C A N C E R e s è h t Syn D U S E I N Le cancer du sein V. Dieras*, J.Y. Pierga* E n 1998, quatre grands points se sont concrétisés concernant les cancers du sein : – Sur le plan pronostique, un des principaux paramètres était représenté par l’envahissement ganglionnaire (N). Quel que soit celui-ci, la thérapeutique ne pouvait modifier l’impact pronostique. Cela coïncide avec la fin du cycle des méta-analyses de l’EBCTCG. – En revanche, un des autres paramètres, représenté par la taille de la tumeur (T), devient prééminent dans la mesure où des solutions actives peuvent être proposées, soit en situation néoadjuvante, soit par le dépistage. Ainsi, les résultats du NSABP-B18 valident les résultats du concept néoadjuvant et posent en corollaire la question du “traitement adjuvant postnéoadjuvant”. – Quatre études de chimioprévention ont été présentées. Les résultats en semblent contradictoires ; cependant, il faut souligner que ces études sont radicalement différentes du fait des populations traitées, des biais méthodologiques introduits et des critères d’évaluation retenus. À noter que le but de ces essais doit rester l’amélioration de la curabilité et qu’il ne faut pas confondre dépistage, traitement précoce et chimioprévention “vraie”. – L’introduction d’alternatives thérapeutiques à la chimiothérapie avec, comme principale démonstration, l’herceptine dans le cancer du sein métastatique. CHIMIOPRÉVENTION (SERMS : SELECTIVE ESTROGEN RECEPTOR MODULATORS FOR THE PREVENTION OF BREAST CANCER) Les premiers résultats d’études de chimioprévention ont été présentés avec le tamoxifène et le raloxifène. Dans l’essai du NSABP, 13 388 femmes présentant un risque élevé de cancer du sein ont été randomisées entre tamoxifène et placebo pendant cinq ans (1). À noter que les résultats de cette étude ont été présentés à la presse et sur Internet avant l’ASCO. Une réduction significative des cancers du sein invasifs et in situ a été observée, conduisant le comité du NSABP à avertir des résultats les femmes participant à cet essai. Les investigateurs ont rapporté une réduction de l’incidence des tumeurs invasives de 45 %, 85 cas dans le groupe tamoxifène contre 154 dans le groupe placebo (p < 0,00001). La différence * Service d’oncologie médicale, Institut Curie, Paris. La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998 entre les deux bras apparaît uniquement pour les tumeurs RH+ alors qu’aucune différence n’est observée entre les tumeurs n’exprimant pas de récepteurs hormonaux (34 dans le groupe tamoxifène contre 28 dans le groupe raloxifène). Le raloxifène a été initialement étudié du fait de ses propriétés estrogène-like sur l’os et le métabolisme lipidique. L’essai MORE (Multiple Outcomes of Raloxifen Evaluation), un essai randomisé multicentrique international (180 centres, 25 pays), a été conduit chez les femmes de plus de 60 ans présentant un risque d’ostéoporose (2). À l’ASCO, les résultats présentés montraient une réduction significative des cancers du sein invasifs et in situ, avec, globalement, une réduction du risque de 58 %. De même que dans l’essai précédent, la différence d’incidence des cancers du sein ne s’appliquait qu’aux tumeurs RH+, tandis que l’incidence des tumeurs RH- était identique dans les deux bras. Les différences observées dans le suivi précoce peuvent être notamment dues au résultat d’un effet thérapeutique précoce sur des tumeurs infracliniques. La décision du NSABP d’arrêter l’essai et d’offrir un traitement par tamoxifène à toutes les femmes randomisées semble compromettre l’objectif de cet essai, qui était d’évaluer le rôle préventif du tamoxifène et son impact sur la survie. L’essai anglais a inclus, de 1986 à 1996, 2 494 femmes âgées de 30 à 70 ans, présentant un antécédent familial de cancer du sein (3). Elles ont été randomisées entre tamoxifène 20 mg et placebo, pris pendant neuf ans. À la suite d’un suivi médian de 70 mois, l’incidence des cancers du sein est identique dans les deux groupes (TAM 34, placebo 36, risque relatif 1,06, IC 95 % 0,7-1,7, p = 0,8). Dans l’essai italien, 5 408 femmes ayant eu une hystérectomie ont été randomisées entre tamoxifène 20 mg et placebo pendant cinq ans (4). Après un suivi médian de 46 mois, il n’existe pas de différence d’incidence du cancer du sein dans les deux bras (22 dans le bras placebo, 19 dans le bras tamoxifène). Les études européennes, IBIS (International Breast Cancer Intervention Study) et étude italienne, pourront donc peut-être apporter des conclusions plus claires concernant la prévention et les effets à long terme du tamoxifène. FACTEURS PRONOSTIQUES ET PRÉDICTIFS Emboles Une grande étude recherchant la valeur pronostique des emboles néoplasiques dans les vaisseaux péritumoraux a porté 217 C A N C E R sur 1 320 patientes opérées d’un cancer du sein sans envahissement ganglionnaire (5). Ces emboles étaient observés dans 19,5 % des cas. L’analyse multivariée a montré la valeur péjorative et indépendante de ce paramètre histologique détectable par une technique de routine. L’expression de l’activité télomérase paraît être un marqueur utile dans les cancers du sein, pouvant prédire un développement invasif (6). C-erbB-2 C-erbB-2 est un facteur pronostique péjoratif sur la survie dans les cancers du sein. Son rôle potentiel dans la prédiction de la réponse au traitement a été largement étudié. Interaction entre l’expression de c-erbB-2 et l’efficacité du tamoxifène (TAM) Dans l’essai adjuvant du GUN de Naples (7), 433 patientes ont été randomisées entre tamoxifène 30 mg/j pendant deux ans et groupe contrôle. Avec un suivi médian de 14 ans, le tamoxifène a démontré un avantage évident en termes de survie sans récidive et de survie globale. Cette présentation évalue l’interaction entre l’expression de c-erbB-2 et l’efficacité du tamoxifène. Il existe une corrélation inverse entre l’expression des récepteurs aux estrogènes et l’expression de c-erbB-2. Le tamoxifène améliore la survie sans récidive et la survie globale chez les patientes dont la tumeur ne surexprime pas c-erbB-2. En outre, il semble exister un effet délétère du tamoxifène dans la population c-erbB-2+. Cependant, ce dernier point ne semble pas être confirmé dans l’étude du SWOG : c-erbB-2 dans les cancers du sein hormonodépendants (RO+) n’est pas associé à une résistance au tamoxifène (8). Interaction entre l’expression de c-erbB-2 et l’efficacité du traitement adjuvant L’expression de c-erbB-2 a été étudiée prospectivement chez 595 patientes (parmi un total de 1 470) participant à l’essai adjuvant de l’Intergroup 0100 qui a démontré que l’association CAF-TAM était supérieure au tamoxifène seul (9). Cette étude semble confirmer que la surexpression de c-erbB-2 peut prédire une chimiosensibilité aux anthracyclines. Cette tendance semble confirmée par les études du NSABP-B11 et du CALGB-8541 (10, 11), dans lesquelles il semble exister un bénéfice du traitement aux anthracyclines dans les tumeurs avec surexpression de c-erbB-2. Si la confirmation de la surexpression de c-erbB-2 comme facteur prédictif de réponse aux anthracyclines paraît de plus en plus probante, il est nécessaire d’obtenir un consensus sur la méthode de détermination de la surexpression et sur le niveau de surexpression exigé. Concernant les différentes études portant sur les facteurs pronostiques ou prédictifs dans le cancer du sein, la principale conclusion est qu’actuellement aucun des facteurs biologiques étudiés (p53, c-erbB-2, p21, WAF-1, etc.) n’a atteint un niveau de validation permettant de modifier l’attitude thérapeutique en fonction de ce seul paramètre. CHIRURGIE L’intérêt pour une chirurgie du creux axillaire limitée à la biopsie du ganglion sentinelle va croissant. Une étude multi218 D U S E I N centrique utilisant un marquage radioactif au technétium a impliqué onze chirurgiens exerçant dans différents centres des États-Unis. Cet essai a porté sur 443 patientes. La spécificité de la méthode était de 100 %. En revanche, le taux de faux négatifs était de 11,4 %, variant selon les chirurgiens et les caractéristiques des patientes. Cette méthode, qui permet d’éviter les séquelles de curages axillaires extensifs chez certaines patientes, doit être validée par d’autres études multicentriques et par des essais randomisés avant d’être présentée comme une procédure standard (12). TRAITEMENT ADJUVANT L’année 1998 est marquée par la publication de deux grandes méta-analyses de l’EBCTCG dans The Lancet. Rôle du tamoxifène L’analyse d’une population de 37 000 patientes, incluses dans 55 essais randomisant un traitement adjuvant par tamoxifène contre rien, a montré un bénéfice en termes de survie sans récidive et de survie globale pour les patientes recevant une hormonothérapie. Ce bénéfice était retrouvé quels que soient le statut ganglionnaire de la patiente, son âge, son statut ménopausique et la chimiothérapie reçue. Seules les patientes ayant des tumeurs n’exprimant pas les récepteurs aux estrogènes (RO-) semblaient ne pas voir leur pronostic significativement modifié. La durée du traitement avait également un impact, la réduction du risque de mortalité augmentant avec la durée du traitement jusqu’à cinq ans. Enfin, une réduction du risque de cancer controlatéral était également observée (13). Rôle de la chimiothérapie L’impact d’une polychimiothérapie adjuvante comparée à l’absence de chimiothérapie a été étudié chez plus de 18 000 patientes. Une réduction du risque de récidive et de mortalité a été observée chez les patientes de moins de 50 ans, mais également chez les patientes de 50 à 70 ans. Si la réduction de la mortalité est de 27 % chez les patientes de moins de 50 ans, elle n’est que de 11 % chez les patientes de plus de 50 ans. L’amélioration de la survie à 10 ans en chiffres absolus est estimée à 7-11 % chez les patientes de moins de 50 ans et à 2-3 % chez les patientes de plus de 50 ans. La réduction du risque semble indépendante du statut ganglionnaire, du statut ménopausique, de l’expression de récepteurs hormonaux par la tumeur et d’un traitement par tamoxifène. L’étude des essais comparant une chimiothérapie prolongée à une chimiothérapie courte ne semble pas montrer d’avantages à poursuivre la chimiothérapie au-delà de six mois (14). Rôle des anthracyclines Plusieurs études ont montré la supériorité d’un régime de chimiothérapie contenant des anthracyclines comparé à un traitement de type CMF (cyclophosphamide, méthotrexate et 5 fluoro-uracile). Tout d’abord, l’essai canadien du NCIC-CTG chez des patientes ayant une atteinte ganglionnaire, comparant une association épirubicine-cyclophosphamide-5-FU (CEF) versus CMF, montre un gain de 7 % de survie à cinq ans (70 versus La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998 77 %) (15). Un autre essai chez 4 406 patientes avec un cancer du sein sans atteinte ganglionnaire (16) a montré que le CAF est supérieur au CMF au prix d’une plus grande toxicité. Cependant, cet essai, grâce à un important effectif, a permis de détecter une très petite différence : 91 % contre 92 % de survie à cinq ans (p = 0,03). Enfin, la méta-analyse de l’EBCTCG, portant sur 6 000 patientes incluses dans 11 essais comparant le CMF à une association comportant des anthracyclines, a montré une réduction de la mortalité de 3 % à cinq ans en faveur des anthracyclines (14). Taxanes L’essai de l’Intergroup 0102 conduit par le CALGB a montré que l’addition de paclitaxel toutes les trois semaines pendant quatre cures à une combinaison de type AC (adriamycinecyclophosphamide) pendant quatre cycles était supérieure à un régime de type AC seul. La différence en survie globale dans cet essai comprenant 3 170 patientes, avec un suivi médian de 22 mois, était significative, avec p = 0,039 (17). Cependant, cette différence observée précocement était exclusivement présente chez les patientes ayant des tumeurs dont les récepteurs hormonaux sont négatifs et n’ayant donc pas reçu de tamoxifène après la chimiothérapie. En outre, on peut objecter que, dans cet essai, la différence précoce de survie peut être liée à la différence de durée du traitement chez des patientes ayant des tumeurs agressives (RO-) qui auraient pu bénéficier d’un traitement plus prolongé. Intensification La comparaison FEC 50 versus FEC 100 chez les patientes avec un envahissement ganglionnaire a montré un bénéfice de l’augmentation de dose d’épirubicine en termes de survie globale à cinq ans (18). Deux études randomisées portant sur de faibles effectifs n’ont pu montrer de réduction de la mortalité chez les patientes de mauvais pronostic par une chimiothérapie à haute dose suivie de la réinjection de cellules souches hématopoïétiques périphériques (19, 20). Si un bénéfice existe, il paraît modeste. Les résultats des grands essais coopératifs américains devraient être connus dans les mois qui viennent ; ils permettront peutêtre de trancher quant à l’intérêt des intensifications thérapeutiques chez les patientes avec un envahissement ganglionnaire axillaire massif. Enfin, la bonne survie globale des patientes de ces essais montre bien les biais de sélection des études portant sur les intensifications, qui incluent des patientes dont le pronostic est relativement bon avec une chimiothérapie standard, et doivent rendre prudent lors des comparaisons historiques par rapport aux patientes non intensifiées. Diphosphonates Une réduction de l’incidence des métastases osseuses a été obtenue avec du clodronate adjuvant. Cette étude multicentrique en double aveugle randomisée a inclus 1 079 patientes de 1989 à 1995, traitées pour un cancer du sein opérable en pré- et postménopause. Elles recevaient 1 600 mg de clodronate per os tous les jours pendant deux ans ou un placebo (21). La réduction de la fréquence des métastases osseuses était obserLa Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998 vée chez les patientes postménopausiques. Aucune différence en termes de survie n’est observée entre les deux bras. Il n’existe en outre aucune différence dans l’incidence des autres métastases. Le traitement est relativement bien toléré. En revanche, en randomisant uniquement les patientes présentant des micrométastases médullaires détectées par les techniques d’immunohistochimie, Diel a montré, chez les patientes recevant du clodronate en adjuvant, non seulement une réduction des métastases osseuses, mais aussi des métastases viscérales ainsi qu’une réduction de la mortalité globale avec un recul de seulement trois ans (22). Impact de l’aménorrhée L’analyse rétrospective de l’essai n° 4 de l’IBCSG, qui comparait différentes durées de traitement adjuvant par CMF, a montré une valeur pronostique favorable de l’aménorrhée induite par la chimiothérapie, particulièrement chez les patientes RH+ (23). Cet effet bénéfique était retrouvé même en cas d’aménorrhée transitoire, posant de nouveau la question de l’action de la chimiothérapie adjuvante par le biais d’un effet antihormonal. Bénéfice espéré par les patientes d’un traitement adjuvant Une étude portant sur l’information donnée et le bénéfice attendu d’une chimiothérapie adjuvante a été réalisée chez 318 patientes traitées aux États-Unis. Moins de 15 % des patientes se souvenaient avoir reçu une information quantitative quant aux bénéfices à attendre de la chimiothérapie adjuvante en termes de survie. La majorité des patientes surestimait beaucoup la réduction du risque de récidive, l’évaluant à plus de 79 % pour la moitié d’entre elles. En revanche, une majorité de patientes acceptait l’idée d’une chimiothérapie adjuvante, même pour une réduction minime du risque, évaluée pour la moyenne d’entre elles à une augmentation de la durée de vie de trois à six mois et une réduction du risque de 0,5 à 1 % (24). CHIMIOTHÉRAPIE NÉOADJUVANTE Les résultats, en termes de survie, de l’essai B18 du NSABP comparant une chimiothérapie néoadjuvante par 4 AC à une chimiothérapie adjuvante du même type chez 1 523 patientes opérables d’emblée ont été publiés. On n’observe aucune différence entre les groupes en termes de survie sans maladie, de survie globale à cinq ans et de récidive locorégionale. Dans le bras néoadjuvant, on note une réduction du nombre de mastectomies et une diminution du nombre de patientes avec des ganglions axillaires envahis. On évalue en outre à 80 % le taux de réponses objectives, dont 36 % de réponses complètes cliniques (RCc). À l’analyse histologique, les RCc se répartissent en 9 % de réponses histologiques complètes, 4 % de réponses avec persistance seulement d’un reliquat in situ, 23 % avec un reliquat tumoral invasif. Les RCc ont une survie sans maladie significativement supérieure aux autres (réponses partielles, stabilité et progression). Les 9 % de patientes avec une réponse histologique complète ont une survie sans maladie nettement supérieure aux autres patientes. La réponse histologique est un facteur pronostique indépendant après ajustement en fonction 219 C A N C E R de la taille tumorale, de l’âge, du grade histologique, des récepteurs hormonaux. La réponse histologique à la chimiothérapie néoadjuvante est un élément d’évaluation de l’efficacité de la chimiothérapie et de son impact sur la survie (25). La valeur pronostique majeure de l’envahissement ganglionnaire après chimiothérapie néoadjuvante a été montrée dans une série rétrospective de l’Institut Curie chez 507 patientes (26). La médiane de survie sans récidive des patientes ayant 8 ganglions, ou plus, envahis après chimiothérapie première était de 20 mois. La question d’une chimiothérapie de rattrapage pour les patientes répondant mal au traitement néoadjuvant est actuellement posée. L’impact d’une chimiothérapie adjuvante comportant des taxanes après une chimiothérapie néoadjuvante est ainsi évalué dans l’essai B27 du NSABP. TRAITEMENT DU CANCER DU SEIN MÉTASTATIQUE Les résultats des études cliniques utilisant une nouvelle modalité thérapeutique ciblant une protéine spécifique intervenant dans la progression tumorale ont été présentés cette année. La découverte de l’amplification du gène c-erbB-2, un membre de la famille de l’EGF, et de sa surexpression a conduit au développement d’un anticorps monoclonal humanisé recombinant, ciblé contre le domaine extracellulaire du récepteur (herceptine). L’utilisation de cet anticorps monoclonal chez 222 patientes présentant un cancer du sein métastatique surexprimant c-erbB-2, lourdement prétraité, a montré un taux de réponses objectives de 14 % (IC 95 % -10 % -19 %) avec 6 réponses complètes et 25 réponses partielles. La durée médiane de réponse était de 8,4 mois. Les effets indésirables de l’anticorps sont représentés par des frissons, une fièvre dans une grande proportion de cas, indiquant une réaction systémique à la drogue, probablement liée à une libération de cytokines. En outre, une réduction de la fraction d’éjection a été observée chez dix patientes ; neuf patientes avaient reçu des anthracyclines auparavant et six ont présenté une cardiomyopathie symptomatique (27). L’autre essai extrêmement important est le résultat d’une étude randomisée comparant le traitement par herceptine associée à une chimiothérapie par adriamycine-cyclophosphamide ou paclitaxel (P) chez 4 669 patientes présentant un cancer du sein métastatique surexprimant c-erbB-2, traitées en première ligne métastatique (28). Le paclitaxel a été administré chez les patientes ayant reçu un traitement adjuvant à base d’anthracyclines. Les études précliniques in vitro ont démontré une activité synergique et/ou additive des associations rhuMab HER-2 et des drogues cytotoxiques. La cardiotoxicité est apparue fréquente dans cet essai, particulièrement dans le groupe recevant le protocole AC et l’herceptine (18 % de grades 3 et 4). Les résultats de cet essai de phase III démontrent que l’herceptine‚ en association avec la chimiothérapie, procure un bénéfice clinique certain dans les cancers du sein métastatiques surexprimant c-erbB-2. Ces résultats suggèrent une utilisation de cette association en situation adjuvante, peut-être initialement pour les patientes à très haut risque de rechute, dont les tumeurs surexpriment c-erbB-2. Une étape importante consiste à définir la population cible pouvant bénéficier d’un tel traitement, et notamment le 220 D U S E I N degré de surexpression de c-erbB-2 nécessaire pour obtenir une réponse. Une compréhension des mécanismes de la cardiotoxicité et de son importance clinique est indispensable avant de poursuivre les investigations en situation adjuvante. Taxoïdes Paclitaxel (Taxol®) L’étude de phase III du CALGB 9342 dans les cancers du sein métastatiques en première ou deuxième ligne thérapeutique ne démontre pas d’effet-dose avec le paclitaxel lorsqu’il est utilisé en perfusion de trois heures (29). En ce qui concerne la durée de perfusion du paclitaxel dans les cancers du sein avancés, un essai randomisé compare la perfusion de trois heures à celle de 24 heures à la dose de 250 mg/m2 (30). La perfusion de 24 heures entraîne une augmentation de la toxicité hématologique et muqueuse, mais une diminution de la toxicité neurologique. Le schéma 24 heures est associé à un taux de réponses objectives plus élevé (51 % versus 40 %, p = 0,01), mais il n’existe pas de différence de temps jusqu’à progression et de survie globale entre les deux groupes. De même, dans l’essai randomisé de phase III comparant paclitaxel 250 mg/m 2 trois heures versus paclitaxel 140 mg/m2 perfusion continue de 96 heures (31), il n’existe pas de différence en termes de réponses objectives (23 % versus 27 %), de durée de réponse et de survie. L’analyse finale de l’essai de l’EORTC comparant paclitaxel 200 mg/m2 et doxorubicine 75 mg/m2 en première ligne métastatique conclut à une supériorité de la doxorubicine en termes de réponses objectives (41 % versus 25 %, p = 0,003) et de survie sans progression (p = 0,0001). Il n’existe pas de résistance clinique croisée complète entre les deux agents, mais la doxorubicine est supérieure à l’analyse du “cross-over” (30 % contre 16 %) (32). Docétaxel (Taxotère®) Un grand essai de phase III multicentrique comparant docétaxel et mitomycine-vinblastine (MV) après échec des anthracyclines démontre que le docétaxel est supérieur à l’association mitomycine-vinblastine dans le cancer du sein métastatique après échec aux anthracyclines (33). Le bénéfice se traduit en termes de survie globale (11,4 versus 8,7 mois, p = 0,097), de temps jusqu’à progression (19 versus 11 semaines, p = 0,001) et de réponses objectives (30 % versus 12 %, p < 0,0001). Le profil de toxicité est acceptable dans les deux bras. Le rapport risque/bénéfice est en faveur du docétaxel. Un essai scandinave de phase III compare l’association méthotrexate (200 mg/m2)-fluoro-uracile (600 mg/m2) à Taxotère® dans les cancers du sein métastatiques résistant aux anthracyclines (34). Taxotère® est supérieur à l’association MF en termes de réponses objectives (42 % versus 19 %, p < 0,001), de temps jusqu’à progression (6 mois versus 3 mois, p = 0,006), confirmant l’activité de Taxotère® dans les cancers du sein résistant aux anthracyclines. L’administration hebdomadaire dans les cancers du sein métastatiques paraît efficace, avec un taux de réponse de 50 % (dont 15 % de réponses complètes) et une hématotoxicité moindre par rapport à l’administration toutes les trois semaines (35). La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998 Nouveaux agents cytotoxiques Le MTA (Multi-Targeted Anti-folates, LY 231514) a été évalué dans les cancers du sein en rechute locale ou métastatiques. Chez 35 patientes, le taux de réponse est de 31 % (IC 95 % 1646 %), la durée de réponse est à 8 + mois. La capécitabine (Xeloda®) a été évaluée dans les cancers du sein réfractaires au paclitaxel (36). Le taux de réponses objectives est de 20 %, 40 % des patientes présentant une maladie stable. Les réponses ont été observées au niveau de tous les sites métastatiques, notamment hépatiques. La durée médiane de réponse est de 12,8 mois, la survie à un an de 52 %. Les principaux effets indésirables sont représentés par la diarrhée et le syndrome pieds-mains, effets tolérables après adaptation des doses. Il n’existe pas d’alopécie, et la toxicité hématologique est minime. La capécitabine représente un apport dans l’arsenal thérapeutique, non seulement du fait de son activité, mais également du fait de son profil de tolérance favorable et de son administration orale, éléments tout à fait intéressants en situation palliative. Hormonothérapie Il faut souligner la publication des essais randomisés comparant les nouveaux inhibiteurs de l’aromatase aux progestatifs en deuxième ligne dans les cancers du sein métastatiques, ceux-ci remplaçant les progestatifs dans cette indication (37). CONCLUSION La recherche clinique dans les cancers du sein évolue dans trois grandes directions : – Une analyse critique des essais randomisés en situation adjuvante des trente dernières années, avec la publication des méta-analyses, en sachant que le but de la méta-analyse n’est pas de recommander un traitement, mais de fournir au clinicien un outil d’analyse permettant d’évaluer la pertinence d’une réflexion et d’une nouvelle approche pour un sous-groupe de patientes donné. – Une amélioration de la communication, du dépistage et du traitement des cancers du sein. – Pour la première fois, une application directe de la connaissance de la biologie moléculaire dans le traitement des cancers du sein. En conclusion, on peut dire que, au cours de cette année 1998, “un second souffle” s’est révélé dans les cancers du sein, avec une première étape dans la recherche d’une spécificité dans le traitement antitumoral. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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Les anticorps anti-Her2 neu ont permis d’augmenter le taux de réponse des patientes dont la tumeur surexprime c-erbB-2. Il convient de noter qu’il s’agit d’un petit pourcentage de patientes et que cette molécule majore la cardiotoxicité du protocole AC. Est-ce donc déjà le moment, au vu du résultat de ce seul essai, de franchir le pas de l’adjuvant ? En cancérologie, le recul est nécessaire pour apprécier le bénéfice apporté aux patientes par certaines thérapeutiques. Ce n’est pas en raison du pronostic de cette affection que nous devons nous précipiter dans la prescription de traitements au seul prétexte qu’ils existent et qu’ils nous sont proposés par l’industrie pharmaceutique. La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998