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Rôle de l’ADN mitochondrial
dans les dysfonctionnements cognitifs liés à l’âge
● P.L. Roubertoux*, M. Carlier**, M. Jamon*, C. Cohen-Salmon***
ADN mitochondrial (ADNmt) est un ADN circulaire
de 15 à 16,6 kb. Chez les mammifères, il porte 37 gènes,
ce qui est peu, en regard des 30 000 gènes nucléaires.
Vingt-deux gènes mitochondriaux spécifient des ARN de transfert, 2 des ARN ribosomaux et 13 codent pour des polypeptides.
L’implication du génome mitochondrial dans des pathologies
cardiaques, musculaires et nerveuses – particulièrement cérébrales – est connue (1). C’est ce qui nous a conduits à rechercher,
chez la souris, la contribution de ce petit génome au fonctionnement cognitif au cours du développement. Les similitudes des
ADNmt chez les mammifères ainsi que les homologies des gènes
qui s’y trouvent, sont, en effet, autant d’éléments en faveur d’une
neurogénétique comparative.
L’ADNmt se transmettant de façon exclusivement maternelle et
les mitochondries se trouvant en grand nombre dans les cellules,
montrer sa contribution aux phénotypes rencontre quelques difficultés. L’invalidation directe n’est pas possible, il faut donc
recourir à une invalidation de gènes nucléaires intervenant sur
l’activité des mitochondries. Chez la souris, Larson et al. (2) ont
bloqué le gène nucléaire Tfma, qui code pour le facteur de transcription mitochondrial A. Ce facteur est importé vers l’ADNmt
intervenant dans son maintien et dans son expression, entraînant
une réduction du nombre de mitochondries et des déficits de la
chaîne respiratoire. Le groupe de Zeviani (3) a invalidé un autre
gène, Surf1, qui contribue à la formation des protéines d’assemblage du cytochrome c oxydase, réduit la prolifération des mitochondries et l’activité du complexe COX dans le cœur, le foie et
le cerveau. Ces stratégies présentent certaines limites :
– des difficultés d’implantation de l’embryon entraînent une mortalité élevée (90 %) ;
– la connaissance des gènes intervenant dans les interactions
nucléomitochondriales est réduite pour l’instant ;
– la plupart des pathologies mitochondriales ne résultent pas de
délétions totales de gènes.
Nous avons eu recours à une autre stratégie, qui consiste à transférer les ADN mitochondriaux de deux lignées par croisement
(4). Nous sommes partis de deux lignées consanguines de souris,
NZB (N) et CBA/H (H), dont on sait qu’elles possèdent des
L’
* INPC CNRS et université de la Méditerranée, Marseille.
** PsyCLÉ (EA 3273), université de Provence, Aix-en-Provence.
*** UMR7593 CNRS et université Paris-VI, Paris.
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ADNmt d’origines différentes. Croisant des femelles N avec des
mâles H, nous avons obtenu des descendants qui portent l’ADNmt
des mères N et la moitié des gènes nucléaires de N, la moitié de H.
Nous avons croisé les femelles ainsi obtenues avec des mâles H.
Puisque l’ADNmt se transmet de façon maternelle, les descendants
de ce croisement portent l’ADNmt de N, mais le croisement avec
le mâle H a apporté une augmentation de 50 % des gènes
nucléaires de H et diminué d’autant le pourcentage de gènes de
N. En reproduisant ce croisement pendant dix-sept générations,
nous sommes parvenus à éliminer les gènes d’origine H, à
l’exception de ceux qui sont portés par les mitochondries qui restent toujours N. Nous avons procédé symétriquement en partant
de femelles H et de mâles N. Ces croisements se sont poursuivis
pendant plus de vingt générations. Nous avons donc obtenu une
lignée HmtDNAN, qui ne différait de H que par l’ADNmt, et une
lignée NmtDNAH, qui ne différait de N que par l’ADNmt. Ce faisant,
nous courrions deux risques :
– des allèles nucléaires de la lignée donneuse pouvaient persister
et contribuer à des différences que nous n’aurions pu imputer à
l’ADNmt. Ce risque a été éliminé en développant un second
ensemble de lignées. En effet, ces événements de recombinaison
apparaissent aléatoirement et il y a peu de chance qu’ils surviennent au même endroit. La comparaison de mêmes lignées, d’un
ensemble à l’autre, révélerait, par une différence, la présence
d’allèles résiduels. Or, aucune différence n’est apparue dans les
comparaisons. Plusieurs contrôles moléculaires ou des greffes de
tissus sont allés dans ce sens ;
– l’ADNmt risquait de subir une dérive génétique au cours des
croisements. Le séquençage de cet ADN dans les lignées HmtDNAN
et N d’un côté, NmtDNAH et H d’un autre côté, a montré la parfaite
identité de l’ADNmt, en fin de transfert, avec celui de la lignée
donneuse. Finalement, et puisque nous visions le fonctionnement
cérébral, nous avons démontré que les gènes codant pour des
polypetides s’exprimaient dans le cerveau des souris des quatre
lignées.
Les mesures effectuées lors du développement présevrage ont
montré que l’ADNmt module la vitesse de maturation sensorielle
et motrice, et cela en interaction avec l’ADN nucléaire (ADNn).
Des mesures de développement cognitif ont porté sur l’apprentissage et l’exploration. Pour l’apprentissage, nous avons recouru à
trois épreuves, chacune faisant appel à des processus et des motivations différents (labyrinthe aquatique avec échappement hors de
l’eau, labyrinthe radiaire avec renforcement alimentaire, épreuve
d’anticipation). Les souris NmtDNAH n’ont pas appris différemment
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
des N, mais les HmtDNAN ont appris moins bien que les H. Bien que
ces trois épreuves aient été pratiquées par des groupes différents,
elles ont mené à des résultats similaires. Cela suggère :
– que l’ADNmt joue sur des processus centraux et non sur la sensorialité ou la motivation ;
– que l’effet de l’ADNmt s’opère en interaction avec l’ADNn.
Les mêmes conclusions se sont imposées pour trois épreuves
d’exploration.
L’épreuve du labyrinthe aquatique avec échappement hors de
l’eau a été pratiquée sur des groupes indépendants de souris de
trois âges (3, 6 et 12 mois). Les résultats sont restés les mêmes,
à cela près que le déficit des HmtDNAN, comparé à celui des H,
s’est accentué avec l’âge. Nous sommes parvenus à un même
résultat dans les épreuves d’exploration.
Nous avons observé des variations non synonymes pour les gènes
impliqués dans le fonctionnement des complexes I et IV et qui
interviennent dans le fonctionnement neuronique. Ce qui suggère
un effet direct des gènes mitochondriaux sur le fonctionnement
cérébral. Toutefois, les interactions entre l’ADNn et l’ADNmt
suggèrent que, parallèlement, les gènes mitochondriaux modulent
l’activité des gènes nucléaires. Une étude en cours des variations
de profils d’expression de gènes nucléaires, dans le cerveau,
confirme cette hypothèse. Il reste à identifier ces gènes.
Il y a loin, cependant, de la mise en évidence du rôle de l’ADNmt
ou de l’identification des gènes nucléaires avec lesquels il inter-
agit, à la connaissance des voies physiopathologiques qui conduisent aux perturbations cognitives et à leur amplification avec
l’âge. Si les permutations d’ADNmt contribuent à la modulation
de structures cérébrales, nous ignorons tout des modifications du
circuit ou de la neurochimie qui les accompagnent. L’amplitude
des effets de l’ADNmt varie suivant l’origine de l’ADNn. Il y
aurait donc des génotypes nucléaires plus “réactifs” à l’adjonction
d’un ADNmt étranger. L’échange d’ADNmt peut produire des
caractéristiques qui se situent en dehors de la marge de variation
des combinaisons originales d’ADNmt et d’ADNn. L’introduction
d’un ADNmt différent dans une cellule peut donc générer des
effets imprévisibles, ce qui suggérerait que l’on prenne du recul
dans la mise en œuvre du clonage à des fins thérapeutiques. ■
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Zeviani M, Carelli V. Mitochondrial disorders. Curr Opin Neurol 2003 ; 16 :
585-94.
2. Silva JP et al. Impaired insulin secretion and beta-cell loss in tissue-specific
knockout mice with mitochondrial diabetes. Nat Genet 2000 ; 26 : 336-40.
3. Agostino A et al. Constitutive knockout of Surf1 is associated with high
embryonic lethality, mitochondrial disease and cytochrome c oxidase deficiency in
mice. Hum Mol Genet 2003 ; 12 : 399-413.
4. Roubertoux PL et al. C. Mitochondrial DNA modifies cognition in interaction
with the nuclear genome and age in mice. Nat Genet 2003 ; 35 (1) : 65-9.
➜ Roubertoux PL, Sluyter F, Carlier M et al. Mitochondrial DNA modifies cognition in interaction with the nuclear
genome and age in mice. Nat Genet 2003 ; 35 (1) : 65-9.
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
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