Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 141
cas clinique
L’évolution a été également fatale pour
Mme T qui, assistée sur le plan respira-
toire, a continué à présenter des troubles
végétatifs majeurs et est décédée
72 heures plus tard, dans un tableau d’in-
suffisance cardiaque gauche. L’imagerie
cérébrale était normale. L’autopsie a
révélé une cardiopathie sévère avec un
rétrécissement mitro-aortique serré, non
connu jusqu’alors.
Et en Espagne ? Que pensaient les
confrères transpyrénéens ?
Le petit neveu de Mme T, âgé de 25 ans,
était hospitalisé en réanimation depuis le
15 mai pour suspicion de syndrome de
Guillain-Barré, mais la ponction lombai-
re était normale. Il avait présenté progres-
sivement une tétraparésie et une détresse
respiratoire qui avait nécessité une assis-
tance ventilatoire. En juillet, il était tou-
jours tétraparétique, intubé et ventilé. À
noter, quelques semaines après l’hospita-
lisation, la survenue d’une alopécie.
Son père, M. R, âgé de 50 ans, avait
constaté le 13 juillet l’apparition d’une
faiblesse musculaire, de paresthésies et
de troubles sensitifs des quatres membres
qui le gênaient notamment dans son acti-
vité professionnelle (dentiste).
Rapprochant ses symptômes de ceux
présentés par son fils, il était allé consul-
ter le même neurologue. Son électromyo-
gramme était normal. Son état neurolo-
gique s’était rapidement dégradé avec
aggravation du déficit moteur, installa-
tion de troubles de déglutition respon-
sables probablement d’une pneumopa-
thie d’inhalation, troubles ventilatoires
nécessitant une assistance respiratoire.
M. R était décédé dix jours après le début
des signes cliniques, dans un tableau de
choc septique confirmé à l’autopsie. Les
imageries cérébrales et la ponction lom-
baire étaient normales.
En France comme en Espagne, la traque
au botulisme était resté négative. Si cer-
tains confrères espagnols avaient été réti-
cents initialement pour rapprocher les
trois cas, d’autres avaient été intrigués
par l’alopécie du jeune patient et avaient
débusqué, en recherchant la présence de
métaux lourds, l’agent du triple mystère :
le thallium.
Le thallium est un métal lourd (entre le
mercure et le plomb dans la classifica-
tion de Mendeleïev), qui donne une raie
vert intense en spectroscopie, d’où son
nom grec thallos signifiant brindille
verte. Il est utilisé sous forme cristalline
en optique (verres spéciaux, détecteur
d’infrarouges), dans les feux d’artifice et
les fusées (flamme vert intense), en cos-
métologie (traitement de la teigne par
alopécie). Sous forme de sels de thal-
lium, il s’agit d’un poison violent,
soluble dans l’eau, incolore, insipide ; il
a été employé comme raticide et insecti-
cide et n’est en principe plus commercia-
lisé en Europe.
Le thallium se substitue au potassium
dans les cellules ; il bloque la fonction
neuromusculaire et est toxique pour les
membranes. Il se fixe préférentiellement
sur : le cœur, les reins, les muscles, le
cerveau et les cheveux. Sa demi-vie
d’élimination plasmatique est de
4jours ; en revanche, l’élimination uri-
naire persiste plusieurs mois après l’in-
toxication.
L’intoxication au thallium est respon-
sable d’une neuropathie périphérique
sévère et d’une atteinte du système ner-
veux central. Le tableau clinique varie en
fonction de la nature aiguë, subaiguë ou
chronique de l’intoxication.
Dans les heures qui suivent l’intoxication
aiguë s’installe une symptomatologie
digestive associant nausées, vomisse-
ments, diarrhée. Puis en quelques jours
apparaît la neuropathie sensitivomotrice
douloureuse avec des paresthésies, par-
fois une hypoesthésie ; le déficit moteur
est modéré. On note par ailleurs une
atteinte multiviscérale avec possibilité de
troubles cardiaques engageant le pronos-
tic vital. L’alopécie survient deux à
six semaines après l’intoxication. En cas
d’ingestion massive, une encéphalopa-
thie peut survenir avec troubles de la
conscience, hypertension intracrânienne
et mouvements anormaux.
Dans la forme subaiguë (doses plus
faibles et plus prolongées), la neuro-
pathie sensitive douloureuse s’installe
une à plusieurs semaines après le début
de l’intoxication, suivie de l’alopécie,
d’une hyperkératose avec apparition de
stries blanches sur les ongles et atteinte
du système nerveux central.
Les formes chroniques sont rares ; on
note un syndrome extra-pyramidal. Il
peut s’agir d’exposition professionnelle
(surveillance par la thallurie < 1 µg/l).
L’électromyogramme peut montrer une
atteinte axonale ; l’anatomopathologie
confirme la dégénérescence axonale dis-
tale.
Les différents prélèvements et dosages
réalisés chez les trois patients ont confir-
mé une intoxication aiguë et massive
pour Mme T et M
.
R et une intoxication
subaiguë pour le plus jeune patient qui,
malheureusement, après une phase de
récupération, est décédé brutalement au
mois d’août. L’enquête judiciaire a révé-
lé qu’il s’agissait d’une triple intoxica-
tion criminelle.
Un cas donné,
une méthode
à adopter
ou à discuter
Cas Clinique