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Sexualité après cancer du sein
Sexual life after breast cancer
● A. Lesur*, B. de Lafontan**
P
ourquoi s’intéresse-t-on depuis peu à la sexualité
des femmes atteintes de cancer du sein, alors que si
longtemps ce sujet, au centre de la consultation pour
le cancer de la prostate, n’était pas évoqué lors de la consultation après un cancer du sein ? La réponse en est d’une part, la
prise en compte grandissante de la qualité de vie dans la prise
en charge des patientes atteintes de cancer du sein, mais aussi,
d’autre part, l’augmentation du nombre de patientes atteintes,
dont le pronostic est bon et pour lesquelles la vie sexuelle est
un point important d’équilibre.
Les problèmes de sexualité sont habituellement traités par les
gynécologues et sexologues, et le cancérologue peut être très
démuni pour aborder cette délicate question, ce d’autant que la
plupart du temps, il devra initier le sujet, la patiente ne l’abordant pas d’elle-même. Il pourra préférer éviter ce thème ne
trouvant ni les mots, ni les circonstances pour l’évoquer. La
question de la sexualité après cancer du sein est, en effet, un
kaléidoscope de situations différentes qui n’ont en commun
que le vocable sous lequel elles sont évoquées. Aucun cancer
du sein ne ressemble à un autre parce qu’il concernera des
femmes différentes, tant en âge qu’en féminité, qu’en statut
familial et/ou professionnel. La sexualité recouvre en ellemême une multitude d’aspects : le désir, la sensualité, la libido,
la “réalisation technique” de l’acte, déclinés eux-mêmes en
fonction de la culture, du vécu antérieur et actuel de chaque
femme. Si la question de la sexualité après cancer se pose globalement pour toutes les localisations, que l’atteinte porte sur
un organe sexuel ou non (exemple : cancer du côlon, imposant
un anus artificiel ou un cancer de la gorge, une laryngectomie),
le cas plus particulier du cancer du sein fait intervenir d’une
part, la symbolique du sein dans la féminité et, d’autre part, les
modifications hormonales, souvent sous-estimées, induites par
les traitements. L’époque étant aux preuves et à la rigueur, des
questionnaires sont utilisés pour standardiser ces notions à
l’aide d’outils validés… les résultats sont informatifs mais ne
remplacent pas ceux obtenus lors d’entretiens singuliers successifs au cours du temps. Il faudra essayer autant que possible de
corréler ces données à celles d’une population dite “standard”,
ou échantillon, dont la définition est, dans ce cas, seulement de
ne pas être atteinte de cancer.
L’intérêt de cette démarche est d’améliorer la prise en charge
dans ce domaine en donnant aux cliniciens quelques pistes,
* Centre Alexis-Vautrin, Nancy.
** Institut Claudius Regaud, Toulouse.
24
fruits de collectes bibliographiques, mais surtout d’une expérience quotidienne de consultations. Les facteurs prédictifs
pourront être identifiés, afin de guider la réflexion. Quoi qu’il
en soit, il s’agit d’une problématique délicate et individuelle,
pouvant être fluctuante et relevant d’un équilibre subtil… Le
tact et la mesure devront toujours être au rendez-vous.
SEXUALITÉ DES FEMMES NON ATTEINTES D’UN CANCER…
Il est évidemment indispensable d’avoir un certain nombre de
notions sur la sexualité féminine et des couples, en dehors de
toutes circonstances de maladie grave pour appréhender cette
question chez des patientes malades.
Beaucoup d’études se sont intéressées à la sexualité des
femmes depuis le traité “princeps” sur les réactions sexuelles,
bible du sexologue, de Masters et Johnson, paru en 1966 (1).
C’est une question digne d’intérêt puisque les journaux féminins y consacrent plusieurs pages par numéro et que ni la
ménopause ni l’âge ne limitent désormais son expression.
L’allongement de l’espérance de vie, l’intérêt des femmes et,
probablement, la prescription du THS durant cette dernière
décennie en sont la cause.
Si l’on se réfère à l’étude de E. Laumann, parue dans le JAMA
en 1999 (2), sur les problèmes sexuels d’une population américaine de 1 500 femmes actives, âgées de 18 à 59 ans, on
constate qu’il n’est pas rare de rencontrer des problèmes
sexuels chez une population tout venant. Les problèmes sont
rarement rapportés aux médecins et sont corrélés à de nombreux facteurs psychosociaux et économiques. Si la sécheresse
vaginale est constatée de façon rémanente chez des patientes
après la ménopause, et ce de façon croissante avec l’âge, la
place de la sexualité et la satisfaction tendent cependant à augmenter avec l’âge chez les femmes, à l’inverse de ce qui peut
être observé chez l’homme.
Une autre étude intéressante est rapportée par J. Harned Adams
en 2005 (3). Elle concerne une population de plus de 27 000
hommes et femmes, âgés de 40 à 80 ans à travers 29 pays différents (4). Un pourcentage important de femmes ayant répondu
au questionnaire évoquent l’existence de dysfonctionnements
sexuels, avec chez 21 % d’entre elles une perte de la libido. Si
l’état de santé et l’âge sont bien évidemment des facteurs à
prendre en compte dans la sexualité des femmes, il semble que
les facteurs psychosociaux soient des déterminants beaucoup
plus sensibles dans le maintien ou la perte de celle-ci.
La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
Une autre enquête mérite d’être signalée, réalisée récemment
sur le site “auféminin.com” sur Internet ayant permis de
recueillir l’avis de plus de 27 000 femmes sur la notion
d’orgasme. Il peut paraître étonnant d’évoquer ce type
d’enquête dans un article scientifique, mais son existence
montre de par le nombre de réponses recueillies, l’importance
de la sexualité au cours de la vie et les besoins de beaucoup de
femmes “normales” de se rassurer par rapport à leur comportement. Les consultations pour dysfonctionnements sexuels féminins sont nombreuses et recouvrent des sphères aussi différentes que des troubles du désir, des anorgasmies, ou des
troubles liés à la pénétration, qu’ils soient du registre des dyspareunies ou du vaginisme.
Le maintien d’une vie sexuelle harmonieuse, grâce à l’introduction d’hormones substitutives à la ménopause, a été un
argument fort dans le développement du traitement hormonal substitutif de la ménopause. Donné à bon escient, face à
des troubles bien identifiés, et notamment la perte de désir,
le THS a permis à de nombreuses femmes une vie sexuelle
épanouie, bien au-delà de la ménopause physiologique (5,
6). Vouloir cependant résumer les troubles de la sexualité à
l’imprégnation hormonale est réducteur, et ne rend pas
compte de la complexité des paramètres en cause.
De nombreuses études ont été conduites afin de déterminer la
part des hormones (estrogènes et/ou androgènes) dans le maintien d’une sexualité de qualité. La multitude de facteurs en cause
rend les conclusions de ces études souvent contradictoires.
Cependant, il est possible de dire sans beaucoup se tromper que
la trophicité locale conférée par les estrogènes par voie vaginale
notamment, donne un confort qui peut pallier des stimulations
moins adéquates par le partenaire et une activité érotique
moindre. Certaines enquêtes, avec le biais de participation
qu’elles comportent ne concernant que les femmes ayant
accepté de répondre, rapportent une chute de la satisfaction
sexuelle à 42,3 % chez les femmes de 50 à 69 ans, alors qu’elle
est de 56 % entre 30 et 49 ans chez des femmes vivant en
couple (7). Les maladies, telles que le cancer du sein, survenant
dans cette tranche d’âge, ne peuvent qu’accentuer ces tendances
observées. Dennerstein met aussi en exergue les sentiments
envers le partenaire, insistant sur l’amalgame féminin entre sentiment et sexualité (8).
SEXUALITÉ APRÈS CANCER DU SEIN
Les études s’intéressant à cette question rapportent l’existence
indéniable de troubles de la sexualité, en pourcentage variable,
en fonction des catégories de patientes interrogées : l’âge, le
type de cancer, les traitements utilisés, le recul par rapport au
diagnostic en nombre d’années, mais surtout le contexte socioculturel, familial et affectif de la patiente, modulent les pourcentages de réponse. C’est essentiellement P. Ganz qui s’est
intéressée à cet aspect à travers de nombreuses études (9-14).
S’il existe fréquemment des insatisfactions sexuelles chez les
patientes interrogées, on retrouve cependant assez peu de différence en pourcentage de dysfonctionnements lorsque sont comparées des populations de femmes atteintes de cancer du sein
traitées à des populations de même âge, à statut hormonal idenLa Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
tique. Néanmoins il existe des sous-groupes présentant davantage de difficultés, ce sont essentiellement les patientes non
ménopausées au diagnostic, ayant eu une chimiothérapie provoquant une ménopause précoce. Les troubles de la libido, les
insatisfactions sexuelles et les dyspareunies, chez ces jeunes
femmes, restent présents de façon significative, même 20 ans
après le traitement initial (15, 16).
SEXUALITÉ ET QUALITÉ DE VIE : COMMENT LES ÉVALUER ?
La sexualité fait indéniablement partie de la notion de qualité
de vie dans la mesure où celle-ci est corrélée à une image de soi
positive, avec toute l’importance que peut prendre la notion
d’image corporelle. Il faut cependant savoir que beaucoup de
questionnaires consacrés à la qualité de vie ne détaillent pas
forcément la sexualité, en restant assez vague. Dans la plupart
des questionnaires d’essais thérapeutiques d’hormonothérapie,
il est proposé aux patientes de ne pas répondre à certains questions considérées comme trop intimes, ce que fait la majorité
d’entre elles. Explorer la sexualité veut dire explorer les différentes dimensions de celle-ci, ce qui est particulièrement difficile compte tenu de l’aspect plurifactiorel de sa définition. Trois
directions pourront être explorées (12) : le désir sexuel, le fonctionnement sexuel et la satisfaction sexuelle. Si nous avons déjà
vu que l’âge et le statut hormonal sont des facteurs à prendre en
compte, il ne faut pas négliger le bien-être psychologique de la
patiente, sa place tant sociale que familiale et la qualité de sa
relation avec son partenaire. Le comportement du partenaire
sera bien évidemment un des paramètres majeur.
L’évaluation de la sexualité pourra se faire à travers des questionnaires ou des entretiens individualisés, offrant aux patientes
des espaces de paroles leur permettant de s’exprimer avec plus
de nuances que des questionnaires. Ces deux attitudes sont
complémentaires (17).
L’entretien singulier avec la patiente doit survenir à un moment
choisi du parcours thérapeutique et psychologique. Il est évident que l’évaluation psychologique de la relation familiale et
de couple de la patiente va se faire progressivement au cours
des consultations successives. Cette notion d’activité sexuelle
sera évoquée systématiquement dans des localisations telles que
le cancer de la prostate chez un homme ou un cancer de la
sphère gynécologique pour une femme. Il est rare qu’elle le soit
dans la consultation d’annonce pour cancer du sein. Il est difficile d’emblée de définir le moment optimal pour aborder cette
question, il faut cependant savoir l’intégrer dans l’information
éclairée des effets secondaires des traitements systématiques
comme la chimiothérapie et l’hormonothérapie. Dans ce cas,
l’interrogatoire évoquant les antécédents gynéco-obstétricaux
de la patiente prend toute sa valeur, notamment par rapport au
vécu affectif des différentes étapes hormonales de la vie de la
patiente.
Les questionnaires qui ont été développés et validés complèteront les données recueillies dans l’entretien individualisé avec
la patiente. Ceux-ci seront essentiellement le FACT-ES développé par L. Fallowfield (18), mais aussi le questionnaire de
qualité de vie de l’EORTC (QLQC 30). Certains questionnaires
seront plus élaborés sur les questions sexuelles comme le ques25
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tionnaire CARES, le questionnaire SAQ (19). L’utilisation de
questionnaires qui peuvent paraître un peu rigides, et parfois
délicats, est indispensable pour recueillir des données comparables. En effet, les répercussions d’un traitement sur la qualité
de vie et la sexualité peuvent diverger dans leur évaluation
entre les réponses d’une patiente dans un autoquestionnaire, les
réponses de la même patiente à une infirmière et celles retenues
en cours de consultation de surveillance par le cancérologue
(20).
On peut aussi rapporter l’étude de Coombes, présentée à
l’ASCO en 2004 (21). Elle compare les données rapportées par
581 questionnaires remplis par les patientes, alors qu’elles sont
sous traitement par tamoxifène depuis 2 ou 3 ans, et les symptômes relevés par les médecins lors des consultations.
L’ensemble des signes climatériques de type bouffées de chaleur, prise de poids, sueurs nocturnes, était recherché : la sévérité des symptômes divergeait selon que la patiente les rapportait elle-même ou que leur médecin les signalait.
rabilité (23). En effet, la patiente est plus préoccupée par le
désir de continuer à plaire et le regard des autres aura là toute
son importance. Le comportement indifférent sera interprété
comme une menace d’abandon, une mauvaise communication
deviendra un fossé de non-dits, une plaisanterie un peu leste
pourra devenir une menace. Connaître tous ces aspects est particulièrement important, ce d’autant qu’ils sont variables au
cours du temps et chez une même femme, celle-ci pouvant passer d’un besoin intense d’amour protecteur la rassurant, à une
demande plus érotique afin de tester sur l’autre ses capacités de
séduction. Il ne faut pas sous-estimer non plus, dans cette situation, l’impact chez la femme, de la mise entre parenthèses
d’une vie professionnelle active quand elle existe, qui laisse le
champ libre à une remise en question de sa vie. Beaucoup
d’insatisfactions acceptées au quotidien vont alors resurgir, et
les plages de solitude d’une femme face à elle-même vont permettre de mener à terme une réflexion sous-jacente amorcée,
mais jusqu’alors non exprimée, peut-être tout simplement par
manque de temps et de disponibilité.
QUEL CANCER CHEZ QUELLE FEMME ?
MORBIDITÉ SEXUELLE DES TRAITEMENTS
Il est évidemment difficile de comparer des situations très différentes, tant en ce qui concerne les caractéristiques de la maladie
que les données psychosociologiques de la patiente. En effet,
comment comparer la sexualité d’une patiente jeune, ayant
encore des désirs de grossesse, non ménopausée, chez qui le diagnostic de la maladie revêt un aspect insolite, l’isolant des autres
femmes de son âge, et celle d’une patiente de 70 ans (22), dont
la tumeur aura été trouvée lors d’un dépistage systématique justifié par la fréquence de la maladie à cette période de la vie ?
À âge égal, le vécu de la sexualité sera également totalement
différent, s’il s’agit d’une petite tumeur infra-clinique d’excellent pronostic et ne menaçant pas a priori le pronostic vital et
une tumeur dont les caractéristiques auront imposé des traitement lourds tels qu’une mastectomie et/ou une chimiothérapie
induisant une ménopause précoce. D’un côté il s’agira d’une
maladie locorégionale et de l’autre, d’une menace potentielle
sur le pronostic vital. Cette notion est tout particulièrement
importante puisqu’elle peut modifier les valeurs intrinsèques de
la personne en raison de la menace de mort annoncée, même
hypothétique. Les épreuves et leur vécu peuvent amener la
patiente à emprunter un chemin intellectuel et/ou spirituel différent, en créant parfois au sein du couple, un fossé progressif,
d’autant plus difficile à franchir qu’il est mal identifié. En effet,
la communication entre homme et femme au sein d’un couple
peut être difficile, voire de mauvaise qualité au cours du temps.
Face à la maladie, elle peut devenir “kafkaïenne”. Les attentes
de la femme, les inquiétudes et les incompréhensions face à la
maladie, nécessitent souvent davantage d’échanges, avec des
espaces de paroles et la possibilité d’exprimer les craintes et les
nouveaux désirs… Ainsi il n’est pas rare que la femme traversant cette épreuve voit se modifier ses besoins, notamment face
à la sexualité, où la tendresse prend la place de l’aspect ludique,
voire érotique. Le comportement de l’homme et de la femme
dans cette situation est là encore très différent. Chez la femme,
le doute qui s’installe sur le plan sexuel après ce type de maladie ne se situe pas au niveau de la performance mais de sa dési26
Avant d’envisager les différentes thérapeutiques utilisées et
leurs répercussions, il faut rappeler l’impact psychologique du
diagnostic et le resituer dans le contexte personnel et individuel
de la patiente. Le vécu familial, lié à des antécédents cancéreux
du même type, la connaissance de la maladie sous un angle très
particulier, lié au travail de la patiente (ambulancière, infirmière
dans une unité de soins palliatifs, vendeuse dans un magasin
d’articles funéraires…) doivent être très vite connus pour pouvoir lutter contre de fausses idées que la patiente va avoir beaucoup de mal ultérieurement à évacuer. L’hospitalisation dans un
centre spécialisé pour le cancer, le terme “cancer”, actuellement
volontiers banalisé par les soignants, sont autant de stress répétés qu’il va falloir apprivoiser progressivement. Le parcours
thérapeutique, souvent long, voire pénible s’il y a de la chimiothérapie, peut créer un état dépressif larvé qui, à distance, pourra
avoir comme seul mode d’expression une perte complète de la
libido. Il faudra alors savoir l’interpréter en tant que tel.
Beaucoup de femmes ont le réflexe, face à la maladie, de protéger leur environnement, à savoir leurs enfants et leur conjoint,
d’où l’importance d’être attentif chez elle à de petits signes prédictifs de difficultés ultérieures.
La chirurgie est toujours une épreuve, même si grâce à un
dépistage mammographique de plus en plus performant, les
gestes chirurgicaux peuvent offrir des séquelles minimes. Il est
évidemment difficile de connaître d’emblée l’investissement
que représente le sein dans la sexualité de la patiente et comment ce geste chirurgical, quel qu’il soit, sera accepté par la
patiente, mais aussi par son conjoint. On est bien sûr loin des
premières interventions de type Halsted, et lorsque la mammectomie doit être effectuée, la reconstruction mammaire, qu’elle
soit immédiate ou différée, est toujours évoquée. La plupart des
études qui ont comparé mastectomie et tumorectomie et curage
axillaire n’ont pas mis en évidence, curieusement, de différence
majeure en terme de qualité de vie et de sexualité entre les
groupes de patientes (24). Si la reconstruction mammaire est indéLa Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
niablement un progrès pour le quotidien d’une patiente qui n’aura
plus peur de perdre une prothèse externe au fond d’une piscine ou
d’exhiber un décolleté incertain, elle n’a pas toujours l’effet
attendu sur la sexualité. La perte du sein originel, son rôle dans la
relation sexuelle, notamment dans les prémices de l’acte luimême, sont autant de facteurs difficiles à appréhender d’emblée,
qui joueront un rôle dans l’acceptation ou non du traitement. La
chirurgie s’intègrera dans une atteinte corporelle globale, qui va
rapidement se compléter par l’alopécie induite par la chimiothérapie, voire la prise de poids. L’image corporelle est menacée, et
menace donc directement la relation de la femme aux autres (25).
Les traitements adjuvants
S’il y a un facteur sur lequel tous les auteurs se retrouvent unanimement en termes de morbidité, c’est bien la chimiothérapie
qui s’avère l’élément le plus contributif à la détérioration de la
qualité de vie (26). La mauvaise tolérance de ce traitement est
due non seulement aux effets secondaires déjà évoqués comme
la perte de cheveux, des poils, la prise de poids, la fatigue, les
troubles digestifs éventuels, mais aussi et surtout chez les
femmes jeunes à l’induction d’une aménorrhée chimio-induite
qui se transforme le plus souvent en ménopause précoce définitive (10, 14, 26, 27, 28). Le cortège de signes climatériques dus
à la défaillance ovarienne, majorés dans le contexte de stress et
d’anxiété liés au diagnostic et à la maladie, altère non seulement la qualité de vie, mais hypothèque la libido. Pratiquement
toutes les femmes interrogées à ce sujet rapportent une activité
sexuelle extrêmement sporadique pendant la chimiothérapie.
Cette situation est en général temporaire et il est important de
rassurer la patiente sur l’avenir dans ce domaine (26).
Chez les patientes ayant des récepteurs, une nouvelle étape est à
accepter après la radiothérapie, si elle a eu lieu, celle d’être
assujettie à un traitement au long cours qui accompagnera la
patiente chaque jour de sa vie pendant plusieurs années. Les
références bibliographiques sont nombreuses sur la tolérance
des traitements hormonaux, qu’il s’agisse du tamoxifène seul
ou associé avec des analogues de la LH-RH chez la femme non
ménopausée ou, actuellement, des antiaromatases chez la
femme ménopausée. En ce qui concerne la sexualité, peu de
données sont disponibles pour les antiaromatases (29, 30). Si le
tamoxifène occasionne des pertes gynécologiques, voire des
saignements avec l’inquiétude que cela peut générer, les antiaromatases entraînent une sécheresse vaginale et un taux de
dyspareunie plus élevé. Les données sur la sexualité sont encore
actuellement insuffisantes. Même si le facteur hormonal n’est
pas le seul déterminant, il a un rôle important et il est licite de
penser que l’hypoestrogénie majeure induite par les antiaromatases puisse avoir une répercussion. Il est vrai que les androgènes ont un rôle dans le maintien de la libido, pouvant avoir
un rôle pour l’instant mal exploré.
En ce qui concerne le tamoxifène, les études sont beaucoup
plus nombreuses compte tenu des années d’observation d’utilisation du traitement dans des situations très différentes allant de
la phase métastatique à une tentative de prévention (13, 31, 32,
33). Il ne s’est pas révélé délétère dans les études de prévention,
même si Day rapporte un léger impact négatif sur la sexualité et
la satisfaction (34, 35).
La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
Même si les traitements de la ménopause ont été l’objet de
nombreuses critiques, il est indéniable que l’apparition de
signes climatériques de la ménopause chez une femme jeune,
voire la réapparition de signes disparus sous traitement de la
ménopause chez une femme ménopausée, sont autant d’inconfort quotidien, de perte de qualité de sommeil, et à terme de facteurs agissant négativement sur la sexualité.
Propositions pour le clinicien
Cette notion de sexualité est délicate et liée à de nombreux facteurs interagissant entre eux. Agir sur l’un est certes satisfaisant (par exemple traiter une sécheresse vaginale, proposer des
gels lubrifiants…) ; cependant, de nombreux cas nécessiteront
une prise en charge plus globale, à la fois de la patiente mais
aussi du couple, à la recherche de solutions.
Avant de proposer une consultation spécialisée, le clinicien qui
prend en charge le cancer du sein dans le cadre de sa surveillance peut proposer un soutien au cours des consultations.
À notre sens, il doit comporter trois étapes :
• L’ouverture d’un espace de parole sur le sujet, avec une ou
deux questions discrètes, pour aider la patiente à s’exprimer.
• L’évaluation des troubles éventuels, leur perception par la
patiente et éventuellement par son conjoint, et l’apport de solutions simples, tant pour les problèmes locaux que pour les
signes liés à la carence hormonale.
• Les éléments de réassurance sont majeurs à formuler :
– Dire à la patiente qu’il est normal qu’elle ait moins de désir
sexuel pendant les traitements, et davantage besoin de tendresse pour la soutenir dans ses épreuves.
– Lui rappeler que son conjoint est évidemment inquiet pour
elle, même s’il ne le montre pas ou si ses réactions sont inattendues, voire décevantes.
– Lui proposer des entretiens avec son conjoint afin d’évoquer
certains points ensemble, dans un esprit de dédramatisation et
de construction positive d’un avenir optimiste. En effet, la plupart des femmes se voient obligées d’assumer, en sus de leur
angoisse, celle de leur conjoint, parfois exprimée très maladroitement : “qu’est ce que je vais faire si je reste tout seul”.
Il ne faut pas hésiter à rappeler à la patiente que les hommes et
les femmes ne fonctionnent pas de la même façon et que l’attitude d’une femme face à son conjoint malade ne saurait se
superposer à celle en miroir de la femme atteinte et de
l’homme en bonne santé. Il y a dans la femme un instinct de
survie dédié à la protection de sa famille et de ses petits, qui
n’existe pas au même degré chez l’homme. Au cours du temps,
peut s’installer une insatisfaction croissante de la relation par
divergence des priorités, mais aussi par comparaison inconsciente avec un passé révolu. Cette situation antérieure est forcément enjolivée en raison du remaniement discrètement hystérique du souvenir lié à la nostalgie du passé. On ne saurait
insister sur la nécessité de communication entre conjoints et/ou
avec des soignants ou psychologues, afin d’éviter de voir s’installer un silence qui se transformera en fossé peu à peu.
– Redire à la patiente qu’elle reste une femme “aimable” dans
la maladie et les traitements, quel que soit son âge.
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CONCLUSION
Comme nous le rappelle Henri Pujol dans son éditorial : “La prise
en charge de nos patientes ne se résume plus au traitement de la
maladie. Notre mission consiste à tenter de les guérir, bien sûr,
mais aussi à les aider à retrouver une vie normale, si possible
meilleure qu’avant la maladie, riches qu’elles sont de cette expérience qui leur permet souvent de réfléchir à leur vision des choses
et de trouver une nouvelle échelle de valeurs, de nouvelles priorités dans leur quotidien. Une vie de couple épanouie prend toute
son importance dans cette reconstruction après la maladie.”
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La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
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