Douleur postopératoire Limites de l’évaluation des traitements Plaidoyer pour de nouvelles orientations L Francis Bonnet Chef du département d’anesthésie-réanimation, hôpital Tenon, AP-HP, Paris e traitement de la douleur postopératoire repose sur de multiples agents et techniques mis en œuvre de plus en plus souvent simultanément. L’action analgésique de chacun de ces agents n’est pas remise en cause, mais elle a souvent été établie dans des conditions qui s’éloignent de l’usage quotidien qui en est fait en pratique clinique. En effet, les conditions de réalisation des essais cliniques sont par essence différentes de la pratique, même si elles ont pour objectif de s’en approcher le plus possible. Ainsi, le modèle de douleur après extraction dentaire est sur-représenté dans les études cliniques, car il constitue un prérequis incontournable pour les études de développement des molécules antalgiques. Les essais cliniques réalisés en postopératoire sont par ailleurs souvent fondés sur l’évaluation de deux paramètres principaux : la consommation de morphine intraveineuse autoadministrée et les scores d’intensité douloureuse au repos et à la mobilisation. Le résultat le plus attendu est une réduction significative de la consommation de morphine, partant du principe que le contrôle de la douleur est assuré complètement par la morphine autoadministrée. En fait, plusieurs situations peuvent se rencontrer : – les scores de douleur sont susceptibles d’être améliorés dans le groupe “traité” et la consommation de morphine peut être moindre. Ce résultat, qui semble idéal, peut cependant laisser supposer que l’administration de morphine n’a pas été optimale dans le groupe témoin ; – la réduction de la consommation de morphine s’associe à une différence non significative ou faible de l’intensité douloureuse. Ce dernier paramètre ne peut donc être pris comme baromètre de l’efficacité ou de la puissance d’action de l’agent analgésique considéré ; – la différence observée (notamment dans la consommation de morphine) n’est pas significative et, dans ce cas, aucune conclusion ne peut être retenue, la plupart du temps du fait du défaut de puissance des études. Pour pallier ce dernier inconvénient ou la coexistence de résultats contradictoires, il est désormais habituel de regrouper les résultats de l’ensemble des études sous forme de méta-analyses. Rappelons qu’une telle analyse statistique nécessite beaucoup de rigueur méthodologique. Il est important, pour éviter des biais et des erreurs, que la qualité de chaque étude introduite dans une métaanalyse soit irréprochable. En particulier, en matière d’évaluation des traitements antalgiques, il est nécessaire non seulement que les études soient faites de façon prospective et randomisée mais aussi que le double aveugle soit parfaitement respecté. Malgré tout, l’inclusion de multiples “petites” études est un facteur qui contribue à la surestimation des traitements. En outre, de nombreuses Le Courrier de l’algologie (2), no 2, avril/mai/juin 2003 43 études dont les résultats ne sont pas significatifs ne sont pas publiées, ce qui contribue à favoriser l’observation d’une efficacité thérapeutique en regroupant les études publiées. À l’inverse, pour les raisons évoquées plus haut, en ce qui concerne une variable comme le score EVA d’intensité douloureuse, la différence entre l’ensemble des patients traités et les patients témoins n’est pas toujours importante (du fait de l’administration des analgésiques “de sauvetage”, éthiquement justifiée) ; dès lors, la puissance du traitement antalgique est difficile à établir. Pour contourner ce problème, on peut exprimer les résultats d’un traitement antalgique en nombre de patients à traiter (NNT) : il s’agit du nombre de patients qu’il est nécessaire de traiter par le produit actif (antalgique) avant d’observer un patient de plus bénéficiant du traitement par rapport aux patients témoins. En d’autres termes, si un patient sur deux est soulagé en postopératoire par le paracétamol (score EVA < 30) quand un patient sur trois est soulagé par le placebo, le NNT du paracétamol est de 4. Le NNT permettrait ainsi de comparer l’efficacité de différents analgésiques, celui qui a le NNT le plus faible étant le plus efficace. Cependant, l’efficacité analgésique de l’agent testé dépend de l’intensité des douleurs observées, autrement dit, du type de chirurgie. Pour pouvoir comparer deux analgésiques étudiés dans la littérature, il faut donc les évaluer dans des situations comparables, c’est-à-dire en pratique pour un même type de chirurgie. Cela rejoint les préoccupations du clinicien, qui ne sont pas tant de savoir si tel produit peut être considéré comme un analgésique que de connaître son efficacité dans les suites postopératoires de tel ou tel type de chirurgie. L’analyse de la littérature descriptive ou quantitative (méta-analyse) s’effectue donc de plus en plus à partir du type d’intervention, puisque l’objectif est de savoir quelles sont les stratégies analgésiques adaptées à chaque type de chirurgie. Pour chaque procédure chirurgicale, parmi les plus courantes, devrait se constituer une base de données permettant d’orienter cette stratégie. Ainsi, à titre d’exemple, on peut démontrer que les AINS, comme les instillations d’anesthésiques locaux, ont une efficacité analgésique après cholécystectomie laparoscopique, et en développer l’usage en conséquence. La prise en compte des effets secondaires des analgésiques devient également une préoccupation essentielle, notamment lorsque l’on envisage une approche combinée. Démontrer que tel agent analgésique réduit la consommation de morphine permet, certes, d’affirmer son efficacité, comme discuté précédemment, mais, sur un plan clinique, cela n’a de sens que si une réduction concomitante des effets secondaires de la morphine en résulte. La démonstration de l’intérêt du concept d’analgésie balancée suppose donc la mise en évidence d’une amélioration de l’efficacité analgésique, mais aussi d’une réduction des effets secondaires. Cette démonstration est, par exemple, établie pour les AINS en ce qui concerne l’incidence des nausées et des vomissements. Pour résumer, le clinicien attend maintenant des informations d’une approche thérapeutique spécifique à chaque type d’intervention chirurgicale et prenant en compte non seulement l’efficacité analgésique mais aussi ■ les effets secondaires des traitements. À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés La Lettre du cancérologue vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement. Bonnes lectures ensoleillées et rendez-vous dès la rentrée Le prochain numéro paraîtra en septembre 44 Le Courrier de l’algologie (2), no 2, avril/mai/juin 2003