47
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. II - 3eet 4etrimestres 2001
R
éférence sociale majeure, condition de la
confiance dans la relation de soins, le secret
professionnel, alors même qu’il relève d’un
régime légal, est d’une analyse très délicate. Le
secret professionnel est une indiscutable
nécessité et il doit être compris comme un élé-
ment d’ordre public de protection de l’intimité.
Mais d’autres intérêts, liés à la cohérence de la
vie sociale, justifient des limitations du secret.
Le secret se comprend dans cette opposition
entre intérêt privé et intérêt public.
QUELS SONT LES TEXTES QUI DÉFINISSENT
LE SECRET PROFESSIONNEL
?
Depuis 1810, le code pénal sanctionne la viola-
tion du secret professionnel. Lors de la refonte
du code pénal en 1994 l’article 378 a été rem-
placé par l’article 226-13 : “La révélation d’une
information à caractère secret par une per-
sonne qui en est dépositaire soit par son état
ou sa profession, soit en raison d’une fonction
ou d’une mission temporaire est punie d’un an
d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende”.
C’est là le seul texte qui définisse le secret pro-
fessionnel. Cette définition, on peut le consta-
ter, est suffisamment large pour engendrer
toutes sortes d’interrogations.
À première lecture, trois remarques s’imposent.
–L’élément central est la révélation d’une infor-
mation à caractère secret. C’est au regard de
cette notion de secret confié que doit se
construire tout raisonnement.
–Le texte n’évoque pas le secret médical, mais
le secret professionnel, et ne définit pas les pro-
fessions concernées. Le même texte doit être
adapté aux médecins, aux banquiers, aux avo-
cats, et c’est en fonction de la nature de l’infor-
mation confiée que l’on apprécie si elle relève
ou non du régime du secret professionnel.
–Le secret est défini par la loi, et encore par la
loi pénale. C’est dire la solennité de la règle.
Raisonner sur le secret renvoie toujours à cette
référence fondamentale : les intérêts en cause
sont tels qu’ils légitiment l’intervention de loi
pénale, dont la mission est de défendre les
valeurs fondamentales, fondatrices de la vie
sociale.
Q
UE DIT LE CODE DE DÉONTOLOGIE
MÉDICALE
?
Un non-juriste pourrait être tenté de faire le
parallèle entre deux codes, un code pénal et un
code de déontologie. Ce parallèle n’a pas grand
sens. Le code de déontologie n’est certes pas
un texte secondaire, mais il ne saurait être com-
paré à une loi pénale. C’est un décret, en l’oc-
currence le décret 95-1000 du 6 septembre
1995, et un décret doit respecter le cadre de la
loi. Le décret qu’est le code de déontologie pré-
cise la notion de secret au regard des données
de l’exercice médical, mais il ne saurait contre-
venir aux dispositions législatives. L’article 4 du
code souligne cette subordination à la loi :
“Le secret professionnel, institué dans l’intérêt
des patients, s’impose à tout médecin dans les
conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la
connaissance du médecin dans l’exercice de
sa profession, c’est-à-dire non seulement ce
qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu,
entendu, ou compris”.
Deux autres dispositions du code évoquent le
secret :
!Article 72 al 1 : “Le médecin doit veiller à ce
que les personnes qui l’assistent dans son exer-
cice soient instruites de leurs obligations en
matière de secret professionnel et s’y confor-
ment”.
!Article 73 al 1 : “Le médecin doit protéger
contre toute indiscrétion les documents médi-
caux concernant les personnes qu’il a soignées,
examinées, quels que soient les contenus et les
supports de ces documents”.
Si le juge doit d’abord statuer par référence à la
loi, il ne saurait méconnaître les dispositions
2
1
Chronique du droit
Dix questions sur le secret
professionnel
"
"
G. Devers*
* Avocat au barreau de Lyon.
Chargé d’enseignement à l’université
de Lyon-III.
déontologiques. Pendant longtemps, on a
considéré que le code de déontologie n’était
applicable qu’en matière professionnelle ou
disciplinaire. Cette lecture restrictive n’a plus
cours. Les dispositions du code de déontologie
sont une référence générale, et notamment
pour le juge pénal amené à statuer sur une
affaire de secret médical. Mais la première réfé-
rence reste la loi pénale, et plus particulière-
ment la jurisprudence abondante qui s’est éla-
borée à partir du texte pénal.
LESECRET EST-IL INSTITUÉ DANS LINTÉRÊT
GÉNÉRAL OU DANS L
INTÉRÊT DES PATIENTS
?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas
clos. Le secret est issu du code pénal, ce qui
signifie qu’il est institué pour des motifs d’inté-
rêt général. Or, le code de déontologie médicale
précise que le secret est institué dans l’intérêt
des malades. Entre le code pénal, c’est-à-dire la
loi, et le code de déontologie, c’est-à-dire le
décret, le match est inégal. Le code de déonto-
logie enrichit la loi mais ne peut la redéfinir. La
référence est l’intérêt général. La loi pénale pro-
tège le secret professionnel et pas seulement le
secret médical. La valeur en cause est la
confiance, et non pas le patient.
Le secret est institué dans l’intérêt des
patients... mais des patients entendus collecti-
vement. Le secret est protégé en tant que valeur
collective. Le médecin, quoi qu’il arrive, est tenu
au secret professionnel, non parce qu’il aurait
conclu un accord avec le patient, mais parce que
globalement l’exercice médical ne peut exister
sans la garantie du secret. La conséquence est
l’indisponibilité du secret : le médecin ne peut
se libérer du secret même si le patient lui
demande. Il faut sur ce plan savoir résister aux
modes et aux tentations éphémères.
Trois points s’imposent :
–Le secret n’est pas opposable au patient qui
est en droit de tout savoir sur son état de santé,
la seule limite étant que le médecin doit différer
l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic
grave quand cette annonce serait contraire à
l’intérêt du patient.
–Le patient lui-même n’est pas tenu par le
secret et peut révéler ce que lui a dit ou écrit le
médecin.
–Le médecin ne peut s’impliquer dans une vio-
lation du secret, ni la cautionner, car la règle est
pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le secret,
c’est parce que l’acte de soin suppose l’intimité
et que la loi a choisi de faire prévaloir la santé,
et en définitive la vie, sur d’autres objectifs.
Lorsque le patient s’adresse à un médecin, il
doit savoir que celui-ci lui dira tout, mais que,
quelles que soient les circonstances, il ne dira
rien à autrui. L’interprétation du code pénal est
éclairée par le code civil et notamment la dis-
position fondamentale de l’article 9 : “Chacun a
droit au respect de sa vie privée”.
Q
UI EST TENU AU SECRET
?
La lecture de l’article 226-13 conduit à plus d’in-
terrogations que de certitudes : état, profes-
sion, fonction ou mission temporaire...
L’essentiel est ailleurs : c’est la notion de dépo-
sitaire. On revient à l’idée de secret confié.
Toutes les professions de santé sont concer-
nées. Les textes le prévoient explicitement pour
les médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-
dentistes, les sages-femmes, les infirmières...
mais l’analyse doit être étendue aux aides-soi-
gnants ou aux auxiliaires-puéricultrices, qui du
fait de leur proximité avec les patients se trou-
vent au cœur de nombre de secrets. Chaque
professionnel se trouve dépositaire d’un cer-
tain nombre de secrets du fait de sa fonction.
Q
U
ENTEND
-
ON PAR SECRET PARTAGÉ
?
La prise en charge thérapeutique suppose un
travail en équipe et un partage de l’information.
Il n’y a pas de violation du secret professionnel
entre les membres d’une équipe. Ceux-ci doi-
vent partager les informations qui leur ont été
confiées par le patient, c’est-à-dire, pour
reprendre la formule du code de déontologie,
non seulement ce qui leur a été dit, mais encore
ce qu’ils ont vu, entendu ou compris.
Mais cette notion de secret partagé est restric-
tive : elle est limitée à ce qui est strictement
nécessaire et ne peut déborder le cadre de
l’équipe soignante. Un praticien n’a pas la capa-
cité de consulter un autre praticien non-
membre de l’équipe sans l’accord du patient. Il
commettrait alors une violation du secret. Il ne
s’agit pas de raisonner pour éviter la sanction
mais pour intégrer le sens de la règle. Chacun
doit comprendre combien il est insupportable
pour un patient de découvrir que son cas a été
48
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. II - 3eet 4etrimestres 2001
Chronique du droit
4
3
5
49
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. II - 3eet 4etrimestres 2001
discuté à son insu. À l’inverse, un patient accep-
tera volontiers que son médecin confronte ses
analyses ou cherche des éclairages complé-
mentaires auprès d’autres praticiens,... dès lors
qu’on aura sollicité son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de véri-
tables difficultés en psychiatrie de secteur car
la prise en charge suppose le travail en com-
mun de professionnels tenus à des secrets pro-
fessionnels distincts. Les secrets profession-
nels du médecin et du travailleur social se
chevauchent mais ne se recoupent pas. Aucun
texte ne résout cette difficulté et la règle doit
être la prudence et le souci de défendre l’inti-
mité. Seules les informations, strictement indis-
pensables à la prise en charge, peuvent être
partagées. La transparence n’est pas une
valeur, à l’inverse de la confiance.
Q
UELLES SONT LES DÉROGATIONS
LÉGALES
?
Le législateur est à la recherche de l’équilibre
entre la préservation de l’intimité de la relation
soignante et le partage d’information néces-
saire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont associés
pour déclarer les naissances et les décès. Cette
mission incombe en premier lieu à la famille et
à défaut aux professions de santé (code civil,
article 56). La loi, par contre, laisse à la femme
la possibilité d’accoucher sous X et la volonté
de la femme s’impose alors à l’équipe médi-
cale, à l’état civil... et à l’enfant. Un projet légis-
latif est actuellement discuté, qui mettrait en
place un organisme tiers qui pourrait permettre
à l’enfant de reconstituer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique, la loi
a institué certaines déclarations obligatoires
bien connues :
!Loi du 30 octobre 1946 : maladies profes-
sionnelles.
!Loi du 15 avril 1954 : alcooliques dangereux.
!Loi du 3 janvier 1968 : certificats médicaux
en vue de l’adoption d’un régime de protection
d’un incapable majeur.
De même, le code de la santé publique impose
la déclaration des cas de maladie vénérienne en
période contagieuse, la déclaration restant
anonyme. Le décret du 19 septembre 1996 a
rendu obligatoire la déclaration de la suspicion
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d’autres
encéphalites subaiguës spongiformes trans-
missibles à l’homme, sous forme nominative.
S’agissant du VIH, la règle est le secret, malgré
les tentatives de remise en cause. L’option rete-
nue est celle de la responsabilisation des
patients, ce qui peut placer le médecin dans une
situation particulièrement inconfortable, quand
le patient refuse que sa séropositivité soit révé-
lée alors même qu’il est marié ou concubin. Le
médecin est renvoyé à sa force de conviction et
à son sens des responsabilités. Cette incerti-
tude est une condition de la qualité.
L
ECARNET DE SANTÉ EST
-
IL
COMPATIBLE AVEC LE SECRET
?
La loi a institué des limites au secret, et ces
limites légales doivent être respectées. Selon le
code de la Sécurité sociale, le carnet de santé
doit être présenté à chaque médecin appelé à
donner des soins. En outre, d’autres profes-
sions de santé, chirurgiens-dentistes, sages-
femmes, pharmaciens, auxiliaires médicaux et
directeurs de laboratoire d’analyses et de bio-
logie médicale, sont autorisées à prendre
connaissance des informations qui présentent
un intérêt pour le malade et qui sont de leur
compétence.
L’article L 162-1-4 du code de la Sécurité sociale
ajoute :
“Les praticiens amenés à donner des soins à
une personne peuvent, avec son autorisation,
porter des informations pertinentes sur son car-
net de santé afin de faciliter son suivi médical.
D’autre part, ils peuvent être renseignés dans
leur domaine de compétence en tant que de
besoin par les autres professionnels de santé”.
Ces dispositions législatives cherchent à concilier
des nécessités contraires. Le secret est institué par
la loi et en principe seule la loi peut en définir les
limites. Mais la loi, dont la mission est l’harmoni-
sation du rapport social, ne peut se satisfaire de la
coexistence d’une multiplicité de secrets indivi-
duels. Elle doit fixer des limites permettant de
concilier le but d’intérêt général qu’est la protec-
tion de la santé et la prise en charge du patient par
des équipes pluridisciplinaires. Le principe législa-
tif est alors rudoyé et l’on peut à proprement parler
de violation légale du secret médical. Cela ne signi-
fie pas que ces violations légales soient illégitimes,
mais les praticiens doivent percevoir que l’on se
situe ici dans une atteinte au principe, justifiant
une démarche de grande prudence.
7
6
50
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. II - 3eet 4etrimestres 2001
Chronique du droit
L
ESECRETEST
-
IL REMIS EN CAUSE
PARLES CONTRATS D
ASSURANCES
?
Deux situations doivent être distinguées :
–Lorsqu’une personne souscrit un contrat
auprès d’une compagnie d’assurance, celle-ci
peut prendre en compte un certain nombre
d’éléments médicaux, car il n’y a pas de contrat
sans une juste appréciation du risque. Le sous-
cripteur doit remplir un questionnaire de santé,
qui sera analysé par le médecin de la compa-
gnie d’assurance et celui-ci donnera un avis. Il
n’y a pas de violation du secret car l’assureur
n’a pas de connaissance directe de la déclara-
tion, et l’assuré a donné son accord à l’examen
de son dossier par un médecin de la compa-
gnie. Le contrat peut également prévoir des
examens réguliers à la demande de la compa-
gnie d’assurance. Ces examens rentrent dans la
logique contractuelle, et ont donc été acceptés
par l’assuré : le secret est préservé.
Il en serait différemment si une compagnie
d’assurance cherchait à obtenir des renseigne-
ments ou faisait analyser les informations en sa
possession par un médecin sans l’accord de
l’assuré. La violation serait manifeste. Il en
serait de même si après un décès on sollicitait
l’équipe médicale pour connaître la cause du
décès. Un médecin de compagnie d’assurance
n’a pas d’accès au dossier médical, sauf s’il jus-
tifie d’une autorisation écrite du patient.
C’est au regard de ce schéma général que doi-
vent être analysées toutes les situations très
complexes liées au jeu des contrats d’assu-
rance, avec une référence constante : la
confiance ne peut être trahie.
C
OMMENT CONCILIE
-
T
-
ON SECRET
PROFESSIONNEL ET DÉFENSE DE L
ENFANT
?
Le médecin est le défenseur naturel de l’enfant,
mais il ne doit pas s’immiscer dans les affaires
de famille. Ainsi, il peut constater qu’un enfant
est perturbé, souffre de troubles du sommeil ou
d’autres atteintes, mais il ne peut se permettre
d’imputer ces troubles à l’attitude d’un des
parents. Il peut remettre un certificat établis-
sant les difficultés médicalement constatées au
parent gardien sans violer le secret profession-
nel, et ce parent pourra utiliser ce certificat des-
criptif pour justifier l’organisation d’une mesure
d’expertise.
S’il est confronté à la situation d’un enfant en
danger, le médecin doit tout faire pour inter-
rompre le danger, c’est-à-dire mettre l’enfant à
l’abri. La sanction serait la non-assistance à
personne en danger. Mais, parce qu’il est tenu
par le secret professionnel, le médecin n’a pas
l’obligation de dénoncer les faits. C’est une
faculté qui lui est ouverte. Souvent, la seule
réponse réaliste sera la dénonciation des faits,
mais dans le raisonnement et dans la pratique,
les notions de protection de l’enfant et de
dénonciation des faits doivent être distinguées.
La bonne démarche est de protéger l’enfant en
le mettant à l’abri, puis de chercher à l’associer
à la dénonciation des faits.
L
ESECRET RÉSISTE
-
T
-
IL
AUX ENQUÊTES PÉNALES
?
Le secret, notion d’ordre public, résiste à l’en-
quête pénale. L’enquête est à la recherche de la
vérité et les enquêteurs, juges ou policiers,
sont tentés de solliciter des informations proté-
gées par le secret. Le médecin doit discerner
ces dérives et les combattre.
S’il est convoqué ou entendu, le médecin doit
répondre à la convocation, donner les informa-
tions générales, mais il doit opposer le secret
dès lors que les questions portent sur les soins
qu’il a donnés lui-même, et sur ce qu’il a appris
lui-même à l’occasion des soins. Ces informa-
tions ne sont pas confidentielles par nature,
mais confidentielles parce qu’elles ont été
confiées à ce médecin.
La justice n’est pas pour autant démunie : elle
pourra obtenir un éclairage complet en organi-
sant une expertise, qui comprendra la saisie du
dossier. Le médecin, parce qu’il a été soignant,
est tenu par le secret. En revanche, la violation
du secret devient légitime si elle est, pour le
médecin, un moyen de sa défense. La jurispru-
dence valide alors la révélation des faits Les
informations médicales qui n’ont pas été
acquises à l’occasion de l’intimité de la relation
de soin ne rélèvent pas du secret.
Il est rare qu’une enquête médicale soit engagée
dans le cadre d’une enquête de flagrance, de
telle sorte qu’un médecin sait suffisamment à
l’avance quand il sera convoqué et entendu. Il est
alors souhaitable qu’il prenne le temps d’un avis
auprès du conseil de l’ordre, d’un confrère ou
d’un avocat pour, face à la tourmente judiciaire,
conserver une attitude respectueuse du droit.
10
9
8
PUB PAGE 51
SMECTA
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !