La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 1-2 - janvier-avril 2009 | 15
DOSSIER THÉMATIQUE
La médecine du travail n’est ni une médecine de
contrôle ni une médecine de soins. Elle s’apparente
plus à une médecine préventive visant à éviter toute
altération de la santé des salariés du fait de leur
travail. Son rôle de conseiller de l’employeur est
essentiel dans l’évaluation des risques et des mesures
de protection collective et individuelle à prendre.
La visite d’embauche, les visites réglementaires
tous les deux ans au moins, peuvent constituer un
moment privilégié pour aborder ces questions, et
ce d’autant plus qu’il existe des outils performants
pour déceler des usages à risques, facilitant ensuite
une intervention et un accompagnement.
Plusieurs études (6) concernant le repérage précoce
du mésusage d’alcool et les interventions brèves en
milieu du travail (RPIB) ont montré leur validité. Le
repérage précoce permet de conseiller 6 à 10 % des
salariés qui ont une consommation d’alcool à risque.
L’intérêt du RPIB est de permettre un glissement
d’un “repérage maladie” plus stigmatisant, vers une
orientation de santé publique plus collective.
La prise en charge individuelle au travail doit orga-
niser une orientation vers le médecin traitant, dans le
respect de la confidentialité, décider d’une éventuelle
inaptitude ou non (avec ce que cela peut comporter
pour le salarié, mais aussi pour le collectif de travail),
envisager l’accompagnement, voire la réinsertion
dans l’entreprise…
Il incombe aussi de questionner la collectivité de
travail sur les aspects collectifs des risques, des
contraintes, de l’ambiance. Lorsque le travail n’est
plus un opérateur de santé mentale, ou lorsque son
organisation devient carrément pathogène pour le
groupe, il faut alors mener une réflexion centrée sur
le travail lui-même : analyse difficile, puisque ces
mécanismes de défense sont “relativement secrets”.
Mais il est essentiel de tenter de les décrypter.
Le médecin du travail peut aussi être amené à effec-
tuer des dépistages de substances psychoactives
dans certaines circonstances, bien codifiées (condi-
tions très strictes de prélèvement), uniquement pour
déterminer l’aptitude à un poste de sécurité. Si les
dosages peuvent renseigner sur la présence ou non de
produits, l’interprétation d’une part en est complexe
et, d’autre part, ils ne permettent pas d’évaluer les
capacités fonctionnelles, ni professionnelles.
Conflit d’intérêt
et/ou intérêt partagé ?
Médecine de soins et médecine du travail ont des
missions communes de prévention et d’insertion.
Elles sont complémentaires et doivent s’articuler
dans l’intérêt du patient.
Le travail, élément essentiel de leur identité, est
plutôt hyper-investi par nos patients. La reprise du
travail peut être difficile, quand il y a eu une inter-
ruption longue, légitimée par le soin. Il nous faut
alors les soutenir pour affronter ce qui pourra les
aider aussi à se restructurer. Des contacts réguliers
peuvent être pris avec le médecin du travail pour
préparer le retour du salarié au sein de l’équipe de
travail. Le recours aux produits avait pu émousser
leur habileté, leurs savoir-faire, alors qu’ils étaient
“avant” de bons éléments de travail reconnus par
tous (pairs et hiérarchie).
Le médecin du travail doit “surfer” entre des inté-
rêts contradictoires, conflictuels : il doit prendre
en compte le salarié malade, le collectif de travail
en souffrance, dans le cadre des règles de sécurité
à respecter.
La médecine de soins doit faire évoluer le désir de
changement, en vue d’un engagement dans un
processus de soins (pour lequel le patient n’est pas
toujours prêt), apprécier l’intérêt d’un arrêt prolongé
ou non, évaluer “de l’extérieur” la situation de travail
et ses liens avec la conduite addictive, obtenir une
stabilisation compatible avec une reprise profes-
sionnelle et préparer celle-ci avec le médecin du
travail.
Médecines de soins et du travail ont ensemble la
lourde tâche de contribuer à favoriser la réinté-
gration de personnes traitées et/ou maintenir une
bonne insertion dans l’entreprise, mais aussi d’éva-
luer l’éventuel poids négatif de ce même milieu. La
qualité du travail dépend aussi de la qualité de vie
au travail.
L’écoute systématique “du travail” est en soi théra-
peutique, car elle aide le salarié à mettre en lien des
éléments de souffrance, avec son activité profession-
nelle, à “la penser”, et prendre conscience de l’origine
de ses difficultés. Quand il existe une souffrance au
travail, de nouvelles réponses peuvent aider à la prise
en charge de celle-ci, à l’interface du travail et du
soin : ce sont des consultations pluridisciplinaires
de psychopathologie du travail.
Conclusion
L’entreprise doit sortir de la position manichéenne
vis-à-vis des conduites addictives : d’hypertolérance
(éviter ou ignorer) au début, puis secondairement de
rejet, pour parvenir à une position plus collective et
solidaire, c’est-à-dire prévenir, faciliter l’accession
Encadré. Responsables de
15 à 20 % des accidents du
travail.
• Le constat : plus de cannabis
et de polyconsommations
(alcool, tabac, cannabis,
médicaments…), une diver-
sification des usagers et
des usages, et des passages
fréquents d’une addiction à
une autre…
• On voit apparaître des
usagers d’héroïne, de cocaïne
ou de crack plutôt insérés.
• La consommation d’alcool,
malgré un net recul, reste
préoccupante. Elle est partiel-
lement associée ou remplacée
par le cannabis, ou des médi-
caments psychotropes.
• La consommation de ces
différents produits serait
responsable de 15 à 20 % des
accidents du travail.