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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006
>Écho
des Congrès
SCHÉMAS ET A PRIORI LIÉS
AU CONTEXTE AFFECTANT
LA CRÉDIBILITÉ
DES TÉMOIGNAGES
Murray State (États-Unis)
Nous utilisons souvent l’expression des
émotions comme un indice permettant
de faire des inférences concernant l’état
mental d’une personne. Par exemple, le
fait de pleurer (un comportement
observable) peut être pris comme un
signe que la personne est triste (un
état intérieur inobservable) ou qu’elle
est manipulatrice (un trait de person-
nalité). Les jugements portés sur les
émotions d’autrui sont influencés par le
sexe de la personne exprimant ces émo-
tions, et par le contexte dans lequel
elles sont exprimées. Des règles
sociales dictent l’expression des émo-
tions selon le sexe, et notamment la
manière dont certaines émotions doi-
vent être ou ne pas être exprimées par
un homme ou par une femme. Dans la
plupart des civilisations occidentales,
les expressions manifestes de joie et de
tristesse sont attendues (et acceptées)
plutôt de la part des femmes que des
hommes. En outre, le contexte dans
lequel une émotion est exprimée
affecte également les jugements des
observateurs. C’est ainsi que des sanc-
tions sociales sont fréquemment impo-
sées lorsqu’une personne n’exprime pas
les stéréotypes d’émotion qu’on attend
d’elle dans un contexte donné, ou lors-
qu’elle exprime de manière exagérée
l’émotion stéréotypée qu’on attendrait
dans ce contexte. Les auteurs de cette
recherche ont étudié les schémas
d’émotions liés au sexe dans deux types
de situations juridiques, afin de tester
de manière systématique les supposi-
tions selon lesquelles les inférences
faites à propos de la crédibilité d’un
témoin sont entachées non seulement
par le sexe du témoin d’un cas criminel
et l’émotion exprimée par celui-ci, mais
aussi par le contexte dans lequel cette
émotion est exprimée. Les participants
de leur étude ont assisté soit au témoi-
gnage d’un homme soit à celui d’une
femme qui exprimaient une émotion (le
calme, la colère ou les pleurs) dans un
contexte donné (le témoin connaissait
la personne incriminée ou donnait un
témoignage oculaire). Ils devaient
ensuite donner leur avis sur la crédibi-
lité du témoin. Les résultats montrent
que les a priori relatifs aux émotions
censées être exprimées par un témoin
dans un tribunal diffèrent en fonction
du contexte. Globalement, les hommes
sont considérés comme plus crédibles
que les femmes lorsqu’ils témoignent au
sujet de quelqu’un qu’ils connaissent,
et les femmes sont considérées comme
plus crédibles dans le cas d’un témoi-
gnage oculaire. Pour certains compor-
tements, les a priori ne paraissent pas
être relatifs au sexe du témoin puis-
qu’un témoin, aussi bien un homme
qu’une femme, est censé être calme.
Quand il ne l’est pas, c’est-à-dire quand
il n’exprime pas les signes du calme, sa
crédibilité en souffre. Par ailleurs, les
schémas concernant les témoins
incluent l’attente d’une éventuelle
expression d’émotion par le témoin, et
cette émotion attendue diffère selon le
sexe. Cependant, lorsque le témoin
>
46es Rencontres de la Psychonomic Society
(Toronto, novembre 2005)
La psychologie aujourd’hui
E. Bacon, INSERM et clinique psychiatrique, Strasbourg, et M. Izaute, Laboratoire de psychologie sociale
de la cognition, Clermont-Ferrand
>
La Psychonomic Society est une société savante
spécialisée dans les domaines de la psychologie
expérimentale, normale ou pathologique.
La rencontre annuelle de la Société
permet de faire connaître très rapidement
les résultats récents de la recherche.
En particulier, les présentations de travaux
originaux concernant le témoignage,
le sentiment de “déjà vu”, les “faux souvenirs”,
etc., sont susceptibles d’apporter quelques
éléments de compréhension quant au discours
de patients psychotiques, mais aussi
en ce qui concerne les récentes “affaires”
juridiques qui défraient encore la chronique
en France.
20 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006
>Écho
des Congrès
manifeste une émotion de manière exa-
gérée (les pleurs pour les femmes, la
colère pour les hommes), sa crédibilité
en souffre. Ces observations ont des
implications évidentes et devraient être
prises en compte dans la préparation
des jurés d’un tribunal.
Waddill P, Arledge R, Mc Bride S. Context-
specific schemata affect judgments of witness
credibility. Psychonomic Society 2005;10:104.
ÉVOQUER LA FAMILIARITÉ
SANS LA REMÉMORATION :
UNE MODÉLISATION
DE L’EXPÉRIENCE DE “DÉJÀ VU”
Dallas (États-Unis)
La sensation de “déjà vu” est une
contradiction forte entre une sensation
subjective de familiarité et un senti-
ment objectif de nouveauté. Une hypo-
thèse explicative à la survenue de ces
impressions est que l’individu pourrait
avoir déjà expérimenté tout ou seule-
ment une partie des aspects de l’expé-
rience incriminée dans une occasion
précédente. Mais la remémoration expli-
cite de cette situation précédente est
absente, cependant que les représenta-
tions de la mémoire implicite (qui se
fait à l’insu du sujet) déclenchent un
sentiment de familiarité. A. Brown et
E. Masch ont cherché à savoir si une
exposition préalable et superficielle à la
photographie d’un endroit donné pou-
vait par la suite influencer une per-
sonne, et l’amener à croire qu’elle a
effectivement visité cet endroit parti-
culier. Les stimuli utilisés étaient des
photos de scènes se passant sur un
campus inconnu (parce qu’il était plau-
sible que les étudiants participant à
l’expérience aient effectivement visité
cet endroit). Lors d’une brève présenta-
tion de ces photographies représentant
des scènes d’un campus inconnu, les
étudiants devaient localiser sur chaque
photo l’existence d’un petit marquage
blanc en forme de croix. La moitié des
photos étaient ordinaires et l’autre moi-
tié d’entre elles présentaient des carac-
téristiques uniques. Les photos étaient
présentées à une, deux ou trois
reprises. Une à trois semaines, plus
tard, on montrait aux mêmes étudiants
des photos du campus inconnu ainsi
que des photos de leur propre campus.
Ils avaient à juger s’ils avaient déjà
visité cet endroit, et quantifier leur
conviction (tout à fait sûr, probable-
ment, possible, jamais vu). Les résul-
tats montrent que la présentation préa-
lable et superficielle de localisations
non familières augmentait la croyance
que les sujets avaient ultérieurement
d’avoir effectivement visité ces empla-
cements. Si les participants étaient plus
confiants dans leur impression d’avoir
visité les lieux typiques, l’effet de l’ex-
position préalable ne dépendait cepen-
dant ni du caractère typique du lieu
inconnu, ni du délai écoulé entre la
présentation initiale et le test final.
Près de la moitié des participants indi-
quaient avoir ressenti une sensation de
“déjà vu” lors de l’expérience…
Brown A, Marsh E. Evoking familiarity without
recollection: modeling the “déjà vu” experience.
Psychonomic Society 2005;10:132.
VRAIS ET FAUX SOUVENIRS
AUTOBIOGRAPHIQUES
CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES
Miami (Floride)
Les souvenirs autobiographiques
constituent un ensemble d’expériences
et de souvenirs utiles aux chercheurs
qui tentent d’identifier les caractéris-
tiques essentielles de la mémoire qui
permettraient de préciser si un souve-
nir est vrai ou faux. Par ailleurs, les
types de conscience associés à la remé-
moration, à savoir la
remémoration
consciente
lors de laquelle le sujet se
souvient explicitement de certaines
caractéristiques de l’expérience, et le
simple sentiment de
familiarité
(le
sujet se souvient seulement qu’il a vécu
cet événement, sans pouvoir rien en
dire de plus), fournissent des informa-
tions concernant l’expérience subjective
accompagnant la remémoration. Selon
les hypothèses actuelles, certaines
composantes de la mémoire comme le
“quoi” et le “qui” sont des composantes
plus essentielles des souvenirs autobio-
graphiques que le “où” et le “quand”.
Les auteurs de cette présentation ont
cherché à préciser dans quelles condi-
tions des souvenirs altérés peuvent être
considérés comme véridiques chez des
adultes âgés (70 ans en moyenne). Ils
leur ont présenté des informations rela-
tives à seize événements, dont huit
étaient basées sur des souvenirs décrits
par les participants un an auparavant.
Quatre de ces souvenirs étaient authen-
tiques. Pour quatre autres, un des élé-
ments avait été modifié. Les altérations
avaient été réalisées soit en paraphra-
sant le souvenir, ce qui signifie que
l’essentiel du souvenir était correct,
soit en insérant un détail incorrect
(l’activité, le participant, la localisation
ou la composante temporelle) qui
modifiait le souvenir. Les participants
devaient évaluer si ce souvenir était
identique ou non à celui qu’ils avaient
décrit un an auparavant. Les résultats
montrent que la mémoire autobiogra-
phique est remarquablement bonne
après un délai relativement long. Tou-
tefois, des souvenirs altérés sont volon-
tiers sélectionnés comme “véritables”
lorsqu’ils ont été paraphrasés. En outre,
le fait d’altérer la composante tempo-
relle entraînait plus de faux souvenirs
que celui d’altérer ces autres dimen-
sions liées à l’événement de base que
sont l’activité, le participant ou la loca-
lisation.
Dijkstra K, Misirlisoy M. Remember and know
judgments for true and false memories in auto-
biographical memories. Psychonomic Society
2005;10:76.
PERCEPTION DE L’ÂGE
SUR LES VISAGES
Bradley (États-Unis)
Les visages véhiculent un certain
nombre d’informations, notamment le
sexe, l’état émotionnel et l’âge. La
perception de l’âge joue un rôle impor-
tant dans beaucoup de situations, par
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. II - n° 1 - mars 2006
exemple pour guider nos interactions
sociales, reconnaître une personne que
nous n’avons pas vue depuis long-
temps, évaluer dans une déposition
l’âge d’un délinquant en cas de témoi-
gnage oculaire. En outre, dans une
perspective évolutionniste, on sait que
cette capacité était importante pour
nos ancêtres afin d’identifier un(e)
rival(e) possible et/ou un(e) parte-
naire possible pour l’accouplement.
L’étude présentée ici avait pour but de
comprendre comment l’âge réel et le
sexe des individus influencent la
manière dont nous percevons l’âge
d’une personne inconnue. Des sujets
jeunes (des étudiants de 18 à 22 ans)
ainsi que des sujets âgés (de 63 à
81 ans) ont visionné des visages de
personnes âgées de 20 à 80 ans, et
devaient ensuite estimer l’âge de ces
personnes. Les résultats montrent que
les humains sont assez exacts dans
leur manière d’estimer l’âge de per-
sonnes inconnues. Toutefois, les
témoins jeunes comme les plus âgés
avaient de meilleures performances
lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’âge de
personnes de leur génération. Par
ailleurs, les hommes étaient plus pré-
cis lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’âge
d’autres hommes, et les femmes
avaient cette même capacité envers
d’autres femmes. En outre, les hommes
considéraient un homme comme
“vieux” au-delà de 45 ans et une
femme comme “vieille” après 36 ans,
cependant que pour les femmes, une
personne était considérée comme
“vieille” au-delà de 52 ans, quel que
soit son sexe. Dans leurs futures
recherches, les auteurs se proposent
de vérifier, entre autres, nos capacités
à estimer l’âge de visages appartenant
à d’autres cultures, et si les cosmé-
tiques et la chirurgie esthétique font
vraiment paraître plus jeune.
Costello P, Cleveland T, Langevin S. Perception
of age in human faces. Psychonomic Society
2005;10:122.
RÔLE DES SCHÉMAS
ET DE LA CONNAISSANCE
CAUSALE DANS LES RAISONNE-
MENTS CLINIQUES CONCERNANT
LES TROUBLES MENTAUX
Yale (États-Unis)
Les médecins ont tendance à penser
que les troubles mentaux sont moins
susceptibles d’avoir une cause claire-
ment identifiée que ne le sont les
autres maladies. De ce fait, ils ont
davantage tendance à peser l’impor-
tance relative des symptômes par
l’intermédiaire des connaissances
statistiques que par le biais de théo-
ries causales. C. Proctor et W.K. Ahn
ont cependant démontré que la
connaissance causale influence mal-
gré tout les inférences qui sont
faites lorsqu’il s’agit d’évaluer des
symptômes inconnus. Ils ont pré-
senté à des cliniciens deux symp-
tômes, X et Y, liés à des maladies
psychiatriques fictives affectant des
individus donnés. Les praticiens qui
avaient appris que X provoque Y
jugeaient qu’un symptôme associé
avec X, mais pas un symptôme asso-
cié avec Y, était plus susceptible
d’être présent dans le tableau cli-
nique d’une même personne. Par
ailleurs, ceux qui avaient appris que
Y cause X chez une personne donnée
jugeaient qu’un symptôme associé à
Y avait de fortes chances d’être pré-
sent chez le patient, mais pas un
symptôme associé à X. Cette étude
révèle que les caractéristiques de
cause conservent un poids inductif
plus important que les caractéris-
tiques d’effet, et que la manière
dont les médecins interprètent les
relations causales des symptômes
entache les inférences qu’ils font à
propos de symptômes inconnus.
Ahn WK, Proctor C, Marsh J. The role of cau-
sal knowledge in clinical reasoning with mental
disorders. Psychonomic Society 2005;10:3.
SYNESTHÉSIE, MÉMOIRE
ET COMPRÉHENSION
Notre Dame (États-Unis)
La synesthésie est un état dans lequel
des unités d’une modalité sensorielle se
répandent dans une autre. Par exemple,
chez les sujets atteints de synesthésie,
un son, que ce soit celui d’une voix ou
simplement une tonalité, entraîne la
perception d’une couleur. La plupart des
recherches sur la synesthésie se sont
focalisées sur les mécanismes suscep-
tibles d’engendrer cet état, ainsi que
sur ses conséquences en termes de per-
ception et d’attention. G. Radvansky et
B. Gibson ont cherché à savoir comment
la synesthésie affecte les processus de
plus haut niveau comme la mémoire et
la compréhension. Ils ont donc fait pas-
ser à des sujets atteints de cette parti-
cularité ainsi qu’à des témoins une bat-
terie de tests de mémoire, contenant
notamment des tests d’empans pour la
mémoire de travail, des tests reposant
sur la remémoration de couleurs, des
tâches de mémoire de phrases et d’his-
toires. Les résultats révèlent l’existence
d’un certain bénéfice en ce qui
concerne la mémoire des lettres et des
mots. Toutefois, il existe un coût cogni-
tif pour les tâches plus complexes.
Ainsi, les altérations des expériences
perceptives ont des conséquences dif-
férentes sur la perception et la compré-
hension.
Radvansky G, Gibson B. Synesthesia, memory
and comprehension. Psychonomic Society 2005;
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