M I S E A U P O I N T Maladie de Scheuermann ou dystrophie rachidienne de croissance ● C. Marty, J.L. Tassin* Points forts ■ La dystrophie de croissance est une maladie pubertaire, comprenant non seulement la forme classique avec cyphose thoracique mais aussi des formes atypiques avec lésions dystrophiques, et en particulier une forme atypique par sa localisation lombaire. Dans toutes ces formes, une atteinte discale peut être associée, avec signes de dégénérescence discale à l’IRM. ■ Le diagnostic précoce de la dystrophie rachidienne de croissance est essentiel car le traitement est alors plus facile et plus efficace. Un des signes d’alerte est la douleur rachidienne chez l’adolescent, bien qu’elle soit transitoire et modérée, qui justifie des radiographies du rachis. L a maladie de Scheuermann a été décrite par Scheuermann en 1920. Il s’agit de la forme classique de la cyphose dystrophique thoracique, mais il existe d’autres formes de dystrophie rachidienne de croissance selon la topographie et le type de lésions. Les différentes formes de dystrophie de croissance La forme classique thoracique correspond à la définition de Sorensen en 1964 (1) : c’est la cunéiformisation de 5° ou plus d’au moins trois vertèbres adjacentes situées à l’apex de la cyphose (figure 1). Les maladies infectieuses, congénitales et traumatiques sont exclues. ■ L’hypercyphose dorsale n’est pas le seul trouble possible de la statique rachidienne dorsale ; il peut aussi s’agir d’une inversion de courbure avec cyphose dorso-lombaire ou d’une perte de lordose lombaire. On définit la normalité des courbures rachidiennes sagittales en fonction d’un paramètre anatomique pelvien nommé “incidence”. ■ Le traitement orthopédique est affaire de spécialiste et doit toujours se faire en collaboration étroite entre le médecin et l’appareilleur, et non par l’appareilleur seul. ■ L’évolution de l’hypercyphose thoracique à l’âge adulte est mal connue et nécessite une surveillance tous les 3-4 ans. Les atteintes discales précoces, probablement cause de lésions dégénératives chez l’adulte jeune et de la diminution ou de la perte de lordose lombaire, pourront être responsables de lombalgies à l’âge adulte. Aussi, la prévention à l’adolescence est essentielle. * Hôpital Raymond-Poincaré, Garches. 14 Figure 1. Maladie de Scheuermann : forme classique. Les formes atypiques sont définies par les lésions radiologiques suivantes : hernies intraspongieuses ou nodules de Schmorl, irrégularités des plateaux vertébraux, pincements discaux, augmentation du diamètre antéro-postérieur vertébral. Cleveland (2) parle de dystrophie de croissance lorsqu’il existe deux des critères précédemment cités. Dans ces formes, il n’existe pas forcément une cyphose. On peut différencier également : La maladie de Scheuermann lombaire, en raison de sa localisation (figure 2). Blumenthal (3) en décrit trois types corresLa Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 M I S E A U P O I N T De plus, il existe aussi, dans les localisations thoraciques, des signes de dégénérescence discale à l’IRM (figure 3). La hernie intraspongieuse. C’est la pénétration de matériel discal dans l’os spongieux corporéal. Elle est de localisation variable : centrale, rétromarginale antérieure, marginale postérieure. Elle peut être associée à un pincement discal. La fréquence en est variable. Baats (7) note 20 % de hernies intraspongieuses macroscopiques lors d’une étude de cadavres. Schmorl (8) en rapporte 38 %. Elles sont plus fréquentes en IRM qu’à la radiographie standard. Le siège est le plus souvent dorsolombaire, notamment sur le plateau supérieur (9). Figure 2. Dystrophie de croissance : forme lombaire. pondant aux formes précédentes : classique (type I), atypique (type IIa), hernie intraspongieuse antérieure post-traumatique (type IIb). La maladie discale juvénile. Elle est présentée comme une entité, mais nombreux sont les auteurs qui pensent qu’elle fait partie de la maladie de Scheuermann (4, 5, 6). Elle a été décrite plus particulièrement chez les adolescents qui ont une activité physique intensive. Ainsi Swärd (4) a décrit, chez les jeunes athlètes, une maladie discale qui associe aux atteintes radiologiques précédemment décrites une atteinte discale sévère visible en IRM. En IRM, il existe des signes de dégénérescence discale chez 75 % des gymnastes de haut niveau, par rapport à 31 % dans une population de même âge non athlète. Les autres anomalies de dystrophie vertébrale étaient également plus fréquentes dans la population d’athlètes. En fait, il existe une forte corrélation entre les anomalies de dystrophie de croissance et l’existence d’une diminution de l’intensité du signal discal. Paajanen (5) a montré que 55 % des disques thoraco-lombaires des patients porteurs de dystrophie rachidienne étaient anormaux à l’IRM, contre 10 % chez les sujets asymptomatiques. Figure 3. IRM : images de dégénérescence discale associées aux lésions de dystrophie vertébrale. La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 Prévalence Elle est en fait sous-estimée et variable selon les définitions. Ainsi, la prévalence de la forme classique est de 5 à 10 % et elle prédomine chez les garçons. Scoles (10), sur une étude de 1 384 cadavres, a trouvé 103 cyphoses thoraciques dues à une maladie de Scheuermann, soit 7,4 %, avec 93 % de hernies de Schmorl par rapport à 36 % dans les rachis de contrôle. La forme atypique est beaucoup plus fréquente : 50 à 60 % des adolescents si l’on considère, par exemple, l’irrégularité des plateaux vertébraux. Il existe de façon certaine une prédisposition familiale, avec un mode de transmission autosomique dominant. La dystrophie rachidienne de croissance CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE Il s’agit d’une maladie découverte en phase pubertaire, c’est-àdire après le début de la puberté. Douleurs. La fréquence en est sous-estimée, car il s’agit de douleurs intermittentes, de type mécanique lors des efforts, par exemple lors des séances de sport, en fin de journée, lors du port d’un cartable lourd, et ces douleurs sont souvent minimisées par l’entourage. La persistance moyenne des douleurs est d’environ un an et elles disparaissent à la fin de la maturation osseuse. Pour Swärd (4) et Paajanen (5), il existe une relation étroite entre l’atteinte discale juvénile et les lombalgies. Swärd a montré qu’il existe une corrélation très significative entre l’existence de lombalgies et la réduction du signal discal, alors qu’il n’y avait pas de corrélation entre les lombalgies et les autres anomalies de dystrophie vertébrale. Paajanen a montré également qu’il existait un pourcentage significativement plus élevé de signes de dégénérescence discale à l’IRM chez de jeunes adultes lombalgiques par rapport à une population de contrôle non lombalgique. Il peut exister des douleurs lombosacrées, en cas de spondylolyse associée, et des douleurs rachidiennes à distance en cas de troubles associés de la statique rachidienne. 15 M I S E A U P O I N T Troubles de la statique rachidienne. Dans la forme classique thoracique, il existe une augmentation de la cyphose thoracique souvent limitée à un petit nombre de vertèbres : les vertèbres sièges des lésions dystrophiques. Il peut exister une cyphose dorsolombaire, avec parfois inversion de courbure ou diminution de la lordose lombaire. Les études récentes de l’équilibre sagittal ont montré qu’il n’est pas possible de faire référence à de simples fourchettes angulaires pour définir la normalité de la cyphose thoracique et de la lordose lombaire. Il a été montré que les normes des courbures sagittales du rachis sont déterminées chez chaque individu par la valeur du paramètre pelvien : l’incidence (11, 12). L’incidence est définie par l’angle formé par la perpendiculaire au plateau sacré en son milieu et la droite qui joint le milieu du plateau sacré au centre de l’axe bicoxofémoral (figure 4). Cet angle est mesuré sur la radiographie du rachis en entier de profil, les deux têtes fémorales devant être visibles. Pour chaque individu, la valeur de l’ incidence permet, grâce à un tableau de corrélations, de définir les valeurs de pente sacrée, de lordose lombaire et de cyphose thoracique qui permettent d’obtenir un équilibre sagittal économique en position debout. Par exemple, pour une incidence de 50°, la pente sacrée doit être de 40° environ, la lordose lombaire de 60° environ et la cyphose thoracique de 40°. ▲ Figure 5. Différents types cliniques de statique rachidienne sagittale. ▲ Figure 6. Examen clinique de la statique rachidienne sagittale. Figure 7. Exercice d’assouplissement de la cyphose et appréciation de sa réductibilité. ▲ Figure 4. Vue sagittale du sacrum. Paramètres pelviens. Une scoliose. Elle est associée dans un tiers des cas en raison des déformations asymétriques des vertèbres. Cette scoliose est souvent modérée au point de vue angulaire et souvent peu ou pas évolutive. Découverte fortuite lors de la radiographie du rachis : en fait, il existe très fréquemment un retard dans le diagnostic. EXAMEN CLINIQUE Examen de la statique rachidienne sagittale, debout, pieds nus. On note le type clinique du profil du tronc (figure 5). Grâce à un fil à plomb tangent à l’apex de la cyphose et à l’aide d’une règle, on mesure les flèches sagittales, qui sont normalement de 3 à 4 cm en cervical et en lombaire (figure 6). 16 Aspect de la cyphose : elle est soit régulière, c’est-à-dire harmonieusement répartie sur plusieurs vertèbres, soit angulaire sur un petit nombre de vertèbres. On note le siège de la cyphose. Appréciation de la réductibilité de la cyphose en position debout, assise (figure 7) et aussi en décubitus dorsal, avec un coussin placé au-dessous du sommet de la cyphose, ou en décubitus ventral, avec une main d’appui sur le sommet de la cyphose. La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 M Mesures de la taille globale et de la taille du tronc, couché et debout. Cotation du stade de maturation sexuelle, selon les normes internationales. Recherche de la ou des gibbosités témoignant de courbures structurées scoliotiques. On les mesure en hyperflexion antérieure du tronc, soit debout en équilibrant le bassin, soit en position assise avec une règle à niveau ou un scoliomètre (figure 8). I S E A U P O I N T – un profil couché, avec un billot au-dessous du sommet de la cyphose pour en apprécier la réductibilité ; – une face debout pour faire le bilan d’une éventuelle scoliose associée ; – il peut être utile de faire un cliché centré sur les vertèbres dystrophiques afin d’apprécier leur évolution avec le traitement. Parfois, on fait un cliché de trois quarts de la région lombosacrée pour chercher une lyse isthmique associée. Figure 8. Mesure d’une gibbosité. Appréciation de la souplesse des muscles des ceintures : pectoraux, fléchisseurs de hanche et ischio-jambiers. Ils sont souvent rétractés chez les adolescents porteurs de lésions de Scheuermann. Mesure de la capacité vitale par spirométrie en cas de cyphose thoracique importante ; elle est souvent normale, et même excellente. Examen neurologique minutieux et examen général complet, car on peut rencontrer plus fréquemment des lésions dystrophiques dans certaines pathologies : rachitisme, maladies inflammatoires, maladies neuromusculaires. Il n’a cependant pas été trouvé de relation de cause à effet entre ces maladies et la maladie de Scheuermann, et les conséquences neurologiques des cyphoses sont exceptionnelles. On différencie la cyphose par maladie de Scheuermann de la cyphose posturale, qui correspond à une attitude complètement réductible, rencontrée surtout chez l’adolescent non sportif, “avachi”. La cyphose idiopathique est une hypercyphose dorsale, mais sans lésions dystrophiques visibles sur les radiographies standards. Figure 9. Radiographie du rachis en entier. Profil debout. La maturation osseuse est surtout appréciée chez l’adolescent par le test de Risser, c’est-à-dire la cotation du stade d’ossification des crêtes iliaques (figure 10). C’est seulement chez l’enfant plus jeune qu’il est nécessaire d’évaluer l’âge osseux sur une radiographie de la main gauche ou du coude de face et de profil. 2 3 4 5 1 EXAMEN RADIOGRAPHIQUE Le bilan systématique lors de la première consultation comprend des radiographies du rachis en entier sur de grandes plaques de 30 x 90 cm : – un profil debout, pieds nus, bras posés à l’horizontale. Il faut que les têtes fémorales soient visibles sur la radiographie (figure 9) ; La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 Figure 10. Test de Risser. 17 M I S E A U P O I N T Sur ces radiographies, on apprécie le type et le siège des lésions dystrophiques. On mesure, par la technique de l’angle de Cobb, sur les vertèbres les plus inclinées sur l’horizontale, les courbures sagittales : lordose, cyphose globale et cyphose localisée de la région dystrophique, et les paramètres pelviens : pente sacrée, incidence, version pelvienne (figure 4 et figure 10). On mesure également les courbures scoliotiques. Le diagnostic différentiel radiologique est celui de bloc vertébral antérieur à révélation tardive tant que les vertèbres ne sont pas soudées en avant. ÉVOLUTION À L’ADOLESCENCE En l’absence de traitement, les cyphoses évoluent. Ainsi, Bradford (13) a montré que, sur 168 cyphoses thoraciques dues à la maladie de Scheuermann, 96 évoluaient avant la mise en place du traitement. Des règles d’hygiène de vie sont conseillées : plan de travail surélevé ou incliné, siège adapté, postures de redressement de la cyphose à faire chez soi. La maladie de Scheuermann contreindique le port de charges lourdes et la pratique de sports comportant une réception brutale sur le sol. Les sports de compétition peuvent être nocifs (gymnastique, football...). Le traitement orthopédique comprend différents types de corsets : le but est d’essayer de réduire la cyphose, mais aussi de stopper l’évolution pendant l’adolescence. – Le corset plâtré : avec ou sans têtière (figure 11) selon le niveau de la cyphose. Il est réalisé en décubitus dans un cadre dérivé du cadre d’Abott, avec correction de la cyphose à l’aide d’une bande en U, placé en dessous de son sommet. Il faut veiller à conserver une lordose lombaire correcte et une antéversion correcte du bassin, avec projection du segment supérieur du corps en arrière des têtes fémorales, et parfois correction d’une hyperlordose. Ce corset est renouvelé régulièrement pour permettre une correction progressive. PHYSIOPATHOLOGIE Il existe une altération de la substance fondamentale du cartilage, avec une diminution du rapport collagène sur protéoglycanes : ce rapport peut être congénitalement faible, en raison d’un facteur héréditaire, mais sa diminution peut être secondaire à un traumatisme, notamment de type mécanique, comme le suggère l’étude de Swärd (4). L’existence d’un facteur mécanique est probable en raison de lésions dystrophiques vertébrales chez les personnes faisant des travaux pénibles ou pratiquant certains sports, chez les obèses, et en raison de la réversibilité possible de la cunéiformisation vertébrale avec le port du corset. Cette faiblesse du cartilage du plateau vertébral entraîne un prolapsus discal intraosseux qui inhibe l’ossification endochondrale, aboutissant à un arrêt de la croissance antérieure du corps vertébral. De plus, la cyphose crée elle-même une hyperpression sur les plateaux vertébraux et favorise la cunéiformisation. La dégénérescence discale est-elle la manifestation d’un défaut intrinsèque du cartilage comme les autres anomalies ou est-elle en fait une manifestation primitive ? TRAITEMENT Le but du traitement est de stopper l’évolution et si possible de corriger les troubles de la statique vertébrale en permettant la réparation des vertèbres. Méthode La kinésithérapie permet : – Un travail d’auto-agrandissement devant un miroir, en positions assise et debout, avec correction des anomalies posturales. – Des étirements des muscles pectoraux, des fléchisseurs de hanches et des ischio-jambiers. – Une rééducation respiratoire. – Un travail d’extension des spinaux en corrigeant la cyphose. – Des exercices d’assouplissement de la cyphose dorsale (figure 8). – Un travail lordosant de la région lombaire haute en cas de Scheuermann lombaire. – Des tractions dynamiques sur table de Cotrel. 18 Figure 11. Corset plâtré anticyphose. – Le corset de Milwaukee (figure 12) : orthèse dynamique permettant l’extension progressive du rachis et la correction de la cyphose grâce à la têtière et à deux tampons placés en dessous du sommet de la cyphose. On y associe des appuis pré-huméraux ou des sangles d’épaules. Il faut également veiller à corriger la lordose lombaire et la version pelvienne. La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 M I S E A U P O I N T Figure 14. Corset court lordosant en polypropylène. Figure 12. Corset de Milwaukee. – Les corsets anticyphose de différents types (figure 13) réalisés en divers matériaux, réglables de manière différente. Ils doivent comporter trois appuis : un appui postérieur en dessous du sommet de la cyphose, et deux contre-appuis antérieurs, thoracique et pubien. Le segment supérieur du corps doit se projeter en arrière des têtes fémorales. Figure 13. Corset anticyphose en plexidur. – Pour la maladie de Scheuermann lombaire : corset court lordosant en polypropylène (figure 14) dont le but est de rétablir ou de conserver la lordose lombaire calculée à partir de l’incidence. La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 En cas de scoliose associée, on ajoute des appuis et des chambres libres lors de la confection du plâtre. On adapte le corset de Milwaukee en ajoutant des mains d’appui latéral. On utilise éventuellement le corset de type “Cheneau”, qui permet un bon remodelage du corps en association à un corset de Milwaukee de nuit. Le “3 points” en plexidur, quant à lui, est réservé aux lésions lombaires. Les corsets sont réalisés après moulage et essayages en présence du médecin et de l’appareilleur, et non de l’appareilleur seul. Le traitement chirurgical. Le principe du traitement chirurgical des cyphoses reste l’arthrodèse en position de correction maximale. La fusion doit dépasser les limites de la cyphose pour inclure les zones jonctionnelles haute et basse. Dans la majorité des cas, la chirurgie est réalisée par voie postérieure seule. Elle associe une libération postérieure, une instrumentation métallique en compression et la préparation de l’arthrodèse. La libération chirurgicale vise à raccourcir la colonne des arcs postérieurs, plus longue que la colonne antérieure, par l’excision des articulaires inférieures, et éventuellement du bord inférieur des lames et des épineuses. L’instrumentation métallique est réalisée en compression. Les systèmes métalliques modernes (Cotrel-Dubousset et dérivés) permettent des montages solides en répartissant les prises vertébrales tout au long de la zone arthrodésée. Le lever précoce est possible, sans contention externe. Avant la fin de la croissance, une seule intervention par voie postérieure est suffisante dans la majorité des cas, les cyphoses étant encore souples. Dans les mois qui suivent l’intervention, la croissance résiduelle de la partie antérieure des corps vertébraux (favorisée par leur mise en décharge mécanique, comme dans un traitement orthopédique) vient progressivement combler les “vides” laissés libres par l’ouverture des disques en avant et stabiliser le rachis. Chez l’adolescent en fin de croissance (stade Risser 3), la croissance résiduelle des corps après l’arthrodèse est insuffisante 19 M I S E A U P O I N T pour combler les vides antérieurs. Une arthrodèse antérieure est alors nécessaire, comme chez l’adulte. L’intervention est habituellement précédée d’une période de quelques semaines de préparation par kinésithérapie, traction ou plâtres anti-cyphose, destinée à assouplir le rachis et à diminuer le risque neurologique de l’intervention. Indications thérapeutiques Elles dépendent de la sévérité des lésions, du stade de maturation osseuse, du niveau de la cyphose (les localisations basses sont les moins bien tolérées), de l’existence de douleurs et de la demande esthétique. Plus le diagnostic est fait tôt, moins le traitement est contraignant et meilleurs sont les résultats. Indications du traitement orthopédique Lésions de Scheuermann sans cyphose ou lésions dystrophiques étagées sans cunéiformisation vertébrale En cas de localisation dorsale, une surveillance régulière suffit environ tous les quatre mois. En cas de localisation dorso-lombaire, surtout s’il existe une attitude cyphotique en position assise, le port d’un corset anticyphose pendant la journée nous semble préférable à titre préventif. De même, dans la localisation dorsolombaire, en cas de douleurs et d’atteinte discale, un corset court lordosant nous semble indiqué, même en l’absence de trouble de la statique, en raison des probables conséquences à l’âge adulte. Lésions de Scheuermann avec cyphose pathologique avant la fin de la maturation osseuse Cyphose thoracique : – Si la cyphose est partiellement réductible : corset de Milwaukee ou corset anti-cyphose selon le niveau, porté à temps plein au début afin de permettre une correction passive complète, puis porté seulement la nuit pour maintenir la correction jusqu’au stade de maturité osseuse. La prudence est de mise tant qu’il existe des lésions osseuses. – Si la cyphose est raide : trois plâtres successifs à un mois d’intervalle, portés de nuit et associés à un corset de jour. On peut éventuellement envisager, au début, un corset plâtré porté jour et nuit. Le traitement sera d’autant plus difficile que la cyphose est importante et que la maturation osseuse est avancée. Maladie de Scheuermann lombaire : corset court lordosant ou “3 points dur” en cas de scoliose associée. Le traitement orthopédique, quel qu’il soit, est maintenu jusqu’à réparation des lésions de Scheuermann. Les facteurs pronostiques de réussite du traitement orthopédique sur la cyphose thoracique ont fait l’objet d’un travail du centre de Massues, à Lyon (14). Ce sont : l’importance de la réductibilité initiale, l’absence de scoliose, le degré de cyphose initiale en fonction de l’incidence, l’âge osseux précoce, le degré de cunéiformisation des vertèbres (angle moyen inférieur à 10°). Indications du traitement chirurgical Les indications chirurgicales sont rares dans les cyphoses de Scheuermann. C’est essentiellement en fin de croissance (stade Risser 3), chez le grand adolescent, dans les déformations d’angulation importante, et surtout pour les cyphoses thoraciques basses et thoraco20 lombaires que se discutent les indications chirurgicales. Le traitement orthopédique est habituellement efficace chez l’adolescent plus jeune. La chirurgie peut être proposée lorsque la déformation est importante (supérieure à 70-75° en fonction de l’incidence), évolutive, d’autant plus que la topographie est thoracique basse ou thoraco-lombaire, que le corset n’est pas accepté sur le plan psychologique et que la déformation est douloureuse ou gênante sur le plan esthétique. La survenue exceptionnelle d’une complication neurologique constitue évidemment une indication chirurgicale. La dystrophie rachidienne à l’âge adulte ÉVOLUTION ANATOMIQUE ET CONSÉQUENCES FONCTIONNELLES À L’ÂGE ADULTE L’évolution à l’âge adulte est mal connue en raison de l’insuffisance des travaux dans la littérature. Travaglini (15) a montré, chez 43 patients suivis sur 25 ans, qu’il existait une augmentation angulaire dans 80 % des cas. Murray (16) a revu 77 adultes porteurs d’une maladie de Scheuermann thoracique au bout de 32 ans en moyenne. L’âge moyen était de 53 ans, l’angle moyen de la cyphose de 71°. La majorité des patients étaient des hommes. Cette population a été comparée à une population de témoins appariés en âge, indemnes de pathologie rachidienne. Ils ont été interrogés au sujet de leur travail, des douleurs, de leur “état général”, de leur niveau d’activité, de leur souci esthétique. Ils ont été examinés (examen neurologique, testing musculaire, explorations fonctionnelles respiratoires) et radiographiés. Seuls 28 % des sujets n’étaient pas “douloureux”, contre 62 % des témoins. Mais la proportion des sujets dont la douleur interférait sur la vie quotidienne n’était pas plus importante que dans la population contrôle. Il n’y a pas eu plus d’arrêts de travail dans le groupe Scheuermann, mais ces patients avaient généralement un métier moins fatigant. Il y avait un souci esthétique dans les grandes courbures. Il n’y a pas d’étude comparative concernant l’évolution à long terme de la forme lombaire et dorsolombaire. Cependant, elle est probablement la cause des lésions dégénératives constatées chez des adultes jeunes, ce qu’a montré en particulier Heithoff (6). De plus, la perte ou l’insuffisance de la lordose lombaire est souvent une conséquence de la maladie de Scheuermann lombaire, et on sait qu’il existe une relation significative entre lombalgies et insuffisance de lordose lombaire (17). La surveillance clinique et radiologique à l’âge adulte est indispensable, environ tous les trois ans, grâce à un examen clinique chiffré et à des radiographies du rachis en entier, de profil et debout. TRAITEMENT CHEZ L’ADULTE Son objectif est avant tout fonctionnel et antalgique. La kinésithérapie est souvent efficace. On conseille une rééducation régulière, bien menée, permettant de conserver une certaine réductibilité de la cyphose, des tractions dynamiques sur table de Cotrel La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 M et la pratique de la natation. Chez l’adulte jeune, le traitement par corset a peu d’indications car il est mal toléré, en dehors du corset en coutil baleiné. Ce dernier sera fait sur mesure, en s’efforçant de corriger la statique rachidienne de profil, ou tout au moins de réaliser un rappel proprioceptif, en veillant à bien lordoser le corset en lombaire dans les formes lombaires et dorsolombaires. Les douleurs résistantes au traitement médical sont l’argument le plus fréquent en faveur de la chirurgie. Lorsqu’elles sont franchement mécaniques et en rapport avec la déformation, localisées dans la région de la cyphose ou à l’hyperlordose compensatrice sous-jacente, soulagées par l’immobilisation en correction, la chirurgie est efficace et peut être discutée. Le préjudice esthétique amène certains patients à demander la correction de leur déformation. Les indications doivent être posées avec prudence ; les risques de la chirurgie, les inconvénients de l’arthrodèse, le déroulement précis du programme thérapeutique doivent être exposés très précisément au patient. Si les conditions anatomiques permettent de prévoir une correction importante de la déformation, il peut être légitime d’opérer un patient très gêné par sa cyphose sur le plan psychologique. Sur le plan technique, une arthrodèse antérieure est habituellement nécessaire. La correction de la cyphose est obtenue grâce à un baîllement antérieur des disques. En raison de ces “vides discaux”, la colonne des corps vertébraux devient incapable de s’opposer aux forces de pesanteur. En l’absence d’arthrodèse antérieure, l’arthrodèse postérieure lutte seule contre le poids du corps, qui la soumet à des forces de traction auxquelles elle ne peut résister à long terme. La pseudarthrose avec récidive de la déformation est inéluctable. L’arthrodèse antérieure rend à la colonne des corps vertébraux son rôle de support et stabilise définitivement le rachis. Lorsque la cyphose est raide, l’intervention antérieure est le premier temps du programme chirurgical. La résection des disques permet d’améliorer la réductibilité du rachis. L’intervention postérieure est réalisée dans un second temps, après deux à trois semaines de traction. Dans les cyphoses souples, le programme peut être commencé par l’un ou l’autre des deux temps. I S E A U P O I N T précocement. Il y a actuellement un gros défaut dans le dépistage des scolioses et des troubles de la statique rachidienne chez l’enfant et l’adolescent, alors que la prévention à cet âge éviterait certaines pathologies rachidiennes de l’adulte. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Sorensen K.H. Scheuermann’s juvenile kyphosis, clinical appearances, radiography, actiology and prognosis. Munksgaard, Copenhagen 1964. 2. Cleveland R.H., Delong G.R. 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En outre, le traitement est d’autant plus facile et mieux supporté qu’il est entrepris La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999 J. Traitement des cyphoses de plus de 60° par plâtre et corset de Milwaukee. Thèse, Lyon 1990. 15. Travaglini F., Conte M. Cifosi 25 anni dopo. Progressi in pathologia vertebrale. In : Caggi A. Le cifosi.Vol. 5-A. Bologna 1982. 16. Murray P.M., Weinstein S.L., Spratt K. The natural history and long-term follow-up of Scheuermann’s kyphosis. J Bone Joint Surg 1993 ; 75-A : 237-48. 17. Itoi E. Roentgenographic analysis of posture in spinal osteoporotics. Spine 1991 ; 16 : 750-6. 21