D O S S I E R Sexualité après cancer du sein Sexual life after breast cancer ● A. Lesur*, B. de Lafontan** P ourquoi s’intéresse-t-on depuis peu à la sexualité des femmes atteintes de cancer du sein, alors que si longtemps ce sujet, au centre de la consultation pour le cancer de la prostate, n’était pas évoqué lors de la consultation après un cancer du sein ? La réponse en est d’une part, la prise en compte grandissante de la qualité de vie dans la prise en charge des patientes atteintes de cancer du sein, mais aussi, d’autre part, l’augmentation du nombre de patientes atteintes, dont le pronostic est bon et pour lesquelles la vie sexuelle est un point important d’équilibre. Les problèmes de sexualité sont habituellement traités par les gynécologues et sexologues, et le cancérologue peut être très démuni pour aborder cette délicate question, ce d’autant que la plupart du temps, il devra initier le sujet, la patiente ne l’abordant pas d’elle-même. Il pourra préférer éviter ce thème ne trouvant ni les mots, ni les circonstances pour l’évoquer. La question de la sexualité après cancer du sein est, en effet, un kaléidoscope de situations différentes qui n’ont en commun que le vocable sous lequel elles sont évoquées. Aucun cancer du sein ne ressemble à un autre parce qu’il concernera des femmes différentes, tant en âge qu’en féminité, qu’en statut familial et/ou professionnel. La sexualité recouvre en ellemême une multitude d’aspects : le désir, la sensualité, la libido, la “réalisation technique” de l’acte, déclinés eux-mêmes en fonction de la culture, du vécu antérieur et actuel de chaque femme. Si la question de la sexualité après cancer se pose globalement pour toutes les localisations, que l’atteinte porte sur un organe sexuel ou non (exemple : cancer du côlon, imposant un anus artificiel ou un cancer de la gorge, une laryngectomie), le cas plus particulier du cancer du sein fait intervenir d’une part, la symbolique du sein dans la féminité et, d’autre part, les modifications hormonales, souvent sous-estimées, induites par les traitements. L’époque étant aux preuves et à la rigueur, des questionnaires sont utilisés pour standardiser ces notions à l’aide d’outils validés… les résultats sont informatifs mais ne remplacent pas ceux obtenus lors d’entretiens singuliers successifs au cours du temps. Il faudra essayer autant que possible de corréler ces données à celles d’une population dite “standard”, ou échantillon, dont la définition est, dans ce cas, seulement de ne pas être atteinte de cancer. L’intérêt de cette démarche est d’améliorer la prise en charge dans ce domaine en donnant aux cliniciens quelques pistes, * Centre Alexis-Vautrin, Nancy. ** Institut Claudius Regaud, Toulouse. 24 fruits de collectes bibliographiques, mais surtout d’une expérience quotidienne de consultations. Les facteurs prédictifs pourront être identifiés, afin de guider la réflexion. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une problématique délicate et individuelle, pouvant être fluctuante et relevant d’un équilibre subtil… Le tact et la mesure devront toujours être au rendez-vous. SEXUALITÉ DES FEMMES NON ATTEINTES D’UN CANCER… Il est évidemment indispensable d’avoir un certain nombre de notions sur la sexualité féminine et des couples, en dehors de toutes circonstances de maladie grave pour appréhender cette question chez des patientes malades. Beaucoup d’études se sont intéressées à la sexualité des femmes depuis le traité “princeps” sur les réactions sexuelles, bible du sexologue, de Masters et Johnson, paru en 1966 (1). C’est une question digne d’intérêt puisque les journaux féminins y consacrent plusieurs pages par numéro et que ni la ménopause ni l’âge ne limitent désormais son expression. L’allongement de l’espérance de vie, l’intérêt des femmes et, probablement, la prescription du THS durant cette dernière décennie en sont la cause. Si l’on se réfère à l’étude de E. Laumann, parue dans le JAMA en 1999 (2), sur les problèmes sexuels d’une population américaine de 1 500 femmes actives, âgées de 18 à 59 ans, on constate qu’il n’est pas rare de rencontrer des problèmes sexuels chez une population tout venant. Les problèmes sont rarement rapportés aux médecins et sont corrélés à de nombreux facteurs psychosociaux et économiques. Si la sécheresse vaginale est constatée de façon rémanente chez des patientes après la ménopause, et ce de façon croissante avec l’âge, la place de la sexualité et la satisfaction tendent cependant à augmenter avec l’âge chez les femmes, à l’inverse de ce qui peut être observé chez l’homme. Une autre étude intéressante est rapportée par J. Harned Adams en 2005 (3). Elle concerne une population de plus de 27 000 hommes et femmes, âgés de 40 à 80 ans à travers 29 pays différents (4). Un pourcentage important de femmes ayant répondu au questionnaire évoquent l’existence de dysfonctionnements sexuels, avec chez 21 % d’entre elles une perte de la libido. Si l’état de santé et l’âge sont bien évidemment des facteurs à prendre en compte dans la sexualité des femmes, il semble que les facteurs psychosociaux soient des déterminants beaucoup plus sensibles dans le maintien ou la perte de celle-ci. La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 Une autre enquête mérite d’être signalée, réalisée récemment sur le site “auféminin.com” sur Internet ayant permis de recueillir l’avis de plus de 27 000 femmes sur la notion d’orgasme. Il peut paraître étonnant d’évoquer ce type d’enquête dans un article scientifique, mais son existence montre de par le nombre de réponses recueillies, l’importance de la sexualité au cours de la vie et les besoins de beaucoup de femmes “normales” de se rassurer par rapport à leur comportement. Les consultations pour dysfonctionnements sexuels féminins sont nombreuses et recouvrent des sphères aussi différentes que des troubles du désir, des anorgasmies, ou des troubles liés à la pénétration, qu’ils soient du registre des dyspareunies ou du vaginisme. Le maintien d’une vie sexuelle harmonieuse, grâce à l’introduction d’hormones substitutives à la ménopause, a été un argument fort dans le développement du traitement hormonal substitutif de la ménopause. Donné à bon escient, face à des troubles bien identifiés, et notamment la perte de désir, le THS a permis à de nombreuses femmes une vie sexuelle épanouie, bien au-delà de la ménopause physiologique (5, 6). Vouloir cependant résumer les troubles de la sexualité à l’imprégnation hormonale est réducteur, et ne rend pas compte de la complexité des paramètres en cause. De nombreuses études ont été conduites afin de déterminer la part des hormones (estrogènes et/ou androgènes) dans le maintien d’une sexualité de qualité. La multitude de facteurs en cause rend les conclusions de ces études souvent contradictoires. Cependant, il est possible de dire sans beaucoup se tromper que la trophicité locale conférée par les estrogènes par voie vaginale notamment, donne un confort qui peut pallier des stimulations moins adéquates par le partenaire et une activité érotique moindre. Certaines enquêtes, avec le biais de participation qu’elles comportent ne concernant que les femmes ayant accepté de répondre, rapportent une chute de la satisfaction sexuelle à 42,3 % chez les femmes de 50 à 69 ans, alors qu’elle est de 56 % entre 30 et 49 ans chez des femmes vivant en couple (7). Les maladies, telles que le cancer du sein, survenant dans cette tranche d’âge, ne peuvent qu’accentuer ces tendances observées. Dennerstein met aussi en exergue les sentiments envers le partenaire, insistant sur l’amalgame féminin entre sentiment et sexualité (8). SEXUALITÉ APRÈS CANCER DU SEIN Les études s’intéressant à cette question rapportent l’existence indéniable de troubles de la sexualité, en pourcentage variable, en fonction des catégories de patientes interrogées : l’âge, le type de cancer, les traitements utilisés, le recul par rapport au diagnostic en nombre d’années, mais surtout le contexte socioculturel, familial et affectif de la patiente, modulent les pourcentages de réponse. C’est essentiellement P. Ganz qui s’est intéressée à cet aspect à travers de nombreuses études (9-14). S’il existe fréquemment des insatisfactions sexuelles chez les patientes interrogées, on retrouve cependant assez peu de différence en pourcentage de dysfonctionnements lorsque sont comparées des populations de femmes atteintes de cancer du sein traitées à des populations de même âge, à statut hormonal idenLa Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 tique. Néanmoins il existe des sous-groupes présentant davantage de difficultés, ce sont essentiellement les patientes non ménopausées au diagnostic, ayant eu une chimiothérapie provoquant une ménopause précoce. Les troubles de la libido, les insatisfactions sexuelles et les dyspareunies, chez ces jeunes femmes, restent présents de façon significative, même 20 ans après le traitement initial (15, 16). SEXUALITÉ ET QUALITÉ DE VIE : COMMENT LES ÉVALUER ? La sexualité fait indéniablement partie de la notion de qualité de vie dans la mesure où celle-ci est corrélée à une image de soi positive, avec toute l’importance que peut prendre la notion d’image corporelle. Il faut cependant savoir que beaucoup de questionnaires consacrés à la qualité de vie ne détaillent pas forcément la sexualité, en restant assez vague. Dans la plupart des questionnaires d’essais thérapeutiques d’hormonothérapie, il est proposé aux patientes de ne pas répondre à certains questions considérées comme trop intimes, ce que fait la majorité d’entre elles. Explorer la sexualité veut dire explorer les différentes dimensions de celle-ci, ce qui est particulièrement difficile compte tenu de l’aspect plurifactiorel de sa définition. Trois directions pourront être explorées (12) : le désir sexuel, le fonctionnement sexuel et la satisfaction sexuelle. Si nous avons déjà vu que l’âge et le statut hormonal sont des facteurs à prendre en compte, il ne faut pas négliger le bien-être psychologique de la patiente, sa place tant sociale que familiale et la qualité de sa relation avec son partenaire. Le comportement du partenaire sera bien évidemment un des paramètres majeur. L’évaluation de la sexualité pourra se faire à travers des questionnaires ou des entretiens individualisés, offrant aux patientes des espaces de paroles leur permettant de s’exprimer avec plus de nuances que des questionnaires. Ces deux attitudes sont complémentaires (17). L’entretien singulier avec la patiente doit survenir à un moment choisi du parcours thérapeutique et psychologique. Il est évident que l’évaluation psychologique de la relation familiale et de couple de la patiente va se faire progressivement au cours des consultations successives. Cette notion d’activité sexuelle sera évoquée systématiquement dans des localisations telles que le cancer de la prostate chez un homme ou un cancer de la sphère gynécologique pour une femme. Il est rare qu’elle le soit dans la consultation d’annonce pour cancer du sein. Il est difficile d’emblée de définir le moment optimal pour aborder cette question, il faut cependant savoir l’intégrer dans l’information éclairée des effets secondaires des traitements systématiques comme la chimiothérapie et l’hormonothérapie. Dans ce cas, l’interrogatoire évoquant les antécédents gynéco-obstétricaux de la patiente prend toute sa valeur, notamment par rapport au vécu affectif des différentes étapes hormonales de la vie de la patiente. Les questionnaires qui ont été développés et validés complèteront les données recueillies dans l’entretien individualisé avec la patiente. Ceux-ci seront essentiellement le FACT-ES développé par L. Fallowfield (18), mais aussi le questionnaire de qualité de vie de l’EORTC (QLQC 30). Certains questionnaires seront plus élaborés sur les questions sexuelles comme le ques25 D O S S I E R tionnaire CARES, le questionnaire SAQ (19). L’utilisation de questionnaires qui peuvent paraître un peu rigides, et parfois délicats, est indispensable pour recueillir des données comparables. En effet, les répercussions d’un traitement sur la qualité de vie et la sexualité peuvent diverger dans leur évaluation entre les réponses d’une patiente dans un autoquestionnaire, les réponses de la même patiente à une infirmière et celles retenues en cours de consultation de surveillance par le cancérologue (20). On peut aussi rapporter l’étude de Coombes, présentée à l’ASCO en 2004 (21). Elle compare les données rapportées par 581 questionnaires remplis par les patientes, alors qu’elles sont sous traitement par tamoxifène depuis 2 ou 3 ans, et les symptômes relevés par les médecins lors des consultations. L’ensemble des signes climatériques de type bouffées de chaleur, prise de poids, sueurs nocturnes, était recherché : la sévérité des symptômes divergeait selon que la patiente les rapportait elle-même ou que leur médecin les signalait. rabilité (23). En effet, la patiente est plus préoccupée par le désir de continuer à plaire et le regard des autres aura là toute son importance. Le comportement indifférent sera interprété comme une menace d’abandon, une mauvaise communication deviendra un fossé de non-dits, une plaisanterie un peu leste pourra devenir une menace. Connaître tous ces aspects est particulièrement important, ce d’autant qu’ils sont variables au cours du temps et chez une même femme, celle-ci pouvant passer d’un besoin intense d’amour protecteur la rassurant, à une demande plus érotique afin de tester sur l’autre ses capacités de séduction. Il ne faut pas sous-estimer non plus, dans cette situation, l’impact chez la femme, de la mise entre parenthèses d’une vie professionnelle active quand elle existe, qui laisse le champ libre à une remise en question de sa vie. Beaucoup d’insatisfactions acceptées au quotidien vont alors resurgir, et les plages de solitude d’une femme face à elle-même vont permettre de mener à terme une réflexion sous-jacente amorcée, mais jusqu’alors non exprimée, peut-être tout simplement par manque de temps et de disponibilité. QUEL CANCER CHEZ QUELLE FEMME ? MORBIDITÉ SEXUELLE DES TRAITEMENTS Il est évidemment difficile de comparer des situations très différentes, tant en ce qui concerne les caractéristiques de la maladie que les données psychosociologiques de la patiente. En effet, comment comparer la sexualité d’une patiente jeune, ayant encore des désirs de grossesse, non ménopausée, chez qui le diagnostic de la maladie revêt un aspect insolite, l’isolant des autres femmes de son âge, et celle d’une patiente de 70 ans (22), dont la tumeur aura été trouvée lors d’un dépistage systématique justifié par la fréquence de la maladie à cette période de la vie ? À âge égal, le vécu de la sexualité sera également totalement différent, s’il s’agit d’une petite tumeur infra-clinique d’excellent pronostic et ne menaçant pas a priori le pronostic vital et une tumeur dont les caractéristiques auront imposé des traitement lourds tels qu’une mastectomie et/ou une chimiothérapie induisant une ménopause précoce. D’un côté il s’agira d’une maladie locorégionale et de l’autre, d’une menace potentielle sur le pronostic vital. Cette notion est tout particulièrement importante puisqu’elle peut modifier les valeurs intrinsèques de la personne en raison de la menace de mort annoncée, même hypothétique. Les épreuves et leur vécu peuvent amener la patiente à emprunter un chemin intellectuel et/ou spirituel différent, en créant parfois au sein du couple, un fossé progressif, d’autant plus difficile à franchir qu’il est mal identifié. En effet, la communication entre homme et femme au sein d’un couple peut être difficile, voire de mauvaise qualité au cours du temps. Face à la maladie, elle peut devenir “kafkaïenne”. Les attentes de la femme, les inquiétudes et les incompréhensions face à la maladie, nécessitent souvent davantage d’échanges, avec des espaces de paroles et la possibilité d’exprimer les craintes et les nouveaux désirs… Ainsi il n’est pas rare que la femme traversant cette épreuve voit se modifier ses besoins, notamment face à la sexualité, où la tendresse prend la place de l’aspect ludique, voire érotique. Le comportement de l’homme et de la femme dans cette situation est là encore très différent. Chez la femme, le doute qui s’installe sur le plan sexuel après ce type de maladie ne se situe pas au niveau de la performance mais de sa dési26 Avant d’envisager les différentes thérapeutiques utilisées et leurs répercussions, il faut rappeler l’impact psychologique du diagnostic et le resituer dans le contexte personnel et individuel de la patiente. Le vécu familial, lié à des antécédents cancéreux du même type, la connaissance de la maladie sous un angle très particulier, lié au travail de la patiente (ambulancière, infirmière dans une unité de soins palliatifs, vendeuse dans un magasin d’articles funéraires…) doivent être très vite connus pour pouvoir lutter contre de fausses idées que la patiente va avoir beaucoup de mal ultérieurement à évacuer. L’hospitalisation dans un centre spécialisé pour le cancer, le terme “cancer”, actuellement volontiers banalisé par les soignants, sont autant de stress répétés qu’il va falloir apprivoiser progressivement. Le parcours thérapeutique, souvent long, voire pénible s’il y a de la chimiothérapie, peut créer un état dépressif larvé qui, à distance, pourra avoir comme seul mode d’expression une perte complète de la libido. Il faudra alors savoir l’interpréter en tant que tel. Beaucoup de femmes ont le réflexe, face à la maladie, de protéger leur environnement, à savoir leurs enfants et leur conjoint, d’où l’importance d’être attentif chez elle à de petits signes prédictifs de difficultés ultérieures. La chirurgie est toujours une épreuve, même si grâce à un dépistage mammographique de plus en plus performant, les gestes chirurgicaux peuvent offrir des séquelles minimes. Il est évidemment difficile de connaître d’emblée l’investissement que représente le sein dans la sexualité de la patiente et comment ce geste chirurgical, quel qu’il soit, sera accepté par la patiente, mais aussi par son conjoint. On est bien sûr loin des premières interventions de type Halsted, et lorsque la mammectomie doit être effectuée, la reconstruction mammaire, qu’elle soit immédiate ou différée, est toujours évoquée. La plupart des études qui ont comparé mastectomie et tumorectomie et curage axillaire n’ont pas mis en évidence, curieusement, de différence majeure en terme de qualité de vie et de sexualité entre les groupes de patientes (24). Si la reconstruction mammaire est indéLa Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 niablement un progrès pour le quotidien d’une patiente qui n’aura plus peur de perdre une prothèse externe au fond d’une piscine ou d’exhiber un décolleté incertain, elle n’a pas toujours l’effet attendu sur la sexualité. La perte du sein originel, son rôle dans la relation sexuelle, notamment dans les prémices de l’acte luimême, sont autant de facteurs difficiles à appréhender d’emblée, qui joueront un rôle dans l’acceptation ou non du traitement. La chirurgie s’intègrera dans une atteinte corporelle globale, qui va rapidement se compléter par l’alopécie induite par la chimiothérapie, voire la prise de poids. L’image corporelle est menacée, et menace donc directement la relation de la femme aux autres (25). Les traitements adjuvants S’il y a un facteur sur lequel tous les auteurs se retrouvent unanimement en termes de morbidité, c’est bien la chimiothérapie qui s’avère l’élément le plus contributif à la détérioration de la qualité de vie (26). La mauvaise tolérance de ce traitement est due non seulement aux effets secondaires déjà évoqués comme la perte de cheveux, des poils, la prise de poids, la fatigue, les troubles digestifs éventuels, mais aussi et surtout chez les femmes jeunes à l’induction d’une aménorrhée chimio-induite qui se transforme le plus souvent en ménopause précoce définitive (10, 14, 26, 27, 28). Le cortège de signes climatériques dus à la défaillance ovarienne, majorés dans le contexte de stress et d’anxiété liés au diagnostic et à la maladie, altère non seulement la qualité de vie, mais hypothèque la libido. Pratiquement toutes les femmes interrogées à ce sujet rapportent une activité sexuelle extrêmement sporadique pendant la chimiothérapie. Cette situation est en général temporaire et il est important de rassurer la patiente sur l’avenir dans ce domaine (26). Chez les patientes ayant des récepteurs, une nouvelle étape est à accepter après la radiothérapie, si elle a eu lieu, celle d’être assujettie à un traitement au long cours qui accompagnera la patiente chaque jour de sa vie pendant plusieurs années. Les références bibliographiques sont nombreuses sur la tolérance des traitements hormonaux, qu’il s’agisse du tamoxifène seul ou associé avec des analogues de la LH-RH chez la femme non ménopausée ou, actuellement, des antiaromatases chez la femme ménopausée. En ce qui concerne la sexualité, peu de données sont disponibles pour les antiaromatases (29, 30). Si le tamoxifène occasionne des pertes gynécologiques, voire des saignements avec l’inquiétude que cela peut générer, les antiaromatases entraînent une sécheresse vaginale et un taux de dyspareunie plus élevé. Les données sur la sexualité sont encore actuellement insuffisantes. Même si le facteur hormonal n’est pas le seul déterminant, il a un rôle important et il est licite de penser que l’hypoestrogénie majeure induite par les antiaromatases puisse avoir une répercussion. Il est vrai que les androgènes ont un rôle dans le maintien de la libido, pouvant avoir un rôle pour l’instant mal exploré. En ce qui concerne le tamoxifène, les études sont beaucoup plus nombreuses compte tenu des années d’observation d’utilisation du traitement dans des situations très différentes allant de la phase métastatique à une tentative de prévention (13, 31, 32, 33). Il ne s’est pas révélé délétère dans les études de prévention, même si Day rapporte un léger impact négatif sur la sexualité et la satisfaction (34, 35). La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 Même si les traitements de la ménopause ont été l’objet de nombreuses critiques, il est indéniable que l’apparition de signes climatériques de la ménopause chez une femme jeune, voire la réapparition de signes disparus sous traitement de la ménopause chez une femme ménopausée, sont autant d’inconfort quotidien, de perte de qualité de sommeil, et à terme de facteurs agissant négativement sur la sexualité. Propositions pour le clinicien Cette notion de sexualité est délicate et liée à de nombreux facteurs interagissant entre eux. Agir sur l’un est certes satisfaisant (par exemple traiter une sécheresse vaginale, proposer des gels lubrifiants…) ; cependant, de nombreux cas nécessiteront une prise en charge plus globale, à la fois de la patiente mais aussi du couple, à la recherche de solutions. Avant de proposer une consultation spécialisée, le clinicien qui prend en charge le cancer du sein dans le cadre de sa surveillance peut proposer un soutien au cours des consultations. À notre sens, il doit comporter trois étapes : • L’ouverture d’un espace de parole sur le sujet, avec une ou deux questions discrètes, pour aider la patiente à s’exprimer. • L’évaluation des troubles éventuels, leur perception par la patiente et éventuellement par son conjoint, et l’apport de solutions simples, tant pour les problèmes locaux que pour les signes liés à la carence hormonale. • Les éléments de réassurance sont majeurs à formuler : – Dire à la patiente qu’il est normal qu’elle ait moins de désir sexuel pendant les traitements, et davantage besoin de tendresse pour la soutenir dans ses épreuves. – Lui rappeler que son conjoint est évidemment inquiet pour elle, même s’il ne le montre pas ou si ses réactions sont inattendues, voire décevantes. – Lui proposer des entretiens avec son conjoint afin d’évoquer certains points ensemble, dans un esprit de dédramatisation et de construction positive d’un avenir optimiste. En effet, la plupart des femmes se voient obligées d’assumer, en sus de leur angoisse, celle de leur conjoint, parfois exprimée très maladroitement : “qu’est ce que je vais faire si je reste tout seul”. Il ne faut pas hésiter à rappeler à la patiente que les hommes et les femmes ne fonctionnent pas de la même façon et que l’attitude d’une femme face à son conjoint malade ne saurait se superposer à celle en miroir de la femme atteinte et de l’homme en bonne santé. Il y a dans la femme un instinct de survie dédié à la protection de sa famille et de ses petits, qui n’existe pas au même degré chez l’homme. Au cours du temps, peut s’installer une insatisfaction croissante de la relation par divergence des priorités, mais aussi par comparaison inconsciente avec un passé révolu. Cette situation antérieure est forcément enjolivée en raison du remaniement discrètement hystérique du souvenir lié à la nostalgie du passé. On ne saurait insister sur la nécessité de communication entre conjoints et/ou avec des soignants ou psychologues, afin d’éviter de voir s’installer un silence qui se transformera en fossé peu à peu. – Redire à la patiente qu’elle reste une femme “aimable” dans la maladie et les traitements, quel que soit son âge. 27 D O S S I E R CONCLUSION Comme nous le rappelle Henri Pujol dans son éditorial : “La prise en charge de nos patientes ne se résume plus au traitement de la maladie. Notre mission consiste à tenter de les guérir, bien sûr, mais aussi à les aider à retrouver une vie normale, si possible meilleure qu’avant la maladie, riches qu’elles sont de cette expérience qui leur permet souvent de réfléchir à leur vision des choses et de trouver une nouvelle échelle de valeurs, de nouvelles priorités dans leur quotidien. Une vie de couple épanouie prend toute son importance dans cette reconstruction après la maladie.” ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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