R U M E U R S Revue de presse grand public ● M. Escoute* “L’optimiste, c’est celui qui n’a pas encore appris la mauvaise nouvelle.” Belles galères. P. Cauvin Lorsque l’on dépiaute la prose médiatique de ces six derniers mois, un constat aveuglant s’impose : la corporation journalistique semble être le creuset idéal à une grande étude épidémiologique sur les ferments, les manifestations et les ravages d’une lithiémie anormalement basse chez des sujets au demeurant adultes et, jusqu’à preuve du contraire, en pleine activité professionnelle. La tendance du dernier semestre étant plutôt suicidaire, faisant passer Cioran pour le véritable auteur de la série Harlequin. En effet, lorsque l’on regarde les résultats rapportés des II es États généraux du cancer, des Dernières Nouvelles d’Alsace en passant par Le Républicain Lorrain jusqu’à Nice Matin, La République du Centre et même Ouest France – en bref, aux “quatre” coins de l’hexagone – une seule et même longue plainte transperce la une des journaux : “Les malades du cancer veulent être mieux écoutés et aidés”, “les malades du cancer réclament une meilleure prise en charge”, “Les malades du cancer réclament plus d’attentions”, “Le désarroi des malades du cancer”… Y sont relatés, pêle-mêle, le désir de “vérité”, mais avec finesse et psychologie, le désir de participation éclairée aux choix thérapeutiques et à leurs modalités de déroulement, les différentes particularités de prise en charge et les problèmes de réinsertion socioprofessionnelle, et en fait, des revendications tout à fait légitimes et maintenant relativement bien intégrées par le corps médical. Mais quand cessera-t-on de lire encore des harangues fielleuses du style “Les malades du cancer veulent sortir du mépris qu’on leur impose bien souvent”, “Le dialogue n’est pas toujours simple pour la bonne et simple raison que les médecins ne sont jamais sûrs de rien en matière de cancer et qu’ils ont horreur d’avouer leur ignorance”, “Certains ‘pontes’ traitent parfois les adultes les plus aguerris comme des enfants, par crainte d’offusquer leur pudeur et d’amenuiser leur chance de guérison” ? Louis Jouvet, dans Entrée des artistes, aurait eu cette réponse extraordinaire : “Je te remercie, tu ferais un excellent critique. Tu parles fort bien de ce que tu connais mal...” Et puis, il y a bien sûr cette demande lancinante d’attention et d’écoute et ce rejet d’attentes interminables pour des temps de consultation jugés trop brefs par les patients et là, les hurlements d’alarme éclatent de toutes parts : “La lutte contre le cancer est en panne” (L’Ardennais, Le Populaire du Centre, L’Echo républicain…), “Lutte contre le cancer : entre colère et découragement” (Journal de la Haute-Marne) “Le cancer en France : un diagnostic alarmant” (Le Maine Libre), “Cancer : 1 mort toutes les 3 minutes et demie !” (Paris Match), “Cancer : un fléau qui prend de l’ampleur” (La Marseillaise). 30 Il y est expliqué ainsi que tout cela est de la faute : – du manque d’effectifs (merci le numerus clausus !) et de la désaffection des spécialistes, sachant que la majorité du “parc” cancérologique français est représenté par des quinquagénaires proches de la retraite et que cette discipline n’intéresse pas les jeunes médecins qui la trouvent trop exigeante affectivement et intellectuellement et surtout chronophage (ah ! ben, c’est sûr, si on n’a même plus le temps de faire un dix-huit trous à Saint-Nom-la-Bretèche, alors !...). – du manque “cruel” d’équipements d’imagerie : le nombre d’IRM et PET Scan (10 en France, 80 en Allemagne) nous plaçant juste avant la… Turquie. À la mammographie numérique portée au pinacle par certains (Notre Temps, Prima) mais encore très onéreuse (ne rêvez pas, la numérisation permet de mieux “voir” certains cancers mais ne détecte pas l’invisible. NdA utilisatrice de ladite machine). – de l’inertie du gouvernement qui, le 4 février 2000, avait promis, juré, craché que le cancer était une “priorité nationale” et qui balbutie encore en mai 2001 et ne sait toujours pas à quoi correspond le fameux ruban rose d’Estée Lauder !… Même si Monsieur le ministre délégué à la Santé rappelle dans L’Indépendant que notre système de soins a été classé numéro un mondial par l’OMS… bien que jamais premier dans aucun des critères et même au 12e rang pour les inégalités au sein de la population (les États-Unis faisant nettement mieux avec le 57e rang !) et au 26e rang pour l’équité de la contribution financière… (Viva Magazine). Mais re-promis, re-juré, etc. le dépistage des cancers du sein pour toutes ce sera fin 2001 (d’autant plus qu’un article de Tabar paru dans American Cancer Society montrerait non plus un bénéfice de 30 % de réduction de la mortalité mais de… 63 % !). – de la vétusté des sous-équipements radiothérapiques (Vivre : “Trop peu de moyens pour traiter décemment” ; Le Figaro : “Les retards de la radiothérapie” ; Midi Libre : Radiothérapie : voyants au rouge”) où il est rapporté que dans certaines régions, les accélérateurs tournent de… 7 heures à 23 heures (exemple parfait de l’application des 35 heures/semaine. C’est Lionel qui doit être fier !). Sans compter les articles dénonçant la voracité de quelques entreprises américaines, toujours dans la série “Dallas, ton univers impitoyable” de la guerre des gènes, avec dans Le Point : “Y a-t-il un gène du profit ?” et dans les journaux financiers (Investir, New Bourse, Challenges), la chute libre de plusieurs industries biotechnologiques comme “Transgène qui cherche un vaccin contre les pertes”. Et on voudrait qu’on ait le moral. Comme chantait Brel… et on comprend alors tout à fait que les débats z et ébats hautement philosophico-érotico-métaphysiques de Loana, JeanEdouard, Aziz and co passionnent au plus haut point une bonne majorité des français ! Là, au moins, on se marre ! Ça La Lettre du Sénologue - n° 12 - avril/mai/juin 2001 chante, ça rit, ça danse, ça discute, ça polémique, ça… (eh non, je ne l’écrirai pas !). Mais on aime surtout nos journalistes en phase maniaque lorsqu’ils s’exclament : “Nouveau pas dans la recherche de vaccin anticancer” (Centre Presse, La Dépêche du Midi, Le Maine Libre, etc.) ou “Grande découverte pour la recherche contre le cancer” (Le Progrès), “Les promesses des vaccins anticancer” (Le Figaro). On nous y décrit la découverte (par l’institut Pasteur) et l’utilisation d’un composé synthétique appelé MAG (Multiple Antigenic Glycopeptide) contenant un sucre, l’antigène Tn, présent à la surface de toutes les cellules cancéreuses, permettant la destruction de celles-ci, quelle que soit leur localisation avec, peut-être, une réponse immunitaire durable se réactivant en cas de récidive. Et des chercheurs argentins ont montré qu’en injectant des cellules cancéreuses coliques à des souris saines, on entraînait une réponse immunitaire et que la réinjection de ces cellules coliques à d’autres souris porteuses de cellules cancéreuses mammaires ou sarcomateuses détruisait la tumeur mammaire ou le sarcome ! ! ! CQFD : il pourrait y avoir un seul type de vaccin contre n’importe quel cancer ! Incredible, isn’t ? Bon, c’est sûr, ne nous emballons pas, ce ne sont que des souris… oui, mais des… génétiquement modifiées (qui a dit Panzani ?) c’est-àdire dotée de molécules identiques à celles de l’homme. Dans ce registre, retrouvé dans de multiples quotidiens et magazines (Notre histoire, l’Express, l’Écho, le Financial Times Europe, le Monde, etc.), après Dolly tant attendue en 97, des chercheurs américains (de l’université santé et sciences de l’Oregon sont heureux de vous annoncer la naissance d’Andi, né le 2 novembre 2000, ravissant petit singe macaque, issu d’un des 224 ovules “trafiqués” nécessaires à sa conception. Tout d’abord, cet adorable petit monstre possède un gène marqueur appelé GFP comme Green Fluorescent Protein, ce qui, paraît-il, faciliterait sa détection (pourquoi ? Pour mieux le voir quand on éteint la lumière ?) mais, en plus, il est promis à un des plus brillants avenirs ! Pensez donc, on va pouvoir lui introduire des gènes du diabète, des maladies cardiovasculaires, de la maladie d’Alzheimer et même de certains cancers et permettre ainsi d’accélérer les recherches sur des vaccins ou des thérapies ! Et en plus, ce petit veinard, s’il survit à tout cela, pourra bénéficier de la mise en place par Bill Clinton d’un “système de sanctuaire et d’assistance à vie” où il pourra couler une retraite heureuse ! Elle est pas belle la vie ? Mais Andi n’est pas tout seul car il a une sœur, une poule, surnommée “Britney” (comme la chanteuse des Spice Girls ?), elle aussi génétiquement modifiée (la poule bien sûr !), et qui va pondre des œufs contenant des protéines modifiées dans leurs blancs permettant l’élaboration de médicaments contre des cancers de la peau, du sein ou des ovaires. À raison de 250 œufs par an, on obtient, de façon beaucoup moins onéreuse qu’en laboratoire, les protéines nécessaires (La Presse de la Manche, Le Parisien, Le Figaro). Signalons un très bel article dans Le Monde Économie sur “La génomique, ‘nouvelle économie’ de la santé”, qui nous explique remarquablement bien, depuis la découverte de l’hélice ADN en 1953 jusqu’au décryptage complet du génome La Lettre du Sénologue - n° 12 - avril/mai/juin 2001 humain prévu pour 2003, l’explosion des différentes identifications des gènes porteurs de maladies et surtout les champs d’application thérapeutique sous-tendus. Avec, bien sûr, les problèmes éthiques et financiers soulevés, mais aussi la nécessité du partenariat des grands groupes industriels et pharmaceutiques avec les start-up, véritables pépinières de découvertes génomiques. Et j’ai enfin compris qu’il fallait différencier : – la thérapie génique utilisant des “gènes médicaments” représentant des gènes sains remplaçant des gènes déficients mais que la difficulté à les faire parvenir dans la cellule cible y fait obstacle ; – la génomique fonctionnelle qui analyse le fonctionnement du gène en relation avec les autres, ses protéines et l’environnement du malade permettant la création de protéines vecteurs spécifiques à un groupe d’individus (exemple : AZT, EPO) ou à un type de cancer ; – la génomique préventive, que l’on connaît déjà puisqu’elle est la plus utilisée, qui consiste à user de tests génétiques pour déterminer les patients à risque et (tenter !) de leur proposer des thérapies préventives ou de détecter les sensibilités spécifiques aux différents traitements et d’adapter ainsi une thérapeutique optimale. En revanche, patience, patience, l’Institute for Prospective Technological Studies (Commission européenne) prévoit, pour le cancer, la description des fonctions des gènes dans cette maladie pas avant… 2014, les applications thérapeutiques… de 2009 à 2020 et les thérapies préventives entre… 2010 et 2013 ! Si vous voulez acheter la chaumière de vos rêves en viager, c’est maintenant ou jamais !… Et toujours quelques scoops : • Dans Parents, il est rapporté que 7 % des femmes enceintes subissent un traumatisme pendant leur grossesse et dans 40 % des cas par accident de voiture : “Voilà pourquoi, disent-ils, les femmes enceintes devraient toujours être placées à l’arrière d’une voiture, ceinture attachée… mais mal renseignées ou ignorantes, elles roulent aujourd’hui sans ceinture”. Ah !… Et comment elles font pour atteindre les pédales ? • Une comparaison succulente dans Divas : de la même manière que l’on prône l’autopalpation des seins pour le dépistage des cancers, l’autopalpation des… noisettes pour ceux des testicules y est fortement conseillé. Désormais, samedi soir, soirée “détection des cancers” ! • Dans Médecine douce : Exit les soutiens-gorges pigeonnants, affriolants mauves ou imprimés panthère ; adieu string, tanga, brésilien froufroutants…. cela favoriserait les mycoses et les cancers du sein ! Chic, on va pouvoir ressortir nos bonnes vieilles Petit Bateau ! • Culturel : dans Monaco Matin, Le Point, Le Bien Public : “Un cancer de marbre”. À votre prochaine visite à la chapelle des Médicis, à Florence, observez attentivement la sculpture de Michel-Ange intitulée “La Nuit” et vous y verrez sculpté dans le marbre, un… cancer inflammatoire typique cliniquement du sein gauche de la statue ! Je ne vous surprendrai pas en vous disant que c’est un cancérologue américain qui a fait le diagnostic ! Ça doit être sympa de partir en vacances avec lui !... ■ 31