Éditorial Le tissu adipeux “moderne” : de l’ombre à la lumière… ”Modern” adipose tissue: from the shadow to the light L es jeunes biologistes et médecins qui apprennent aujourd’hui la physiologie et la pathologie du tissu adipeux n’imaginent sans doute pas à quel point les connaissances fondamentales ont été bouleversées dans ce domaine au cours des dernières décennies. Les cliniciens et chercheurs impliqués depuis plus longtemps dans cette discipline ont en effet suivi avec bonheur cette période plus récente très gratifiante, au cours de laquelle le tissu adipeux est passé de l’ombre à la lumière. De fait, ce tissu a finalement gagné en peu de temps ses lettres de noblesse, alors qu’il était auparavant trop souvent marginalisé. Cette situation était pourtant injuste, en particulier dans la mesure où l’adipocyte avait été utilisé dans les années 1960 comme un outil privilégié pour la découverte d’acteurs universels de la signalisation cellulaire, tels que l’adénosine-monophosphate cyclique (AMPc) et les protéines G. Force est de reconnaître que c’est la découverte de la leptine en 1994 par le groupe de J. Friedman qui a suscité l’intérêt de la communauté scientifique et médicale pour le tissu adipeux, avec l’identification de cette hormone synthétisée et sécrétée par l’adipocyte, et capable de “parler” au système nerveux central pour réguler l’homéostasie énergétique. Depuis, de nombreuses autres fonctions physiologiques de la leptine ont été documentées, parmi lesquelles il faut souligner son implication dans le contrôle de la fonction gonadotrope, ce qui a permis d’établir un lien mécanistique très fort entre l’état nutritionnel et les fonctions de reproduction. Parmi les autres “étoiles” de l’adipocyte, l’adiponectine, identifiée peu après la leptine, est désormais une hormone dont la physiologie et la physiopathologie se sont précisées, avec la caractérisation de ses propriétés insulinosensibilisantes, anti-inflammatoires et antitumorales. La connaissance de plus en plus approfondie d’une myriade de facteurs sécrétés par l’adipocyte, dont plusieurs exercent manifestement des actions endocrines, représente sans doute le domaine de recherche le plus évolutif et le plus spectaculaire de la physiologie 232 adipocytaire, bien qu’il n’ait pas encore conduit à des contributions thérapeutiques majeures. Pour autant, il ne saurait être question d’oublier les avancées considérables effectuées dans la compréhension des mécanismes de développement du tissu adipeux. La découverte pionnière, en 1994, du facteur transcriptionnel PPARγ, acteur central de l’adipogenèse, a été associée à l’arrivée d’une nouvelle classe d’antidiabétiques oraux, les thiazolidinediones. Depuis, les connaissances dans le domaine se sont largement affinées, en particulier à travers l’identification de protéines corégulatrices de ces facteurs transcriptionnels, dont certaines participent à l’orientation vers un lignage adipocytaire de type blanc ou brun. L’étude du tissu adipeux brun a été récemment revisitée dans l’espèce humaine, grâce à l’accès facilité aux examens de TEP-scan, avec mesure de la captation de 18F-fluorodésoxyglucose. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit bien d’une “redécouverte” au moyen d’un outil moderne, la présence de tissu adipeux brun ayant été auparavant bien caractérisée chez l’homme adulte, même si ce n’est qu’en faible quantité en comparaison à d’autres espèces comme les rongeurs. Une des vertus des travaux récents sur le tissu adipeux brun humain, synthétisés ici dans l’article de Daniel Ricquier, est de visualiser de façon très démonstrative l’activation du tissu adipeux brun humain lors d’une exposition au froid, et d’établir des corrélations entre l’activité biologique de ce tissu et le phénotype métabolique des individus. Pour autant, il n’existe pas d’argument formel démontrant l’implication du tissu adipeux brun dans l’homéostasie énergétique d’un individu adulte. Un autre cadre thématique qui s’est aussi largement développé au cours des dernières années concerne les interactions possibles du tissu adipeux avec d’autres tissus ou types cellulaires. Dans ce numéro, 2 types d’interactions sont ainsi abordés : d’une part, celles entre la masse adipeuse et le squelette ; d’autre part, celles entre le tissu adipeux et le tissu cancéreux. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 8 - octobre 2013 Éditorial Yohann Wittrant, Laurent Léotoing et Véronique Coxam évoquent ainsi dans leur article la complexité des interactions qui existent entre les tissus adipeux et osseux. Cet article permet en particulier d’évoquer l’implication potentielle d’adipokines, cytokines, hormones et métabolites dans ce dialogue, et les mécanismes moléculaires mis en jeu. Enfin, Philippe Valet et Catherine Muller nous permettent de mieux comprendre, à partir de leurs contributions récentes et originales, les mécanismes des échanges entre les cellules tumorales et le tissu adipeux se trouvant à proximité. Ces adipocytes péritumoraux possèdent manifestement des propriétés biologiques singulières leur permettant d’augmenter la survie et l’agressivité des cellules tumorales. Ces nouveaux acquis soulèvent de multiples enjeux physiopathologiques et thérapeutiques, en particulier dans le domaine des transferts de graisse utilisés en chirurgie reconstructrice. Ces exemples, présentés de façon très synthétique par des experts du domaine, viennent parfaitement illustrer la dynamique de recherche très forte sur la biologie du tissu adipeux. Il faut néanmoins reconnaître que, en dépit d’avancées cognitives souvent spectaculaires, les débouchés thérapeutiques restent pour le moment plutôt minces. L’importance des forces académiques et industrielles actuellement mobilisées sur le sujet permet d’espérer raisonnablement des avancées excitantes à l’aube de ce troisième millénaire. ■ Pr Bruno Fève Service d’endocrinologie, hôpital Saint-Antoine, centre de recherche Saint-Antoine INSERM-Paris-VI, UMRS 938, université Pierre-et-Marie Curie, Paris. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 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