem-
blent utiliser des processus cognitifs
et intellectuels différents de ceux des
enfants normaux pour exécuter leur
comportement créatif. Cela suggère en
outre que la créativité n’est pas limi-
tée à un ensemble particulier de fonc-
tions cognitives ou intellectuelles,
mais que, au contraire, il existe de
nombreuses routes cognitives et intel-
lectuelles vers la créativité (1).
Comment deux personnes
partagent une tâche :
co-représentation
de la planification
de la relation stimulus-réponse
La capacité à former des représenta-
tions des actions et des intentions
d’autrui est cruciale dans de nombreuses
situations d’interactions sociales. Quand
deux personnes sont engagées dans une
action commune, chaque acteur doit se
former une représentation des actions
de l’autre. Les études réalisées à ce jour
ont montré que cette représentation s’ef-
fectue par l’observation de l’action de
l’autre. Le Dr Sebanz et ses collaborateurs,
de l’Institut-Max-Planck, à Munich, se
sont posés la question de savoir si les
représentations des actions des autres
sont formées même quand la coordi-
nation interpersonnelle n’est pas
impliquée. Ils ont aussi cherché à
savoir quels sont les effets de la pla-
nification individuelle de l’action. Des
tâches soit identiques soit différentes
ont été attribuées à des participants
travaillant par paires. Les résultats
révèlent que, même lorsque la coordi-
nation interpersonnelle n’est pas requise,
les individus se font des représenta-
tions de la tâche de l’autre personne.
Quand un stimulus pertinent pour le
partenaire apparaît, le sujet active
une représentation de l’action de
l’autre qui interfère avec la planifica-
tion du premier individu. Une seconde
expérience a révélé que, même quand
les participants ne reçoivent pas de
feedback à propos de l’action de leur
partenaire, la performance du sujet
est affectée par la nature de sa repré-
sentation de la tâche de l’autre. La
tâche de l’autre est donc représentée
même quand l’action de celui-ci ne
peut être observée. Les représenta-
tions partagées des tâches émergent
donc en tant que conséquences de la
manière dont une situation sociale est
conceptualisée. Les auteurs suggèrent
que l’avantage des co-représentations
dans une action conjointe repose sur
la capacité à anticiper les actions
d’autrui. Il serait certainement inté-
ressant d’étudier comment se font
ces représentations chez des patients
schizophrènes (2).
Malléabilité des théories
populaires concernant
les maladies mentales
Le modèle de catégorisation relatif à
la théorie suggère que nos concepts
sont représentés comme des théories.
Les études consacrées aux théories
exprimées par l’homme de la rue ou
par les experts sur divers concepts,
incluant les maladies mentales, sup-
posaient jusqu’à récemment que ces
théories explicatives étaient relati-
vement stables. Cependant, un travail
publié en 2002 suggère que certaines
théories causales populaires sont
fragmentaires et incomplètes. Il était
donc intéressant de vérifier si les
théories populaires sont aussi stables
qu’on le supposait jusqu’à présent. Le
Dr Kim, de Rochester, a vérifié l’effet
du temps sur les théories populaires
concernant les épisodes dépressifs
graves, l’anorexie, les troubles de per-
sonnalité narcissiques et les troubles
obsessionnels compulsifs (TOC). Elle a
pu constater une stabilité seulement
modérée des théories causales popu-
laires après un intervalle de temps
relativement court (environ 17 jours).
Les théories populaires sont donc
moins stables avec le temps qu’on ne
le pensait jusqu’à présent. Le Dr Kim
a pu constater en même temps que
l’ordre dans lequel les symptômes
étaient présentés au sujet n’avait
guère d’impact sur les théories avan-
cées. Une expérience menée avec des
cliniciens a révélé que, si les théories
des experts sont globalement plus
stables avec le temps, elles sont
cependant également susceptibles de
variations. En accord avec les obser-
vations préalables selon lesquelles
les théories des gens concernant des
concepts de la vie quotidienne sont
en fait plus fragmentées qu’ils ne
le pensent, cette étude montre aussi
que les théories concernant les mala-
dies mentales sont en fait aisément
malléables. Ce qui peut se révéler
positif, si l’on envisage une commu-
nication bien faite des connaissances
sur les psychopathologies, mais aussi
dramatique, au vu de l’actualité
récente… (3)
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 1 - mars 2005
Minneapolis
Comment les attentes
par rapport au contexte
influencent-elles
la mémoire prospective
se fondant sur le temps ?
La mémoire prospective consiste à se
rappeler de faire une tâche donnée dans
le futur. On peut, par exemple, avoir
prévu de rencontrer un ami pour dîner
à 12 h 30 ou d’assister à une réunion le
lendemain à 16 heures. D’autres inten-
tions relatives au temps peuvent être
accomplies au cours d’une fenêtre de
temps plus large, comme “cet après-
midi ou demain”. Enfin, il existe encore
d’autres sortes d’intentions basées sur
le temps comme lorsque l’on attend de
réaliser quelque chose après un certain
laps de temps, par exemple de rappeler
la personne qui nous a téléphoné ou de
retirer un plat du four. Très peu d’études
ont cherché à savoir comment la liaison
d’une intention à un contexte futur
peut affecter la performance. Un
exemple quotidien pourrait être d’avoir
à téléphoner entre 17 h 30 et 18 heures.
Au moment où une personne forme
cette intention, elle n’a pas besoin de
lier cette intention au fait d’être dans
un contexte spécifique. Cependant, si
l’on sait que l’on sera à la maison, alors
le fait d’arriver chez soi en sortant du
travail peut être associé avec l’inten-
tion. Cette association peut avoir
l’avantage que le contexte constitue un
indice pour aider à se rappeler de l’in-
tention, ce qui permet d’augmenter les
chances de réaliser la tâche prévue.
En revanche, si la personne est retenue
à son travail plus longtemps que prévu
et qu’elle n’arrive pas à la maison avant
18 h 15, quand la fenêtre de temps de
la tâche prévue est close, alors l’asso-
ciation pourrait avoir des conséquences
préjudiciables. L’équipe du Dr Cook, de
l’université de Louisiane, a mené plu-
sieurs expériences destinées a vérifier
ces hypothèses. Ils ont pu constater
que la réalisation d’une intention liée
au temps peut être améliorée par
rapport à une situation sans contexte
particulier si l’intention est liée à un
contexte futur, et que l’on se trouve
dans ce contexte au moment approprié.
Toutefois, si le contexte futur prédit est
inexact, et que la fenêtre de temps
d’exécution de l’action prévue arrive
plus tôt que prévu, la performance est
beaucoup plus mauvaise. Un rappel
explicite de l’intention suffit toutefois à
amoindrir cette diminution de l’effica-
cité. Cependant, le fait de remplir avec
succès, mais d’une manière différente, une
intention basée sur l’événement n’était
pas suffisant pour compenser l’associa-
tion contextuelle incorrecte. Le fait
de réaliser certaines associations peut
donc modifier le contrôle normal de la
perception du passage du temps, et
affecter la probabilité de réaliser cer-
taines intentions (4).
Impact du sexe et de la sensibilité
émotionnelle sur la remémoration
d’informations factuelles
et émotionnelles
On sait que, en ce qui concerne la
remémoration de souvenirs autobiogra-
phiques, les femmes rapportent plus de
souvenirs chargés émotionnellement
que les hommes. Deux hypothèse expli-
catives, qui ne s’excluent pas forcé-
ment, peuvent être avancées : les
femmes seraient sujettes à une plus
grande inflation de l’émotion en ce qui
concerne les souvenirs personnels. Par
ailleurs, il pourrait y avoir chez les
femmes un processus réflexif plus
important des informations de nature
émotionnelle au moment de l’encodage
et/ou de la récupération. La question
que se sont posée les Drs Bloise et
Johnson était de savoir si ce sont les
différences individuelles de la sensibilité
émotionnelle ou le sexe qui influent sur
les souvenirs émotionnels. Ils ont donc
contrôlé le contenu émotionnel d’infor-
mations qu’ils ont données à apprendre
à un groupe d’étudiants des deux sexes.
Les participants devaient lire un texte
contenant des informations émotion-
nelles et des informations neutres
ou factuelles. Les participants avaient
pour instruction soit de préparer
un commentaire concernant
les personnages en évo-
quant leurs relations et
leurs performances interper-
sonnelles, soit de fournir
des plans concrets. Enfin,
dans certains cas, aucune
instruction particulière n’était
donnée. Par la suite, les
sujets étaient soumis à un
test de mémoire. Les femmes
rappelaient plus de souvenirs
émotionnels que les hommes, cepen-
dant qu’il n’y avait pas de différence
entre les sexes pour les souvenirs
neutres. Même quand la quantité d’in-
formations émotionnelles est contrôlée
expérimentalement, les femmes rappel-
lent donc plus d’informations émotion-
nelles que les hommes. Les résultats
révèlent également que les différences
individuelles dans la sensibilité émo-
tionnelle interviennent davantage dans le
rappel émotionnel que le sexe. La mémoire
des souvenirs émotionnels n’est donc pas
une fonction du sexe en soi. Les diffé-
rences à l’encodage, corrélées au sexe,
contribuent à la différence observée dans
la mémoire émotionnelle. Les auteurs
suggèrent que les différences observées
entre sexes pour la remémoration de
souvenirs émotionnels pourraient contri-
buer à des différences sexuelles en ce
qui concerne le coping (manière de faire
face aux aléas de l’existence) ou la sen-
sibilité à certains troubles mentaux
comme la dépression (5).
24 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 1 - mars 2005
Qualité de la mémoire
d’informations spécifiques
ou générales chez les personnes
âgées
La capacité de contrôler stratégique-
ment les processus d’encodage et de
récupération des informations impor-
tantes constitue une fonction critique
de l’efficacité de la mémoire. Même s’il
est bien connu que l’âge perturbe les
capacités d’acquisition et de récupéra-
tion de certaines informations, des tra-
vaux récents ont montré que les adultes
âgés sont capables de gérer stratégique-
ment la remémoration d’informations
désignées comme étant de grande impor-
tance. En même temps, d’autres études
suggèrent que les personnes âgées sont
moins capables de contrôler ce qui entre
et ce qui est maintenu en mémoire, et
qu’elles se basent plus sur des processus
automatiques de l’information. Une équipe
de l’université de Toronto (6) a examiné
comment des adultes jeunes et âgés
étaient capables de se souvenir de paires
de mots auxquelles des niveaux d’impor-
tance variables avaient été attribués
arbitrairement. Les paires étaient donc
associées à une valeur précise, et aussi
à un ordre de grandeur de la valeur. Les
chercheurs ont observé que les jeunes
rappelaient globalement plus de mots
que les âgés. Mais les personnes âgées
restaient capables de sélectionner stra-
tégiquement les informations de valeur
élevée, et la performance de rappel de
ces catégories de mots ne différait pas
de celle des jeunes. En ce qui concerne
la remémoration de l’importance attri-
buée aux items, les participants des
deux groupes avaient une performance
équivalente pour la récupération des
ordres de grandeur des valeurs. Toute-
fois, les jeunes dépassaient les sujets
âgés en ce qui concerne la récupération
des valeurs précises. Les personnes plus
âgées semblent donc se baser plutôt
sur un traitement de l’importance de
l’information.
Références bibliographiques*
1.
Roskos-Ewoldsen B, Moncrief A, Klinger M, Klinger L.
Generation and exploration : separable creative pro-
cesses in persons with autism (à paraître).
2.
Sebanz N, Knoblich G, Koch I, Prinz W. How to share
a task : co-representing S-R mappings (à paraître).
3.
Kim N. The malleability of lay explanatory theories
for mental disorders (à paraître).
4.
Cook G, Marsh R, Hicks J. Context expectation affects
time-based prospective memory (à paraître).
5.
Bloise S, Johnson M. The impact of gender and emo-
tional sensitivity on memory for emotional and factual
information (à paraître).
6.
Castel A, Farb N, Craik F. Memory for general and
specific value information in older adults (à paraître).
* Retrouvez prochainement ces références sur le site de
la Psychonomic Society.
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95110 Sannois - Dépôt légal à parution - © Décembre 2001 - EDIMARK SAS
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