Infection aiguë et pelvipérinéologie Prostatites aiguës Acute prostatitis ■ J.F. Hermieu* RÉSUMÉ. Les prostatites aiguës représentent une pathologie fréquente en urologie. Leur diagnostic repose sur l’interrogatoire, l’examen clinique et un examen cytobactériologique des urines. Les bacilles Gram négatif en sont le plus souvent la cause. Le taux de PSA peut être temporairement élevé durant cette infection aiguë. Le traitement des prostatites aiguës repose sur une antibiothérapie par fluoroquinolones, associées à des aminosides pendant quelques jours dans les formes sévères. Une durée de 3 à 4 semaines de traitement est nécessaire pour éviter l’évolution vers une forme chronique. Le pronostic est le plus souvent favorable. Exceptionnellement, surtout chez le patient immunodéprimé, un abcès prostatique peut se développer, rendant nécessaire un drainage chirurgical. Mots-clés : Prostatite aiguë. ABSTRACT. Acute prostatitis is a common urological clinical entity. The evaluation of patients consists in history, physical examination and urine culture. Gram-negative bacilli cause most acute prostatitis. PSA level should be high during this acute infection. Acute prostatitis should be treated by fluoroquinolones agents in combination with aminoglycosides in severe forms. Duration of antibiotic therapy is typically 4 weeks to avoid chronic evolution. Most of patients have a good response to antibiotic therapy. Some of them, often immunodeficient, develop a prostatic abscess, requiring surgical drainage. Keywords : Acute prostatitis. es prostatites font partie des affections inflammatoires les plus courantes en urologie. Aux États-Unis, 5,3 % des consultations d’urologie concerneraient une maladie inflammatoire de la prostate (1, 2). Rares avant la puberté, ces affections concernent essentiellement l’homme adulte. Afin de préciser le cadre nosologique de ces affections, différentes classifications ont été proposées. La classification de Meares et Stamey (3) identifiait quatre groupes : la prostatite bactérienne aiguë, la prostatite bactérienne chronique, la prostatite chronique non bactérienne et la prostatodynie. Plus récemment, la classification du National Institutes of Health (4, 5) séparait les prostatites en quatre groupes mieux définis : • groupe 1 : prostatite bactérienne aiguë (infection aiguë de la glande prostatique) ; L * Clinique urologique, CHU Bichat, Paris. E-mail : [email protected] Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. IV - janvier/février/mars 2004 • groupe 2 : prostatite bactérienne chronique (infections urinaires récidivantes avec infection chronique de la prostate) ; • groupe 3 : prostatite chronique non bactérienne/douleurs pelviennes chroniques (douleurs pelviennes depuis au moins trois mois avec troubles mictionnels et sexuels variables, sans infection prouvée) : – groupe 3A : douleurs pelviennes chroniques inflammatoires avec présence de leucocytes dans le sperme, les secrétions prostatiques et l’urine émises après massage prostatique, – groupe 3B : douleurs pelviennes chroniques non inflammatoires sans leucocytes dans le sperme, les sécrétions prostatiques et l’urine émises après massage prostatique ; • groupe 4 : prostatite inflammatoire asymptomatique avec signes inflammatoires à la biopsie ou dans le sperme, les secrétions pros- 17 d o s s i e r tatiques ou l’urine émises après massage prostatique. Afin de faciliter le diagnostic de prostatite chronique, Meares et Stamey (6) ont développé le test des quatre verres. Ce test consiste à effectuer un recueil à visée bactériologique des urines du premier jet (UB1), du deuxième jet (UB2), des sécrétions prostatiques après massage (EPS), puis des urines après massage prostatique (UB3). Ce test présente malheureusement des faux positifs et des faux négatifs et ne permet pas de prédire la réponse à un traitement éventuel. Plus récemment, et de manière plus simple, Roberts a proposé d’effectuer simplement un recueil d’urines avant et après massage prostatique. En revanche, la spermoculture n’est d’aucune utilité dans le diagnostic des prostatites chroniques. Le sperme recueilli est en effet souillé par les germes présents dans l’urètre et correspond à un mélange non spécifique des différentes sécrétions prostatiques, testiculaires et provenant des vésicules séminales. En pratique urologique quotidienne, les prostatites bactériennes aiguës représentent une affection de diagnostic aisé et de traitement simple à mettre en route, d’efficacité constante. Les prostatites chroniques et autres douleurs pelviennes sont, en revanche, de diagnostic beaucoup plus difficile et de traitement décevant. Elles sont parfois, mais pas toujours consécutives, à une infection aiguë insuffisamment traitée. Cet article n’abordera que les prostatites aiguës. PHYSIOPATHOLOGIE DES PROSTATITES AIGUËS La prostatite aiguë bactérienne correspond à une infection de la glande prostatique. Il s’agit d’une infection sévère pouvant aboutir, en l’absence de traitement, à une septicémie, à un choc septique ou à un abcès de la prostate (7, 8). Ces infections sont d’autant plus graves qu’il existe un état d’immunodépression. L’abcès de la prostate est plus fréquent chez le diabétique ou au cours du syndrome immunodéficitaire acquis (9, 10). Quatre mécanismes à l’origine de la contamination bactérienne ont été décrits : – un reflux d’urines dans les canaux éjacula- 18 teurs et prostatiques, ce reflux pouvant être favorisé par un obstacle cervical, urétral ou prostatique à l’origine d’efforts de poussée abdominale ; – une voie urétrale ascendante par contamination urétrale par la flore vaginale lors d’un rapport sexuel, à partir d’une urétrite ou chez un patient porteur d’un étui pénien ou d’une sonde à demeure ; – une voie locale à partir du rectum par le biais de vaisseaux lymphatiques ; – une voie hématogène. Outre l’immunodépression, divers facteurs de risque ont été identifiés (1, 11) : – la stase urinaire (sténose urétrale, hypertrophie bénigne de la prostate, cancer prostatique, maladie du col vésical, dysynergie vésicosphinctérienne) ; – le port d’une sonde à demeure ; – le port d’un étui pénien ; – l’absence de circoncision ; – l’activité sexuelle ; – la pratique de la pénétration anale non protégée ; – la pratique d’actes instrumentaux du bas appareil urinaire (sondage urinaire, endoscopie, bilan urodynamique, biopsie de prostate). Les prostatites aiguës iatrogènes sont prévenues par le respect des procédures d’asepsie et d’antibioprophylaxie. Une antibioprophylaxie par fluoroquinolone et la pratique d’un lavement évacuateur sont, par exemple, recommandées préalablement à la pratique de biopsies prostatiques échoguidées par voie endorectale. Une élévation parfois très importante du taux sérique de l’antigène prostatique spécifique (PSA) a été observée chez les patients présentant une prostatite aiguë. Le mécanisme de cette élévation est mal connu. L’hypervascularisation et l’augmentation de la perméabilité vasculaire contemporaines de l’inflammation prostatique pourraient être à l’origine du relargage du PSA dans la circulation à partir de cellules épithéliales prostatiques. Le délai de normalisation du PSA après une prostatite aiguë est de six semaines à trois mois. L’absence de normalisation malgré un traitement bien conduit et la disparition des symptômes inflammatoires locaux doivent par prudence conduire à proposer une vérification histologique de la prostate (12, 13). Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. IV - janvier/février/mars 2004 Infection aiguë et pelvipérinéologie ÉCOLOGIE BACTÉRIENNE AU COURS DES PROSTATITES AIGUËS Les bactéries les plus couramment observées lors des prostatites bactériennes aiguës sont les entérobactéries avec, en premier lieu, Escherichia coli (80 %), suivie par Klebsiella pneumoniae, Protéus mirabilis, Serratia, Pseudomonas aeruginosa (pour 10 %), Enterococcus, Staphylococcus aureus et Salmonella. D’autres germes sont observés de manière beaucoup plus exceptionnelle : mycobactéries, mycoses (Blastomyces, Coccidioides, Cryptococcus, et candidoses), parasitoses (1, 9, 12, 14, 15). RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Roberts RO, Lieber MM, Botstwick DG, Jacobsen SJ. A review of clinical and pathological prostatitis syndromes. Urology 1997 ; 49 (6) : 80921. 2. Gurunadha Rao Tunuguntla HS, Evans CP. Management of prostatitis. Prostate Cancer Prostatic Dis 2002 ; 5 (3) : 172-9. 3. Drach GW, Fair WR, Meares EM, Stamey TA. 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Manifestations urologiques de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Encycl Med Chir, Néphrologie-Urologie, 18-223-A-10, 2002, 10 p. CLINIQUE Le diagnostic clinique des prostatites bactériennes aiguës est aisé. Les signes généraux sont souvent marqués : fièvre élevée, frissons, malaise, asthénie profonde. Il s’y associe des signes locaux : brûlures mictionnelles, pollakiurie, impériosités mictionnelles, dysurie, voire rétention aiguë d’urines, hématurie initiale, douleurs périnéales, suspubiennes ou pelviennes, épreintes et ténesme rectal, gêne urétrale ou scrotale, urines troubles ou malodorantes (12). La fréquence des divers symptômes a été établie dans différentes études. Krieger (11), dans une population d’hommes jeunes, étudiants d’une université américaine, présentant une infection urinaire, rapporte 76 % de dysuries, 53 % de pollakiuries, 42 % d’hématuries, 37 % de fièvres et 34 % de sensations de malaise. Parfois, le diagnostic est plus difficile, la symptomatologie se résumant à des signes généraux, simulant un syndrome grippal ou se limitant à des signes locaux. L’examen clinique recherchera un globe vésical. Au toucher rectal, la prostate est augmentée de volume, molle, chaude et douloureuse. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES • L’examen cytobactériologique des urines du premier et du deuxième jets doit être systématique. Le plus souvent, la prostatite bactérienne aiguë s’accompagne de germes dans les urines. Les prélèvements de Meares et Stamey ne sont pas indiqués, voire sont contre-indiqués, lors de la prostatite aiguë. En effet, le massage prosta- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. IV - janvier/février/mars 2004 tique est douloureux. Il peut également être à l’origine d’une bactériémie lorsqu’il est réalisé au cours de la phase aiguë d’une prostatite (Meares). • La numération formule sanguine retrouvera une hyperleucocytose à polynucléaires. • Vitesse de sédimentation et protéine C réactive (CRP) seront augmentées en raison de l’inflammation prostatique. • Les hémocultures seront prescrites en cas de fièvre élevée ou de frissons. • Un prélèvement urétral pourra être réalisé en cas d’écoulement urétral ou si l’on suspecte une maladie sexuellement transmissible. • Un dosage de la créatininémie est utile si l’on envisage de prescrire une double antibiothérapie comportant un aminoside. • Les explorations d’imagerie n’ont pas d’intérêt pour le diagnostic de prostatite bactérienne aiguë. • L’échographie prostatique n’apporte aucun renseignement spécifique en faveur de ce diagnostic. Des calcifications prostatiques non spécifiques pourront être éventuellement visualisées. L’échographie permet, en revanche, de visualiser un éventuel abcès prostatique. L’échographie vésicale postmictionnelle permettra de s’assurer de l’absence de globe vésical ou de gros résidu. • Les explorations étiologiques seront envisagées dans un deuxième temps, après avoir débuté l’antibiothérapie et obtenu une amélioration clinique. Lorsqu’un obstacle à l’évacuation des urines est suspecté cliniquement ou sur les données de la débitmétrie, une urétrographie mictionnelle sera prescrite pour préciser la localisation et l’importance de l’obstacle. TRAITEMENT Le traitement de la prostatite bactérienne aiguë repose sur une antibiothérapie obéissant au cahier des charges suivant : – adaptation à l’épidémiologie microbienne (Escherichia coli prédominant pour les infections communautaires) ; – adaptation à la résistance aux antibiotiques (plus de 50 % d’Escherichia coli résistant à l’ampicilline, 20 à 30 % d’Escherichia coli résistant au triméthoprime-sulfaméthoxazole) ; – bonne diffusion tissulaire : la diffusion tissulaire prostatique des antibiotiques est faible ; 19 d o s s i e r 11. Krieger JN, Ross SO, Simonsen JM. Urinary tract infections in healthy university men. J Urol 1993 ; 149 : 1046-8. 12. Britton JJ, Carson CC. Prostatitis. AUA update 1998 ; 17 (20) : 154-9. 13. Kravchick S, Cytron S, Agulansky L, Ben-Dor D. Acute prostatitis in middle-aged men : a prospective study. Br J Urol Int 2004 ; 93 (1) : 93-6. 14. Meares Jr EM. Acute and chronic prostatitis : diagnosis and treatment. 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Am J Med 1999 ; 106 (3) : 327-34. 20 fort heureusement, cette diffusion s’accroît lors des périodes d’inflammation prostatique aiguë (1, 12, 14), augmentant la vascularisation prostatique et la perméabilité de l’épithélium prostatique ; – bonne tolérance (tendinopathie et photosensibilisation des fluoroquinolones, réaction allergique du triméthoprime-sulfaméthoxazole) ; – coût raisonnable. L’antibiothérapie de référence est une fluoroquinolone (16) (ciprofloxacine ou ofloxacine) prescrite en monothérapie, en urgence, sur les données de la clinique et après avoir réalisé un examen cytobactériologique des urines. Une céphalosporine de troisième génération, par son spectre d’activité bien adapté au germe urinaire, est une alternative possible (17). Le triméthoprime-sulfaméthoxazole présente une bonne diffusion prostatique, mais 25 % des Escherichia coli y étant résistants, sa prescription ne sera possible qu’après avoir pris connaissance des données de l’antibiogramme. Les formes présentant des signes généraux marqués nécessitent une hospitalisation et la prescription de quelques jours d’aminosides en association avec la fluoroquinolone ou la céphalosporine de troisième génération (18). Dans tous les cas, une bonne hydratation, le repos, des antalgiques et des antipyrétiques seront prescrits (1). L’intérêt des anti-inflammatoires non stéroïdiens n’a, en revanche, jamais été démontré. En cas de dysurie, la prescription d’un alphabloquant relâchant les récepteurs alpha au niveau du col vésical et de l’urètre prostatique sera utile. L’éventuelle rétention aiguë d’urines sera levée par la pose temporaire d’un cathéter sus-pubien, les manœuvres endo-urétrales étant contre-indiquées lors d’une prostatite aiguë (8, 9, 14, 18, 19). La durée du traitement est source de controverses, la durée minimale préconisée étant de trois semaines. La plupart des auteurs proposent quatre à six semaines (1, 17, 18, 20), afin d’éviter l’évolution vers une forme chronique. L’abcès prostatique est devenu une complication rare depuis l’avènement des antibiotiques actuels. Sa survenue impose de rechercher un diabète ou une infection par le VIH (9, 10, 12). Suspecté par la persistance de signes infectieux ou sur la perception d’une zone fluctuante au toucher rectal, son diagnostic sera posé par l’échographie endorectale. L’antibiothérapie n’est pas toujours suffisante et le recours à un drainage par voie périnéale, endorectale ou endo-urétrale est parfois nécessaire (9, 12). ■ Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. IV - janvier/février/mars 2004