> Écho des Congrès > 46 es Rencontres de la Psychonomic Society (Toronto, novembre 2005) La psychologie aujourd’hui E. Bacon, INSERM et clinique psychiatrique, Strasbourg, et M. Izaute, Laboratoire de psychologie sociale de la cognition, Clermont-Ferrand > La Psychonomic Society est une société savante spécialisée dans les domaines de la psychologie expérimentale, normale ou pathologique. La rencontre annuelle de la Société permet de faire connaître très rapidement les résultats récents de la recherche. En particulier, les présentations de travaux originaux concernant le témoignage, le sentiment de “déjà vu”, les “faux souvenirs”, etc., sont susceptibles d’apporter quelques éléments de compréhension quant au discours de patients psychotiques, mais aussi en ce qui concerne les récentes “affaires” juridiques qui défraient encore la chronique en France. SCHÉMAS ET A PRIORI LIÉS AU CONTEXTE AFFECTANT LA CRÉDIBILITÉ DES TÉMOIGNAGES Murray State (États-Unis) Nous utilisons souvent l’expression des émotions comme un indice permettant de faire des inférences concernant l’état mental d’une personne. Par exemple, le fait de pleurer (un comportement observable) peut être pris comme un signe que la personne est triste (un état intérieur inobservable) ou qu’elle est manipulatrice (un trait de personnalité). Les jugements portés sur les émotions d’autrui sont influencés par le sexe de la personne exprimant ces émotions, et par le contexte dans lequel elles sont exprimées. Des règles sociales dictent l’expression des émotions selon le sexe, et notamment la manière dont certaines émotions doivent être ou ne pas être exprimées par un homme ou par une femme. Dans la plupart des civilisations occidentales, les expressions manifestes de joie et de tristesse sont attendues (et acceptées) plutôt de la part des femmes que des hommes. En outre, le contexte dans lequel une émotion est exprimée affecte également les jugements des observateurs. C’est ainsi que des sanctions sociales sont fréquemment imposées lorsqu’une personne n’exprime pas les stéréotypes d’émotion qu’on attend d’elle dans un contexte donné, ou lorsqu’elle exprime de manière exagérée l’émotion stéréotypée qu’on attendrait dans ce contexte. Les auteurs de cette recherche ont étudié les schémas d’émotions liés au sexe dans deux types de situations juridiques, afin de tester de manière systématique les suppositions selon lesquelles les inférences faites à propos de la crédibilité d’un témoin sont entachées non seulement par le sexe du témoin d’un cas criminel et l’émotion exprimée par celui-ci, mais aussi par le contexte dans lequel cette émotion est exprimée. Les participants de leur étude ont assisté soit au témoignage d’un homme soit à celui d’une femme qui exprimaient une émotion (le calme, la colère ou les pleurs) dans un contexte donné (le témoin connaissait la personne incriminée ou donnait un témoignage oculaire). Ils devaient ensuite donner leur avis sur la crédibilité du témoin. Les résultats montrent que les a priori relatifs aux émotions censées être exprimées par un témoin dans un tribunal diffèrent en fonction du contexte. Globalement, les hommes sont considérés comme plus crédibles que les femmes lorsqu’ils témoignent au sujet de quelqu’un qu’ils connaissent, et les femmes sont considérées comme plus crédibles dans le cas d’un témoignage oculaire. Pour certains comportements, les a priori ne paraissent pas être relatifs au sexe du témoin puisqu’un témoin, aussi bien un homme qu’une femme, est censé être calme. Quand il ne l’est pas, c’est-à-dire quand il n’exprime pas les signes du calme, sa crédibilité en souffre. Par ailleurs, les schémas concernant les témoins incluent l’attente d’une éventuelle expression d’émotion par le témoin, et cette émotion attendue diffère selon le sexe. Cependant, lorsque le témoin La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006 19 > Écho des Congrès manifeste une émotion de manière exagérée (les pleurs pour les femmes, la colère pour les hommes), sa crédibilité en souffre. Ces observations ont des implications évidentes et devraient être prises en compte dans la préparation des jurés d’un tribunal. ❯ Waddill P, Arledge R, Mc Bride S. Contextspecific schemata affect judgments of witness credibility. Psychonomic Society 2005;10:104. ÉVOQUER LA FAMILIARITÉ SANS LA REMÉMORATION : UNE MODÉLISATION DE L’EXPÉRIENCE DE “DÉJÀ VU” Dallas (États-Unis) La sensation de “déjà vu” est une contradiction forte entre une sensation subjective de familiarité et un sentiment objectif de nouveauté. Une hypothèse explicative à la survenue de ces impressions est que l’individu pourrait avoir déjà expérimenté tout ou seulement une partie des aspects de l’expérience incriminée dans une occasion précédente. Mais la remémoration explicite de cette situation précédente est absente, cependant que les représentations de la mémoire implicite (qui se fait à l’insu du sujet) déclenchent un sentiment de familiarité. A. Brown et E. Masch ont cherché à savoir si une exposition préalable et superficielle à la photographie d’un endroit donné pouvait par la suite influencer une personne, et l’amener à croire qu’elle a effectivement visité cet endroit particulier. Les stimuli utilisés étaient des photos de scènes se passant sur un campus inconnu (parce qu’il était plausible que les étudiants participant à l’expérience aient effectivement visité cet endroit). Lors d’une brève présentation de ces photographies représentant des scènes d’un campus inconnu, les étudiants devaient localiser sur chaque photo l’existence d’un petit marquage blanc en forme de croix. La moitié des photos étaient ordinaires et l’autre moitié d’entre elles présentaient des caractéristiques uniques. Les photos étaient 20 présentées à une, deux ou trois reprises. Une à trois semaines, plus tard, on montrait aux mêmes étudiants des photos du campus inconnu ainsi que des photos de leur propre campus. Ils avaient à juger s’ils avaient déjà visité cet endroit, et quantifier leur conviction (tout à fait sûr, probablement, possible, jamais vu). Les résultats montrent que la présentation préalable et superficielle de localisations non familières augmentait la croyance que les sujets avaient ultérieurement d’avoir effectivement visité ces emplacements. Si les participants étaient plus confiants dans leur impression d’avoir visité les lieux typiques, l’effet de l’exposition préalable ne dépendait cependant ni du caractère typique du lieu inconnu, ni du délai écoulé entre la présentation initiale et le test final. Près de la moitié des participants indiquaient avoir ressenti une sensation de “déjà vu” lors de l’expérience… ❯ Brown A, Marsh E. Evoking familiarity without recollection: modeling the “déjà vu” experience. Psychonomic Society 2005;10:132. VRAIS ET FAUX SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES Miami (Floride) Les souvenirs autobiographiques constituent un ensemble d’expériences et de souvenirs utiles aux chercheurs qui tentent d’identifier les caractéristiques essentielles de la mémoire qui permettraient de préciser si un souvenir est vrai ou faux. Par ailleurs, les types de conscience associés à la remémoration, à savoir la remémoration consciente lors de laquelle le sujet se souvient explicitement de certaines caractéristiques de l’expérience, et le simple sentiment de familiarité (le sujet se souvient seulement qu’il a vécu cet événement, sans pouvoir rien en dire de plus), fournissent des informations concernant l’expérience subjective accompagnant la remémoration. Selon les hypothèses actuelles, certaines La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006 composantes de la mémoire comme le “quoi” et le “qui” sont des composantes plus essentielles des souvenirs autobiographiques que le “où” et le “quand”. Les auteurs de cette présentation ont cherché à préciser dans quelles conditions des souvenirs altérés peuvent être considérés comme véridiques chez des adultes âgés (70 ans en moyenne). Ils leur ont présenté des informations relatives à seize événements, dont huit étaient basées sur des souvenirs décrits par les participants un an auparavant. Quatre de ces souvenirs étaient authentiques. Pour quatre autres, un des éléments avait été modifié. Les altérations avaient été réalisées soit en paraphrasant le souvenir, ce qui signifie que l’essentiel du souvenir était correct, soit en insérant un détail incorrect (l’activité, le participant, la localisation ou la composante temporelle) qui modifiait le souvenir. Les participants devaient évaluer si ce souvenir était identique ou non à celui qu’ils avaient décrit un an auparavant. Les résultats montrent que la mémoire autobiographique est remarquablement bonne après un délai relativement long. Toutefois, des souvenirs altérés sont volontiers sélectionnés comme “véritables” lorsqu’ils ont été paraphrasés. En outre, le fait d’altérer la composante temporelle entraînait plus de faux souvenirs que celui d’altérer ces autres dimensions liées à l’événement de base que sont l’activité, le participant ou la localisation. ❯ Dijkstra K, Misirlisoy M. Remember and know judgments for true and false memories in autobiographical memories. Psychonomic Society 2005;10:76. PERCEPTION DE L’ÂGE SUR LES VISAGES Bradley (États-Unis) Les visages véhiculent un certain nombre d’informations, notamment le sexe, l’état émotionnel et l’âge. La perception de l’âge joue un rôle important dans beaucoup de situations, par exemple pour guider nos interactions sociales, reconnaître une personne que nous n’avons pas vue depuis longtemps, évaluer dans une déposition l’âge d’un délinquant en cas de témoignage oculaire. En outre, dans une perspective évolutionniste, on sait que cette capacité était importante pour nos ancêtres afin d’identifier un(e) rival(e) possible et/ou un(e) partenaire possible pour l’accouplement. L’étude présentée ici avait pour but de comprendre comment l’âge réel et le sexe des individus influencent la manière dont nous percevons l’âge d’une personne inconnue. Des sujets jeunes (des étudiants de 18 à 22 ans) ainsi que des sujets âgés (de 63 à 81 ans) ont visionné des visages de personnes âgées de 20 à 80 ans, et devaient ensuite estimer l’âge de ces personnes. Les résultats montrent que les humains sont assez exacts dans leur manière d’estimer l’âge de personnes inconnues. Toutefois, les témoins jeunes comme les plus âgés avaient de meilleures performances lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’âge de personnes de leur génération. Par ailleurs, les hommes étaient plus précis lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’âge d’autres hommes, et les femmes avaient cette même capacité envers d’autres femmes. En outre, les hommes considéraient un homme comme “vieux” au-delà de 45 ans et une femme comme “vieille” après 36 ans, cependant que pour les femmes, une personne était considérée comme “vieille” au-delà de 52 ans, quel que soit son sexe. Dans leurs futures recherches, les auteurs se proposent de vérifier, entre autres, nos capacités à estimer l’âge de visages appartenant à d’autres cultures, et si les cosmétiques et la chirurgie esthétique font vraiment paraître plus jeune. ❯ Costello P, Cleveland T, Langevin S. Perception of age in human faces. Psychonomic Society 2005;10:122. relations causales des symptômes entache les inférences qu’ils font à propos de symptômes inconnus. RÔLE DES SCHÉMAS ET DE LA CONNAISSANCE CAUSALE DANS LES RAISONNEMENTS CLINIQUES CONCERNANT LES TROUBLES MENTAUX ❯ Ahn WK, Proctor C, Marsh J. The role of causal knowledge in clinical reasoning with mental disorders. Psychonomic Society 2005;10:3. Yale (États-Unis) SYNESTHÉSIE, MÉMOIRE ET COMPRÉHENSION Notre Dame (États-Unis) Les médecins ont tendance à penser que les troubles mentaux sont moins susceptibles d’avoir une cause clairement identifiée que ne le sont les autres maladies. De ce fait, ils ont davantage tendance à peser l’importance relative des symptômes par l’intermédiaire des connaissances statistiques que par le biais de théories causales. C. Proctor et W.K. Ahn ont cependant démontré que la connaissance causale influence malgré tout les inférences qui sont faites lorsqu’il s’agit d’évaluer des symptômes inconnus. Ils ont présenté à des cliniciens deux symptômes, X et Y, liés à des maladies psychiatriques fictives affectant des individus donnés. Les praticiens qui avaient appris que X provoque Y jugeaient qu’un symptôme associé avec X, mais pas un symptôme associé avec Y, était plus susceptible d’être présent dans le tableau clinique d’une même personne. Par ailleurs, ceux qui avaient appris que Y cause X chez une personne donnée jugeaient qu’un symptôme associé à Y avait de fortes chances d’être présent chez le patient, mais pas un symptôme associé à X. Cette étude révèle que les caractéristiques de cause conservent un poids inductif plus important que les caractéristiques d’effet, et que la manière dont les médecins interprètent les La synesthésie est un état dans lequel des unités d’une modalité sensorielle se répandent dans une autre. Par exemple, chez les sujets atteints de synesthésie, un son, que ce soit celui d’une voix ou simplement une tonalité, entraîne la perception d’une couleur. La plupart des recherches sur la synesthésie se sont focalisées sur les mécanismes susceptibles d’engendrer cet état, ainsi que sur ses conséquences en termes de perception et d’attention. G. Radvansky et B. Gibson ont cherché à savoir comment la synesthésie affecte les processus de plus haut niveau comme la mémoire et la compréhension. Ils ont donc fait passer à des sujets atteints de cette particularité ainsi qu’à des témoins une batterie de tests de mémoire, contenant notamment des tests d’empans pour la mémoire de travail, des tests reposant sur la remémoration de couleurs, des tâches de mémoire de phrases et d’histoires. Les résultats révèlent l’existence d’un certain bénéfice en ce qui concerne la mémoire des lettres et des mots. Toutefois, il existe un coût cognitif pour les tâches plus complexes. Ainsi, les altérations des expériences perceptives ont des conséquences différentes sur la perception et la compréhension. ❯ Radvansky G, Gibson B. Synesthesia, memory and comprehension. Psychonomic Society 2005; 10:40. La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006 21