L Maladie de Scheuermann ou dystrophie rachidienne de croissance M

La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999
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ISE AU POINT
a maladie de Scheuermann a été décrite par Scheuer-
mann en 1920. Il s’agit de la forme classique de la
cyphose dystrophique thoracique, mais il existe d’autres
formes de dystrophie rachidienne de croissance selon la topo-
graphie et le type de lésions.
Les différentes formes
de dystrophie de croissance
La forme classique thoracique correspond à la définition de
Sorensen en 1964 (1) : c’est la cunéiformisation de 5° ou plus
d’au moins trois vertèbres adjacentes situées à l’apex de la
cyphose (figure 1). Les maladies infectieuses, congénitales et
traumatiques sont exclues.
Les formes atypiques sont définies par les lésions radiologiques
suivantes : hernies intraspongieuses ou nodules de Schmorl, irré-
gularités des plateaux vertébraux, pincements discaux, augmen-
tation du diamètre antéro-postérieur vertébral. Cleveland (2) parle
de dystrophie de croissance lorsqu’il existe deux des critères pré-
cédemment cités. Dans ces formes, il n’existe pas forcément une
cyphose.
On peut différencier également :
La maladie de Scheuermann lombaire, en raison de sa loca-
lisation (figure 2). Blumenthal (3) en décrit trois types corres-
Maladie de Scheuermann ou dystrophie rachidienne
de croissance
C. Marty, J.L. Tassin*
La dystrophie de croissance est une maladie pubertaire,
comprenant non seulement la forme classique avec
cyphose thoracique mais aussi des formes atypiques avec
lésions dystrophiques, et en particulier une forme atypique
par sa localisation lombaire. Dans toutes ces formes, une
atteinte discale peut être associée, avec signes de dégé-
nérescence discale à l’IRM.
Le diagnostic précoce de la dystrophie rachidienne de
croissance est essentiel car le traitement est alors plus
facile et plus efficace. Un des signes d’alerte est la dou-
leur rachidienne chez l’adolescent, bien qu’elle soit tran-
sitoire et modérée, qui justifie des radiographies du rachis.
L’hypercyphose dorsale n’est pas le seul trouble pos-
sible de la statique rachidienne dorsale ; il peut aussi s’agir
d’une inversion de courbure avec cyphose dorso-lombaire
ou d’une perte de lordose lombaire. On définit la norma-
lité des courbures rachidiennes sagittales en fonction d’un
paramètre anatomique pelvien nommé “incidence”.
Le traitement orthopédique est affaire de spécialiste et
doit toujours se faire en collaboration étroite entre le méde-
cin et l’appareilleur, et non par l’appareilleur seul.
L’évolution de l’hypercyphose thoracique à l’âge adulte
est mal connue et nécessite une surveillance tous les
3-4 ans. Les atteintes discales précoces, probablement
cause de lésions dégénératives chez l’adulte jeune et de la
diminution ou de la perte de lordose lombaire, pourront
être responsables de lombalgies à l’âge adulte. Aussi, la
prévention à l’adolescence est essentielle.
Points forts
* Hôpital Raymond-Poincaré, Garches.
L
Figure 1.
Maladie
de Scheuermann :
forme classique.
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pondant aux formes précédentes : classique (type I), atypique
(type IIa), hernie intraspongieuse antérieure post-traumatique
(type IIb).
La maladie discale juvénile. Elle est présentée comme une entité,
mais nombreux sont les auteurs qui pensent qu’elle fait partie de
la maladie de Scheuermann (4, 5, 6). Elle a été décrite plus par-
ticulièrement chez les adolescents qui ont une activité physique
intensive. Ainsi Swärd (4) a décrit, chez les jeunes athlètes, une
maladie discale qui associe aux atteintes radiologiques précé-
demment décrites une atteinte discale sévère visible en IRM. En
IRM, il existe des signes de dégénérescence discale chez 75 %
des gymnastes de haut niveau, par rapport à 31 % dans une popu-
lation de même âge non athlète. Les autres anomalies de dystro-
phie vertébrale étaient également plus fréquentes dans la popu-
lation d’athlètes. En fait, il existe une forte corrélation entre les
anomalies de dystrophie de croissance et l’existence d’une dimi-
nution de l’intensité du signal discal. Paajanen (5) a montré que
55 % des disques thoraco-lombaires des patients porteurs de dys-
trophie rachidienne étaient anormaux à l’IRM, contre 10 % chez
les sujets asymptomatiques.
De plus, il existe aussi, dans les localisations thoraciques, des
signes de dégénérescence discale à l’IRM (figure 3).
La hernie intraspongieuse. C’est la pénétration de matériel dis-
cal dans l’os spongieux corporéal. Elle est de localisation
variable : centrale, rétromarginale antérieure, marginale posté-
rieure. Elle peut être associée à un pincement discal. La fréquence
en est variable. Baats (7) note 20 % de hernies intraspongieuses
macroscopiques lors d’une étude de cadavres. Schmorl (8) en rap-
porte 38 %. Elles sont plus fréquentes en IRM qu’à la radiogra-
phie standard. Le siège est le plus souvent dorsolombaire, notam-
ment sur le plateau supérieur (9).
Prévalence
Elle est en fait sous-estimée et variable selon les définitions. Ainsi,
la prévalence de la forme classique est de 5 à 10 % et elle prédo-
mine chez les garçons. Scoles (10), sur une étude de 1 384 cadavres
,
a trouvé 103 cyphoses thoraciques dues à une maladie de Scheuer-
mann, soit 7,4 %, avec 93 % de hernies de Schmorl par rapport
à 36 % dans les rachis de contrôle.
La forme atypique est beaucoup plus fréquente : 50 à 60 % des
adolescents si l’on considère, par exemple, l’irrégularité des pla-
teaux vertébraux.
Il existe de façon certaine une prédisposition familiale, avec un
mode de transmission autosomique dominant.
La dystrophie rachidienne
de croissance
CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE
Il s’agit d’une maladie découverte en phase pubertaire, c’est-à-
dire après le début de la puberté.
Douleurs. La fréquence en est sous-estimée, car il s’agit de dou-
leurs intermittentes, de type mécanique lors des efforts, par
exemple lors des séances de sport, en fin de journée, lors du port
d’un cartable lourd, et ces douleurs sont souvent minimisées par
l’entourage. La persistance moyenne des douleurs est d’environ
un an et elles disparaissent à la fin de la maturation osseuse. Pour
Swärd (4) et Paajanen (5), il existe une relation étroite entre l’at-
teinte discale juvénile et les lombalgies. Swärd a montré qu’il
existe une corrélation très significative entre l’existence de lom-
balgies et la réduction du signal discal, alors qu’il n’y avait pas
de corrélation entre les lombalgies et les autres anomalies de dys-
trophie vertébrale. Paajanen a montré également qu’il existait un
pourcentage significativement plus élevé de signes de dégéné-
rescence discale à l’IRM chez de jeunes adultes lombalgiques par
rapport à une population de contrôle non lombalgique. Il peut
exister des douleurs lombosacrées, en cas de spondylolyse asso-
ciée, et des douleurs rachidiennes à distance en cas de troubles
associés de la statique rachidienne.
Figure 2.
Dystrophie de croissance :
forme lombaire.
Figure 3.
IRM : images
de dégénérescence
discale associées
aux lésions
de dystrophie vertébrale.
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Troubles de la statique rachidienne. Dans la forme classique tho-
racique, il existe une augmentation de la cyphose thoracique souvent
limitée à un petit nombre de vertèbres : les vertèbres sièges des lésions
dystrophiques. Il peut exister une cyphose dorsolombaire, avec par-
fois inversion de courbure ou diminution de la lordose lombaire. Les
études récentes de l’équilibre sagittal ont montré qu’il n’est pas pos-
sible de faire référence à de simples fourchettes angulaires pour défi-
nir la normalité de la cyphose thoracique et de la lordose lombaire.
Il a été montré que les normes des courbures sagittales du rachis sont
déterminées chez chaque individu par la valeur du paramètre pel-
vien : l’incidence (11, 12). L’incidence est définie par l’angle formé
par la perpendiculaire au plateau sacré en son milieu et la droite qui
joint le milieu du plateau sacré au centre de l’axe bicoxofémoral
(figure 4). Cet angle est mesuré sur la radiographie du rachis en
entier de profil, les deux têtes fémorales devant être visibles. Pour
chaque individu, la valeur de l’incidence permet, grâce à un tableau
de corrélations, de définir les valeurs de pente sacrée, de lordose
lombaire et de cyphose thoracique qui permettent d’obtenir un équi-
libre sagittal économique en position debout. Par exemple, pour une
incidence de 50°, la pente sacrée doit être de 40° environ, la lordose
lombaire de 60° environ et la cyphose thoracique de 40°.
Une scoliose. Elle est associée dans un tiers des cas en raison des
déformations asymétriques des vertèbres. Cette scoliose est sou-
vent modérée au point de vue angulaire et souvent peu ou pas
évolutive.
Découverte fortuite lors de la radiographie du rachis : en fait, il
existe très fréquemment un retard dans le diagnostic.
EXAMEN CLINIQUE
Examen de la statique rachidienne sagittale, debout, pieds
nus. On note le type clinique du profil du tronc (figure 5). Grâce
à un fil à plomb tangent à l’apex de la cyphose et à l’aide d’une
règle, on mesure les flèches sagittales, qui sont normalement de
3 à 4 cm en cervical et en lombaire (figure 6).
Aspect de la cyphose :
elle est soit régulière,
c’est-à-dire harmonieuse-
ment répartie sur plu-
sieurs vertèbres, soit
angulaire sur un petit
nombre de vertèbres. On
note le siège de la
cyphose.
Appréciation de la
réductibilité de la
cyphose en position
debout, assise (figure 7)
et aussi en décubitus dor-
sal, avec un coussin placé
au-dessous du sommet de
la cyphose, ou en décubi-
tus ventral, avec une main
d’appui sur le sommet de
la cyphose.
Figure 4.
Vue sagittale du sacrum.
Paramètres pelviens.
Figure 5.
Différents types cliniques
de statique rachidienne sagittale.
Figure 6.
Examen clinique de la statique
rachidienne sagittale.
Figure 7.
Exercice d’assouplissement
de la cyphose et appréciation
de sa réductibilité.
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Mesures de la taille globale et de la taille du tronc, couché et
debout.
Cotation du stade de maturation sexuelle, selon les normes
internationales.
Recherche de la ou des gibbosités témoignant de courbures
structurées scoliotiques. On les mesure en hyperflexion antérieure
du tronc, soit debout en équilibrant le bassin, soit en position
assise avec une règle à niveau ou un scoliomètre (figure 8).
Appréciation de la souplesse des muscles des ceintures : pec-
toraux, fléchisseurs de hanche et ischio-jambiers. Ils sont sou-
vent rétractés chez les adolescents porteurs de lésions de Scheuer-
mann.
Mesure de la capacité vitale par spirométrie en cas de cyphose
thoracique importante ; elle est souvent normale, et même excel-
lente.
Examen neurologique minutieux et examen général complet,
car on peut rencontrer plus fréquemment des lésions dystro-
phiques dans certaines pathologies : rachitisme, maladies inflam-
matoires, maladies neuromusculaires. Il n’a cependant pas été
trouvé de relation de cause à effet entre ces maladies et la mala-
die de Scheuermann, et les conséquences neurologiques des
cyphoses sont exceptionnelles.
On différencie la cyphose par maladie de Scheuermann de la
cyphose posturale, qui correspond à une attitude complètement
réductible, rencontrée surtout chez l’adolescent non sportif, “ava-
chi”. La cyphose idiopathique est une hypercyphose dorsale, mais
sans lésions dystrophiques visibles sur les radiographies stan-
dards.
EXAMEN RADIOGRAPHIQUE
Le bilan systématique lors de la première consultation comprend
des radiographies du rachis en entier sur de grandes plaques de
30 x 90 cm :
un profil debout, pieds nus, bras posés à l’horizontale. Il faut que
les têtes fémorales soient visibles sur la radiographie (figure 9) ;
un profil couché, avec un billot au-dessous du sommet de la
cyphose pour en apprécier la réductibilité ;
une face debout pour faire le bilan d’une éventuelle scoliose
associée ;
il peut être utile de faire un cliché centré sur les vertèbres dys-
trophiques afin d’apprécier leur évolution avec le traitement. Par-
fois, on fait un cliché de trois quarts de la région lombosacrée
pour chercher une lyse isthmique associée.
La maturation osseuse est surtout appréciée chez l’adolescent par
le test de Risser, c’est-à-dire la cotation du stade d’ossification
des crêtes iliaques (figure 10). C’est seulement chez l’enfant plus
jeune qu’il est nécessaire d’évaluer l’âge osseux sur une radio-
graphie de la main gauche ou du coude de face et de profil.
Figure 8. Mesure d’une gibbosité.
Figure 9. Radiographie du rachis en entier. Profil debout.
1
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Figure 10. Test de Risser.
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Sur ces radiographies, on apprécie le type et le siège des lésions
dystrophiques. On mesure, par la technique de l’angle de Cobb,
sur les vertèbres les plus inclinées sur l’horizontale, les cour-
bures sagittales : lordose, cyphose globale et cyphose localisée
de la région dystrophique, et les paramètres pelviens : pente
sacrée, incidence, version pelvienne (figure 4 et figure 10). On
mesure également les courbures scoliotiques.
Le diagnostic différentiel radiologique est celui de bloc vertébral
antérieur à révélation tardive tant que les vertèbres ne sont pas
soudées en avant.
ÉVOLUTION À L’ADOLESCENCE
En l’absence de traitement, les cyphoses évoluent. Ainsi, Brad-
ford (13) a montré que, sur 168 cyphoses thoraciques dues à la
maladie de Scheuermann, 96 évoluaient avant la mise en place
du traitement.
PHYSIOPATHOLOGIE
Il existe une altération de la substance fondamentale du cartilage,
avec une diminution du rapport collagène sur protéoglycanes : ce
rapport peut être congénitalement faible, en raison d’un facteur
héréditaire, mais sa diminution peut être secondaire à un trauma-
tisme, notamment de type mécanique, comme le suggère l’étude
de Swärd (4). L’existence d’un facteur mécanique est probable en
raison de lésions dystrophiques vertébrales chez les personnes fai-
sant des travaux pénibles ou pratiquant certains sports, chez les
obèses, et en raison de la réversibilité possible de la cunéiformi-
sation vertébrale avec le port du corset. Cette faiblesse du carti-
lage du plateau vertébral entraîne un prolapsus discal intraosseux
qui inhibe l’ossification endochondrale, aboutissant à un arrêt de
la croissance antérieure du corps vertébral. De plus, la cyphose
crée elle-même une hyperpression sur les plateaux vertébraux et
favorise la cunéiformisation. La dégénérescence discale est-elle
la manifestation d’un défaut intrinsèque du cartilage comme les
autres anomalies ou est-elle en fait une manifestation primitive ?
TRAITEMENT
Le but du traitement est de stopper l’évolution et si possible de
corriger les troubles de la statique vertébrale en permettant la
réparation des vertèbres.
Méthode
La kinésithérapie permet :
Un travail d’auto-agrandissement devant un miroir, en positions
assise et debout, avec correction des anomalies posturales.
Des étirements des muscles pectoraux, des fléchisseurs de
hanches et des ischio-jambiers.
– Une rééducation respiratoire.
Un travail d’extension des spinaux en corrigeant la cyphose.
Des exercices d’assouplissement de la cyphose dorsale (figure 8).
Un travail lordosant de la région lombaire haute en cas de
Scheuermann lombaire.
– Des tractions dynamiques sur table de Cotrel.
Des règles d’hygiène de vie sont conseillées : plan de travail sur-
élevé ou incliné, siège adapté, postures de redressement de la
cyphose à faire chez soi. La maladie de Scheuermann contre-
indique le port de charges lourdes et la pratique de sports com-
portant une réception brutale sur le sol. Les sports de compéti-
tion peuvent être nocifs (gymnastique, football...).
Le traitement orthopédique comprend différents types de cor-
sets : le but est d’essayer de réduire la cyphose, mais aussi de
stopper l’évolution pendant l’adolescence.
– Le corset plâtré : avec ou sans têtière (figure 11) selon le niveau
de la cyphose. Il est réalisé en décubitus dans un cadre dérivé du
cadre d’Abott, avec correction de la cyphose à l’aide d’une bande
en U, placé en dessous de son sommet. Il faut veiller à conserver
une lordose lombaire correcte et une antéversion correcte du bassin,
avec projection du segment supérieur du corps en arrière des têtes
fémorales, et parfois correction d’une hyperlordose. Ce corset est
renouvelé régulièrement pour permettre une correction progressive.
Le corset de Milwaukee (figure 12) : orthèse dynamique per-
mettant l’extension progressive du rachis et la correction de la
cyphose grâce à la têtière et à deux tampons placés en dessous
du sommet de la cyphose. On y associe des appuis pré-huméraux
ou des sangles d’épaules. Il faut également veiller à corriger la
lordose lombaire et la version pelvienne.
Figure 11. Corset plâtré anticyphose.
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