DOSSIER THÉMATIQUE
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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
De même, beaucoup de femmes traitées pour cancer du sein
n’ont pas de demande expresse et leur qualité de vie, à travers ces
mêmes questionnaires, se révèle satisfaisante. Il est souvent fait
état de doléances différentes exprimées par la patiente en fonc-
tion de l’interlocuteur, gynécologue ou cancérologue. Lorsque le
cancérologue est également le gynécologue, les doléances sont
probablement recueillies de façon plus exhaustive, mais elles res-
tent éminemment variables d’une femme à une autre. Or, actuel-
lement, la majorité des femmes traitées ont peur des hormones,
surtout quand elles ont été traitées il y a dix ans par ovariolyse et
estiment, peut-être à juste titre, qu’elles doivent à ce traitement
d’être là aujourd’hui pour en parler. Certes, il existe une différence
entre une femme en cours de traitement et une femme à distance
de sa maladie initiale. Cependant, qui peut raisonnablement dire
à une patiente atteinte de cancer du sein qu’elle est définitive-
ment guérie, et après quel délai peut-on espérer n’avoir ni réci-
dive ni évolution ? Ne dit-on pas que les patientes atteintes
d’un cancer du sein ont un risque controlatéral majoré ? N’a-t-
on pas démontré que l’adjonction d’anti-estrogènes, même tar-
divement, améliorait la survie du groupe traité ?
La question vaut-elle alors d’être posée ? Pendant longtemps,
les cancérologues ont répondu par la négative, considérant
qu’il n’était pas dans leurs attributions de s’intéresser à des
prescriptions non cancérologiques. Dans le cadre de la prise en
compte de la qualité de vie, de l’évolution des idées et du
nombre croissant de petits cancers de bon pronostic chez des
femmes jeunes ayant souvent reçu des chimiothérapies indui-
sant des aménorrhées, la question a fait son chemin, et nombre
de médecins se disent séduits par l’idée d’une réintroduction
hormonale prudente et mesurée.
La femme de demain...
Les idées ont déjà évolué, et le profil hormonal et psycholo-
gique des femmes arrivant à la cinquantaine s’est modifié : la
majorité des femmes de 40 ans ont pris la pilule pendant 15 à
20 ans et sont décidées à prendre un THS pendant la même
durée. Au sein d’une population de même âge, dont le taux de
traitement atteindra peut-être 30 à 40 %, les femmes privées de
THS en ressentiront plus vivement l’interdiction. La propor-
tion de femmes mises en aménorrhée à la suite de traitements
augmente, on l’a vu. Beaucoup de femmes verront survenir
leur cancer alors qu’elles sont sous THS, et si, à l’heure actuelle,
la plupart d’entre elles ne sont pas loin de penser que leur
maladie est due “aux hormones” (probablement parce qu’un
certain nombre de médecins le pensent, même à voix basse), il
est possible que, l’évolution se faisant, la peur des hormones
s’atténue. Il n’en reste pas moins vrai que toute femme chez
qui la prescription d’estrogènes a donné lieu à des mastodynies
ou à des modifications sensibles des seins ressent une certaine
réticence, même si mastodynie n’a jamais été synonyme de
cancer.
Propositions...
Alors, que faire ? Personne n’accepte l’idée de faire fi de la
contre-indication légale et de déverser la “potion magique”
sans retenue. Tous aimeraient une méthodologie rigoureuse et,
depuis des années, tous les articles, toutes les conférences sur
ce sujet se concluent par la nécessité d’un essai randomisé.
Des essais randomisés avec des bras proposant autre chose
qu’un placebo sont en cours d’élaboration, qui pourraient être
THS contre tamoxifène ou THS + tamoxifène contre tamoxifène
seul (ECOG). Ces essais, pour compliquée que soit la juxtapo-
sition de deux molécules telles que le tamoxifène et le THS,
auraient le grand mérite de fournir enfin une réponse à la ques-
tion. L’étude cas-témoins et le relevé des cas sont des attitudes
qui ont le mérite de faire un enregistrement méticuleux des
patientes, de les suivre, mais qui sont sans valeur aux yeux des
statisticiens, ce d’autant que les femmes “demandeuses” sont
différentes des autres, ce qui induit un biais préjudiciable. Cer-
tains répondent ponctuellement à la demande après cinq ans
d’observation pour des problèmes médicaux, comme les pro-
blèmes rhumatologiques ; d’autres accèdent à la demande des
patientes dans un délai de deux à trois ans, sans restriction par-
ticulière ; enfin, certains voudraient ne proposer le traitement
qu’après sept ans, dans le cadre d’un protocole fédératif.
Les partisans du tamoxifène ou du raloxifène évoquent la pos-
sibilité d’utiliser ces molécules dans cette indication. Certes,
ces molécules ne résolvent pas les troubles climatériques, et
peuvent induire, comme on l’a vu dans l’étude du NCI, des
troubles secondaires à type de pathologies endométriales ou
thromboemboliques (précédemment développées par B. Cutuli),
mais elles agissent sur la survie globale (ce qui est un élément
majeur, eu égard à la population considérée) ainsi que sur les
pathologies cardiovasculaires et osseuses.
Cent ans après la première castration par Beatson, et à l’aube
du XXIesiècle, ce grand débat sur les estrogènes n’a rien perdu
de son actualité. L’avenir saura-t-il nous offrir la molécule
idéale traitant la ménopause et protégeant du cancer du sein ? ■
POUR EN SAVOIR PLUS...
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