Quels sont les textes qui définissent le secret pro-
fessionnel ?
Depuis 1810, le code pénal sanctionne la violation
du secret professionnel. Lors de la refonte du code
pénal en 1994, l’article 378 a été remplacé par l’article 226-
13 : “La révélation d’une information à caractère secret
par une personne qui en est dépositaire soit par son état
ou sa profession, soit en raison d’une fonction ou d’une
mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement
et de 100 000 F d’amende.” C’est là le seul texte qui défi-
nisse le secret professionnel. Cette définition, on peut le
constater, est suffisamment large pour engendrer toutes
sortes d’interrogations.
À première lecture, trois remarques s’imposent.
– L’élément central est la révélation d’une information à carac-
tère secret. C’est au regard de cette notion de secret confque
doit se construire tout raisonnement.
– Le texte n’évoque pas le secret médical, mais le secret pro-
fessionnel, et ne définit pas les professions concernées. Le
même texte doit être adapté aux médecins, aux banquiers, aux
avocats, et c’est en fonction de la nature de l’information
confiée que l’on apprécie si elle relève ou non du régime du
secret professionnel.
– Le secret est défini par la loi, et encore par la loi pénale.
C’est dire la solennité de la règle. Raisonner sur le secret ren-
voie toujours à cette référence fondamentale : les intérêts en
cause sont tels qu’ils légitiment l’intervention de loi pénale,
dont la mission est de défendre les valeurs fondamentales, fon-
datrices de la vie sociale.
Que dit le code de déontologie médicale ?
Un non-juriste pourrait être tenté de faire le parallèle
entre deux codes, un code pénal et un code de déonto-
logie. Ce parallèle n’a pas grand sens. Le code de déon-
tologie n’est certes pas un texte secondaire, mais il ne saurait
être comparé à une loi pénale. C’est un décret, en l’occurrence
le décret 95-1000 du 6 septembre 1995, et un décret doit res-
pecter le cadre de la loi. Le décret qu’est le code de déonto-
logie précise la notion de secret au regard des données de
l’exercice médical, mais il ne saurait contrevenir aux disposi-
tions législatives. L’article 4 du code souligne cette subordi-
nation à la loi :
Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients,
s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la
loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du
médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seu-
lement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu,
ou compris.”
Deux autres dispositions du code évoquent le secret :
Article 72 al 1 : Le médecin doit veiller à ce que les per-
sonnes qui l’assistent dans son exercice soient instruites de
leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y
conforment.”
Article 73 al 1 : Le médecin doit protéger contre toute indis-
crétion les documents médicaux concernant les personnes
qu’il a soignées, examinées, quels que soient les contenus et
les supports de ces documents.”
Si le juge doit d’abord statuer par référence à la loi, il
ne saurait méconnaître les dispositions déontologiques.
Pendant longtemps, on a considéré que le code de déon-
tologie n’était applicable qu’en matière professionnelle ou
disciplinaire. Cette lecture restrictive n’a plus cours. Les
dispositions du code de déontologie sont une référence
générale, et notamment pour le juge pénal amené à statuer
sur une affaire de secret médical. Mais la première réfé-
rence reste la loi pénale, et plus particulièrement la juris-
prudence abondante qui s’est élaborée à partir du texte
pénal.
VIE PROFESSIONNELLE
La lettre du neurologue - n° 8 - vol. V - octobre 2001
366
Dix questions sur le secret professionnel
G. Devers*
* Avocat au Barreau de Lyon.
1
Référence sociale majeure, condition de la
confiance dans la relation de soins, le
secret professionnel, alors même qu’il relève
d’un régime légal, est d’une analyse très délicate.
Le secret professionnel est une indiscutable
nécessité, et il doit être compris comme un
élément d’ordre public de protection de l’intimité.
Mais d’autres intérêts, liés à la cohérence de la
vie sociale, justifient des limitations du secret. Le
secret se comprend dans cette opposition entre
intérêt privé et intérêt public.
2
Le secret est-il institué dans l’intérêt général
ou dans l’intérêt des patients ?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas clos. Le
secret est issu du code pénal, ce qui signifie qu’il est
institué pour des motifs d’intérêt général. Or, le code de déon-
tologie médicale précise que le secret est institué dans l’inté-
rêt des malades. Entre le code pénal, c’est-à-dire la loi, et le
code de déontologie, c’est-à-dire le décret, le match est inégal.
Le code de déontologie enrichit la loi mais ne peut la redéfi-
nir. La référence est l’intérêt général. La loi pénale protège le
secret professionnel et pas seulement le secret médical. La
valeur en cause est la confiance, et non le patient.
Le secret est institué dans l’intérêt des patients… mais des
patients entendus collectivement. Le secret est protégé en tant
que valeur collective. Le médecin, quoi qu’il arrive, est tenu
au secret professionnel, non parce qu’il aurait conclu un accord
avec le patient, mais parce que globalement l’exercice médi-
cal ne peut exister sans la garantie du secret. La conséquence
est l’indisponibilité du secret : le médecin ne peut se libérer
du secret, même si le patient le lui demande. Il faut sur ce plan
savoir résister aux modes et aux tentations éphémères.
Trois points s’imposent :
– Le secret n’est pas opposable au patient qui est en droit de
tout savoir sur son état de santé, la seule limite étant que le méde-
cin doit différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic
grave quand cette annonce serait contraire à l’intérêt du patient.
– Le patient lui-même n’est pas tenu par le secret et peut révé-
ler ce que lui a dit ou écrit le médecin.
– Le médecin ne peut s’impliquer dans une violation du secret,
ni la cautionner, car la règle est pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le secret, c’est parce
que l’acte de soin suppose l’intimité et que la loi a choisi de
faire prévaloir la santé, et en définitive la vie, sur d’autres
objectifs. Lorsque le patient s’adresse à un médecin, il doit
savoir que celui-ci lui dira tout, mais que, quelles que soient
les circonstances, il ne dira rien à autrui. L’interprétation du
code pénal est éclairée par le code civil et notamment la dis-
position fondamentale de l’article 9 : “Chacun a droit au res-
pect de sa vie privée.”
Qui est tenu au secret ?
La lecture de l’article 226-13 conduit à plus d’interro-
gations que de certitudes : état, profession, fonction ou
mission temporaire… L’essentiel est ailleurs : c’est la
notion de dépositaire. On revient à l’idée de secret confié.
Toutes les professions de santé sont concernées. Les textes le
prévoient explicitement pour les médecins, les pharmaciens,
les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les infirmières…
mais l’analyse doit être étendue aux aides-soignants ou aux
auxiliaires-puéricultrices, qui, du fait de leur proximité avec
les patients, se trouvent au cœur de nombre de secrets. Chaque
professionnel se trouve dépositaire d’un certain nombre de
secrets du fait de sa fonction.
Qu’entend-on par secret partagé ?
La prise en charge thérapeutique suppose un travail en
équipe et un partage de l’information. Il n’y a pas de
violation du secret professionnel entre les membres
d’une équipe. Ceux-ci doivent partager les informations qui
leur ont été confiées par le patient, c’est-à-dire, pour reprendre
la formule du code de déontologie, non seulement ce qui leur
a été dit, mais encore ce qu’ils ont vu, entendu ou compris.
Mais cette notion de secret partagé est restrictive : elle est limi-
tée à ce qui est strictement nécessaire et ne peut déborder le
cadre de l’équipe soignante. Un praticien n’a pas la capacité
de consulter un autre praticien non-membre de l’équipe sans
l’accord du patient. Il commettrait alors une violation du
secret. Il ne s’agit pas de raisonner pour éviter la sanction mais
pour intégrer le sens de la règle. Chacun doit comprendre com-
bien il est insupportable pour un patient de découvrir que son
cas a été discuté à son insu. À l’inverse, un patient acceptera
volontiers que son médecin confronte ses analyses ou cherche
des éclairages complémentaires auprès d’autres praticiens, dès
lors qu’on aura sollicité son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de véritables difficul-
tés en psychiatrie de secteur, car la prise en charge suppose le
travail en commun de professionnels tenus à des secrets pro-
fessionnels distincts. Les secrets professionnels du médecin
et du travailleur social se chevauchent mais ne se recoupent
pas. Aucun texte ne résout cette difficulté et la règle doit être
la prudence et le souci de défendre l’intimité. Seules les infor-
mations strictement indispensables à la prise en charge peu-
vent être partagées. La transparence n’est pas une valeur, à
l’inverse de la confiance.
Quelles sont les dérogations légales ?
Le législateur est à la recherche de l’équilibre entre la
préservation de l’intimité de la relation soignante et le
partage d’information nécessaire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont associés pour déclarer les
naissances et les décès. Cette mission incombe en premier lieu
à la famille et à défaut aux professions de santé (code civil,
article 56). La loi, en revanche, laisse à la femme la possibi-
lité d’accoucher sous X et la volonté de la femme s’impose
alors à l’équipe médicale, à l’état civil… et à l’enfant. Un pro-
jet législatif est actuellement discuté, qui mettrait en place un
organisme tiers qui pourrait permettre à l’enfant de reconsti-
tuer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique, la loi a institué cer-
taines déclarations obligatoires bien connues :
• Loi du 30 octobre 1946 : Maladies professionnelles.
• Loi du 15 avril 1954 : Alcooliques dangereux.
• Loi du 3 janvier 1968 : Certificats médicaux en vue de
l’adoption d’un régime de protection d’un incapable majeur.
De même, le code de la santé publique impose la déclaration
des cas de maladie vénérienne en période contagieuse, la
déclaration restant anonyme. Le décret du 19 septembre 1996
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a rendu obligatoire la déclaration de la suspicion de la mala-
die de Creutzfeldt-Jakob ou d’autres encéphalites subaiguës
spongiformes transmissibles à l’homme, sous forme nomina-
tive.
S’agissant du VIH, la règle est le secret, malgré les tentatives
de remise en cause. L’option retenue est celle de la responsa-
bilisation des patients, ce qui peut placer le médecin dans une
situation particulièrement inconfortable, quand le patient
refuse que sa séropositivité soit révélée alors même qu’il est
marié ou concubin. Le médecin est renvoyé à sa force de
conviction et à son sens des responsabilités. Cette incertitude
est une condition de la qualité.
Le carnet de santé est-il compatible
avec le secret ?
La loi a institué des limites au secret, et ces limites
légales doivent être respectées. Selon le code de la Sécu-
rité sociale, le carnet de santé doit être présenté à chaque méde-
cin appelé à donner des soins. En outre, d’autres professions
de santé – chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens,
auxiliaires médicaux et directeurs de laboratoire d’analyses et
de biologie médicale – sont autorisées à prendre connaissance
des informations qui présentent un intérêt pour le malade et
qui sont de leur compétence.
L’article L 162-1-4 du code de la Sécurité sociale ajoute :
Les praticiens amenés à donner des soins à une personne
peuvent, avec son autorisation, porter des informations per-
tinentes sur son carnet de santé afin de faciliter son suivi médi-
cal. D’autre part, ils peuvent être renseignés dans leur
domaine de compétence en tant que de besoin par les autres
professionnels de santé.”
Ces dispositions législatives cherchent à concilier des néces-
sités contraires. Le secret est institué par la loi et en prin-
cipe seule la loi peut en définir les limites. Mais la loi, dont
la mission est l’harmonisation du rapport social, ne peut se
satisfaire de la coexistence d’une multiplicité de secrets indi-
viduels. Elle doit fixer des limites permettant de concilier
le but d’intérêt général qu’est la protection de la santé et la
prise en charge du patient par des équipes pluridiscipli-
naires. Le principe législatif est alors rudoyé, et l’on peut,
dans ce cas, parler de violation légale du secret médical.
Cela ne signifie pas que ces violations légales soient illé-
gitimes, mais les praticiens doivent percevoir que l’on se
situe ici dans une atteinte au principe, justifiant une
démarche de grande prudence.
Le secret est-il remis en cause par les contrats
d’assurances ?
Deux situations doivent être distinguées :
– Lorsqu’une personne souscrit un contrat auprès d’une
compagnie d’assurances, celle-ci peut prendre en compte un
certain nombre d’éléments médicaux, car il n’y a pas de contrat
sans une juste appréciation du risque. Le souscripteur doit
remplir un questionnaire de santé, qui sera analysé par le
médecin de la compagnie d’assurances, et celui-ci donnera un
avis. Il n’y a pas de violation du secret car l’assureur n’a pas
de connaissance directe de la déclaration, et l’assuré a donné
son accord à l’examen de son dossier par un médecin de la
compagnie. Le contrat peut également prévoir des examens
réguliers à la demande de la compagnie d’assurances. Ces exa-
mens rentrent dans la logique contractuelle et ont donc été
acceptés par l’assuré : le secret est préservé.
– Il en serait différemment si une compagnie d’assurances
cherchait à obtenir des renseignements ou faisait analyser les
informations en sa possession par un médecin sans l’accord
de l’assuré. La violation serait manifeste. Il en serait de même
si, après un décès, on sollicitait l’équipe médicale pour
connaître la cause du décès. Un médecin de compagnie d’as-
surances n’a pas d’accès au dossier médical, sauf s’il justifie
d’une autorisation écrite du patient.
C’est au regard de ce schéma général que doivent être analy-
sées toutes les situations très complexes liées au jeu des
contrats d’assurances, avec une référence constante : la
confiance ne peut être trahie.
Comment concilie-t-on secret professionnel et
défense de l’enfant ?
Le médecin est le défenseur naturel de l’enfant, mais
il ne doit pas s’immiscer dans les affaires de famille.
Ainsi, il peut constater qu’un enfant est perturbé, souffre de
troubles du sommeil ou d’autres atteintes, mais il ne peut se
permettre d’imputer ces troubles à l’attitude d’un des parents.
Il peut remettre un certificat établissant les difficultés médi-
calement constatées au parent gardien sans violer le secret pro-
fessionnel, et ce parent pourra utiliser ce certificat descriptif
pour justifier l’organisation d’une mesure d’expertise.
S’il est confronté à la situation d’un enfant en danger, le méde-
cin doit tout faire pour interrompre le danger, c’est-à-dire
mettre l’enfant à l’abri. La sanction serait la non-assistance à
personne en danger. Mais, parce qu’il est tenu par le secret
professionnel, le médecin n’a pas l’obligation de dénoncer les
faits. C’est une faculté qui lui est ouverte. Souvent, la seule
réponse réaliste sera la dénonciation des faits, mais dans le
raisonnement et dans la pratique, les notions de protection de
l’enfant et de dénonciation des faits doivent être distinguées.
La bonne démarche est de protéger l’enfant en le mettant à
l’abri, puis de chercher à l’associer à la dénonciation des faits.
Le secret résiste-t-il aux enquêtes pénales ?
Le secret, notion d’ordre public, résiste à l’en-
quête pénale. L’enquête est à la recherche de la
vérité et les enquêteurs, juges ou policiers, sont
tentés de solliciter des informations protégées par le secret.
Le médecin doit discerner ces dérives et les combattre.
VIE PROFESSIONNELLE
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S’il est convoqué ou entendu, le médecin doit répondre à la
convocation, donner les informations générales, mais il doit
opposer le secret dès lors que les questions portent sur les soins
qu’il a donnés lui-même, et sur ce qu’il a appris lui-même à
l’occasion des soins. Ces informations ne sont pas confiden-
tielles par nature, mais confidentielles parce qu’elles ont été
confiées à ce médecin.
La justice n’est pas pour autant démunie : elle pourra obtenir
un éclairage complet en organisant une expertise, qui com-
prendra la saisie du dossier. Le médecin, parce qu’il a été soi-
gnant, est tenu par le secret. En revanche, la violation du secret
devient légitime si elle est, pour le médecin, un moyen de sa
défense. La jurisprudence valide alors la révélation des faits Les
informations médicales qui n’ont pas été acquises à l’occasion
de l’intimité de la relation de soin ne rélèvent pas du secret.
Il est rare qu’une enquête médicale soit engagée dans le cadre
d’une enquête de flagrance, de telle sorte qu’un médecin sait
suffisamment à l’avance quand il sera convoqué et entendu. Il
est alors souhaitable qu’il prenne le temps d’un avis auprès du
conseil de l’ordre, d’un confrère ou d’un avocat pour, face à
la tourmente judiciaire, conserver une attitude respectueuse
du droit.
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