Cours francophone supérieur sur le cancer du sein Saint-Paul-de-Vence, janvier 2007 IP F. Izar* Congrès C ongrès Évaluation et prise en charge du risque de développer un cancer du sein Étude de l’activité physique sur le risque de cancer du sein F. Clavel-Chapelon a rapporté les résultats de l’enquête E3N (étude épidémiologique portant sur 100 000 femmes affiliées à la MGEN) concernant le bénéfice de l’activité physique sur le risque de cancer du sein. Les informations ont été recueillies par autoquestionnaires envoyés tous les 24 mois entre 1990 et 2002 à des femmes nées entre 1925 et 1950. Au cours de l’étude, 3 424 cas de cancer du sein ont été observés. Il est confirmé que le risque de cancer diminue d’autant plus que le nombre d’heures d’activité est élevé, l’intensité de cette activité a également un impact important. Pour une activité de loisir à intensité modérée, le risque diminue de 13 % par rapport aux femmes sédentaires. Pour celles déclarant 5 heures hebdomadaires d’activité soutenue, la diminution du risque est de 38 %. Par ailleurs, cette étude révèle que cette baisse de risque est présente même dans les sous-groupes considérés comme à risque : femmes en surpoids, utilisation d’un THS et celles ayant un antécédent familial de cancer du sein. Risque et nutrition Le cancer du sein est actuellement une des pathologies dont les facteurs de risque nutritionnels commencent à être mieux identifiés. Cela permet la mise en place d’actions de prévention primaire, mais également secondaire pendant le suivi post-thérapeutique. La consommation d’alcool augmente l’incidence du cancer du sein. Dans l’étude EPIC, une prise de poids de 15 à 20 kg par rapport à l’âge de 20 ans entraîne un risque relatif de 1,5. Concernant la consommation de lipides, une étude randomisée récente montre qu’un régime consistant à limiter à 20 % l’apport énergétique journalier sous forme de graisses, après 8 ans de suivi, réduit de près de 9 % l’incidence du cancer du sein. La consommation de fruits et légumes n’a pas d’influence sur ce risque. Les recommandations de l’INCa sont : alimentation diversifiée, limitation de la consommation d’alcool à moins de deux * Institut Claudius-Regaud, Toulouse. La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 verres de vin par jour, réduction des apports en graisse à moins de 35 % des apports énergétiques journaliers. Il est important de limiter au maximum la prise de poids après la ménopause. Ces conseils peuvent être proposés en postthérapeutiques, car ils permettent de diminuer le risque de récidive. Risque histologique Les lésions histologiques dites “à risque” répondent aux lésions bénignes dont le risque de développer ultérieurement 31 un cancer du sein est élevé par rapport au risque de la population générale. Ce sont les travaux de Dupont et Page, publiés dans les années 1980, qui ont permis de bien préciser ce risque histologique. Une tumeur maligne ne naît pas ex nihilo, mais se développe progressivement en passant par différents stades jusqu’à celui de carcinome infiltrant (figure). Ces lésions à risque s’intègrent dans le cadre de la mastopathie fibrokystique. Femmes porteuses d’une mutation BRCA identifiée Dans ce groupe, le risque cumulé de cancer avant 70 ans est de 65 % pour les BRCA1 et 45 % pour les BRCA2. Dans 40 à 60 % des cas, le diagnostic est fait sous la forme d’un cancer d’inter32 carcinome in situ Évaluation radiologique d’une personne à risque de développer un cancer du sein hyperplasie atypique Les lésions cylindriques Elles sont d’individualisation récente et se caractérisent par l’aspect cytologique constitué de cellules cylindriques hautes, à noyau ovalaire situé au pôle basal. Une nouvelle catégorie a été créée dans ce groupe correspondant à l’atypie plane. Ce terme regroupe deux lésions, d’une part, la métaplasie cylindrique avec irrégularité nucléaire et, d’autre part, les images autrefois classées comme clinging carcinoma. À ce jour, il n’existe aucune donnée sur le niveau de risque associé à cette lésion. Il est évident que l’identification de ces différentes lésions requiert une technique histologique parfaite et l’application la plus stricte des critères diagnostiques, ceci afin de réduire au mieux les problèmes de reproductibilité. Par ailleurs, la détermination du niveau de risque demande des études épidémiologiques avec un long suivi (10 à 20 ans). Dans ces études, le diagnostic histologique était le plus souvent fait sur des pièces opératoires. Actuellement, les biopsies guidées par l’imagerie se sont considérablement développées pour les lésions non palpables. Cette technique soulève différents problèmes pour les lésions à risque, car leur définition repose sur l’examen de l’ensemble de l’anomalie ce qui n’est pas le cas pour des biopsies. En ce qui concerne le niveau de risque de ces différentes lésions, la référence actuelle est présentée dans le tableau. atypie plane L’hyperplasie canalaire atypique Cette lésion comporte plus de 10 couches de cellules tapissant la paroi, il s’y associe des atypies cytologiques et architecturales. hyperplasie épithéliale floride Néoplasies lobulaires On distingue l’hyperplasie atypique ou LIN1 et le carcinome in situ ou LIN2. Plus récemment, a été identifié le carcinome lobulaire pléomorphe ou avec nécrose, appelé LIN3. Cette lésion plus rare est plus agressive et s’accompagne dans 20 à 40 % des cas de foyers infiltrants. Beaucoup d’équipes la traite comme un carcinome intracanalaire. Sein normal Congrès C ongrès carcinome infiltrant Figure. Différents stades d’une tumeur maligne. Tableau. Niveau de risque des différentes lésions. Absence de risque – Adénose – Ectasie canalaire – Fibroadénome simple –Fibrose – Mastite – Hyperplasie épithéliale faible sans atypie – Kystes simples – Métaplasie apocrine simple – Métaplasie épidermoïde Risque faible (x 1,5 à x 2) – Fibroadénome complexe – Hyperplasie épithéliale modérée ou floride sans atypie – Fibro-adénose – Cystadénome papillaire simple sans atypie associée Risque modéré (x 4 à x 5) Risque élevé (x 8 à x 10) – Hyperplasie épithéliale canalaire avec atypie – Hyperplasie épithéliale lobulaire avec atypie – Carcinome canalaire in situ – Carcinome lobulaire in situ valle. Cela pourrait être dû à une densité mammaire élevée, une apparence bénigne trompeuse des lésions, une croissance rapide de ce type de tumeur. Actuellement les recommandations pour le suivi sont : – un examen clinique tous les 6 mois à partir de 20 ans ; – une mammographie annuelle à partir de 30 ans. La mammographie numérique permet une meilleure définition et une moindre exposition au rayon X. Deux incidences doivent être réalisées et une double lecture est souhaitable ; – une échographie proposée systématiquement en cas de seins denses, d’anomalie mammographique ou clinique. Nous rappellerons son intérêt en “second look” après IRM ; – une IRM recommandée en complément et non en remplacement de la mammographie. Cet examen est d’une grande sensibilité mais il faut en souligner les inconvénients : taux de rappel moyen de 10 %, taux de faux positif significatif. Femmes avec lésions histologiques dont le risque est supérieur à deux Le suivi doit comporter une mammographie et une échographie annuelle. L’IRM n’est pas une indication pour le dépistage. Ces femmes sont exclues du dépistage organisé. La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 Risque augmenté et THS Anne Lesur a fait le point sur les données récentes concernant les deux études qui ont remis en cause le bénéfice-risque du THS. Étude de la WHI Dans l’étude estrogènes plus progestérone versus placebo, les données récentes montrent que seules les femmes traitées avant l’entrée dans l’essai, soit 26 %, ont un surrisque de cancer du sein. Celles non traitées et totalisant 5 ans de traitement ont un risque relatif de 1,06 non significatif. Dans le bras estrogènes seuls (femmes hystérectomisées), la réactualisation montre toujours l’absence de surrisque après 7 ans de prise. En ce qui concerne l’impact sur le risque de coronaropathie, l’analyse récente par sous-groupes de tranches d’âge permet de mettre en évidence un effet protecteur chez les femmes de 50-60 ans. La MWS Cette étude a rapporté une augmentation du risque relatif de cancer du sein quel que soit le traitement prescrit, mais aucun ne contenait de progestérone naturelle. À la suite de ces publications, les prescriptions de THS ont chuté aussi bien aux États-Unis qu’en Europe (chute de 30 % en France). Publications récentes françaises Dans l’étude des femmes affiliées à la MGEN, 54 % d’entre elles utilisaient un THS avec une durée moyenne de 2,8 ans. Le risque relatif est de 1,2 avec les estrogènes seuls ; l’augmentation n’est pas significative. Au vu des dernières données, il est important de respecter les contre-indications et les limites d’emploi du THS, la balance bénéfice-risque est favorable chez les femmes de la cinquantaine, indemnes de pathologies mammaires, ayant un syndrome climatérique et/ou un risque d’ostéoporose. L’augmentation du risque de cancer du sein est faible dans ce contexte notamment pour des durées d’utilisation inférieures à 10 ans. Éléments nouveaux concernant le diagnostic Quand se méfier des micro- et macrobiopsies guidées L’amélioration des techniques de prélèvements ne doit pas faire oublier le risque de sous-estimation et celui de faux négatifs. Ainsi, pour les systèmes par aspiration avec aiguille de calibre 11 G, le taux de sous-estimation est de l’ordre de 20 % pour les hyperplasies canalaires atypiques, 10 % pour les canalaires in situ. Ces taux sont moindres lorsque la taille lésionnelle est inférieure à 10 mm. Ils dépendent également des signes radiologiques, majorés dans le cas de foyer de microcalcifications. Le taux de faux négatif reste La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 faible, inférieur à 2 % pour les macrobiopsies. Ils sont essentiellement liés à des problèmes de balistique. En pratique, les recommandations actuelles sont d’opérer toutes les hyperplasies canalaires atypiques. Concernant les néoplasies lobulaires in situ, les recommandations ne sont pas homogènes ; il faut rappeler que les LIN3 sont des lésions plus agressives et souvent associées à un cancer invasif. Place de l’IRM dans le diagnostic des cancers du sein Congrès C ongrès Le but de l’IRM est la détection de lésions surnuméraires qui modifieraient la prise en charge chirurgicale. C’est l’examen le plus sensible dans la détection de la multifocalité et multicentricité, détectant en moyenne 15 % de lésions surnuméraires, en particulier dans le cas de seins denses. Le problème de l’IRM est celui d’un taux non négligeable de faux positif, d’où la nécessité d’un diagnostic histologique avant de valider l’indication de mastectomie. Elle semble intéressante dans le cancer lobulaire pour lequel la tumeur est souvent mal évaluée par l’imagerie standard, dans le bilan d’une maladie de Paget du mamelon avec mammographie normale. Chez les patientes présentant des adénopathies axillaires métastatiques avec un bilan mammo-échographie normal, l’IRM permet de détecter un cancer du sein dans environ 70 % des cas. En cas de chimiothérapie néoadjuvante, l’IRM est l’examen le plus performant pour évaluer la maladie résiduelle et adapter au mieux le geste chirurgical. Dans le cas d’une suspicion de récidive locale après chirurgie conservatrice, la sensibilité et spécificité de l’IRM sont élevées (> à 90 % ) et ses résultats optimaux à un an minimum de la fin du traitement. La meilleure indication de l’IRM est la différenciation entre des séquelles fibreuses bénignes et une récidive dans le site initial. Le traitement locorégional La technique du ganglion sentinelle Elle s’adresse aux tumeurs N0, unifocales, classiquement de taille ≤ à 2 cm (mesure échographique). Le taux de détection varie entre 90 et 95 %, le taux de faux négatif se situe entre 5 et 10 %. La technique a été étendue à d’autres situations dans le cadre d’essais thérapeutiques : – tumeur supérieure à 2 cm ; – cancers intracanalaires étendus où il existe un risque de lésions micro-infiltrantes ; – cancers multifocaux ; – avant ou après chimiothérapie néoadjuvante. Ces extensions d’indication sont le fait soit d’équipes expérimentées dans la technique du ganglion sentinelle (GS), soit font l’objet d’essais thérapeutiques. Les résultats de l’essai randomisé Almanac comparant GS versus curage axillaire viennent d’être publiés et montrent une 33 Congrès C ongrès diminution de la morbidité (lymphœdème et dysesthésies) et une amélioration de la qualité de vie. L’analyse histologique du ou des GS n’est pas celle des ganglions axillaires dans un curage classique. L’étude en coupes sériées et les techniques immuno-histochimiques ont majoré le taux de positivité ganglionnaire. L’impact pronostique des cellules isolées, c’est-à-dire mises en évidence uniquement en immunohistochimie et de taille inférieure à 0,2 mm, reste controversé. Dans l’état actuel des connaissances, la recommandation en cas de positivité du GS, quelle que soit sa nature, est de réaliser un curage classique complémentaire. Des essais thérapeutiques sont en cours dans le cadre d’envahissement lymphatique minime comparant la reprise chirurgicale, l’abstention chirurgicale et l’irradiation axillaire. Les limites du traitement conservateur Initialement réservé aux petites tumeurs (< à 3 cm), à distance de l’aréole, le traitement conservateur (TC) voit ses indications s’étendre avec, en France, un taux de conservation compris entre 70 et 75 %. Pour K. Clough, les indications peuvent être étendues aux tumeurs comprises entre 3 et 5 cm si une chirurgie en berges saines est réalisable sans déformation majeure du sein. Cela impose le recours à des techniques de chirurgie plastique qui permettent de remodeler le sein même après de larges exérèses. L’alternative est un traitement chimiothérapique préopératoire à visée de réduction du volume tumoral. La multifocalité est fréquente, lorsqu’elle est connue en préopératoire et pour des patientes particulièrement sélectionnées (pas plus de deux lésions, proches l’une de l’autre, exérèse en berges saines) ; le TC est possible sans majorer le risque de récidive locale. Pour les lésions rétroaréolaires superficielles ou profondes, le TC donne des résultats équivalents à ceux obtenus pour les autres localisations, à condition de réaliser l’exérèse de la plaque aréolomammelonnaire. Toute chirurgie conservatrice est suivie d’une irradiation de la glande mammaire, celle-ci permet de réduire le risque de récidive locale de façon significative (réduction du risque de 2,5 à 4). Il n’existe à ce jour aucun consensus pour définir après TC la marge d’exérèse optimale. Lorsque les berges sont envahies, une reprise chirurgicale est indispensable. Le problème est plus complexe lorsque les berges sont saines et que les marges sont comprises entre 0 et 5 mm. Il n’existe pas de consensus concernant la marge minimale optimale. En termes de récidive locale, une marge ≥ 2 mm semble suffisante ; entre 0 et 2 mm, le risque de récidive est plus élevé et une reprise chirurgicale est à discuter. Classification moléculaire des cancers du sein La prise en charge actuelle des cancers du sein est fondée sur des paramètres pronostiques et prédictifs établis comme le TNM, le statut des récepteurs hormonaux et HER2. Les études récentes sur l’expression des gènes ont confirmé l’hétérogénéité des tumeurs du sein. Les données issues d’études de microarrays sur puces ADN et confirmées par des études sur le profil protidique sur tissu microarrays ont permis de classer les cancers du sein en cinq groupes. Nous en retiendrons l’identification de deux entités : – le sous-groupe basal-like ou tumeur triple négative n’exprimant ni les récepteurs hormonaux (RE et RP) ni HER2. Ces tumeurs sont souvent de grade 3. Pour être de phénotype basal, la tumeur doit présenter une expression des cytokératines 5,6 et 17 ou EGFR. Ces tumeurs sont souvent mutées pour la protéine P53, leur pronostic est mauvais ; – les tumeurs surexprimant HER, d’évolution défavorable. Elles sont souvent de grade 3, elles expriment les récepteurs hormonaux dans environ 50 % des cas. L’accès à une thérapie ciblée comme le trastuzumab (Herceptin®) a considérablement modifié le pronostic de ces lésions. Traitement adjuvant des tumeurs HER2 + Il faut rappeler que la détermination du statut HER2 doit être rigoureux. La positivité est définie soit par un test en immunohistochimie positif 3+ soit positif 2+ avec un test FISH +. Dans le cas d’un test IHC 2+, la méthode de référence reste la FISH. Toutefois, cet examen est coûteux et nécessite d’être équipé en microscope à fluorescence de haute qualité. La CISH est également proposée au même titre que la FISH. Cette technique, un peu plus longue, peut se lire au microscope optique. La surexpression de HER2 a été rapidement identifiée comme un facteur pronostique indépendant. Elle concerne 15 à 25 % des patientes. En dix ans, l’anticorps monoclonal de souris humanisé et dirigé contre HER2 est passé de la phase I à une indication incontournable en phase adjuvante. En situation adjuvante, il permet de diminuer le risque de récidive de 40 à 50 %, le risque de décès de l’ordre de 30 %. La toxicité cardiaque du trastuzumab reste modérée quand il n’est pas associé aux anthracyclines. Dans le cadre de traitements séquentiels, cette cardiotoxicité est surtout influencée par les doses préalables d’anthracyclines et l’intervalle entre l’utilisation de ces deux agents. Les complications à type d’insuffisance cardiaque restent rares (0,5 à 3 % ) et sont le plus souvent réversibles à l’arrêt du traitement. Une surveillance de la fonction ventriculaire est préconisée tous les 3 mois. Le schéma d’administration peut être concomitant ou séquentiel par rapport à la chimiothérapie, la durée optimale de traitement reste à définir. n Les articles publiés dans “La Lettre du Sénologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. EDIMARK SAS © mai 1983 - Imprimé en France - EDIPS - 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution. Un info-congrès de 8 pages intitulé : “Suivi après traitement du cancer du sein : enjeux et modalités. Expérience du réseau Gynécomed Île-de-France” sera routé avec ce numéro. 34 La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007