TAMOXIFÈNE retarder l'apparition du cancer, ou qu'il ne soit pas efficace... tains groupes de femmes.

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Revue de presse
● A. Travade*
TAMOXIFÈNE
Si l’intérêt du tamoxifène en traitement adjuvant après cancer du
sein reste indiscutable, sa place en traitement préventif vient d’être
largement débattue, dans la presse grand public tout d’abord (voir
rubrique Rumeurs dans La Lettre du Sénologue n° 1), et à travers la
publication de quatre études (article de synthèse par M. Namer dans
La Lettre du Sénologue n° 2). Voici la bibliographie s’y rapportant.
❒ Tamoxifène et prévention
Josefson D. News. Breast cancer trial stopped early. BMJ 1998 ;
316 : 1187.
L'essai américain concernant la prévention par le tamoxifène
(NSABP-P1), étude en double aveugle incluant 13 388 femmes en
bonne santé à haut risque de cancer du sein, a été interrompu 14 mois
avant la date prévue. En effet, les investigateurs ont trouvé une réduction de l'incidence de cancer du sein de 45 % par rapport au groupe
placebo. Au moment où Josefson écrit cet article, ces résultats n'ont
pas encore été publiés dans une revue scientifique, mais B. Fischer,
directeur de l'étude incluant 300 centres regroupés par le National
Cancer Institute (NCI), a donné une conférence de presse enthousiaste.
Il y a une diminution non seulement du risque de cancer du sein invasif, mais aussi des formes in situ. En outre, il y a une réduction des
fractures du col du fémur, du poignet et des vertèbres ; en revanche, et
cela est décevant, il n'y a pas de modification du taux d'infarctus. En
contrepartie, il y a davantage de cancers de l'endomètre, bien que 37 %
des femmes enrôlées dans l'étude aient subi une hystérectomie, mais
ceux-ci sont diagnostiqués à un stade précoce ; il y a aussi davantage
d'embolies pulmonaires et de thromboses veineuses.
L'interruption prématurée de cet essai est critiquable à bien des
égards ; en effet, des résultats à long terme ne pourront plus être
obtenus, et de nombreuses questions resteront sans réponse. Malgré
cela, la Food and Drug Administration (FDA) a donné son accord
pour l’utilisation en préventif du tamoxifène.
Enfin, les résultats américains ne sont pas surprenants puisque l'on
savait auparavant que, chez les femmes déjà atteintes d'un cancer du
sein, la prise de tamoxifène réduit l'incidence d'un cancer controlatéral
d'environ 45 %. Des études à plus long terme sont donc nécessaires.
En Grande-Bretagne, Powles, responsable d'un essai mentionné
plus loin, regrette que l'essai américain ne soit pas allé jusqu’au
terme prévu. Il émet l'hypothèse que le tamoxifène ne fasse que
* Centre d'imagerie médicale, 63000 Clermont- Ferrand.
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retarder l'apparition du cancer, ou qu'il ne soit pas efficace chez certains groupes de femmes.
À noter la parution récente de l’article attendu de B. Fisher concernant
le NSABP-P1, Tamoxifen for prevention of breast cancer : report of
the NSABP-P1 study. J Nat Cancer Inst 1998 ; 90 (18) : 1371-88.
Bruzzi P. Tamoxifen for the prevention of breast cancer. BMJ
1998 ; 316 : 1181.
L'éditorial de Bruzzi (Italie) reprend et complète les données cidessus. Que la réduction de l'incidence du cancer soit constatée
n'étonne personne, mais il n'y a pas forcément un lien avec la
réduction de la mortalité.
En outre, on peut supposer que le pronostic des cancers du sein
apparus chez les femmes sous tamoxifène puisse être plus mauvais que dans la population générale (la biologie de ces cancers
est différente), permettant la sélection de formes résistant au
tamoxifène ; par ailleurs, on ne connaît pas l'efficacité curative du
tamoxifène chez des femmes atteintes d'un cancer du sein qui l'auraient pris en préventif. La réduction de mortalité pourrait donc
être moindre que la réduction de l'incidence.
La durée optimale du traitement par tamoxifène est aussi sujette à
discussion, ainsi que les effets secondaires à long terme, pour une
exposition supérieure à cinq ans.
Autre question sans réponse : que faire des patientes encore en
bonne santé qui ont été traitées par tamoxifène à un âge jeune,
entre 35 et 50 ans, lorsqu'elles vieillissent et qu'elles entrent dans
une tranche d'âge à risque ?
Veronesi U. et coll. Prevention of breast cancer with tamoxifen :
preliminary findings from the Italian randomised trial among
hysterectomised women. Lancet 1998 ; 352 : 93.
Il s’agit d’un essai préventif italien, randomisé chez 5 408 patientes
hystérectomisées (20 mg par jour ou placebo pendant cinq ans).
Dans cette étude, il n'y a pas de différence entre les deux groupes
dans l'incidence du cancer d u sein. Les femmes ayant en
outre un THS ont moins de cancers du sein sous tamoxifène que
sous placebo (1 contre 8). Il y a davantage d'effets secondaires
vasculaires et d'hypertriglycéridémie sous tamoxifène. On note
un taux très élevé d’abandons de traitement (26 % après un an).
Powles T. et coll. Interim analysis of the incidence of breast
cancer in the Royal Marsden Hospital tamoxifen randomised
chemoprevention trial. Lancet 1998 ; 352 : 98.
Cet essai a été randomisé chez 2 471 familles ayant des antécédents familiaux (20 mg par jour ou placebo pendant huit ans).
En Grande-Bretagne, l'incidence du cancer du sein est la même
dans les deux groupes. Les femmes sous THS au moment de
La Lettre du Sénologue - n° 3 - décembre 1998 - janvier 1999
l'entrée dans l'étude couraient plus de risques que les autres,
mais, après ajustement en ce qui concerne les autres variables, il
n'y a pas de différence entre celles qui prennent le tamoxifène et
celles prenant le placebo.
Ces résultats, obtenus dans un groupe à antécédents familiaux, sont
donc en contradiction avec les résultats de l’essai NSABP-P1, dont
les femmes n'étaient pas recrutées en fonction du risque génétique.
Pritchard K.I. Is tamoxifen effective in prevention of breast cancer ? Commentaire. Lancet 1998 ; 352 : 80.
Pourquoi tant de différences concernant les résultats entre l'étude américaine et les essais anglais et italien ?
Ces deux derniers portent sur un plus petit nombre de sujets ;
l'étude de Veronesi comporte de nombreuses patientes perdues de
vue et les femmes enrôlées sont plus jeunes. L'étude de Powles
comprend également des femmes plus jeunes, ayant plus d'antécédents familiaux, et le suivi est plus long : l'effet sur les cancers
encore occultes et à un stade précoce ne se révélerait donc pas,
contrairement à l'étude américaine dont le suivi est plus court.
Le niveau de risque des patientes enrôlées dans les trois études
n'est pas le même. Il faut donc poursuivre les essais avant de
conclure, d'autant plus qu'aucun des trois n'étudie la mortalité, qui
reste la seule chose intéressante.
Un quatrième essai coordonné en Grande-Bretagne est en cours :
“International Breast Cancer Intervention Study” (IBIS), qui a
inclus 4 000 femmes sur un échantillonnage de 7 000 (voir
l’article de J. Cuzick. Continuation of the International
Breast Cancer Intervention Study (IBIS). EJC 1998 ; 34 (11) :
1647-8), et qui est indépendant de l'essai américain.
❒ Tamoxifène en adjuvant
Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group. Tamoxifen
for early breast cancer : an overview of the randomised trials.
Lancet 1998 ; 351 : 1451.
Le tamoxifène a été proposé en adjuvant chez des femmes traitées
pour un cancer du sein apparemment curable. Cinquante-cinq
études ont été rassemblées, réunissant 37 000 femmes avec un
recul de 10 ans.
En résumé, les femmes ayant des récepteurs aux estrogènes positifs (RE+) ou un statut en RE inconnu ont une survie améliorée de
façon nette.
Il y a une diminution des rechutes, une réduction de la mortalité
et une réduction des cancers du sein controlatéraux.
Les traitements de 5 ans donnent des résultats supérieurs aux traitements plus courts.
Ces données sont obtenues quels que soient l'âge et le statut ganglionnaire, même si une chimiothérapie y a été associée. En
revanche, les recherches doivent être poursuivies chez les femmes
qui ont des RE négatifs.
L'incidence des cancers de l'endomètre est augmentée de façon
significative (2,58). Elle augmente avec la durée d'utilisation mais
est indépendante de la dose : 20 mg, 30 mg ou 40 mg.
Dalberg K. et coll. A randomized trial of long term adjuvant
tamoxifen plus postoperative radiation therapy versus radiation
La Lettre du Sénologue - n° 3 - décembre 1998 - janvier 1999
therapy alone for patients with early stage breast carcinoma
treated with breast-conserving surgery. Cancer 1998 ; 82 : 2204.
Essai suédois randomisé chez des patientes ménopausées atteintes
d'un cancer invasif N-T1 ou T2, traitées par chirurgie conservatrice et radiothérapie. Les patientes traitées à la dose de 40 mg de
tamoxifène par jour pendant deux ou cinq ans ont une survie globale meilleure à dix ans. Les récidives dans le même sein et les
cancers de l'autre sein sont réduits. Le nombre de métastases et de
décès est également diminué. Les informations suggèrent l'intérêt
de l'utilisation du tamoxifène, même chez les patientes dont le
taux de survie à dix ans est de 90 %. Le taux de récidive locale est
divisé par 2 au moins, par rapport au groupe radiothérapie seule.
Kurtz J.M. Tamoxifen and breast conservation. Do we still need
radiotherapy ? Cancer 1998 ; 82 : 2090.
L'article précédent montre que l'adjonction de tamoxifène divise
par deux le risque de récidive locale dans ce groupe précis. Cela
peut susciter d'autres commentaires :
– les patientes préménopausées RE+, les patientes N+ ou ayant
des tumeurs, soit plus volumineuses, soit avec berges envahies
pourraient bénéficier de même du tamoxifène.
– Qu'en est-il des formes RE- ? Il n'y a pas assez de données pour
affirmer qu'il n'y aurait pas un bénéfice.
– Le tamoxifène peut-il éviter le recours à l'irradiation ?
Hortobagyi G.N. Progress in endocrine therapy for breast carcinoma. Cancer 1998 ; 83 : 1.
Cet article fait le point sur : les données actuelles concernant les
récepteurs hormonaux, le pronostic et la réponse aux thérapeutiques hormonales sur les cancers métastasés (qui, chronologiquement, étaient les premières formes étudiées) ; puis en thérapeutique adjuvante.
Historique du développement des thérapeutiques hormonales :
– anti-estrogènes et tamoxifène,
– progestatifs,
– inhibiteurs de l'aromatase, aminoglutéthimide tout d'abord et
actuellement anastrozole et létrozole,
– analogues de la LHRH.
Les nouvelles thérapeutiques hormonales
Pour éviter les effets estrogéniques du tamoxifène et du torémifène, deux nouveaux types d'anti-estrogènes ont été développés :
– anti-estrogènes purs, sans les effets agonistes ;
– modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes (SERM),
comme le raloxifène. À la différence du tamoxifène, ces composés exercent des effets sélectifs sur le RE en fonction du tissu
cible considéré : effets anti-estrogènes du tamoxifène sur le cancer du sein, effet agoniste des estrogènes sur l'os et les lipides sanguins, mais privation des effets agonistes estrogéniques sur l'endomètre et peut-être sur d'autres tissus (absence de prolifération
endométriale). C'est le cas du premier SERM autorisé par la FDA
pour le traitement de l'ostéoporose, le raloxifène.
D'autres indications en cours de recherche sont le traitement des
cancers du sein métastatiques, le traitement adjuvant, le THS des
patientes ayant des antécédents de cancer du sein ou de cancer
gynécologique.
La combinaison de plusieurs hormonothérapies peut avoir un effet bénéfique. C'est le cas du tamoxifène associé aux analogues de la LHRH.
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Les auteurs rapportent la publication de Taylor en 1948 : à
l'époque, la seule possibilité était l'observation clinique soigneuse.
Cinquante ans après, ces observations sur les thérapeutiques hormonales dans les cancers du sein métastatiques ne sont pas mises
en défaut.
Delmas P. et coll. Effects of raloxifene on bone mineral density,
serum cholesterol concentrations, and uterine endometrium in
postmenopausal women. N Engl J Med 1997 ; 337 : 1641.
Les SERM, déjà évoqués ci-dessus, se lient avec les RE, entraînant, selon les tissus, un effet agoniste ou antagoniste des estrogènes. Les auteurs ont proposé du raloxifène versus un placebo à
600 femmes ménopausées en bonne santé.
On observe, par rapport au groupe témoin, un rôle bénéfique
osseux, une diminution du cholestérol total et du LDL cholestérol,
mais pas de variation du HDL cholestérol ou des triglycérides.
Aucune différence d'épaisseur de l'endomètre ; les effets secondaires (mastodynies, bouffées de chaleur ou métrorragies) sont
semblables dans les deux groupes. Les études complémentaires
sont en cours, mais d'emblée cette molécule paraît prometteuse.
Fisher B. et coll. Tamoxifen and chemotherapy for lymph nodenegative, estrogen receptor-positive breast cancer. J Nat Cancer
Inst 1997 ; 87 : 1673.
Étude randomisée chez 2 306 patientes N- RE+,
– tamoxifène à 20 mg par jour pendant 5 ans,
– tamoxifène + chimiothérapie : méthotrexate fluoro-uracile,
– tamoxifène + chimiothérapie CMF.
Il y a un bénéfice indiscutable à associer la chimiothérapie, méthotrexate fluoro-uracile ou CMF, au tamoxifène, et ce bénéfice est
plus net chez les patientes ayant moins de 50 ans. Plusieurs questions sont toutefois en suspens : faut-il traiter toutes les patientes,
même celles dont la tumeur est inférieure à 1 cm, et le bénéfice
observé justifie-t-il un tel traitement (gain de 5 %, c'est-à-dire de
85 % à 90 % avec un recul de cinq ans) ?
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car ils ont des résistances croisées. Sa place en thérapeutique est donc actuellement mal définie.
Willen R. et coll. Histopathologic findings in thickened endometria, as measured by ultrasound in asymptomatic postmenopausal breast cancer patients on various adjuvant treatment including tamoxifen. Anticancer Res 1998 ; 18 (1B) : 667.
Sur 94 patientes de plus de 50 ans traitées en Suède pour cancer du sein, des modifications histologiques sont retrouvées
chez 25 % de celles traitées par tamoxifène (17 sur 67) comparées à 1/32.
Katase K. et coll. The incidence of subsequent endometrial carcinoma with tamoxifen use in patients with primary breast carcinoma. Cancer 1998 ; 82 : 1698.
Sur 825 patientes traitées pour cancer au Japon, 13 ont développé
un cancer de l'endomètre, dont 4 traitées par tamoxifène et 9 sans
tamoxifène. Il n'y a pas de lien entre la dose cumulative de tamoxifène et la durée du traitement avec le type histologique et le grade
du cancer. Il n'y a pas de différence de pronostic entre les deux
groupes. Pour ces auteurs, contrairement à l'article précédent, le
tamoxifène n'augmente pas le risque de cancer de l'endomètre.
Lansac J., Diouf A. Comment surveiller une femme sous
tamoxifène ? J Gynecol Obstet Biol Reprod 1998 ; 27 : 285.
Les auteurs rappellent les mécanismes d'action du tamoxifène et
les effets bénéfiques. Les effets secondaires sont étudiés. Les complications graves sont rares. L'augmentation du risque de cancer de
l'endomètre pour les doses de 20 mg par jour, si elle existe, est
faible et discutée. En effet, les biais sont possibles : femmes mieux
surveillées et dépistées, absence dans la plupart des études d'un
“état des lieux” utérin précis avant de débuter le traitement. Tout
symptôme clinique, en particulier les métrorragies, devra entraîner
des explorations. Il n'est pas démontré que la cytologie endométriale et l'échographie systématique soient utiles. L'atrophie glandulokystique ne doit pas être confondue avec une hyperplasie.
❒ Effets secondaires du tamoxifène et surveillance
Buzdar A.U. , Hortobagyi G.N. Tamoxifen and toremifen in
breast cancer : comparison of safety and efficacy. J Clin Oncol
1998 ; 16 : 348.
Essai du torémifène chez des patientes atteintes d'un cancer du sein
métastatique. Les deux molécules ne diffèrent que par un simple
atome de chlore, la différence majeure étant l'activité préclinique :
le tamoxifène, administré à haute dose et de façon répétée, est
hépatocarcinogène chez le rat tandis que le torémifène ne l'est pas.
Dans un essai de phase III, les deux agents ont une efficacité et
une fiabilité comparables dans le cancer du sein métastatique. Les
deux agents ont un effet hypocholestérolémiant à long terme. On
ne sait pas encore si le torémifène a les mêmes effets que le
tamoxifène sur la préservation de la densité osseuse, la réduction
des maladies cardiovasculaires et l'augmentation du risque de cancer de l'endomètre.
Le torémifène ne peut pas être utilisé après échec du tamoxifène
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Berlière M. et coll. Uterine side effects of tamoxifen : a need for
systematic pretreatment screening. Obstet Gynecol 1998 ; 91 : 40.
Les auteurs belges ont recherché systématiquement une anomalie
endométriale par échographie endovaginale avant de proposer le
tamoxifène et, si l'endomètre était supérieur à 4 mm, une hystéroscopie avec biopsie d'endomètre.
Ils en concluent que les femmes présentant un bilan initial perturbé développent plus fréquemment que les autres des anomalies
sous tamoxifène et justifient ainsi l'intérêt d'un examen systématique préthérapeutique permettant de mieux surveiller les patientes
à risque endométrial.
Vergote I., Neven P. Tamoxifen and the uterus potential uterin
risks of anti-œstrogens. EJC 1998 ; 34 (Suppl. 4).
Voici le compte rendu attendu du symposium de Bruxelles de
décembre 1997 faisant la synthèse des effets secondaires du
tamoxifène sur la sphère gynécologique.
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La Lettre du Sénologue - n° 3 - décembre 1998 - janvier 1999
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