RétroSPECTIVE PerSPECTIVE 2 0 0 1 2 0 0 2 Progrès en cancérologie G. Tordjman* A u terme de ces deux premières années du troisième millénaire, les “résultats révolutionnaires” concernant la cancérologie digestive peuvent, sans doute au cours d’une analyse trop superficielle, apparaître bien rares. Cependant, dans l’énorme richesse des publications de cette discipline active (20 137 références dans PUBMED), de très nombreuses, souvent fruits d’études débutées dans les années 1990, rapportent des progrès majeurs, tant dans les connaissances épidémiologiques ou des mécanismes fondamentaux que dans les stratégies préventives, diagnostiques ou thérapeutiques. Du point de vue épidémiologique Le scoop attendu (mais scoop tout de même) est l’étude prospective d’Uemura et al. établissant de façon indiscutable l’association infection par Helicobacter pylori (Hp) et développement du cancer gastrique, probablement par le biais d’une gastrite atrophique. Parmi les 3 % de cancers gastriques survenus chez 1 526 patients suivis endoscopiquement à long terme pour des pathologies gastroduodénales variables, tous étaient porteurs de Hp * Créteil. recherché selon trois méthodes différentes. Aucun cancer n’était rapporté chez les patients Hp négatif ou chez lesquels Hp a été éradiqué. Ces résultats poussent à la recherche de Hp chez les patients porteurs d’une dyspepsie nonulcéreuse correspondant au groupe le plus à risque dans cette population japonaise à haute incidence de cancer gastrique (26). Ces résultats, pour autant qu’ils soient transposables dans nos populations, poussent à revoir la conférence de consensus en incitant à la recherche et à l’éradication systématique de Hp dans la dyspepsie pseudo-ulcéreuse. Les registres nationaux suédois ont été utilisés dans le cadre de trois études rétrospectives successives. Elles ont porté respectivement sur 278 400, 268 312 et 268 332 patients cholécystectomisés pour lithiase entre 1965 et 1997, montrent que la cholécystectomie est un facteur de risque modéré d’apparition d’adénocarcinome de l’œsophage, du grêle et du côlon droit, par rapport à des groupes contrôles de patients non cholécystectomisés appariés en termes de sexe, âge, poids, prise de tabac, pathologie ulcéreuse ou inflammatoire intestinale associée… Il n’est pas retrouvé d’accroissement du risque pour les tumeurs du pancréas ou celles du côlon gauche. Ces résultats insistent sur l’intérêt de ces registres, même si leurs conséquences pratiques sont probablement faibles (12, 5, 27). Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 Du point de vue des connaissances fondamentales La possibilité d’étudier simultanément l’expression de milliers de gènes grâce aux puces à ADN (16) ou d’analyser des milliers de protéines cellulaires grâce aux progrès de la spectrométrie et des procédures de chromatographie (18) permet d’espérer pouvoir étudier l’intégralité de l’ADN (génome), des ARN (transcriptome) ou des protéines (protéinome) produites par une cellule donnée, normale ou pathologique. Ainsi sont nées la génomique et la protéomique qui révolutionnent la voie de la compréhension des mécanismes moléculaires intimes des tumeurs dont les applications cliniques sont potentiellement nombreuses : diagnostic précoce et précis, pronostic évolutif, susceptibilité thérapeutique… Plusieurs publications rapportent l’impact de ces techniques en cancérologie digestive. Bien que l’étude génomique de Rooney et al., qui utilise les techniques d’hybridation génomique comparative, ne porte que sur 29 cancers coliques sporadiques stade III, elle montre des aberrations chromosomiques multiples au niveau des cellules tumorales, soit à type de pertes de fragments chromosomiques (dans 41 % des cas), soit à type de gains (76 %), sans pouvoir 30 RétroSPECTIVE PerSPECTIVE cependant en tirer un impact pronostique, même si la coexistence de plus de deux aberrations paraît défavorable (20). La survenue de cancer colique est liée à des mutations secondaires, soit à une instabilité chromosomique, soit à une instabilité des microsatellites sans que l’on sache si le mode de mutation a une conséquence clinique sur la présentation ou l’évolutivité des tumeurs qu’elle détermine. En étudiant 607 cancers du côlon chez des patients de moins de 50 ans, Gryfe et al. ont montré que l’existence d’une instabilité des microsatellites (retrouvée dans 17 %) était un facteur prédictif d’évolution plus favorable et avec une plus faible extension métastatique (6). Dans une étude portant sur 10 tumeurs coliques, le profil protéique de la matrice cellulaire des cellules cancéreuses se révélait différent de celui des cellules des tissus péritumoraux ou coliques normales, confirmant, d’une part, les différences d’expression du génome tumoral et, d’autre part, l’intérêt éventuel de la connaissance de ces profils protéiques dans le diagnostic précoce et le dépistage (1). La cyclooxygénase de type 2 (COX-2), surexprimée en cas d’adénome et d’adénocarcinome colique, carcinome gastrique et œsophagien, semble avoir un rôle certain dans la carcinogenèse même si ses mécanismes sont encore mal connus : activation de la prolifération cellulaire favorisant la dysplasie, inhibition de l’apoptose, augmentation des propriétés invasives des cellules tumorales, accroissement de la néoangiogenèse… L’action des anti-COX-2 dans une indication préventive reste bien sûr à prouver même si leur rôle semble intéressant mais incomplet dans la prévention des adénomes coliques en cas de polypose familiale adénomateuse (23) et l’utilisation de Rofecoxib® 25 mg par jour semble diminuer l’apparition de la dysplasie sur œsophage de Barrett (11). Du point de vue préventif et diagnostique Sans insister sur l’endoscopie faisant l’objet d’un chapitre particulier, il paraît illusoire de parler de cancérologie digestive sans rappeler le rôle fondamental de cette technique dans la prévention, le diagnostic et le traitement des cancers digestifs. Ce rôle, prouvé par le passé, a, quoi qu’on en dise, un très bel avenir. De nombreux travaux mettent en évidence l’intérêt croissant de la chromoendoscopie, de la magnification, de la spectroscopie et de la tomographie de cohérence optique couplée à l’endoscopie dans le diagnostic précoce des lésions néoplasiques tant œsophagiennes ou gastriques que coliques, notamment en matière de lésions planes. La coloscopie de dépistage chez les patients aux antécédents personnels ou familiaux de polypes adénomateux ou de néoplasie colique est chose admise (conférence de consensus). Le dépistage de la population générale est plus discuté, mais Lieberman et al. incitent, dans deux études de grande puissance, à proposer la coloscopie systématique dans cette indication, en montrant notamment que l’association d’un Hémoccult® et d’une rectosigmoïdoscopie laissent échapper une lésion néoplasique avancée du côlon droit dans 24 % des cas… (14, 15). La conclusion de l’éditorial du New England accompagnant la seconde publication est édifiante lorsqu’au terme d’une revue des cinq principales raisons qui n’ont pas fait retenir la coloscopie dans les “guidelines” du dépistage colique (absence de niveau de preuve suffisant, risque de non adhésion des patients à un examen désagréable, sévérité des effets secondaires éventuels de la technique, coût élevé, inadéquation entre les besoins et les moyens en homme et en matériel), elle propose une coloscopie systématique à tout sujet de 50 ans, asymptomatique et Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 2 0 0 1 2 0 0 2 sans antécédent, avec un contrôle à 10 ou 15 ans en cas d’examen négatif... (3). Cette attitude n’étant pas retenue par tous, l’intérêt du dépistage du cancer côlon par Hémoccult II® est démontré pour la troisième fois par une étude danoise effectuée entre 1985 et 2002 sur 30 967 sujets âgés de 45 à 75 ans. La réalisation d’un test systématique tous les deux ans avec coloscopie en cas de positivité permet de diminuer le taux de mortalité par cancer du côlon par rapport à un groupe contrôle. Le risque relatif est à 0,82 et diminue à 0,70 avec un suivi de 7 ans, mais rejoint celui des témoins en cas d’arrêt prématuré du suivi (9). Combien d’études seront-elles nécessaires avant d’institutionaliser ce type de test de dépistage, peu coûteux et certainement plus simple que les méthodes de détection par biologie moléculaire de mutation de gènes dans les selles (analyse de p53 et de K-ras) (4) ? La TEP (tomographie par émission de positrons) confirme dans deux études son rôle fondamental dans le diagnostic de récidive de cancer colique chez des patients ayant eu un premier traitement chirurgical curateur et présentant une élévation isolée de l’antigène carcino-embryonnaire (ACE). Cet examen est proposé au terme d’un bilan morphologique complet (coloscopie, TDM abdomino-pelvien, scintigraphie osseuse, IRM) négatif. Libutti et al. retrouvent chez 26 patients, une récidive dans 94 % des cas et précise sa localisation dans 81 % des cas (13). Taïeb et al. diagnostiquent une récidive dans 79 % des cas permettant une prise en charge chirurgicale chez 18 patients dont 16 résections complètes (24). Ces études n’évaluent pas le bénéfice d’un diagnostic plus précoce en termes de survie, mais permettent d’affirmer son intérêt dans la stratégie thérapeutique : laparotomie à visée d’exérèse complète si une lésion résécable a été repérée ou s’il y a discussion d’un traitement systémique si aucune 31 RétroSPECTIVE PerSPECTIVE lésion n’a été retrouvée ou s’il y a irrésécabilité. Le suivi régulier de l’ACE après premier traitement curateur reste donc de mise en regrettant la faiblesse actuelle du parc des PETscan en France. Du point de vue thérapeutique L’élaboration de stratégies thérapeutiques précises fait l’objet du plus grand nombre des publications rapportées. La place de la chimiothérapie en cancérologie digestive se voit encore renforcée tant en adjuvant à la chirurgie qu’en palliatif. Dans l’adénocarcinome gastrique ou du cardia, l’intérêt d’un traitement adjuvant à la chirurgie est discuté. En montrant une augmentation de la survie de 9 % à trois ans chez les patients ayant une radiothérapie (45 Gy sur 5 semaines) couplée à 2 cures de chimiothérapie de type FUFol (première et cinquième semaine) après une résection macroscopiquement complète de la tumeur, Mac Donald et al. ont institué pour certaines équipes un standard thérapeutique. La prudence reste cependant de mise en raison d’une chirurgie incomplète (R0) dans 54 % des cas et d’un groupe chimiothérapie seule non optimale (17). Rapportée par Neoptolemos dans le Lancet, l’étude multicentrique de l’European Study Group for Pancreatic Cancer (ESPAC-1) montre l’effet bénéfique d’une chimiothérapie adjuvante à une résection pancréatique curative dans le traitement de l’adénocarcinome ductal du pancréas (médiane de survie à 2 ans de 19,7 mois chez les 238 patients recevant une chimiothérapie adjuvante versus 14 mois chez les 235 patients non traités). Par ailleurs, cette étude met en évidence un effet délétère de la radiochimiothérapie (médiane de survie de 15,5 mois chez les 175 patients recevant une radiochimiothérapie adjuvante versus 16,1 mois chez les 178 patients non traités). Même si l’on peut regretter que cet essai, pragmatique, n’ait pas prévu un bras contrôle de chirurgie seule, ou que le protocole de chimiothérapie utilisé (5-FU + acide folinique) soit non optimal et sans gemcitabine, dans l’attente des résultats de l’essai ESPAC-2, l’opportunité d’une chimiothérapie adjuvante sans radiothérapie doit être systématiquement discutée (19). Par ailleurs, la gemcitabine est devenue le nouveau standard thérapeutique des cancers avancés du pancréas. Comparée au 5-FU ou à des inhibiteurs des métalloprotéinases, la supériorité de la gemcitabine apparaît en termes de survie, de temps de réponse sans progression, de tolérance et surtout du bénéfice clinique (maintien de l’index de Karnofsky ou diminution des besoins en antalgiques morphiniques). Dans cinq essais contrôlés, l’association gemcitabine/cisplatine augmente la survie en permettant une stabilisation de la croissance tumorale. Cela n’est pas retrouvé avec l’association gemcitabine/5-FU et non encore prouvé sur des premiers résultats prometteurs pour des combinaisons gemcitabine avec oxaliplatine, irinotécan, docétaxel, capécitabine ou, plus récemment, inhibiteurs des métalloprotéinases, inhibiteurs du ras farnesyltransférase ou des anticorps monoclonaux anti epidermal growth factor (7). La colectomie totale reste le traitement préventif de l’adénocarcinome colique en cas de polypose familiale adénomateuse devant l’inefficacité du Sulindac® dans la prévention du développement de polypes chez les sujets porteurs d’une PAF. Ces résultats à 4 ans démentent ceux publiés après 6 mois de suivi, en suggérant ainsi l’apparition d’une résistance. Ces résultats ne remettent cependant pas en cause l’action éventuelle des AINS ou des anti-COX-2 dans l’apparition ou la prévention des récidives des polypes sporadiques. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 2 0 0 1 2 0 0 2 La place de la chimiothérapie adjuvante à la chirurgie est confirmée dans les adénocarcinomes coliques stade III mais ne semble pas devoir être proposée dans les stade II comme le montre l’étude rétrospective d’une cohorte de 3 725 patients dont 31 % avaient reçu une chimiothérapie adjuvante à une chirurgie considérée comme curative d’un adénocarcinome colique stade II: pas de modification significative de la survie à 5 ans entre les groupes traités ou non (22). Un des problèmes de cette chimiothérapie adjuvante était la limite d’âge alors même que ces tumeurs sont diagnostiquées préférentiellement après 65 ou 70 ans… La méta-analyse de Sargent et al. regroupant 3 351 patients met en évidence une efficacité comparable des chimiothérapies adjuvantes classiques (5-FU/ levamisole ou 5-FU/acide folinique), sans accroissement significatif (hormis la leucopénie) avant ou après 70 ans (21). L’âge ne semble plus une limite, mais cela reste à réévaluer car seuls 15 % des patients de cette étude étaient âgés de plus de 75 ans… Pour les cancers coliques métastasés, la capécitabine, prodrogue orale du 5-FU, semble aussi efficace en termes de survie globale ou sans progression (13 mois), que l’association 5-FU/ acide folinique avec moins de mucite, d’alopécie ou de neutropénie mains avec plus de syndrome main-pied (8). Le standard actuel de la chimiothérapie des cancers coliques métastasés reste une trithérapie par 5-FU + acide folinique + oxaliplatine (FolFOX) ou irinotécan (FolFIRI). La meilleure séquence thérapeutique FolFOX /FolFIRI ou inversement reste discutée (25). Kapiteijn et le Dutch Colorectal Cancer Group ont validé, sur 1 861 adénocarcinomes rectaux non métastasés, l’intérêt de : – l’exérèse du mésorectum précédemment rapportée par l’équipe danoise de Martling et al. – la radiothérapie préopératoire (25 Gy en 5 semaines), en termes de 32 RétroSPECTIVE PerSPECTIVE récidive locale, quels que soient le stade et le siège de la tumeur, même si les résultats sont statistiquement plus nets pour les lésions du moyen et du bas rectum, de stade II ou III (10). Une revue de cancérologie digestive serait incomplète sans aborder le sujet des tumeurs stromales gastro-intestinales métastatiques ou non résécables considérées comme incurables jusqu’à l’avènement récent de l’inhibiteur de la tyrosine-kinase (KIT) : l’imatinib-mésylate (Glivec®). Demetri et al. ont montré sur 147 patients porteurs d’une tumeur stromale digestive, une réponse partielle dans 53,7 % des cas, une stabilité lésionnelle dans 27,9 % des cas et une réponse soutenue de plus de 24 semaines dans 86,4 %. La tolérance de ce traitement, à la posologie de 400 à 600 mg par jour, semble excellente, hormis 5 % de complications hémorragiques loco-régionales (2). L’exercice de la revue rétrospective expose au dangereux biais de la partialité de son auteur. Cet article n’y a certainement pas échappé en permettant toutefois de se rendre compte de l’énorme richesse des avancées récentes qu’a connue la cancérologie digestive alors que ce siècle n’a “que” 2 ans… Avec l’avènement de la génomique et de la protéomique, des puces à ADN, la sensibilité croissante des techniques diagnostiques, l’apparition de nouvelles chimiothérapies plus spécifiques et à la galénique plus simple, la meilleure compréhension des facteurs de réponse des tumeurs aux cytotoxiques associés à une politique rigoureuse de dépistage, on peut rêver que si le XXe siècle a vu la défaite de la maladie bactérienne, le XXIe sera celui de la victoire de la médecine sur la maladie cancéreuse. Références 1. Brunagel G, Dietmeier BN, Bauer AJ et al. Identification of nuclear matrix protein alterations associated with human colon cancer. Cancer Res 2002 ; 62 : 2437-42. 2. Demetery GD, Von Mehren M, Blanke CD et al. 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Libutti SK, Alexander HR, Choyke P et al. A prospective study of 2-[18F] Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 2 0 0 1 2 0 0 2 fluoro-2-deoxy-D-glucose/positron emission tomography scan, 99mTc-labeled arcitumomab (CEA-Scan), and blind second look laparotomy for detecting colon cancer recurrence in patients with increasing carcinoembryonic antigen levels. Ann Surg Oncol 2001 ; 8 : 779-86. 14. Lieberman DA, Weiss DG, Bond JH et al. Use of colonoscopy to screen asymptomatic adults for colorectal cancer. N Engl J Med 2000 ; 343 (3) : 162-8. 15. Lieberman DA, Weiss DG et al. Onetime screening for colorectal cancer with combined fecal occult-blood testing and examination of the distal colon. N Engl J Med 2001 ; 345 : 555-60. 16. Lockhart DJ, Winzeler EA. Genomics, gene expression and DNA arrays. Nature 2000 ; 405 : 827-36. 17. Macdonald JS, Smalley SR, Benedetti J et al. 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Helicobacter pylori infection and the development of gastric cancer. N Engl J Med 2001 ; 345 : 784-9. 27. Ye W, Lagergren J, Nyren O, Ekbom A. Risk of pancreatic cancer after cholecystectomy : a cohort study in Sweden. Gut 2001 ; 49 : 678-81. De nouvelles pistes thérapeutiques médicamenteuses différentes de la chimiothérapie anticancéreuse classique semblent enfin apparaître. S’agit-il encore d’un mythe ou déjà d’une réalité ? Il est exact que le développement actuel des médicaments anticancéreux s’oriente vers des pistes nouvelles. Même si la recherche clinique et biologique consistant en la mise au point de substances cytotoxiques, et donc peu sélectives, est toujours d’actualité, les progrès réalisés ces 20 dernières années dans la compréhension des phénomènes de cancérisation combinés aux progrès de la biotechnologie permettent d’espérer pour la première fois l’utilisation de médicaments mieux ciblés, tirant en quelque sorte mieux profit des particularités des cellules cancéreuses. En cancérologie digestive, on a beaucoup parlé du Glivec®. Mais ce médicament est tout de même réservé à une catégorie rare de tumeurs. Peut-on attendre d’autres avancées du même genre pour des cancers beaucoup plus fréquents comme les cancers coliques par exemple ? Le Glivec® est effectivement un excellent exemple. Conceptuellement, l’idée est très élégante. Certains cancers, comme les tumeurs stromales digestives (GIST), peuvent exprimer une mutation du proto-oncogène c-kit. Le Glivec® inhibe l’activité tyrosine-kinase du récepteur KIT et, en clinique, s’est montré particulièrement efficace chez les malades atteints de GIST. Il s’agit bien sûr de tumeurs relativement rares, et il est trop tôt pour dire si le Glivec® sera actif sur d’autres types de cancers, même si le même effet a déjà été observé in vitro sur certaines lignées de cellules coliques. Il s’agit en réalité d’un formidable encouragement pour le développement de médicaments mieux ciblés. D’autres éléments clés sont en effet l’objet de recherches. Par exemple, les métalloprotéinases de la matrice extracellulaire (MMP), qui sont des enzymes protéolytiques impliquées dans la croissance tumorale et le caractère métastasant des cancers en dégradant la membrane basale et en modifiant la composition de la matrice extracellulaire. Des inhibiteurs des MMP (MMPI), comme le BAY12-9566, ont été mis au point et sont l’objet de développement clinique, notamment dans les cancers colorectaux. On peut encore citer les inhibiteurs de la farnesyl-transférase, qui bloquent la farnélysation de ras, oncogène aux rôles majeurs dans la cancérisation, notamment colique, et dans les phénomènes de résistance, notamment à la radiothérapie. Là encore, le développement clinique a débuté. Il y a aussi bien sûr les inhibiteurs de l’angiogenèse, ou plus simplement, les anti-COX-2. On peut aussi citer les anticorps monoclonaux dirigés contre des antigènes membranaires, tel l’Edrocolomab développé en situation adjuvante et pour lequel les résultats actuels sont contradictoires. Parmi ces voies nouvelles, une des plus intéressantes, et aux retombées possibles en matière de cancérologie digestive, est celle des inhibiteurs du récepteur à l’EGF (Epidermal Growth Factor). On connaît les rôles clés de l’EGF dans les phénomènes de cancérisation : autonomisation vis-à-vis des signaux de prolifération, insensibilité aux signaux antiprolifératifs, échappement à l’apoptose, participation à l’angiogenèse, invasion tissulaire et pouvoir métastasant. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 34 RétroSPECTIVE PerSPECTIVE 2 0 0 1 2 0 0 2 Avis de l’expert Les récepteurs à l’EGF sont surexprimés dans de nombreux cancers, et l’idée d’inhiber ces récepteurs remonte au début des années 1980, notamment grâce aux travaux de John Mendelsohn. Nous savons aujourd’hui que ce concept peut se révéler tout à fait opérationnel. In vitro, le blocage du récepteur à l’EGF provoque un arrêt des cellules en phase G1 du cycle cellulaire, et cela a en particulier été bien montré sur des lignées de cellules coliques en culture. Même si les premiers résultats disponibles ont surtout intéressé les cancers pulmonaires et les cancers ORL, des essais prometteurs ont déjà été réalisés sur des malades atteints de cancers colorectaux métastatiques et surexprimant le récepteur à l’EGF. On a ainsi pu montrer que près du quart de ces malades, lorsqu’ils échappent à l’irinotécan, peuvent répondre de nouveau à ce même médicament si on lui ajoute un anticorps dirigé contre le récepteur à l’EGF. Bien sûr, des essais randomisés sont en cours qui nous permettront de mieux cerner les bénéfices à attendre de ce type de traitement. Mais, d’ores et déjà, d’autres voies de recherche sont explorées, exploitant le même concept. Ainsi, chez l’animal, l’association d’un anti-COX-2 et d’un inhibiteur du récepteur à l’EGF permet de réduire de façon drastique la formation de polypes coliques. On sait que des essais de prévention sont en cours utilisant un anti-COX-2, et il y a des bases logiques pour imaginer de futurs essais combinant les deux mécanismes. Je crois donc, pour conclure, qu’il y a des raisons objectives d’être raisonnablement optimiste, même s’il est toujours difficile de prédire la portée des retombées à attendre de ces nouveaux médicaments, et surtout le temps nécessaire à leur développement. Les études rigoureuses doivent être poursuivies et encouragées, mais je suis convaincu que nous avons fait dans ce domaine de véritables avancées. Les Journées Francophones de Pathologie Digestive Paris, Porte Maillot, du 31 mars au 2 avril 2003 Les Actualités en gastroentérologie, La Lettre de l’hépato-gastroentérologue et Le Courrier de Coloproctologie vous invitent à les rejoindre sur leur stand. Venez nombreux ! Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n°1 - janvier-février 2003 35