V V D D P T P ' PDV 'PDVT T ' T ' Place de la communauté thérapeutique dans l’indication d’un soin résidentiel Ou comment les aider à gérer leurs stress et leur détresse sans substance Jean-Pierre Couteron*, Georges Van Der Straten** Les approches thérapeutiques des addictions ne peuvent plus reposer sur un standard unique, comme on l’a connu avec le sevrage et l’abstinence. Pour autant, "le projet abstinence" doit rester une des réponses plurielles adaptées à la diversité des "entrées" dans les comportements addictifs (recherche de performance, auto-thérapeutique, hédonisme, gestion de la douleur…), mais également graduées, adaptées à la notion de cycle motivationnel et de projet de vie, ouvrant des accès correspondant aux différentes étapes de leur trajet. Une telle ouverture dans l’approche de la prise en charge des sujets rend d’autant plus important la question de l’indication du cadre de traitement. Celle-ci doit tenir compte des substances consommées, de l’intérêt de l’orientation résidentielle versus ambulatoire et de l’objectif visé : abstinence, réduction des risques ou autres. Elle découle du dialogue avec l’usager, qui permet de préciser ses capacités à coopérer avec l’offre de traitement, à en bénéficier, s’abstenir d’user de drogues et éviter des conduites de risques, dans le cadre le moins restrictif possible. Enfin, elle tiendra compte également de l’existence ou de la disponibilité de la structure adéquate… 4XHOOHRULHQWDWLRQ SRXUTXHOSDWLHQW" Les critères de placement en hébergement résidentiel (voir encadré "Un outil d’aide à l’orientation") proposent une orientation fondée sur l’évaluation de la situation des patients au travers de six dimensions cliniques, psychologiques et sociales : nature de la consommation et nécessité de prise en charge médicale pour une aide au sevrage ou un traitement de substitution ; condition physique, problèmes physiques (hors sevrage) ou facteurs physiques et traitements à prendre en compte… ; troubles émotionnels et comportementaux, antécédents psychiatriques éventuels… ; situation du patient dans sa dynamique de changement par rapport à son addiction conditionnant l’adhésion au traitement ; niveau de risque de rechute du patient et de connaissance par rapport à la nature et à la dynamique de son * Président de la Fédération addiction, pyschologue clinicien, CSAPA, Mantes-la-Jolie. ** Vice-président de l'European Federation of Therapeutic Communities (EFTC), fondateur du réseau européen d’échanges de savoirs (ECE Training by Travel : projet d’échange de connaissances fondé sur le partage de bonnes pratiques et sur le compagnonnage entre les pays de l’Union européenne). Licencié en communications sociales, directeur de l’association Trempoline (communauté thérapeutique en Belgique). problème de dépendance ; environnement du patient (logement, quartier), social (réseau de soutien, organismes sociaux) et financier (revenu, recherche d’emploi). Pour chacune de ces dimensions, le niveau de gravité oriente la prise en charge de l’abus et de la dépendance dans un continuum de services classés par degré de gravité, allant de l’intervention précoce, puis au traitement ambulatoire, à l’ambulatoire intensif ou hospitalisation partielle, pour terminer par le traitement résidentiel ou l’hospitalisation et, enfin, l’hospitalisation intensive. Cela permet d’identifier quatre types de besoins : sociaux et sanitaires pouvant être traités par les dispositifs de droit commun (médecine de ville, centres ambulatoires, services sociaux de secteur…) : c’est la politique des mêmes droits pour tous ; besoins sanitaires qui "passent" devant les sociaux et nécessitent un primat du médical et inversement, primat des besoins sociaux qui induisent celui de l’insertion ; besoins sanitaires et sociaux également primordiaux qui demandent une inscription du soin dans le projet de vie. Pour que ces parcours de l’usager soient possibles, une conception commune doit relier les différents acteurs potentiellement impliqués. L’appel au dispositif de droit commun nécessite la formation de l’ensemble des acteurs sanitaires et sociaux, afin que l’addiction ne soit plus un Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – Janvier-février-mars 2011 26 motif de rejet des personnes et de non-traitement de situations parfois systématiquement renvoyées aux dispositifs spécialisés. De même, la formation des personnels des dispositifs sociaux (centres d’hébergement et de réinsertion sociale [CHRS], hébergement d’urgence, maisons relais, résidences sociales…) devrait faciliter la prise en charge de ces personnes dont la problématique addictive n’obère pas la capacité d’insertion (c’est le cas de personnes en traitement ambulatoire ou stabilisées). Les dispositifs sanitaires (services hospitaliers, service de soins de suite et de réadaptation…) interviennent lorsque la problématique sanitaire est dominante pour prendre en charge les sevrages, les soins résidentiels complexes et leurs suites, incluant les problématiques psychiatriques contemporaines de l’addiction. Ils s’articulent avec les dispositifs médico-sociaux intervenant après stabilisation de la personne, soit sur le court terme (hébergement d’urgence, quand il faut "mettre à l’abri" et aider la personne à prendre conscience de son besoin de soins) soit le moyen terme (centre thérapeutique résidentiel, appartement thérapeutique, familles d’accueil) ou le long terme (communautés thérapeutiques) [CT]. Il s’agit alors de personnes nécessitant un suivi rapproché et un accompagnement dans leur insertion sociale et/ ou professionnelle, pour les aider à intégrer le soin dans leur projet de vie par une réorganisation de leur vie. Ces dispositifs ont vocation à rester "généralistes", tout en tenant compte des publics et des problématiques particulières nécessitant l’adaptation de certains d’entre eux. /·LPSDFWGHVSURGXLWV GDQVOHFKRL[GXFDGUH Bien sûr, l’orientation tient compte aussi des substances, notamment pour ce qui est du choix entre soin ambulatoire et résidentiel. Ainsi, le tabac comme le cannabis relèvent d’un traitement essentiellement ambulatoire. En dehors des sevrages complexes, la plupart des prises en charge pour abus ou dépendance d’alcool peuvent être conduites en ambulatoire ou en hospitalisation de jour. La prise en charge résidentielle concerne des patients à très haut niveau d’usage d’alcool, polytoxicomanes ou ayant des comorbidités médicales ou psychiatriques, ou encore des usagers qui ont connu des échecs antérieurs de prises en charge ambulatoires et dont l’état se détériore. Pour la cocaïne, hors polytoxicomanie, un traitement ambulatoire global et intensif est efficace, le résidentiel pouvant fonctionner comme un temps d’appui. Enfin, pour les opiacés, si l’hospitalisation est indiquée en cas de cures de sevrage complexes, les risques élevés de rechute imposent un suivi continu. Les traitements de substitution sont d’une remarquable efficacité quand ils sont prodigués dans un cadre ambulatoire global et ' contrôlé. Comme dans le cas des patients dépendants de l’alcool, le traitement résidentiel est utile pour ceux qui on eu des antécédents répétés de rechute, une désocialisation, des troubles médicaux ou psychiatriques associés, un environnement socio-familial défavorable. Entre les deux, on rencontre un public intermédiaire, avec des repères sociaux, mais dépendant actuellement du groupe de pairs. Il ne demande pas un logement et arrive à conserver le sien, mais il attend du soin résidentiel une évolution de ses conduites. /HVWURLVSXEOLFV 'HO·KpEHUJHPHQWVRFLDO DXVRLQUpVLGHQWLHO L’attente des usagers est aussi un facteur important dans le choix de l’orientation. Selon le lieu auquel s’adresse cette attente des usagers (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues [CAARUD], Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie [CSAPA], cabinet du médecin), l’offre de prise en charge peut aller d’un bout à l’autre d’un continuum de propositions. L’hébergement n’est pas une priorité pour tous les usagers et leur demande d’hébergement peut-être inversement proportionnelle à celle des soins. Une étude conduite par des étudiants de l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne pour la Fédération addiction décrit ainsi trois types de public (2). Le premier est inscrit dans la société, en lien avec sa famille. Même avec des éléments de désaccords, celle-ci reste un soutien plus ou moins régulier qui l’aide à intégrer les repères sociaux. Ces usagers ont acquis une sécurité matérielle et affective. Ils ont suffisamment de repères pour s’inscrire dans une démarche professionnelle, disposent d’un logement et de revenus. C’est suite à une rupture, un accident de vie professionnelle ou familial, que le désir de soins se fait jour. Ils sont actifs dans la recherche d’une solution, demandeur d’une prise en charge structurée, soucieux de préserver leur insertion professionnelle et peuvent souhaiter un certains confort dans le soin résidentiel. Deuxième "public", désocialisé, structuré en marge de la société, à double dépendance : pour celui-ci, les ruptures scolaires et familiales ont eu lieu à un âge précoce. Il ne dispose donc pas des mêmes repères sociaux. Il cumule précarité, absence de logement, de profession ou d’expérience professionnelle et il conserve peu de lien avec sa famille. Il vit dans les groupes de pairs, en fait plutôt des groupes d’auto-reforcement. Ces sujets ont donc des difficultés à accéder aux structures de soins, que d’ailleurs ils sollicitent peu, et relèvent plus de l’approche réduction des risques. Ils se sentent également exclus des dispositifs de l’urgence sociale et de l’insertion dont ils récusent les exigences : ils refusent la promiscuité des dortoirs et l’obligation d’intégrer le lieu en début de soirée. La complexité des démarches pour y accéder finit par les en dissuader. Un hébergement en chambre d’hôtel s’est développé, mais ce sont souvent des taudis qui ne les aident pas à se détacher de leurs réseaux et ils s’y sentent mal considérés. En fait, ils sont demandeurs d’une mise à l’abri (sleep in)… Ou encore : de la lutte contre l’exclusion à la prise en compte de la conduite addictive. Pour préciser l’indication, il n’est donc pas inutile de revenir sur trois des paramètres qui fondent le soin résidentiel : changement d’environnement, durée du séjour et programme thérapeutique. Il est donc indiqué pour des patients dont la vie et les interactions sociales se sont totalement organisées autour de l’usage de substances, quand la dépendance physique et le craving sont renforcés par l’attachement à un mode de vie. La perte de compétences sociales et professionnelles, le manque de motivation personnelle et/ou d’un soutien social fragilisent l’acquisition et le maintien d’une abstinence, complète ou partielle, dans le seul cadre ambulatoire. L’offre de soins résidentiels procure alors un environnement nouveau, sans drogues, dans lequel les résidents peuvent développer leurs aptitudes personnelles et "groupales" à prévenir la rechute. Sur l’autre versant du continuum des réponses proposées, l’hébergement social offre des éléments comparables, mais avec comme finalité de lutter contre l’exclusion qui conduit à privilégier un autre public, pour lequel le logement est un support de l’insertion, d’une démarche de remobilisation. L’arrêt de l’usage de substance n’y est pas forcément un préalable ou une condition d’accès. Du squatt ou de l’errance à des hébergements collectifs, c’est bien aussi d’un changement d’environnement dont il est question, dans cet hébergement qui apporte un soutien transitoire selon une durée également variable. Enfin, si la notion de programme thérapeutique n’est pas centrale, celles de progression, d’évolution du sujet ne sont pas absentes d’hébergements qui sont tout sauf des lieux où l’usager serait enfermé sur ses usages ! À partir de l’expérience acquise avec les publics des squatts, des pratiques nouvelles prolongent et complètent l’expérience des sleep in, sur le mode du housing first, ou d’une insertion et d’une aide au logement qui précède et s’autonomise d’une décision d’abstinence (3). Ces projets reposent sur le concept de rétablissement, issu d’une revendication des personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères et luttant pour accéder à une citoyenneté pleine et entière. Il est aujourd’hui devenu ensuite une nouvelle façon d’organiser les soins dans le champ de la santé mentale. Le programme "Un chez-soi d’abord" est une dé- 27 ' T V V D D P T P ' PDVT'PDVT clinaison autour des problématiques particulières des personnes sans chez-soi. Le changement d’environnement du soin résidentiel convient aux patients dont le réseau social s’est structuré uniquement autour des produits et qui ne bénéficient pas du soutien qu’il apporte dans le processus de rémission (4). Le changement proposé va d’un isolement complet ou relatif à une vie en pleine nature ou une confrontation quotidienne à la vie sociale, une abstinence souhaitée ou une tolérance des usages. Avec, comme dénominateur commun, la capacité de ce nouvel environnement à fournir à des patients qui, autrement, n’ont pas accès à de tels soutiens, des points d’appui plus solides sur les plans émotionnel, relationnel (équipe et groupe de pairs) mais aussi médical et psychiatrique. Un environnement qui permet des soins plus intensifs, durables et contrôlés ainsi qu’un support social et un travail de réinsertion plus suivi. On retrouve donc la double finalité possible de l’accompagnement : confrontation au comportement addictif et/ou offre d’un étayage social et environnemental, ou savant équilibre des deux. La littérature internationale souligne l’intérêt particulier d’approches adaptées à des publics spécifiques : personnes présentant des comorbidités psychiatriques, détenus/sortants de prison, femmes enceintes et dyades mère-enfant, adolescents et jeunes addicts en errance (avec chiens…). Quant il s’agit d’admission et de séjour en centre résidentiel, un engagement clair est nécessaire. L’usager doit bien en connaître la finalité, tant pour ne pas se fourvoyer que par respect des choix faits par les autres usagers. La durée du soin résidentiel est à relier à sa finalité et au délai nécessaire pour que l’usager remplisse les critères spécifiques prédictifs d’une transition réussie vers un autre cadre de traitement. Ces critères peuvent inclure la démonstration d’une motivation réelle à s’engager dans un programme ambulatoire à la sortie, l’aptitude à rester abstinent dans des situations où les drogues sont potentiellement disponibles (sorties de week-ends, travail de réinsertion à l’extérieur du centre, sorties non accompagnées, etc.), un cadre de vie soutenant à l’extérieur (famille, pairs abstinents, emploi, etc.), une stabilisation suffisante des comorbidités médicales et psychiatriques. Si aucune étude ne permet de fixer une durée optimale de prise en charge, une durée d’au moins 3 mois est associée aux meilleurs résultats (5). SURJUDPPHWKpUDSHXWLTXH OHFDVGHVFRPPXQDXWeV Troisième composante importante de la proposition de soin résidentiel, son programme thérapeutique, particulièrement bien formalisé par le dispositif des CT. C’est celui-ci que Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – Janvier-février-mars 2011 V V D D P T P ' PDV 'PDVT T ' T ' 81287,/'·$,'(­O·25,(17$7,21 Pour effectuer le choix du cadre de traitement, on peut s’appuyer sur le travail de l’Association américaine de psychiatrie, publié dans The American Journal of Psychiatry (16). Ses recommandations précisent la place du cadre résidentiel de traitement, en accord avec le consensus de l’American Society of Addiction Medicine (ASAM) sur les critères de choix du cadre de traitement (ASAM Patient Placement Criteria, ASAM-PPC-2R) et de son algorithme décisionnel validé (16). Ils ont été déterminés à partir d’études visant à s’assurer que les usagers bénéficient du niveau de soins approprié, afin d’éviter aussi bien la mise en place de sous-traitements inefficaces que de surtraitements inutiles et onéreux. nous voulons ici présenter, autour de la notion de réhabilitation, dont la mode récente peut parfois perturber une appréhension trop idéologique. Le terme de communauté thérapeutique, utilisé aux alentours de la Seconde Guerre mondiale par Maxwell Jones et Harold Bridger, définit un processus thérapeutique de groupe mis en œuvre auprès de patients psychiatriques. Plus proche de nous, l’un des co-auteurs de cet article, Georges Van der Straten, voit dans la CT, dédiée spécifiquement aux pratiques addictives, une "institution thérapeutique qui privilégie l’intensification des relations entre soignants et soignés comme principal outil thérapeutique" (6). Il s’agit bien d’un lieu de vie auquel un usager peut s’adresser, avec ou sans indication médicale, et qui s’organise autour de tâches, d’actions collectives, loisirs et groupes de parole. Elle se définit comme un centre résidentiel de long séjour qui procure un environnement sûr et sans drogues (drug free) à des personnes dépendantes (opiacés, stimulants, alcool, polytoxicomanies…). Mais elle va plus loin : elle fournit aux patients des éléments de restructuration, à travers la vie communautaire, par des modèles identificatoires positifs et la pression groupale (modeling). Cette action va aider les résidents à développer leurs capacités à gérer leurs stress et leur détresse sans substance, à reprendre confiance en eux-mêmes. Par une responsabilisation croissante, elle les replace sur les rails de l’autonomie et de la resocialisation. C’est donc la vie en communauté et le travail en groupe qui vont être le principal support de l’évolution du patient et de la réhabilitation espérée. Le travail pédagogique au quotidien, l’intégration aux normes du groupe et l’adhésion au modèle fourni par les autres résidents plus avancés dans le programme, conduisent le sujet à mieux se connaître lui-même, identifier ses vulnérabilités, facteurs de rechute, pour mieux y faire face par lui-même et avec le soutien du groupe (7). L’intensité du processus collectif qui rend la liberté de l’interrompre très difficile, est l’une des grandes difficultés du fonctionnement des CT qui peut conduite à des dérives totalitaires. Les CT sont aujourd’hui majoritairement organisées selon un modèle hiérarchique strict, même si le modèle démocratique n’en n’est pas totalement absent. Le modèle hiérarchique organise la structure de la communauté (fonction et missions de chacun), alors que le démocratique dynamise le travail de groupe, de confrontation, qui se déploie de personne à personne (8). Les résidents accèdent à des statuts et des niveaux de responsabilité croissants au fur et à mesure que leur comportement témoigne d’un réel respect des personnes et des règles collectives (notamment l’abstinence de produits). Les principes fondamentaux de la communauté thérapeutique restent la coresponsabilité, la progressivité de l’évolution et le cadre apporté par des règles claires et explicitées. Cette crainte des dérives sectaires a été corrigée par le portage professionnel qui est devenu la règle. En France, le cahier des charges garantit le droit des usagers et le respect de la laïcité. Une deuxième difficulté vient du fait que les objectifs de rétablissement d’un séjour ne se limitent pas à la seule réalisation et la stabilisation de l’abstinence. Il s’agit également de développer des changements de style de vie et de l’identité sociale et personnelle par des programmes thérapeutiques, qui vont des 12 étapes des Narcotic Anonymous (NA) aux programmes spécifiques de telle ou telle CT. Dans cet espacetemps structuré et sécurisant, le résident rejoue effectivement ses difficultés à gérer son stress et ses conflits, ses problèmes d’affirmation de soi et d’attachement, qui sont autant de facteurs de rechute, afin d’apprendre à y faire face. Le soutien communautaire vise par les réunions collectives permettant des échanges sur l’expérience de chacun, à réduire les mécanismes de déni ou de projection qui relativisent l’impact négatif des usages de substances dans la vie du sujet et celle de ses proches. Ces groupes se réunissent chaque jour pour aborder les comportements concrets observés et les émotions ressenties dans la vie communautaire (9). Face à cette crainte d’un formatage comportemental, les CT, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, répondent que le travail d’apprentissage et de découverte de soi se fait en lien avec la vie en société, pour permettre une intégration sociale et un retour dans la vie "normale". 7URLVPRLVGHVpMRXUHQ&7 F·HVWXQPLQLPXP Les données internationales mettent en évidence une bonne efficacité de l’approche CT mais pour les personnes qui vont au bout du programme, c’est à dire 15 à 25 %. La plupart des abandons ont lieu dans les trois premiers mois de séjour. Les études de follow-up indi- Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – Janvier-février-mars 2011 28 quent qu’un minimum de 3 mois est nécessaire pour obtenir des premiers bénéfices et que la durée de séjour optimale est largement supérieure : 6 ou plutôt 12 voire 24 mois (10-12). Ces programmes communautaires ont des taux de rechutes plus faibles et obtiennent de meilleurs résultats que les programmes ambulatoires. Des travaux récents mettent en valeur l’intérêt d’associer approche communautaire par les pairs et prise en charge psychiatrique (y compris par traitement de substitution aux opiacés) pour traiter les problèmes duels, addictologiques et psychiatriques. Pour des raisons voisines, cette approche semble également être l’une des options les plus efficaces pour la prise en charge de toxicomanes sortant de prison (13). 8QYUDLHpGXFDWLRQ GXFRPSRUWHPHQW Dans une époque hyper-moderne où la question de la "contenance" se repose de plus en plus vigoureusement, interrogeant jusqu’au rôle de la médicalisation dans les réponses proposées, la communauté thérapeutique assume la fonction d’"éducation du comportement". Elle vient renouveler une contenance sociale en partie perdue (14). Chacun y est sous le regard d’un autre, dès lors qu’il est dans l’exercice de ses compétences sociales (15). Tous les membres de la CT sont des observateurs quotidiens du fonctionnement des autres et peuvent encourager la personne à expérimenter de nouvelles habilités relationnelles ou sociales. La confrontation des comportements et la proposition d’attitudes alternatives sont des leviers thérapeutiques. Ils deviennent habituels, presque routiniers car progressifs, répétés et soutenus dans le temps. Mais le bon fonctionnement des groupes dépend de la garantie d’un climat secure et de l’intégration par tous du concept de "responsabilité". Ce concept de "responsabilité partagée" correspond à la transmission par les anciens de la culture de la CT (valeurs, conventions et habitudes) aux nouveaux arrivants ainsi qu’à la vérification de son maintien. Ces derniers représentent des modèles d’évolution pour les jeunes résidents, ce qui peut renforcer leur motivation et les rassurer. Donald Ottenberg parle de la notion "d’amour responsable" là où les CT américaines insistent sur le "concern", c’est-à-dire cette attention, cette capacité à être solidaire, soucieux de l’autre. Le récent débat sur les salles de consommation à moindre risque, a montré en France la difficulté à ne pas se servir d’une approche pour en disqualifier une autre. Ainsi que le remarque le Pr Rowdy Yates (université de Stirling, Écosse) dans une communication faite par l’un d’entre nous en 2010, la dernière décennie a vu la résurgence de l’intérêt pour la réhabilitation. Il attribue ce mouvement autant à une évolution des politiques publiques qu’à celle des attentes des usagers des services de soins. En France, la création des CT s’est ainsi faite, non dans l’op- ' position aux traitements de substitution et à la réduction des risques, mais pour les compléter par une offre de soin résidentiel et sa proposition d’accompagnement vers l’abstinence. L’abandon du standard unique permettrait aujourd’hui que se juxtaposent l’hébergement d’insertion avec son concept de rétablissement et la communauté thérapeutique avec celui de réhabilitation. Ils seraient reliés par une offre de soins résidentiel déclinant des programmes thérapeutiques différents, adaptés à des publics diversifiés aux demandes toutes aussi variées. v Références bibliographiques 1. Delile JM, Couteron JP. Réflexion sur le traitement résidentiel des addictions. Alcoologie addictologie 2009;31(1):27-35. 2. La place de l’hébergement thérapeutique dans le parcours de vie des usagers de drogues. De la parole de l’usager à l’évaluation du dispositif, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, UFR Sciences de l’Education et Sciences Sociales , ANDESI-ENS, diplôme d’État d’ingénierie sociale. 3. Klingemann H, Sobell L. Promoting self-change from addictive behaviors, pratical implications for policy, prevention and treatment. Springer 2007. 4. Housing first. 5. APA, idem. 6. Van Der Straten G, Broekaert E et al. La nouvelle communauté thérapeutique. Apprendre à vivre sans drogues n’est pas une utopie. Academia-Bruylant, 1997, 2008. 7. Farges F, Patel P. Les communautés thérapeutiques pour toxicomanes. Revue documentaire toxibase, 22. 8. Broekaert E, Vandevelde S, Soyez V, Yates R, Slater A. The third generation of therapeutic communities: ' T V V D D P T P ' PDVT'PDVT The early Development of the TC for Addictions in Europe. Eur Addict Res 2006;12:1-11. 11. Delile J-M, Bourgeois M. Les Communautés Thérapeutiques aux USA. Interventions (Revue de l'ANIT). 1994;46:28-33. 12. Bourgeois M, Delile J-M, Rager P, Peyré F. Les "Communautés thérapeutiques" pour toxicomanes. Bilan et évaluation des soins. Annales Médico-Psychologiques. 1987;145(8):699-704. 13. Couteron JP. Discours d’ouverture des 30èmes journées de l’Anitea. Grandir avec les addictions. 2009. A publier dans Psychotropes, Janvier 2010. 14. Bauman Z. La décadence des intellectuels. Des legislateurs aux interprètes. Traduit de l’anglais par Manuel Tricottaux. Actes Sud, 2007. 15. Donald Ottenberg. The TC essentials. International Symposium on Substance Abuse Treatment and Special Groups “Community as Method”. Den Haan, Vakgroep Orthopedagogiek Gent, 1999. vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv /HWDEDJLVPHSDVVLIDOWpUHUDLWO·DXGLWLRQ l’audition de plusieurs experts et de l’analyse des résultats des expériences menées à l’étranger, dans des pays pratiquant une politique de réduction des risques différant notablement de celle conduite en France. "On ne peut demander à des médecins de superviser ou même de se livrer à de telles 'intoxications médicalement assistées', ce d’autant plus que les 'drogues de la rue' peuvent correspondre à des mélanges de toxicité potentiellement mortels. En cautionnant, même indirectement, l’injection d’une solution non stérile d’une substance non identifiée, le médecin superviseur engagerait sa responsabilité, qu’elle soit personnelle ou administrative. Les moyens matériels inévitablement importants que mobiliserait cette initiative seraient bien mieux utilisés pour renforcer les actions de prévention et d’aide au sevrage. On dispose, en effet, de médicaments de substitution et de centres spécialisés dont l’usage doit s’inscrire dans un schéma thérapeutique d’administration dégressive visant à une meilleure adaptation sociale et, à terme, à l’abstinence", a précisé l’Académie de médecine. v Les effets du tabac ont déjà été associés à une perte auditive, mais pas ceux du tabac fumé par les autres. C’est ce qu’ont cherché à évaluer les membres de l’équipe de K.J. Cruikshanks. Ils ont donc fait passer un examen audiométrique à une population de 3 000 non-fumeurs volontaires âgés de 20 à 69 ans. Puis les sujets ont, d’une part, mentionné leur exposition antérieure au bruit et, d’autre part, à la cigarette. Le degré de perte auditive a été mesuré en testant la capacité à entendre des sons dans diverses gammes (fréquences basses ou moyennes et hautes fréquences). Résultat : l’exposition passive au tabagisme est associée à une perte significative de l’audition dans les basses, moyennes et hautes fréquences, et cela de façon d’autant plus nette que l’exposition était importante et que les sujets étaient des anciens fumeurs. Conclusion : les anciens fumeurs ont une probabilité plus élevée d’altération de l’audition, ils perdent 14 % dans les fréquences basses ou moyennes et 46 % dans les fréquences élevées. Communiqué du 11 janvier 2011. 'HS/XVHQSOXVG·$9&SDUPL OHVWR[LFRPDQHVGHUXH Fabry DA, Davila EP, Arheart KL et al. Secondhand smoke exposure and the risk of hearing loss. Tob Control 2011;20(1):82-5. 6DOOHVGHFRQVRPPDWLRQ O·$FDGpPLHGH0pGHFLQHHVWFRQWUH v L’incidence des accidents vasculaires cérébraux (AVC) a beaucoup augmenté entre 1994 et 2007 chez les plus jeunes, selon une étude épidémiologique rendue publique à Los Angeles par les Centers for Disease Control of Prevention américains lors du congrès international sur l’AVC de février dernier (American Heart Association). Ainsi, dans la tranche d’âge des 15 à 34 ans, le nombre des hospitalisations pour ischémies dues à des AVC a augmenté de 17 % chez les jeunes femmes et de plus de 50 % chez les jeunes hommes. Dans le même temps, l’incidence des AVC a notablement baissé chez les sujets d’âge moyen et âgés. À ceci, beaucoup d’explications, dont, bien sûr, l’augmentation de l’incidence de l’obésité, de l’hypertension artérielle, mais aussi les consommations de sel et de boissons aux édulcorants en constante progression et… la toxicomanie de rue. Selon une étude des National Institutes of Health, la consommation de drogues de rue (marijuana, cocaïne et crack surtout) serait neuf fois plus fréquente par les victimes d’AVC. v S’exprimant "à propos d'un projet de création en France de salles d'injections pour toxicomanes", Roger Nordmann, au nom de la Commission VI "Addictions" de l’Académie nationale de médecine le 11 janvier dernier, a dit non ! L’Académie de médecine se dit pourtant "totalement consciente de la nécessité pour les toxicomanes de bénéficier, comme tous les malades, d’une attention vigilante et de l’empathie de l’ensemble du corps médical". Mais elle juge que ce projet de structures "réputées expérimentales (…), aurait pour effet de sortir, de facto, les drogues les plus détériorantes du statut illicite où elles sont actuellement et de remettre ainsi en question l’image répulsive qu’il convient de leur conserver pour éviter toute confusion dans la population dans son ensemble et, en particulier, chez les jeunes". L’Académie de médecine a pris cette décision à l’issue de 29 Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – janvier-février-mars 2011