La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
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L’
ADN mitochondrial (ADNmt) est un ADN circulaire
de 15 à 16,6 kb. Chez les mammifères, il porte 37 gènes,
ce qui est peu, en regard des 30 000 gènes nucléaires.
Vingt-deux gènes mitochondriaux spécifient des ARN de trans-
fert, 2 des ARN ribosomaux et 13 codent pour des polypeptides.
L’implication du génome mitochondrial dans des pathologies
cardiaques, musculaires et nerveuses – particulièrement céré-
brales – est connue (1). C’est ce qui nous a conduits à rechercher,
chez la souris, la contribution de ce petit génome au fonctionne-
ment cognitif au cours du développement. Les similitudes des
ADNmt chez les mammifères ainsi que les homologies des gènes
qui s’y trouvent, sont, en effet, autant d’éléments en faveur d’une
neurogénétique comparative.
L’ADNmt se transmettant de façon exclusivement maternelle et
les mitochondries se trouvant en grand nombre dans les cellules,
montrer sa contribution aux phénotypes rencontre quelques dif-
ficultés. L’invalidation directe n’est pas possible, il faut donc
recourir à une invalidation de gènes nucléaires intervenant sur
l’activité des mitochondries. Chez la souris, Larson et al. (2) ont
bloqué le gène nucléaire Tfma, qui code pour le facteur de trans-
cription mitochondrial A. Ce facteur est importé vers l’ADNmt
intervenant dans son maintien et dans son expression, entraînant
une réduction du nombre de mitochondries et des déficits de la
chaîne respiratoire. Le groupe de Zeviani (3) a invalidé un autre
gène, Surf1, qui contribue à la formation des protéines d’assem-
blage du cytochrome c oxydase, réduit la prolifération des mito-
chondries et l’activité du complexe COX dans le cœur, le foie et
le cerveau. Ces stratégies présentent certaines limites :
– des difficultés d’implantation de l’embryon entraînent une mor-
talité élevée (90 %) ;
– la connaissance des gènes intervenant dans les interactions
nucléomitochondriales est réduite pour l’instant ;
– la plupart des pathologies mitochondriales ne résultent pas de
délétions totales de gènes.
Nous avons eu recours à une autre stratégie, qui consiste à trans-
férer les ADN mitochondriaux de deux lignées par croisement
(4). Nous sommes partis de deux lignées consanguines de souris,
NZB (N) et CBA/H (H), dont on sait qu’elles possèdent des
ADNmt d’origines différentes. Croisant des femelles N avec des
mâles H, nous avons obtenu des descendants qui portent l’ADNmt
des mères N et la moitié des gènes nucléaires de N, la moitié de H.
Nous avons croisé les femelles ainsi obtenues avec des mâles H.
Puisque l’ADNmt se transmet de façon maternelle, les descendants
de ce croisement portent l’ADNmt de N, mais le croisement avec
le mâle H a apporté une augmentation de 50 % des gènes
nucléaires de H et diminué d’autant le pourcentage de gènes de
N. En reproduisant ce croisement pendant dix-sept générations,
nous sommes parvenus à éliminer les gènes d’origine H, à
l’exception de ceux qui sont portés par les mitochondries qui res-
tent toujours N. Nous avons procédé symétriquement en partant
de femelles H et de mâles N. Ces croisements se sont poursuivis
pendant plus de vingt générations. Nous avons donc obtenu une
lignée HmtDNAN, qui ne différait de H que par l’ADNmt, et une
lignée NmtDNAH, qui ne différait de N que par l’ADNmt. Ce faisant,
nous courrions deux risques :
– des allèles nucléaires de la lignée donneuse pouvaient persister
et contribuer à des différences que nous n’aurions pu imputer à
l’ADNmt. Ce risque a été éliminé en développant un second
ensemble de lignées. En effet, ces événements de recombinaison
apparaissent aléatoirement et il y a peu de chance qu’ils survien-
nent au même endroit. La comparaison de mêmes lignées, d’un
ensemble à l’autre, révélerait, par une différence, la présence
d’allèles résiduels. Or, aucune différence n’est apparue dans les
comparaisons. Plusieurs contrôles moléculaires ou des greffes de
tissus sont allés dans ce sens ;
– l’ADNmt risquait de subir une dérive génétique au cours des
croisements. Le séquençage de cet ADN dans les lignées HmtDNAN
et N d’un côté, NmtDNAH et H d’un autre côté, a montré la parfaite
identité de l’ADNmt, en fin de transfert, avec celui de la lignée
donneuse. Finalement, et puisque nous visions le fonctionnement
cérébral, nous avons démontré que les gènes codant pour des
polypetides s’exprimaient dans le cerveau des souris des quatre
lignées.
Les mesures effectuées lors du développement présevrage ont
montré que l’ADNmt module la vitesse de maturation sensorielle
et motrice, et cela en interaction avec l’ADN nucléaire (ADNn).
Des mesures de développement cognitif ont porté sur l’apprentis-
sage et l’exploration. Pour l’apprentissage, nous avons recouru à
trois épreuves, chacune faisant appel à des processus et des moti-
vations différents (labyrinthe aquatique avec échappement hors de
l’eau, labyrinthe radiaire avec renforcement alimentaire, épreuve
d’anticipation). Les souris NmtDNAH n’ont pas appris différemment
* INPC CNRS et université de la Méditerranée, Marseille.
** PsyCLÉ (EA 3273), université de Provence, Aix-en-Provence.
*** UMR7593 CNRS et université Paris-VI, Paris.
Rôle de l’ADN mitochondrial
dans les dysfonctionnements cognitifs liés à l’âge
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P.L. Roubertoux*, M. Carlier**, M. Jamon*, C. Cohen-Salmon***