Mise au point Évolution de la leptine sérique au cours du développement anté- et postnatal : impact des anomalies de développement du tissu adipeux D. Jaquet* ✎ L’organogenèse du tissu adipeux sur vient au cours du deuxième trimestre de la gestation chez l’homme. ✎ L’expansion du tissu adipeux et l’accumulation de masse grasse surviennent au cours du troisième trimestre de la gestation. ✎ La leptine est une hormone sécrétée quasi exclusivement par le tissu adipeux, et qui intervient dans la régulation du poids corporel par l’intermédiaire d’un contrôle de l’appétit et de la dépense énergétique. ✎ La leptine est détectable dans le sang fœtal humain dès dix-huit semaines de gestation. ✎ L’évolution des concentrations circulantes de leptine est étroite- L a leptine est une hormone peptidique sécrétée quasi exclusivement par le tissu adipeux, et plus particulièrement par le tissu adipeux blanc. Elle intervient dans * INSERM U 457. hôpital Robert-Debré, Paris. ment liée au développement du tissu adipeux et à l’accumulation de masse grasse au cours de la vie intra-utérine et postnatale. ✎ Dès la fin de la gestation, les concentrations circulantes de leptine sont plus élevées chez la fille. ✎ Le retard de croissance intrautérin s’accompagne d’une diminution des concentrations circulantes de leptine à la naissance et d’une dérégulation de celles-ci au cours du rattrapage staturo-pondéral. ✎ La leptine circulante est considérablement diminuée dans le cadre du diabète lipoatrophique, mais reste sensible à l’action de l’insuline. la régulation du poids corporel, par l’intermédiaire d’un contrôle de l’appétit et de la dépense énergétique. Chez l’homme comme chez l’animal, la leptine circulante est étroitement liée au poids corporel et surtout à la masse grasse. Cette corrélation étroite est le reflet de l’action stimulante de l’accroissement de la masse grasse sur la sécrétion de leptine. Celle-ci a pour conséquence d’augmenter la leptine circulante qui, en se liant à son récepteur spécifique (OB-R) dans l’hypothalamus, entraîne une cascade d’actions chimiques, hormonales et métaboliques destinées à favoriser la dépense énergétique et à diminuer l’appétit (1). La leptine est également impliquée dans la fertilité et les capacités reproductives. De plus, une synthèse et une sécrétion normales et adaptées de leptine semblent être un prérequis pour un développement pubertaire normal (1, 2). La leptine circulante obéit d’ailleurs à un dimorphisme sexuel. En effet, sa concentration, rapportée à la quantité totale de masse grasse, est supérieure chez la femme. Cependant, les mécanismes impliqués dans ce dimorphisme et la fonction précise de celui-ci restent à déterminer (1, 2). De nombreux travaux, sur des modèles animaux et chez l’homme, ont contribué à décrire le mode de fonctionnement et les mécanismes régulateurs de cette hormone impliquée dans l’équilibre de la balance énergétique à l’âge adulte. L’enfance est une période critique, en ce sens qu’elle se caractérise par la nécessité d’un bilan énergétique positif nécessaire à la croissance. Or, chez l’enfant comme chez l’adulte, la leptine circulante est principalement déterminée par la quantité de masse grasse et par le sexe (2). La mise en place de cette boucle de régulation et son implication potentielle au cours du développement du tissu adipeux anté- et postnatale ont été récemment étudiées. Développement du tissu adipeux Les précurseurs adipocytaires sont des cellules multipotentes dont l'origine reste encore indéterminée. Ces cellules aux 50 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000 capacités prolifératives élevées se différencient progressivement en adipoblastes puis en préadipocytes. Ceux-ci sont caractérisés par l'expression de marqueurs précoces de différenciation mais ne possèdent pas encore de vacuole lipidique. Après une phase d’expansion clonale, les préadipocytes donnent naissance aux adipocytes immatures, qui se distinguent par l'apparition des premières vacuoles lipidiques ; puis apparaissent les adipocytes matures dans lesquels la masse grasse s'accumule (3). La leptine n'est exprimée qu'au cours de la différenciation terminale, par les adipocytes matures. L’apparition du tissu adipeux au cours du développement embryonnaire et fœtal varie selon les espèces. Contrairement aux rongeurs, chez qui le tissu adipeux n’est macroscopiquement pas détectable à la naissance, l’homme se distingue par un développement précoce de celui-ci (3). L’adipogenèse est étroitement liée à l’angiogenèse (3). Elle commence, dès le début du deuxième tiers de la gestation, par la formation de noyaux de cellules primitives adipocytaires d'origine mésodermique entourés de mésenchyme, au voisinage des ébauches des structures vasculaires terminales (3, 4). Ces noyaux apparaissent tout d’abord dans la bouche, le cou, les épaules, la région lombaire et périrénale (4). Au cours du dernier tiers de gestation, on assiste à un développement hyperplasique de ces noyaux, qui augmentent de volume et fusionnent pour former le tissu adipeux (3, 4). Cette dernière phase correspond également à l'amorce de l'accumulation de masse grasse dans les adipocytes. Elle se traduit cliniquement par une augmentation exponentielle du pourcentage de masse grasse corporelle en fin de gestation. De 2 ou 3 % à 32-34 semaines d'aménorrhée, il passe à environ 15 % à la naissance (5). Le développement du tissu adipeux se poursuit au cours de la période postnatale, et tout particulièrement la première année. Il intervient, pour une grande part, dans l’augmentation de l'indice de masse corporelle (IMC, ou Body mass index). Cepen- dant, le tissu adipeux perd peu à peu, au cours du développement postnatal, ses capacités prolifératives, et son expansion est alors essentiellement liée à une augmentation du volume cellulaire, même si un degré de prolifération cellulaire a pu être décrit dans certaines situations physiopathologiques à l’âge adulte (3). Leptine sérique au cours du développement antéet postnatal chez l’enfant normal Développement anténatal Chez l’homme, la leptine apparaît précocement dans la circulation fœtale au cours de la gestation (6). Un dosage sérique de la leptine sur des échantillons de sang fœtal a permis de détecter l’hormone dès la mi-gestation (18 semaines d’aménorrhée). Cependant, celle-ci reste en quantité très modérée jusqu’en fin de gestation (environ 34 semaines d’aménorrhée), où sa concentration augmente rapidement jusqu’à la naissance (6) (figure 1a, p. 52). Cette évolution reproduit donc assez fidèlement celle de l’augmentation exponentielle de la masse grasse en fin de gestation. En effet, c’est à cette période que les adipocytes en cours de différenciation terminale, donc susceptibles de produire et de sécréter la leptine, vont accumuler la masse grasse (5). La mère et le placenta représentent des sources potentielles de leptine pour le fœtus au cours de la gestation (2). Cependant, il existe différents arguments qui vont à l’encontre d’une participation maternelle et placentaire dans les concentrations de leptine détectées chez le fœtus (2) : – il ne semble pas exister de corrélation entre les concentrations maternelles et fœtales de leptine à la naissance ; – la quantité de leptine maternelle est, dès le premier trimestre de gestation, environ quarante à cinquante fois plus élevée que chez le fœtus à mi-gestation, et celle détec- Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000 tée dans le liquide amniotique l’est environ dix fois plus ; – de même, il semble ne pas exister de corrélation entre la concentration de leptine du liquide amniotique et celle du sang du cordon, alors que les concentrations maternelles et amniotiques sont, elles, étroitement corrélées ; – enfin, si certaines observations sont contradictoires, il existe au moins trois études qui attestent d’une différence artérioveineuse ombilicale dans les concentrations de leptine détectées. Par conséquent, s’il semble y avoir un rapport étroit entre la concentration de leptine détectée chez la mère et celle du placenta au cours de la gestation, le fœtus paraît, quant à lui, produire et sécréter de la leptine de façon autonome (2). À la naissance, la leptine présente dans le sang du cordon ombilical est, comme chez l’enfant plus âgé ou l’adulte, étroitement corrélée au poids corporel, à l’IMC ou à la masse grasse (2, 6, 7). Il existe également une corrélation positive entre les concentrations détectées à l’âge gestationnel et le poids du placenta (2). Toutefois, l’effet de ces deux paramètres est dépendant de l’augmentation de la masse grasse qui leur est très étroitement corrélée (6). De plus, l’existence d’un dimorphisme sexuel, avec une concentration de leptine plus élevée chez le nouveau-né de sexe féminin, a été observée à plusieurs reprises (2, 6, 7). L’ensemble de ces données plaide en faveur du rôle clé de la masse grasse et du sexe dans la détermination des concentrations circulantes de leptine dès les périodes fœtale et néonatale (2, 6, 7). Cela laisse donc supposer que la boucle de régulation de l’homéostasie énergétique, dans laquelle la leptine est impliquée, est déjà fonctionnelle à cet âge. Développement postnatal L’évolution de la leptine sérique au cours des premiers jours de vie est marquée par une diminution très importante de sa concentration (6-8 ng/ml vs 2 ng/ml) (2, 7) (figure 1b, p. 52). Trois jours après la naissance, la leptine revient à des valeurs atten- 51 Mise au point Figure 1a. Évolution de la leptine sérique au cours de la deuxième moitié de la gestation chez le fœtus de poids normal ou porteur d’un retard de croissance intra-utérin. dues pour la quantité totale de masse grasse présente chez le nouveau-né. Cette évolution est indépendante des variations pondérales concomitantes (7). Cela suggère que la naissance elle-même aurait un effet propre sur la sécrétion de leptine. Il est clairement établi qu’il existe, au moment de la naissance, une cascade d’événements métaboliques et hormonaux ayant pour but de favoriser l’adaptation métabolique à la vie extra-utérine. Considérant le rôle clé de cette hormone dans l’homéostasie énergétique, cette augmentation pourrait alors être interprétée comme un mécanisme d’adaptation à la vie extra-utérine, et en particulier au passage à une alimentation discontinue. Toutefois, le mécanisme physiopathologique à l’origine de l’augmentation de la leptine circulante à la naissance reste à déterminer. Au cours des deux premières années de vie, l’évolution de la leptine sérique reproduit fidèlement celle de l’IMC et lui est étroitement corrélée. Les taux circulants augmentent au cours de la première année et diminuent dès la deuxième année (7). Il n’existe pas, à cet âge-là, de corrélation avec le poids corporel, mais cette absence de corrélation peut être expliquée par la moins grande participation de la masse grasse dans le poids corporel à cet âge. La leptine reste plus élevée chez la fille que chez le garçon tout au long de cette période (7). Anomalies de développement du tissu adipeux Figure 1b. Évolution postnatale de la corpulence et de la leptine sérique chez l’enfant normal ou né avec un retard de croissance intra-utérin. Le retard de croissance intra-utérin (RCIU) Le retard de croissance intra-utérin, conséquence de la malnutrition fœtale d’origine vasculaire ou calorique, a des conséquences majeures sur le développement du tissu adipeux. Il n’existe actuellement aucune donnée concernant le développement cellulaire primitif du tissu adipeux dans le RCIU. En revanche, il a été démon- 52 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000 tré qu’il existait une réduction drastique du développement de la masse grasse en fin de gestation chez ces fœtus. Les enfants nés avec un RCIU possèdent effectivement un pourcentage de masse grasse à la naissance qui n’excède pas 2 à 3 % de leur poids corporel total (8). À l’inverse, les deux premières années de vie, et surtout la première, sont marquées par une dynamique de croissance accélérée, tant pondérale que staturale, ayant pour but de corriger au moins partiellement le déficit initial (9). Ce “rattrapage” est effectif chez la majorité des enfants nés avec un RCIU, puisque 90 % des enfants avec un poids de naissance inférieur à -2 déviations standards auront, à deux ans, un poids supérieur à -2 déviations standards. Ces enfants ont donc une croissance “différée” de leur tissu adipeux. Ils restent cependant en moyenne plus petits et plus maigres que les enfants nés dans des conditions normales (8). Au cours de la période anténatale, la leptine est également détectable chez ces enfants, dès 18 semaines d’aménorrhée, dans le sang du cordon, et ses taux circulants sont comparables à ceux observés chez le fœtus normal, jusqu’à environ 34 semaines d’aménorrhée. Par la suite et jusqu’à la fin de la gestation, les concentrations circulantes de leptine tendent à être plus basses chez le fœtus possédant un RCIU, et cet écart devient très significatif à la naissance (7,96 ± 8,3 et 4,48 ± 6,7 ng/ml) (6, 7) (figure 1a). Cette différence est étroitement liée aux variations de l’IMC, ce qui renforce l’hypothèse du rôle déterminant de la masse grasse dans les concentrations circulantes de leptine dès la période anténatale (6). Ces nouveau-nés présentent, comme les nouveau-nés dont la croissance est normale, des taux de leptine élevés à la naissance, taux qui diminuent également dans les premiers jours de vie, indépendamment des variations pondérales (7). Cela suggère que les mécanismes à l’origine de cette variation sont opérationnels malgré l’anomalie de développement du tissu adipeux, de même que la capacité à produire de la leptine en quantité adaptée à l’expansion de la masse grasse. En revanche, l’évolution des taux de leptine sérique chez l’enfant né avec un RCIU se distingue totalement de celle de l’enfant normal au cours des premières années de vie. En effet, malgré une corpulence diminuée, l’enfant né avec un RCIU a des concentrations circulantes de leptine supérieures à celles de l’enfant normal (7) (figure 1b). Cette différence est particulièrement nette à l’âge d’un an et persiste, de façon plus modérée, à deux ans. De plus, l’effet attendu des déterminants habituels, tels que l’IMC ou le sexe, observés à la naissance ou chez l’enfant normal, disparaît au cours de cette période chez ces enfants (7). Une élévation inattendue des taux de leptine a déjà été observée au cours de phases de renutrition comme chez les adolescentes anorexiques (2) ; toutefois, dans ce contexte, celle-ci semble constituer un frein à la renutrition, du fait de l’action anorexigène de la leptine (2). Cela ne semble pas être le cas chez ces enfants. Deux hypothèses explicatives peuvent être proposées : il pourrait s’agir soit d’un mécanisme adaptatif de résistance à la leptine, favorisant ainsi un bilan énergétique positif et donc le rattrapage staturo-pondéral, soit d’un dysfonctionnement du tissu adipeux généré par un développement anormal, qui aurait pour conséquence une dérégulation des mécanismes contrôlant la croissance du tissu adipeux. Cette dernière hypothèse est, par ailleurs, étayée par l’observation d’un risque accru d’obésité chez des adultes nés dans un contexte de malnutrition intra-utérine (10). Diabète lipoatrophique congénital Le diabète lipoatrophique constitue une autre anomalie de développement du tissu adipeux caractérisée par une atrophie totale ou subtotale du tissu adipeux sous-cutané, associée à une insulinorésistance marquée évoluant vers un diabète. Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de cette anomalie de développement demeurent inconnus. Certains auteurs ont pu démontrer l’existence de tissu adipeux chez ces sujets dans des zones où il posséderait des Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000 fonctions mécaniques, telles que les orbites, la bouche, la langue, les paumes et les plantes, le cuir chevelu, le périnée, les régions périarticulaires et la région épidurale (11). Ils avaient émis l’hypothèse que le diabète lipoatrophique constituerait une anomalie de développement du tissu adipeux métaboliquement actif, alors que le tissu adipeux mécanique serait respecté (11). Toutefois, cette hypothèse répond mal à ce que l’on connaît du développement embryonnaire et fœtal de ce tissu. Les concentrations de leptine sont considérablement diminuées chez les enfants possédant un diabète lipoatrophique, en comparaison aux valeurs observées chez l’enfant normal (1,19 ± 0,32 vs 4 à 8 ng/ml), et ces données rejoignent les observations faites chez l’adulte atteint du même syndrome (12, 13). Elles sont totalement indépendantes des indices de corpulence qui, chez ces sujets, reflètent préférentiellement la masse grasse. Néanmoins, ces enfants dépourvus de tissu adipeux sous-cutané ont des concentrations de leptine détectables, et ces concentrations sont étroitement corrélées aux insulinémies circulantes comme chez le sujet sain (12). Ces données suggèrent donc que ces enfants possèdent une quantité, même minime, de tissu adipeux susceptible de conserver un certain degré d’activité métabolique. Il pourrait s’agir d’une production assurée par ce tissu adipeux considérée préalablement comme “mécanique”, ce qui infirmerait l’hypothèse précédente. Il pourrait également s’agir d’une production assurée par des amas d’adipocytes indétectables par les moyens actuels et ayant acquis une activité métabolique en dépit d’une anomalie sévère de développement. Conclusion La leptine circulante apparaît très tôt au cours de la gestation et semble étroitement liée au développement du tissu adipeux. De nombreux arguments suggèrent 53 Mise au point que la boucle de régulation du poids corporel dans laquelle la leptine est impliquée est fonctionnelle dès la naissance. En outre, les observations menées chez les jeunes enfants présentant des anomalies sévères du développement du tissu adipeux – telles que RCIU ou diabète lipoatrophique – suggèrent que la production de la leptine est un mécanisme relativement conservé. Cependant, l’exemple de l’évolution des concentrations circulantes de leptine au cours du rattrapage staturopondéral chez les anciens RCIU témoigne d’une régulation probablement moins fine de cette production, ce qui tend à suggérer que cette boucle de régulation de l’homéostasie énergétique requiert un développement quantitatif et qualitatif normal du tissu adipeux. ■ Références 1. Friedman J.M., Halaas J.L. 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Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 2, avril 2000