261133F/n°2 20/04/04 R 17:16 Page 49 U M E U R S . . . Revue de presse grand public ● M. Escoute* “Que j’aime le son du coq le soir au fond des buts”. Alfred Barthez L’actualité de ces derniers mois, je ne vous l’apprends pas (à moins que vous ne soyez partis pour une longue villégiature à Pensacola, Antarctique, avec comme seuls compagnons des manchots empereurs), a été particulièrement obsessionnelle et complètement saturée par un phénomène d’envergure mondiale que je ne vous ferai pas l’injure de rappeler. Celui-ci ayant eu au moins l’avantage de faire connaître à une planète ignorante le cri majestueux de ce bel animal, de ce fleuron emblématique français, je veux bien sûr parler du coq… La poussée de nationalisme fut telle que l’on n’avait plus vu depuis la Libération autant de monde sur les Champs Elysées… ❒ Et pourtant, dans l’ombre de cette flambée de patriotisme, des chercheurs parisiens (de l’équipe du Pr Perricaudet, IGR) donnaient l’opportunité de lire dans les colonnes secondaires de France-Soir, Le Figaro, L’Est Éclair, La Marseillaise et La Voix du Nord : “Cancer : mis hors d’état de nuire”, “Les tumeurs tuées par la faim”, “Cancer : l’espoir est français”, “Condamner les cellules cancéreuses au dépérissement”, et cela grâce à l’utilisation d’une protéine bien connue, l’urokinase, mais qui, une fois “bricolée”, permettrait, par le biais d’un virus porteur, de détruire l’angiogenèse tumorale et d’entraîner ainsi la mort cellulaire : les résultats semblent époustouflants puisque l’on parle d’une destruction de 90 % du réseau vasculaire. Toutefois, reprenons l’histoire au début : ce serait un Américain, le Dr J. Folkman (Boston, Massachusetts), qui serait à l’origine de la découverte de l’utilisation de deux protéines, l’angiostatine et l’endostatine, dans le but de supprimer la vascularisation tumorale, ce qui déclencherait la destruction des lésions cancéreuses, et aussi l’inhibition de leur multiplication. La nouvelle fit un tabac aux États-Unis, on s’en doute, d’autant plus que les résultats de ces études ont été publiés dans la presse huit jours avant que ne se réunisse le conseil d’administration du laboratoire concerné. Pour ajouter à cet enthousiasme journalistique, le Dr Klausner (directeur du NCI) a conclu son communiqué à US Today par : “Je place les essais cliniques sur ces deux médicaments au premier rang de nos priorités.” Il n’en fallait pas plus pour que le laboratoire en question, à savoir Entremed, voie son titre s’envoler en Bourse, passant en quelques heures de 12,06 dollars à 56,31 dollars. Il est cependant intéressant de noter que dans l’Hebdo-Vie Ouvrière et Le Monde, il est rappelé que des chercheurs français, dont J.P. Escande, suivent depuis vingt ans (!) une piste similaire, en essayant de détruire l’environnement de la cellule cancéreuse et non plus la cellule elle-même. Sanofi (branche pharmaceutique des produits pétroliers Elf), qui finançait jusqu’à présent les recherches, aurait récemment coupé les crédits ! En outre, ces résultats ne sont valables, pour l’instant, que pour les… souris ! Comme le souligne le Pr Khayat dans *Clinique Sainte-Catherine, Avignon. La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998 un communiqué à l’AFP : “La piste de ces deux protéines est très séduisante, mais plus de cinquante molécules similaires sont à l’essai sur l’animal, et près d’une vingtaine ont déjà été abandonnées.” Par ailleurs, sans vouloir paraître condescendant, il faut savoir que d’autres équipes beaucoup moins bruyantes, dont celle du Pr Schuchter (Université de Pennsylvanie), utilisent des substances similaires dans la surveillance d’anticorps de cancers du rein ou de lymphomes chez l’homme. Et les chercheurs français, beaucoup plus circonspects, d’ajouter : “Pour l’instant, ces résultats ne sont pas exploitables chez l’homme”. ❒ Autre bombe (en dehors de la France, championne du monde), américaine encore, et présentée à l’ASCO : une nouvelle molécule, l’herceptine. Les titres de dizaines de journaux dans le monde révélaient plus sobrement : “Un nouveau traitement contre le cancer du sein”, “Un anticorps monoclonal contre le cancer”, “Genentech’s promising clinical results flag advances in cancer treatments”. Et le Dr Goldstein (Fox Chase Center, Philadelphie) de déclarer : “Nous sommes à un moment très stimulant où nous constatons que l’approche moléculaire permet effectivement de combattre le cancer du sein, et il ne fait pas de doute que nous possédons là un nouvel agent anticancéreux, probablement le premier d’une longue série.” C’est le Dr Slamon (UCLA), dont le programme de recherche est soutenu par le groupe cosmétique Revlon (pratique fréquente aux États-Unis), qui a découvert en 1986 une erreur génétique chez environ 30 % des femmes atteintes d’un cancer du sein. Ce gène, que l’on connaît, HER-2/neu, est impliqué dans la surproduction d’une protéine favorisant la multiplication des cellules cancéreuses. Or un anticorps, baptisé herceptine, est capable de s’attaquer à cette protéine et de détruire les cellules tumorales. Fabriqué par la société Genentech, racheté pour un prix “substantiel” non communiqué (!), comme le soulignent l’International Herald Tribune et le Wall Street Journal, sa commercialisation hors des États-Unis sera confiée à Roche Holding. Des études montreraient une régression de plus de 50 % de la tumeur (contre 43 % pour les traitements standards) en le combinant à des traitements chimiothérapiques classiques, et non en utilisation seule, comme le laissent supposer la plupart des quotidiens. Là où cela risque d’être explosif, c’est que ces résultats combinés donnent des taux de réponses tumorales bien supérieurs à ceux du paclitaxel, opposant 42 % de réponses positives à 16 % pour le Taxol seul ! (Flottement boursier en vue pour Bristol-Myers Squibb ? Et Rhône-Poulenc vient d’obtenir l’accord de la toutepuissante FDA pour la commercialisation du docétaxel…). Autre avantage de ce produit, et non des moindres quand on sait l’importance psychologique que cela peut représenter chez les femmes (voir les études réalisées sur la qualité de vie) : cette molécule ne présenterait pas d’effets secondaires du type alopécie ou effondrement des globules sanguins, mais seulement certains troubles cardiaques aisément corrigés, selon le Dr Slamon. 49 261133F/n°2 20/04/04 R U 17:16 M Page 50 E U R S . . . ❒ Suite de “l’affaire tamoxifène” retrouvée dans Le Figaro, L’Express, le Tout Lyon, France Antilles, La Voix du Nord : “Cancer du sein : non à la prévention généralisée”, “Cancer du sein : une piste incertaine”. Ces articles rapportent l’existence de quatre essais en cours ou clôturés (américain du NSABP, italien de Veronesi, anglais de Powles et l’essai IBIS) dont les conclusions sont contradictoires. Ces journaux insistent sur l’attitude très réservée du groupe d’experts de la FNCLCC et évoquent la possibilité de mise en route d’un essai français. En revanche, dans Voici, Le Havre Presse, Le Républicain Lorrain, on voit apparaître le nom du raloxifène avec, pour certains (capables de ne pas faire l’amalgame tamoxifèneraloxifène), la notion d’absence d’effets secondaires à type de cancer de l’endomètre. Je ne vous surprendrai pas en vous signalant que, depuis la parution des résultats du raloxifène, le groupe Ely Lilly clôture en hausse à la Bourse américaine, en sachant que le raloxifène commercialisé sous le nom d’Evista® pourrait approcher les 12 milliards de francs de ventes annuelles d’ici à 2002, selon les sources du Nouvel Observateur. ❒ Puisque ce numéro est consacré aux THS, quelques réactions ont été relevées dans Le Figaro : “Le prudent traitement de la ménopause”, où il est noté que ce traitement ne semble pas augmenter le risque de récidive de cancer, mais que l’on attend les résultats d’autres études dont ceux de Vassilopoulou (Houston). En revanche, dans la Nouvelle République des Pyrénées, l’accent est mis sur l’augmentation de 35 % des cancers chez les femmes traitées plus de onze ans et l’article souligne les réserves de l’OMS. Un très bel article, très complet, intitulé : “Ostéoporose : le défi européen”, remarqué dans Libération Champagne du 29 juin, explique les causes, les facteurs de risque, le dépistage, l’impact européen, les associations d’aide, le régime idéal et les règles d’hygiène de vie. Plus racoleur et percutant : “THS, le Viagra des femmes ?”, où l’on insiste sur une association estrogènes-androgènes, vantant surtout les mérites des hormones mâles susceptibles de “réveiller” la vie sexuelle des femmes, ce qui permet à un journaliste persifleur de poser cette question narquoise : “Et que dire d’un couple utilisant le mélange détonant Viagra pour monsieur et androgènes pour madame ?”. Il est curieux de constater que cet article a été imprimé dans Le Var, Corse-Matin, La Provence et Nice-Matin… Il ne sera pas nécessaire de faire des allusions sauvages au machisme méditerranéen car, dans ces mêmes journaux, on retrouve une exhortation au dépistage des cancers féminins sous le titre : “Examens : ne rechignez pas !”. ❒ Dans un registre plutôt terroriste, une dizaine de quotidiens titrent, à la fin du congrès Eurocancer : “Cancer : des chiffres accablants”, “Le nombre de cancers n’a cessé d’augmenter, contrairement à ce qu’affirment certains cancérologues”, heureusement contrebalancés par “Le troisième millénaire se portera bien” et deux entrefilets rapportant une baisse du nombre de cancers aux États-Unis et de la mortalité par cancer aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. ❒ De quoi faire revenir le sourire à la Seita, malmenée par les lobbies anti-tabac, d’éminents spécialistes américains, canadiens et français auraient découverts que : “Fumer protège cer50 taines femmes du cancer du sein”, aboutissant à des titres comme : “L’effet faste du tabac”, “Le tabac bénéfique ?”. Il est quand même précisé que cela ne concerne que les femmes porteuses d’une anomalie génétique BRCA 1 ou BRCA 2, et qu’un paquet de cigarettes par jour réduirait le risque de moitié. Tombe-t-on de Charybde en Scylla ? Il est précisé, bien sûr, que cela ne doit pas être considéré comme un encouragement à fumer ni une absolution quelconque. Il n’est peut-être pas forcément nécessaire d’accroître la proportion statistique actuelle de 56 % d’augmentation des cancers du poumon chez la femme ! ❒ Un serpent de mer, qui va certainement enthousiasmer nos chirurgiens débordés : “Cancer du sein : calculer la date de votre opération”, où il est expliqué qu’il y a davantage de bénéfices en termes de survie lorsque la chirurgie est réalisée en deuxième partie de cycle. Nous aimerions beaucoup être présents lorsque le Dr Villet, auteur d’un article incendiaire intitulé : “Pour en finir avec la date des règles”, se retrouvera en consultation face à une patiente en train de calculer la date optimale de son intervention ! Pour finir, quelques scoops surprenants Lu dans Sud-Ouest Dimanche, où il est rapporté que dans les six mois suivant la mastectomie subie par Nancy Reagan en octobre 1987, les médecins américains ont constaté une baisse de 25 %… du choix d’un traitement conservateur chez les patientes atteintes d’un cancer du sein… De l’influence des célébrités ? ■ Un animateur de radio hollandais, choqué par le décès par cancer du sein de l’épouse de l’ex-Beatles Paul MacCartney, a proposé, pour sensibiliser ses auditrices à cette maladie, qu’on lui envoie un soutien-gorge ; il en a reçu un tel nombre que ceux-ci furent suspendus en guirlande à l’entrée du port de Rotterdam ; on imagine la tête des capitaines de navire, mais c’est peut-être un bel exemple de solidarité féminine. Pas moins de vingt journaux français ont rapporté l’événement. ■ Insolite et colporté par près de 42 quotidiens, dont le très sérieux journal Le Monde, l’histoire d’un Américain, Paul Shimkonis, qui a été assommé par les seins d’une strip-teaseuse ultra-siliconée et exubérante au cours de l’enterrement de sa vie de garçon. L’infortuné futur marié souffre depuis de douleurs cervicales intolérables et n’a pas hésité à demander 15 000 dollars de dommages et intérêts ! La justice américaine a débouté le plaignant, mais cela a permis à des journalistes, très en veine, de présenter quelques figures de style, du type : “Attentat à la rondeur”, “Des seins sonneurs”, “Un spectacle assommant”, “Débouté, un verdict assommant”. ■ Cependant, pour terminer, la palme revient incontestablement à cet article qui fut à la pointe de l’actualité, retrouvé dans Le Canard Enchaîné, où sont rapportés les propos du Pr Barte (Hôpital Marmottan) : “Il faut savoir que le football est un sport à haute symbolique sexuelle. Chez l’homme, le besoin du ballon rond, c’est un besoin voyeuriste. Lorsqu’il regarde un ballon rond, votre époux voit vos seins.” Ce à quoi le journaliste perfide, et certainement goguenard, a rétorqué : “Et lorsqu’il regarde un but ?” ■ ■ La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998