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Anne Herbinet
Déléguée à la Pédagogie Catéchétique Spécialisée
Service National de la Catéchèse et du Catéchuménat
Conférence des évêques de France
Psychiatre
Intervention proposée lors des journées PPH en 2010
La communication verbale : atouts et limites
Considérant que nous démarrons cette journée par la communication
verbale, vous êtes en droit de penser que nous la commençons en douceur,
et que les choses sérieuses commenceront quand on parlera de
communication non verbale. Eh bien mon propos est de rompre cette
« illusion » que tout est tellement facile quand on a l’usage des mots et je
commence par un petit exercice de démonstration.
En guise d’introduction
Exercice à partir d’une « information » portée par 6 mots
Je ne veux pas mourir idiote
Chacun reçoit cette « information » de 6 mots et leur donne un sens
Exprimé avec intonation dos tourné
Mimé
Avec soutien dessin
Certains avaient-ils perçu le double sens possible ?
Premier point d’attention : être
très vigilant à tout l’infra verbal
qui accompagne le verbal : (il faut
écouter avec les yeux aussi) et qui
donne tout autant de
renseignements sur le contenu
d’une communication (tellement
qu’il peut changer radicalement le
sens comme dans l’exemple
retenu)
Si j’insiste sur ce premier point, c’est parce que nous avons tous « bénéficié »
de l’influence de la pensée grecque, c.à.d. de la suprématie de l’esprit sur le
corps (je vous renvoie ici à la métaphysique des philosophes grecs qui a été
renforcée par la cartésianisme du Siècle des Lumières – cf la célèbre phrase
« je pense donc je suis »). Et que tout ce qui peut être mentalisé efface l’intérêt
de ce qui nous parvient comme informations par nos différentes
sensorialités. Moyennant quoi nous nous privons d’informations. Bon
nombre de nos « amis, porteurs de handicaps » qu’ils aient ou non acquis la
possibilité de communiquer avec les mots, ont souvent gardé cette capacité
de « lire » ou de « voir » ce qu’il y a à côté des mots et/ou avec les mots, dans
les gestes, les expressions, les attitudes, les tonalités de voix.
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Ils n’ont pas besoin de nous dire : « Comment çà va ? » pour attendre une
réponse formelle vraie ou fausse d’ailleurs ; ils « savent » si nous allons bien
ou pas. Non pas qu’ils soient extralucides, mais dans les relations, les
communications que nous avons avec eux, ils sont plus attentifs que nous
ne le sommes habituellement à toutes les voies de la communication, tout
simplement.
Nous verrons tout à l’heure pourquoi.
En tout cas dès à présent retenons ceci :
Même avec des personnes qui ont accès au
langage, prenons toujours le soin de prêter
attention aux gestes aux attitudes, aux
expressions. La communication n’en sera que
plus enrichie.
Remarquons tout de suite que la tradition chrétienne dans sa grande
sagesse a gardé l’expression du corps et de toutes ses sensorialités pour dire
sa foi dans la liturgie.
L’utilisation du langage parlé dans la communication
Qu’apporte le langage (en mots) dans la communication ?
Le mot est un signe conventionnel (à la différence du signe naturel)
Il existe des signes naturels : par ex la fumée est le signe d’un feu, ou une
trace de sabot est le signe du passage d’un animal
Le mot est un signe conventionnel qui « re-présente » une réalité, un objet
(ex : « chaise »), ou un concept : c’est beaucoup plus complexe déjà (ex :
amour, pardon, espoir).
En termes savants, on parle de « signifiant », et de « signifié ».
Par exemple :
Le mot fleur est le signe conventionnel qui renvoie à une sorte de végétaux
qui se différencient des herbes ou des arbres.
MAIS
Le mot «fleur», comme n'importe quel mot de la langue, peut fonctionner soit
comme signe, soit au-delà du signe …. Regardons cela de plus ps.
Au déjeuner, tout à l’heure, je peux me joindre à une conversation l'on parle
de «fleur(s, parce que, ayant entendu le signifiant « fleur » (le son acoustique), j'ai
renvoyé au signifié «fleur» (le végétal) et que, m'intéressant particulrement à
la botanique ou à l'horticulture, je trouve agable de partager avec d'autres mes
connaissances sur ce sujet. Le mot a ici fonctionné comme signe.
Si, par contre, perdue que je suis, seule, en pleine forêt amazonienne après un
accident d'avion dont j'aichappé par miracle, j'entends dans le lointain le mot
de « fleur», ma action n'est pas de me dire: «Tiens! Quelqu’un parle
d'horticulture: je vais m'associer à la conversation», mais : «Ah ! Un être
humain ici : me voilà sauvé
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Le mot « FLEUR » fonctionne comme un symbole qui me permet d'identifier un
Français, parce que j'ai spontament ajoin le mot entendu à la langue
française à laquelle il appartient. Si j’avais entendu le mot « flower », je me
serais sans doute aussi espérée sauvée, mais par un anglophone. Le mot aurait
aussi bien fonctionné de manière symbolique. (Cet exemple est emprunté à
Louis Marie Chauvet, p 90-91 de : « Les sacrements, parole de Dieu au risque
du corps » voir bibliographie en fin de paragraphe)
Le signe se tient dans l'ordre de la connaissance ou de l'information ou
encore de la valeur, là où le symbole se tient dans l'ordre de la
reconnaissance ou de la communication entre sujets comme sujets et se situe
hors valeur («fleur» comme symbole n'a pas de valeur d'information ; il est
simplement l'indice de la présence d'un humain parlant français).
S'exprimer, par la parole ou les gestes, c'est toujours signifier quelque
chose sur quelque chose à quelqu'un c.à.d. communiquer.
Le signe se situe du côté du «dire quelque chose sur quelque chose»,
c'est-à-dire de la transmission d'information ou de connaissance; le
symbole, du côté du «dire à quelqu'un», c'est-à-dire de la
communication avec un sujet reconnu comme sujet et situé à sa place de
sujet.
Point d’attention : bien
prendre en considération la
double fonction des mots. L’un
ne va jamais sans lautre.
Poursuivons et prenons encore un exemple
Le mot « cheval » est associé par chacun d’entre nous à un animal à 4 pattes.
Cependant, pendant que je parle, tous ici avez pu associer à ce mot
différentes représentations
- l’un a été élevé en Camargue et associe ce mot à son enfance, à la nature …
- l’autre est fils du percussionniste de la Garde Républicaine, et sera renvoyé
immédiatement aux longues discussions avec son père au retour du défilé
du 14 juillet sur les incartades de son fougueux cheval au premier rang de la
troupe
- un troisième aura fait de l’équitation, et a été blessé, soit par une chute,
soit par un coup de sabot, et associera à ce mots douleurs, frustrations,
déceptions, … (tout cela rien qu’au mot « cheval »)
- un quatrième est tombé amoureux d’une écuyère voltigeuse de cirque
- etc, etc
Point d’attention : Un mot ne peut
jamais être séparé ou distinct du
« sujet » linguistique. Tel mot aura un
impact émotionnel très fort pour une
personne, alors qu’il restera banal et
simple « signe » dans la conversation.
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Voici donc déjà quelques bonnes raisons de rester vigilants : CAR : ce n’est
pas parce que nous utilisons le langage des mots que nous sommes sortis
d’affaire en matière de communication !!!!
L’utilisation des mots pour communiquer n’est ni simple, ni mathématique,
ni automatique dans le sens où les mots permettraient de transmettre à
l’autre, tel un paquet, ce que nous voulons lui transmettre.
Objectif de ce paragraphe :
tordre le cou à l’idée que le mot
serait univoque, « pur » et que son
utilisation éviterait toute erreur de
compréhension.
Pour aller plus loin :
« Les sacrements, parole de Dieu au risque du corps »
Louis Marie Chauvet
Collection Recherches – Vivre, croire,brer – Les Editions Ouvrières 1997
Le langage et ses différents registres
* Premier cas: le discours scientifique. La communication que fait un
chercheur, lors d'un colloque international, sur les dernières recherches
faites dans son laboratoire se situe essentiellement du côté du pôle «signe».
On pourrait même avoir le sentiment que ce pôle y élimine totalement le
pôle symbole. En fait le pôle symbolique n'est pas absent même en ce cas,
ne serait-ce que parce que notre conférencier a sûrement le désir d'être
«reconnu» par ses pairs, voire d'être admiré par eux. Derrre l'homme
de science se cache toujours l'homme tout court et celui-ci se
« découvrira » (au sens de « se mettra à découvert ») à travers telle
intonation, telle hésitation, tel lapsus, tel «blanc», voire à travers le
vêtement adopté pour la circonstance ou la manière de se tenir face au
public...
* Deuxième cas: l'acte de langage performatif. Exemple : « Je vous
promets daller vous voir demain ». C'est le cas de figure opposé au
précédent, puisque le sujet est ici pleinement engagé comme sujet.
Pourtant, il existe aussi un pôle «signe». En effet, si je vous dis: «je vous
promets d'aller vous voir demain », il est clair que je transmets de
l'information: « vous» n'est pas votre voisin ; « demain» n'est pas
aujourd'hui, etc. Mais sous ce dehors purement formatif, on devine
aisément autre chose. «Je vous promets» (comme «je vous jure», «je vous
pardonne»...), employé à la première personne du présent, appartient à
ce que les linguistes appellent la classe des performatifs». En effet, on a
ici affaire à un «acte de langage» au sens le plus fort du mot «acte»,
parce que l'on réalise ce que l'on dit en le disant. Ce qui est réalisé
constitue une «performance». La performance consiste en ce que la
situation entre mon interlocuteur et moi-même n'est plus la même après
qu'avant: je suis désormais enga à son égard. Les performatifs ne sont
pas de l'ordre du vrai ou du faux. Et cependant il y a bien eu
performance, création d'un rapport neuf entre les deux partenaires. La
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formule liturgique « Je te baptise » ou bien « tes péchés sont
pardonnés » sont de ce type de langage.
* Troisième cas : parler pour ne rien dire. « Il fait beau ce matin », m’a dit
Christiane en m’accueillant. Enoncé apparemment purement informatif.
Pourtant Christiane et moi qui venons de notre lointaine banlieue, avons eu
largement le temps de constater la météo du jour. Pourtant, si je ne lui ai
pas rétorqué: «non mais, tu me prends pour une idiote?...», cest que
j’ai très bien compris que c'était sa manière de me dire en quelque sorte :
«Bonjour! Tu es là, je suis là... Et si nous commencions par nous re -
connaître?» Le pôle de la reconnaissance symbolique est évidemment
prioritaire ici. Comme le dit le langage courant, «on parle pour ne rien
dire». Car ce qui est dit est autre chose que ce qui est énoncé. Telle est
fortement exprimée la fonction symbolique. Nos journées d’êtres humains
en sont remplies, car nous sommes des êtres de relation.
* Quatrième cas: l'œuvre d'art, le poème.
Les sanglots longs des violons de l’automne bercent mon cœur d’une langueur
monotone
Des violons qui sanglotent
Des violons de l’automne
Des sanglots qui bercent
Un cœur qui est bercé
Les sanglots brefs des violons n’auraient pas le même effet …
Objectif de ce paragraphe :
tordre le cou à l’idée que le
langage verbal ne serait
qu’instrument obéissant à des
règles scientifiques
Dans le cas du discours poétique, nous verrons tout à l’heure que son
accessibilité est conditionnée par des facteurs de fonctionnement de la
pensée particuliers.
Pour aller plus loin :
« Du symbolique au symbole »
Louis Marie Chauvet
Essai sur les sacrements. Ed du Cerf 1979
« Symbole et sacrement »
Louis Marie Chauvet
Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne. Ed du Cerf 2008
(réédition)
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