Intérêt de l’IDR à la tuberculine avant la mise en route d’un traitement anti-TNFα Le point de vue du Dr Y. Yazdanpanah, du service d’infectiologie de Interview Interview l’hôpital Dron (Tourcoing), sur les nouvelles recommandations de l’Afssaps Interview par L. Peyrin-Biroulet* L ’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a émis en juillet 2005 de nouvelles recommandations nationales (disponibles sur le site Internet : www.afssaps.sante.fr) concernant le bilan à réaliser avant de débuter un traitement par antiTNFα (infliximab/Remicade®, etanercept/Enbrel® ou adalimumab/ Humira®). Sur les premiers cas de tuberculose rapportés dans l’observatoire RATIO (Recherche anti-TNF et infections opportunistes), environ 30 % des patients ayant développé une tuberculose sous antiTNFα avaient une intradermoréaction (IDR) entre 5 et 10 mm. Par rapport aux précédentes recommandations de l’Afssaps datant de février 2002, la principale modification concerne donc le diamètre de l’IDR à la tuberculine à partir duquel il faut instaurer un traitement prophylactique ; celui-ci est passé de 10 à 5 mm. Nous souhaitions * Service d’hépato-gastroentérologie du Pr Cortot, CHU de Nancy, et EPI INSERM 114, CHU de Lille. connaître l’avis du Dr Yazdanpanah sur ces recommandations. Les travaux du Dr Yazdanpanah sur les infections opportunistes survenant chez les sujets immunodéficients ont fait l’objet de nombreuses publications scientifiques. Le Dr Yazdanpanah s’occupe notamment du dépistage et de la prise en charge des infections survenant sous anti-TNFα chez les malades atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et suivis dans le service d’hépato-gastroentérologie du Pr Cortot, du CHRU de Lille. Le Dr Yazdanpanah est interrogé par le Dr L. Peyrin-Biroulet. Selon vous, sur quels éléments doit se baser un dépistage efficace des malades à risque de réactiver une tuberculose sous anti-TNFα ? Tout traitement immunosuppresseur de type anti-TNF ou autre est précédé d’un bilan préthérapeutique pour dépister les malades à risque de réactiver une tuberculose. Ce bilan doit comprendre : ✓ une anamnèse : – âge, ● – origine du patient, date et mode de vie en France, – antécédent de bacillose (personnel ou familial proche), date et durée du traitement, – antécédents de vaccin BCG et IDR antérieures ; ✓ un examen clinique ; ✓ une radiographie du thorax (séquelles de primo-infection ou de bacillose éventuelle) ; ✓ une IDR à la tuberculine. Le dépistage efficace des malades à risque de réactiver une tuberculose et l’indication d’un traitement prophylactique antibacillaire doivent tenir compte de l’ensemble de ces éléments. C’est d’ailleurs sur ces éléments que reposent les recommandations de juillet 2005 de l’Afssaps, qui considère comme étant à fort risque de réactivation tuberculeuse : ✓ Les sujets ayant développé une tuberculose dans le passé et n'ayant pas bénéficié d’un traitement d'au moins 6 mois comprenant au moins 2 mois de l'association rifampicine + pyrazinamide. ✓ Les sujets ayant été en contact proche avec un sujet ayant développé une tuberculose pulmonaire. ✓ Les sujets ayant des séquelles tuberculeuses importantes sans que l'on ait la certitude d'un traitement stérilisant. Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. IX - janvier-février 2006 16 ✓ Les sujets originaires d'un pays de forte endémie tuberculeuse. ✓ Les sujets ayant une IDR à la tuberculine supérieure à 5 mm à distance du BCG (> 10 ans). Concernant l’interprétation du résultat de l’IDR, faut-il distinguer différentes situations cliniques (antécédent ou non de vaccination par le BCG, âge du patient, etc.) ? Oui, bien sûr. L’IDR doit être interprétée non pas isolément mais en se fondant sur un ensemble d’éléments : âge, anamnèse épidémiologique, examen du carnet de vaccinations et des IDR antérieures. À titre d’exemple, une IDR positive à distance d’une vaccination par le BCG a une sensibilité et surtout une spécificité plus élevées pour détecter une tuberculose latente qu’une IDR positive réalisée peu de temps après une vaccination par le BCG. Dans les recommandations de l’Afssaps sont considérés comme étant à fort risque de réactivation tuberculeuse les sujets ayant une IDR à la tuberculine supérieure à 5 mm à distance du BCG (> 10 ans). Il faut rappeler que, en pratique, une IDR positive chez un sujet âgé a une sensibilité et une spécificité plus élevées pour détecter une tuberculose latente que chez un patient jeune, car : le patient est en général à distance d’une vaccination par le BCG ; il existe une immunodépression liée à l’âge diminuant souvent le diamètre de l’IDR. ● Le traitement prophylactique à instaurer en cas d’IDR positive comportant un risque non négligeable d’hépatotoxicité, le rapport bénéfice/risque plaide-t-il en faveur de ce traitement chez les sujets ayant une IDR à la tuberculine supérieure à 5 mm à distance du BCG (> 10 ans) ? ● L’avantage qu’il y a à proposer un traitement prophylactique à une population plus large de patients en diminuant le diamètre de l’IDR à la tuberculine à partir duquel le patient est considéré comme étant à haut risque de réactivation est de dépister et donc de traiter plus fréquemment une tuberculose latente avant initiation d’un traitement par anti-TNFα. Le risque est d’instaurer à tort une chimioprophylaxie antituberculeuse, qui comporte effectivement des risques, notamment un risque d’hépatotoxicité. Dans l’état actuel des connaissances, les recommandations françaises ont tranché en faveur de cette démarche, considérant que les bénéfices sont plus importants que les risques. Dans des cas particuliers, et au cas par cas, cette démarche peut être discutée. D’une manière générale, il faut toutefois utiliser un traitement prophylactique associé à un faible risque d’hépatotoxicité. À titre d’exemple, pour diminuer le risque de toxicité des traitements utilisés, l’Affsaps recommande d’éviter le traitement prophylactique par la rifampicine (Rifadine®) + pyrazinamide (Pirilène®) en raison de sa toxicité hépatique potentielle, surtout chez les patients porteurs d'une hépatopathie, les patients alcooliques ou les patients recevant un autre trai- tement hépatotoxique. Les traitements prophylactiques recommandés sont l’isoniazide (Rimifon®) seul et l’association rifampicine (Rifadine®) + isoniazide (Rimifon®). Interview Interview L’incidence de l’anergie est élevée chez les malades souffrant de maladie de Crohn. N’est-ce pas un argument contre la réalisation d’une IDR systématique avant de commencer un traitement anti-TNFα ? ● L’anergie tuberculinique est effectivement fréquente chez les patients immunodéprimés et chez les patients souffrant de la maladie de Crohn, en particulier compte tenu du fait qu’ils reçoivent souvent un traitement immunosuppresseur avant la mise en place de l’anti-TNFα. Ce n’est pas un argument contre la réalisation d’une IDR systématique avant de débuter un traitement anti-TNFα, car, encore une fois, l’IDR n’est pas le seul élément du bilan préthérapeutique. L’existence de l’anergie tuberculinique chez les patients souffrant de la maladie de Crohn, comme chez l’ensemble des patients immunodéprimés, est probablement un des éléments importants qui ont motivé le choix par l’Afssaps d’un diamètre de l’IDR supérieur à 5 mm et non à 10 mm comme seuil à partir duquel il faut instaurer un traitement prophylactique. En effet, les recommandations américaines précisent que, chez les patients immunodéprimés, notamment en raison de l’utilisation d’un traitement immunodépresseur, une IDR doit être considé- Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. IX - janvier-février 2006 17 rée comme positive si elle est supérieure à 5 mm (CDC. Tuberculosis associated with blocking agents against tumor necrosis factoralpha. California, 2002-2003. MMWR 2004;53:683-6). Dans d’autres pays comme le Royaume-Uni, seuls une radiographie pulmonaire et un interrogatoire minutieux sont préconisés lors du bilan préthérapeutique. ● Je pense qu’il est important d’associer l’IDR à l’interrogatoire, l’examen clinique et la radiographie pulmonaire lors du bilan préthérapeutique, surtout chez les patients immunodéprimés (c’est-à-dire chez les patients VIH) ou chez les patients recevant des traitements immunosuppresseurs (c’est-à-dire chez les patients atteints d’une maladie de Crohn). En effet, chez ces patients, on note une fréquence plus élevée des formes extrapulmonaires par rapport aux patients immunocompétents, et la radiographie pulmonaire peut donc être normale. C’est ainsi que, dans la série des cas de tuberculose survenus après traitement par infliximab rapportée par Keane et al., une forme extrapulmonaire était observée dans 57 % des cas (N Engl J Med 2001;345:1098-104). Après une augmentation régulière de l’incidence de la tuberculose sous anti-TNFα à la fin des années 1990, le nombre de cas de tuberculose sous antiTNFα semble avoir atteint un plateau ces dernières années. D’après vous, ce résultat est-il attribuable à une meilleure sélection des malades par un interrogatoire et une radiographie pulmonaire ou à la réalisation systématique d’une IDR à la tuberculine lors du bilan préthérapeutique ? ● Ce résultat est lié à une meilleure sélection des malades fondée sur un ensemble de critères : l’anamnèse, l’examen clinique, l’examen radiologique et l’IDR. Interview Interview