Actualité Profession 7 Europe de la Santé Entre libéralisme et social-démocratie L’Europe, en matière de financement des soins, et singulièrement des hôpitaux, est essentiellement guidée par des règles de souveraineté nationale sur lesquelles se greffe le principe de subsidiarité. Au sein même de la communauté s’affrontent ou se complètent deux sources de financement. L’un beveridgien et l’autre bismarckien. É tant généralement le plus grand poste de dépenses, le financement de l’hôpital est directement dépendant de ces systèmes : beveridgien et bismarckien. Parmi les pays utilisant le système bismarckien, caractérisé par un financement semi-privé couplé à une aide de l’État, on compte notamment : la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne. Ces deux derniers pays prenant en charge les patients jusqu’à un certain niveau de revenus, au-delà duquel les assurances privées prennent le relais. Le système beveridgien a été adopté par les autres pays du nord de l’Europe, parmi lesquels la Grande-Bretagne, le Danemark et la Suède. L’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce ont des systèmes mixtes (impôts et assurances) qui fonctionnent selon des spécificités propres à chacun des pays. Et la France ? Parmi les pays de l’Union où la part du financement public est la plus grande, on compte la France, la Belgique, l’Allemagne, le Danemark et la Grande-Bretagne. Les données quantitatives et qualitatives sont malheureusement très souvent difficiles à obtenir : elles sont en effet soit obsolètes du fait des fréquents changements dans les modes de financement, soit peu opposables, car leurs indicateurs recouvrent souvent des postes de différentes natures, quand bien même ils désignent les mêmes traitements de pathologies, le mode de prise en charge étant spécifique à chaque culture nationale et rarement identique d’un pays à l’autre. Cette difficulté est aggravée par l’utilisation de comparaisons entre différents pays, tant par la classe politique que par les organisations syndicales ou autres lobbies, qui utilisent l’information davantage pour les avantages qu’ils recherchent que par souci d’exactitude. Des dépenses en progression En 2003, les dépenses de santé en Europe ont représenté une moyenne de 8,7 %, en progression de 1 point sur 1990. Cette croissance est fortement corrélée à la croissance de la richesse par habitant, en plus des critères habituellement liés à l’augmentation du coût de la santé comme les avancées des technologies médicales, le vieillissement de la population et l’augmentation de la masse salariale. Le fait que le financement public soit prédominant incite les pouvoirs publics à intervenir de plus en plus souvent dans le domaine de la santé pour contenir les dépenses dans des limites estimées raisonnables. Ces politiques de containement sont de trois sortes. Elles s’appliquent principalement à la régulation des prix et des ressources et/ou de l’offre de soins, par le biais de la tarification. Certains pays fixent des limites aux dépenses ou opèrent le transfert de la sphère publique au domaine privé. D’une façon générale, c’est l’amélioration de l’efficience, ou service médical rendu (SMR), qui est devenue le principal objet des réformes, en intégrant par le biais du financement et de l’évaluation des formes d’incitation à une meilleure utilisation des ressources. L’économie de marché servant à faire jouer la concurrence entre le public et le privé, dans l’espoir de dégager des économies grâce à la gestion des soins. D’une façon générale, on observe un durcissement du rôle de l’État au détriment de celui des partenaires sociaux dans les systèmes bismarckiens. Chaque pays a adapté son système d’évaluation de la qualité selon sa culture. Centralisé et public en France, il est privatisé et hétérogène en Grande-Bretagne. Il est conduit par la formation professionnelle aux Pays-Bas… L’implication croissante des usagers est une nouvelle donne encore mal intégrée, mais avec laquelle il va falloir compter. Chaque pays développé a été amené récemment à réformer ou à envisager la réforme de son système de financement des soins en raison de la croissance des dépenses et/ou d’un problème de qualité des soins. Quelques cas emblématiques correspondent à un changement de paradigme. Le plus remarquable est, sans conteste, celui du RoyaumeUni (la Suisse ne faisant pas partie de l’UE). Des mécanismes de marché La réforme du système britannique est parti d’un principe de décentralisation et d’accroissement des ressources. Le sous-financement du service national de santé par rapport aux besoins de la population avait, en effet, conduit à des listes d’attente considérables. Dans les années 1980, on avait étudié l’introduction d’une touche bismarckienne en permettant à l’assurance maladie un financement par cotisations. Mais cela avait été refusé par le Parlement qui craignait de voir, lui échapper son contrôle sur les dépenses de santé. Dans les années 1990, il fut introduit des mécanismes de marché parallèlement à l’augmentation des ressources fiscales dévolues à la santé. Les hôpitaux ont été mis en >> Focus ... Évaluation de la qualité Chaque pays a adapté son système d’évaluation de la qualité selon sa culture. Centralisé et public en France, il est privatisé et hétérogène en Grande-Bretagne. Il est conduit par la formation professionnelle aux Pays-Bas… L’implication croissante des usagers est une nouvelle donne encore mal intégrée, mais avec laquelle il va falloir compter. Professions Santé Infirmier Infirmière N° 66 • octobre-novembre-décembre 2005 8 Actualité Profession >> concurrence pour qu’ils améliorent leurs performances, notamment en matière de listes d’attente, car on présupposait que leurs dysfonctionnements venaient essentiellement de la gestion administrative. y compris ceux très décentralisés comme la Suède. Mais on observe toujours la même difficulté à réduire les listes d’attente, lesquelles sont de plus en plus clairement imputées au manque de ressources dont disposent les hôpitaux. Acheteurs et fournisseurs Focus ... Rôle important des régions en Italie En Italie, les Régions sont devenues les seules entités responsables de l’équilibre budgétaire. Elles ont reçu en conséquence une compétence législative exclusive en matière sanitaire. C’est ainsi que le développement d’un dossier médical informatisé ou l’instauration d’une obligation de consultation d’un médecin référent avant celle d’un spécialiste ou d’un service hospitalier relèvent de leurs compétences. On a ainsi distingué deux types d’acteurs : les acheteurs de soins et les fournisseurs. Les autorités sanitaires locales et les médecins généralistes sont devenus gestionnaires de budgets, acheteurs de soins pour le compte de leurs patients ; et les hôpitaux ont été organisés en fournisseurs de soins. Mis en concurrence, ces derniers devenaient financièrement autonomes et responsables de leurs bilans, et donc passibles de faillite. Les acheteurs négociaient des contrats d’activité dans lesquels les hôpitaux s’engageaient sur les délais et les tarifs. Les ressources des hôpitaux venaient des acheteurs et non de l’État. Cette réforme s’est soldée par un échec relatif pour la réduction des listes d’attente et a encouragé une nette augmentation des dépenses à cause des généralistes qui passaient une importante partie de leur temps à gérer leurs budgets et à passer les contrats, en dehors de leur mission de soins. La concurrence entre hôpitaux n’existait, de surcroît, qu’en fonction de la démographie régionale. En effet, si la densité géographique des établissements était faible, la concurrence ne s’exerçait pas et les prix restaient inchangés. Au vu de ces résultats médiocres, en l’an 2000, on jugea que les problèmes venaient autant de l’absence de moyens que de la gestion administrative. Le niveau de l’offre étant anormalement bas, on augmenta les impôts spécifiques au fonctionnement des hôpitaux tout en conservant le mode concurrentiel. Cependant que, dans la fonction achat, les généralistes laissaient leur place aux groupes de soins primaires. Il semblerait que les choses aillent mieux, depuis. Le principe de mise en concurrence a été suivi dans la plupart des pays où la santé est financée par l’impôt, Le Sud : des résultats mitigés Les régimes mixtes d’Europe du Sud sont quant à eux marqués par la combinaison d’éléments divers, inspirés des différents systèmes de protection sociale. Ils mélangent l’impôt, les cotisations aux organismes publics et privés ou d’assurances sociales stricto sensu, et les services de santé directement fournis par l’État. L’Italie En Italie, deux grandes séries de réformes sont intervenues pendant les quinze dernières années : au cours de la décennie 1990, puis en août 2001, lors de la signature du dernier accord État-Régions. Toutes deux ont eu pour axe majeur la régionalisation. Les régions sont devenues les seules entités responsables de l’équilibre budgétaire. Elles ont reçu en conséquence une compétence législative exclusive en matière sanitaire. C’est ainsi que le développement d’un dossier médical informatisé ou l’instauration d’une obligation de consultation d’un médecin référent avant celle d’un spécialiste ou d’un service hospitalier relèvent de leurs compétences. L’État ne conservant que deux principaux types de missions : la définition du plan sanitaire national et les “niveaux essentiels d’assistance” (qui correspondent à une véritable couverture maladie, garantie à tous les citoyens, gratuitement ou en coparticipation). L’État fixe aussi la politique salariale des personnels de santé, l’admission au remboursement et la fixation du prix des médicaments. Dans l’ensemble, les réformes semblent avoir eu un impact positif, d’après ce qu’il est raisonnable de comprendre des informations transalpines qui nous parviennent. Le Professions Santé Infirmier Infirmière N° 66 • octobre-novembre-décembre 2005 déficit aurait diminué, passant de 0,70 % à 0,25 % du PIB de 2001 à 2002. Il convient de noter à cet égard que la part de la contribution des ménages aux soins de santé est relativement élevée (23 % environ, contre à peine 10,4 % en France). Les listes d’attente restent encore substantielles. L’Espagne En Espagne, la gestion des soins est décentralisée et le secteur privé occupe une place importante. Les communautés autonomes élaborent, avec l’Institut national de gestion sanitaire (INGESA), leurs propres règles et procédures de gestion, de suivi et de contrôle des prestations. Elles assurent la gestion des centres sanitaires et des hôpitaux. Le financement direct du système est aujourd’hui majoritairement assumé par les communautés autonomes. En 2003, sur 40,1 milliards d’euros de dépenses publiques, l’État a contribué à hauteur de 3,65 milliards, tandis que la part des communautés autonomes s’élevait à 35,8 milliards (soit 32,5 % de leur budget), le solde relevant des communes. Ce financement s’opère à travers un fonds général pour 98 % des ressources sanitaires totales. La redistribution des crédits entre les communautés autonomes étant effectuée en fonction du pourcentage de la population couverte. Quatorze pour cent de la population espagnole souscrit à un contrat d’assurance privée. Les mutuelles privées proposent une assistance sanitaire dans 90 % des cas et offrent souvent leurs propres réseaux de soins, qu’il s’agisse de médecins ou de cliniques. Cela étant, cette couverture privée, dont la prime moyenne est de l’ordre de 450 euros par an, est principalement le fait de classes aisées ou moyennes résidant dans les grandes villes. Il convient de noter qu’aucune aide publique n’est accordée pour la souscription d’une assurance complémentaire. Il existe aujourd’hui une centaine de compagnies d’assurance sanitaire pri- Actualité Profession vées en Espagne. Ce secteur connaît un fort développement : le montant total des cotisations s’est accru de 15 % entre 2000 et 2002. Cette situation s’accompagne d’un phénomène de files d’attente, en particulier pour les opérations chirurgicales non urgentes. Le Portugal Au Portugal, on observe le développement d’une médecine à deux vitesses, avec un secteur public confronté à l’engorgement des centres de soins et des services d’urgence, ainsi qu’à des listes d’attente pour les opérations chirurgicales longues. D’un autre côté, le secteur privé, en plein essor, offre des prestations de qualité, mais reste réservé à certaines catégories sociales. Outre un important problème de dérive des dépenses de santé, 35 % des bénéficiaires des congés maladie seraient en situation frauduleuse ! La loi du 20 décembre 2002 a introduit de nouveaux modes de financement, fondés sur un système de capitalisation et selon différents critères, incluant la structure démographique, le degré de dépendance des malades et la distance de l’hôpital le plus proche. Ces nouveaux modes de financement reposent sur trois axes : une stratégie nouvelle de management, l’introduction de primes à la qualité, l’amélioration de la productivité, et l’intégration d’entités du secteur privé. Une relation contractuelle entre le ministère de la Santé et les hôpitaux publics a été établie sous la forme d’un contrat annuel définissant des objectifs de production et adaptant le budget au nombre de prestations réalisées. Trente et un hôpitaux publics ont, en 2003, été transformés en sociétés anonymes, dotées de capitaux exclusivement publics. Ces nouvelles structures ont cependant adopté un mode de gestion privé, quand bien même les prestations restent publiques et leur accès universel. Un partenariat public/privé a, par ailleurs, été établi dans le domaine hospitalier, afin de mieux mutualiser les risques de santé. On espère que ce partenariat, appelé PPP, inspiré d’expériences anglo-saxonnes, améliorera la qualité des soins et aidera à maîtriser les dépenses de santé. Il a donné lieu, par exemple, au lancement, en décembre 2003, d’un appel d’offres tendant à accorder au secteur privé la construction et la gestion de dix nouvelles unités hospitalières d’ici 2007. Si les expériences sont concluantes, le gouvernement prévoit de généraliser ce nouveau mode de gestion à l’ensemble des infrastructures de santé, qu’il s’agisse des hôpitaux ou des centres de soins. La Grèce D’un montant élevé (9,5 % du PIB), les dépenses de santé en Grèce sont financées à 55 % par le secteur public et à 45 % par le secteur privé. Une part substantielle de ces dépenses n’est pas couverte par la Sécurité sociale, mais est déductible des revenus imposables, sur production de justificatifs et en deçà d’un certain plafond. Le système de santé grec est caractérisé en outre par un grand nombre de caisses – elles sont plus de 200 – et, par conséquent, par de nombreux régimes, qui donnent lieu à des types de couverture extrêmement variés. La loi du 14 février 2001 prévoit un ensemble de dispositions sur six ans, dans le cadre d’un système régional de santé (PESYPs), opérationnel depuis juin 2001. Un corps d’inspecteurs de la santé a été créé dans la foulée alors que le management des hôpitaux publics était revu et informatisé. Des contrats de performance pour les médecins travaillant en établissements ont également été imposés par la loi. L’Europe à 25 L’Europe a également hérité des autres systèmes hospitaliers suite à son élargissement, les 12 et 13 décembre 2002. Les pays récemment arrivés offrent d’autres exemples d’organisation et de culture de la médecine hospitalière, inspirés en grande partie du modèle collectiviste. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le faible coût des ressources humaines, qui est bien inférieur à ce que nous connaissons dans le reste de l’Europe. Mais le faible niveau de revenus de la population impose une réalité bien différente de celle de l’Europe de l’Ouest. Ainsi, dans les pays baltes, pour ne citer que ceux-là, la Sécurité sociale n’est toujours pas considérée comme un “droit social”, mais comme un “privilège”. Le financement des soins de santé est généralement assuré par des moyens fiscaux. Un système d’assurance reposant sur les cotisations sociales n’est introduit qu’à toute petite dose. La Sécurité sociale et l’assistance sociale étant considérées comme très (trop ?) chères. Ces dernières années, ces pays se sont démarqués du système centralisé soviétique auquel ils étaient diversement soumis, en introduisant des “caisses de maladie” régionales placées sous la gestion des pouvoirs publics provinciaux. Ces administrations locales doivent dès lors rechercher des moyens complémentaires en vue d’établir des contrats pour les soins de santé privés de première ligne ainsi que pour assurer la gestion des différents hôpitaux publics. Il y a un gouffre croissant entre les villes “riches” et les zones rurales agricoles “pauvres”. Dans de nombreux cas, les pouvoirs publics manquent de moyens et c’est le patient qui doit payer, ce qui n’est pas sans conséquences sociales. Comme la Hongrie, entre autres, ces pays sont caractérisés par un système hospitalier très important et une espérance de vie plus que médiocre (les deux phénomènes n’étant pas nécessairement liés...) Cette pauvreté de moyens n’empêche pas une médecine souvent très remarquable et offre aux pays européens aisés des perspectives riches en innovation, pour autant que l’avenir soit animé par un esprit d’entreprise. François Engel Focus 9 ... Pays de l’Est Dans les pays de l’Est, pour ne citer que ceux-là, la Sécurité sociale n’est toujours pas considérée comme un “droit social”, mais comme un “privilège”. Le financement des soins de santé est généralement assuré par des moyens fiscaux. Un système d’assurance reposant sur les cotisations sociales n’est introduit qu’à toute petite dose. Professions Santé Infirmier Infirmière N° 66 • octobre-novembre-décembre 2005